Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Fin du monde

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 964-972).

FIN DU MONDE (PROPHÉTIE DU CHRIST SUR LA). —
I. J.e Problème. —
II. La fin du monde dans les écrits apostoliques. — A. Ecrits johanniques. B. Epitres de S. Pierre et de S. Jacques. C. Epitres de S. Paul. D. Conclusion. —
III. La fin du monde dans les évangiles synoptiques. — A. Discours eschatologique. B. Autres textes. C. Conclusion. —
IV. Bibliographie.

I. Le Problème. —

Un exégète allemand, M. E.vox DoBscHUETz, s’exprimait en ces termes au Congrès international d’histoire des religions qui s’est tenu à Oxford en 1908 : « Mon dessein n’est pas d’étudier dans leur ensemble les doctrines eschatologiques du Christianisme primitif. Tout le monde sait quelle quantité d’idées apocah’ptiques avaient cours pendant cette période. Nous pouvons regarder comme acquis que toutes, quelle que soit leur origine première, venaient du Judaïsme. L’Evangile n’introduisit que deux éléments nouveaux : i) La place centrale fut donnée à

Jésus, dont la parousie ou la descente des cieux dans la gloire du Père devait avoir pour conséquence la fin du monde, la résurrection, le jugement, le royaume de Dieu et la vie éternelle ; et 2) ceci était considéré comme devant se réaliser promptement, le Messie ayant déjà été envoyé par Dieu et n’étant retenu que pour un temps très court. C’est là le point capital : la Chrétienté primitive ne se contentait pas d’entretenir des rêves eschatologiques conçus comme devant se réaliser quelque jour dans un avenir lointain. Les premiers chrétiens étaient persuadés que le grand jour où tout serait transformé viendrait pendant la vie de la génération à laquelle ils appartenaient. Nul savant moderne ne contestera, j’en suis sur, que Jésus lui-même et ses disciples, y compris l’apôtre Paul, partageaient cette persuasion. » (Transactions of the third international Congress for the LListory of Religions, 1908, vol. II, p. 312 s.)

M. von Dobschiitz exagère. Il existe des « savants modernes » qui, sous l’influence d’ailleurs de vues assez diverses, contestent que Jésus du moins ait partagé la persuasion dont il s’agit. Il reste cependant qu’au sentiment de la grande majorité des exégètes contemporains non catholiques, les premières générations chrétiennes ont vécu dans la ferme attente de la parousie très prochaine, et cela sur la foi des propres et expresses déclarations de Jésus. Parmi ces exégètes un groupe, assez peu nombreux à la vérité, se distingue par le caractère radical de ses affirmations. Ce sont les «. eschatologistes conséquents », pour qui Jésus non seulement aurait annoncé pour une date très prochaine la fin du monde et son propre avènement, mais encore aurait conçu sa mission et son œuvre, formulé sa doctrine morale en fonction et sous la domination de cette donnée eschatologique. M. Joh. Weiss peut être considéré comme l’initiateur de ce mouvement, auquel son li--re : Die Predigt Jesu vom Reiche Gottes^ i" éd., 1892, 2* éd., 1900, a donné le branle. M. A. Loisy a fait siennes les idées émises tout d’abord par M. J. AVeiss et, le premier, les a appliquées dans un commentaire suivi des Evangiles synoptiques, 2 vol., 1907-1908. Plusieurs de ses précédents ouvrages contenaient déjà une habile apologie de l’eschatologisme conséquent (voir les références dans l’article : Eglise, par M. Y. de la Brière, col. 1222). Enfin l’étude du D"" A. Sch-sveitzer, de Strasbourg, intitulée : Von Reimarus zu Wrede, 1906, a été comme le manifeste éclatant du groupe. Il faut reconnaître qu’à certains égards ce système radical est le plus logique. Cependant il est reconnu tout à fait insoutenable par la grande majorité des savants compétents. N’y aurait-il pas là déjà un avertissement de ne pas prendre à la lettre trop aisément, dans ce domaine de l’eschatologie chrétienne, certaines formules en apparence pourtant tout à fait catégoriques ?

Est-il vrai que Jésus ait cru à l’imminence de la fin du monde et qu’il l’ait annoncée comme devant se produire avant que tous ses auditeurs aient disparu ? Telle est la question précise à laquelle cet article a mission de répondre. Tout le monde connaît les limites dans lesquelles doivent se renfermer notre examen et notre solution. Le décret « Lamenta bili » les a déterminées en condamnant la proposition suivante (33) : « Evidensest cuique, qui præconceptis non ducitur opinionibus, Jesum aut errorem de proximo messianico adventu fuisse professum, aut majorem partem ipsius doctrinæ in Evangeliis synopticis contentæ authenticitate carere. » Et ces limites, on ne peut prétendre qu’elles soient une gêne pour la sincère et libre recherche, car vraiment non, ce qui est avancé dans cette proposition n’est pas évident, pas du tout. 1913

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II. La fin du monde dans les écrits apostoliques. — La question étant posée par la critique indépendante, de savoir ce qui, dans les évangiles synoptiques, représente strictement la pensée personnelle de Jésus et ce qui appartient soit à la tradition primitive, soit aux rédacteurs, il est indiqué de commencer notre enquête par les propres écrits des disciples du Maître, et d’essayer de déterminer tout d’abord avec précision l’état d’esprit des premières générations chrétiennes touchant la proximité de la parousie et de la fin du monde.

A. Ecrits johanniques. — Le dernier chapitre de l’Apocalypse alfirme à plusieurs reprises la venue prochaine de Jésus (xxii, G-7, 10, 12, ao). S’il était établi que cette venue n’est autre que la parousie, le sens précis que l’auteur attachait aux formules relatives et, comme nous le verrons, passablement décevantes,

« sous peu », « bientôt », resterait à préciser, 

d’autant qu’à n’en pouvoir douter il ignore la date exacte de cet événement. Mais ces déclarations doivent-elles s’entendre de la parousie ? C’est ce qui me parait très contestable, pour ne pas dire plus. Le contexte immédiat, même les vv. 12 ss. qui pourraient viser la grande crise aboutissant au règne millénaire, ne permet pas de rien atUrmer. Il faut donc, pour obtenir un supplément de lumière, se reporter à l’ensemble des prophéties de l’Apocalypse, dans lesquelles il est dillicile de ne point distinguer plusieurs plans ou perspectives et plusieurs venues du Christ (cf. l’article : Apocalypse, I, col. 158 ss.). Il y a la venue proprement eschatologique, la parousie, inaugurant le règne définitif et transcendant dans un monde nouveau (xx, 7 ; xxii, 5). Il y a la venue qu’on peut quaiitîer tout ensemble d’historique et de spirituelle, inaugurant sur notre terre actuelle le règne millénaire, c’est-à-dire l’épanouissement et le triomphe de ce règne messianique ouvert par la première venue du Christ (cf. peut-être I Cor., xv, 24 ss.). Toute une période, une ère ( 1.000 ans), la sépare, au sentiment de l’auteur, de la venue eschatologique (iv, I ; XX, 6). Enfin il y a des venues particulières ou locales et spirituelles, non pas visibles (11, 5, iG ; 111, 3, 20) (cf. R. H. Charles : Eschatology, dans VEncyclopædia Biblica, vol. I, 1902, col. i’à'](î). he verset 1 1 du chapitre m se réfère peut-être à la venue préparatoire au règne millénaire, comme c’est le cas pour vi, 11. A laquelle de ces venues pensait l’auteur de l’Apocalypse en rédigeant la conclusion de son livre ? Si l’exégèse proposée est exacte, ce ne peut être qu’à la Aenue inaugurant le règne millénaire et non point à la parousie proprement dite. L’on n’est donc pas fondé à dire que l’Apocalypse prévoit et annonce catégoriquement le dernier avènement et la fin du monde pour une date imminente ou tout à fait prochaine.

Le Quatrième Evangile témoigne de l’élasticité que possèdent, dans le langage johannique, les termes de « venue » ou de « retour », comme d’ailleurs ceux de’< résurrection » et de « jugement ». En plus de leur signification eschatologique, ils y revêtent un sens tantôt historique et tantôt spirituel et mystique. Le fait, qui est à peu près incontesté, vaut qu’on y prête attention et peut être regardé comme confirmant dans une certaine mesure l’interprétation de l’Apocalypse proposée plus haut. Au ch. v de l’évangile selon S.Jean, le v. 25 s’ententl d’une mort et d’une résurrection spirituelles. Les vv. 28-29 visent bien la résurrection finale, mais cet événement appartient à un autre plan que celui de la résurrection spirituelle et, quoique sommai rement marquée comme toujours, la difiérence de perspective se laisse apercevoir. Le retour du Christ dont il est i)arlé au

ch, XIV, 2-3 (cf. xiii, 33-38), ne doit pas être la parousie.

« Il n’est pas question ici, écrit le P. Calmes, 

de la réappai-ition du Christ au jugement dernier, pas plus que de sa résurrection glorieuse. Il est plus probable qu’il s’agit du jugement particulier qui suit immédiatement la mort de chacun, et que le Seigneur fait allusion au passage de la vie terrestre à la vie glorieuse. Jésus se sépare momentanément de ses disciples pour être leur précurseur dans la maison du Père céleste (Ilébr., vj, 20) ; il reviendra les chercher et ils seront réunis pour toujours dans la demeure bienheureuse. » (Evangile selon S. Jean, 190/), p. 387.) Les vv. 18 ss. du même chapitre s’entendent d’une venue intérieure, mystique, du Christ glorieux dans l’àme de ses disciples (cf. xiv, 23), tandis que xvi, 16 se réfère aux apparitions de Jésus ressuscité (E. von Dobschuetz, The Eschatology of’tlie Gospels, dans The Expository Times, mai 19 10, p. 409 ss.).

Le passage bien connu, xxi, 22-23, est souvent allégué connue constituant une annonce formelle, et placée dans la bouche même de Jésus, de la parousie imminente. C’est bien ainsi, en effet, que dans l’entourage du « disciple bien-aimé » l’on interprétait la parole « jusqu’à ce que je vienne » et c’est un indice que l’attente de la parousie imminente était vivante dans ce milieu. Maisl’auteur déclare implicitement que cette interprétation n’est pas fondée. Il s’abstient d’ailleurs de donner le vrai sens de cette parole obscure du Maître, N’aurait-elle pas simplement en vue d’opposer à la mort violente, au marlj^re de Pierre la mort naturelle du « disciple bien-aimé », et « jusqu’à ce que je vienne » ne serait-il pas à entendre dans le sens de xiv, 2-3 ? En fin de compte, le Quatrième Evangile, pas plus que l’Apocalypse, ne contiendrait rien touchant la proximité de la parousie, à part l’annonce tout à fait indéterminée du chapitre v, 28 s. Il en est autrement des épîtres johanniques. Encore que peu explicite, l’eschatologie s’j' trouve placée en évidence. Il y est question d’une « manifestation » future du Christ (I Jean, 11, 28). Cette manifestation est proche (I Jean, ii, 18, 28). L’auteur semble induire sa proximité de la présence dans le montle de l’Antéchrist ou des Antéchrists (I Jean, 11, 18 ; iv, 3 ; II Jean, 7). « Enfants, écrit-il, c’est l’heure suprême I Vous avez entendu annoncer la venue de l’Antéchrist ; eh bien ! il y a maintenant beaucoup d’Antéchrists. Par là nous connaissons que c’est l’heure dernière » (I Jean, 11, 18). Ces Antéchrists sont des chrétiens hérétiques (I Jean, ii, 19, 22-23), de faux prophètes que l’esprit de l’Antéchrist inspire (I Jean, iv, i-3 ; cf. peut-être I Cor., xii, 3), La mention de l’Antéchrist, le caractère et le rôle qui lui sont attribués, trahissent la parenté de cette eschatologie avec celle de S. Paul et suggèrent que la manifestation du Christ à laquelle pense S. Jean, est bien la parousie. Il n’est pas aisé de déterminer ce que représente exactement pour l’auteur de nos épîtres cette proximité de la parousie ni de décider si sa pensée, I Jean, 11, 28, est vraiment que ses correspondants sont destinés à voir, avant de mourir, cet événement tant désiré. II est manifeste en toute hypothèse qu’il ne sait rien de sa date exacte.

S. Jean ne dit pas où il a puisé les idées et les sentiments que nous venons de rapporter. Les évangiles ne contiennent aucune parole de Jésus où l’on puisse reconnaître clairement la conception paulinicnne ou johannique de l’Antéchrist. Tout au plus pourrait-on en voir les linéaments indistincts dans.1/c/^///.. xxiv, 4-5 et parallèles, interprétés eschatologiquement. Ce paraît être une notion d’origine juive, reprise et précisée à la période apostolique, plutôt que développée par Jésus lui-même. Ce que S. Jean dit de la présence 1915

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dans le monde de l’Antéchrist, ou de ses suppôts et précurseurs, révèle cette « appréciation pessimiste des événements contemporains » que le R. P. Prat signale chez les chrétiens de l’âge apostolique et dans laquelle il voit justement l’un des facteurs de leur attente de la parousie prochaine (/. « théologie de saint Paul, première partie, 1908, p. 108). De fait, si S. Jean estime prochaine la venue du Seigneur, c’est qu’il croit reconnaître en certains hérétiques de son temps et de son pajs les instruments de l’Antéchrist. Mais alors son sentiment ne représente qu’une conclusion personnelle et conjecturale, non point une certitude directe et fondée sur la révélation.

Ainsi donc, dans l’Apocalypse, la parousie et la fin du monde sont renvojées au delà du règne millénaire (règne spirituel) dans un lointain avenir. Dans le Quatrième Evangile, il n’est pas question de la proximité de la parousie. L’auteur des épîtres conjecture que l’avènement du Seigneur et la fin du monde sont proches, d’une proximité impossil)le sans doute à préciser, mais qui n’en pai’ait pas moins exclure la perspective d’une longue durée de l’œuvre terrestre du Christ. Cette diversité de vues est au premier abord déconcertante, surtout si l’on admet que ce groupe d’écrits non seulement provient d’un même milieu, mais encore est l’œuvre d’un auteur unique, ainsi que nous le faisons. Les remarques suivantes pai’aissent de nature à jeter quelque lumière sur le problème. Dans l’Apocalypse, nous retrouvons, transformée, l)ien entendu, par l’illumination prophétique dont bénéficie l’auteur et inscrite dans la perspective nouvelle ouverte par l’Evangile, quelque chose de la tradition eschatologique juive, abondante et compliquée. Le Quatrième Evangile, par contre, annonce le dessein de faire revivre la divine figure du Fils de Dieu devenu homme et de reproduire l’infinie richesse de son enseignement historique. J’oserai avancer que le contenu de cet évangile est peut-être beaucoup plus proche que certains ne le pensent de la pensée personnelle du Maître et que nous avons précisément dans le peu de place qu’y tient l’eschatologie un indice positif de cette proximité. Après avoir étudié quelques-uns des passages d’aspect eschatologique que renferme le Quatrième Evangile et constaté qu’ils ne l’étaient qu’en apparence, M. von Dobschiitz conclut : « Ceci se rapproche beaucoup de ce que nous trouvons dans l’enseignement de Jésus (tel qu’il vient de le définir) : eschatologie transmuée avec un élément additionnel d’eschatologie réelle. » Et plus loin, après avoir posé les restrictions qu’il estime nécessaires et signalé le mysticisme plus accentué de la doctrine johannique, il poursuit : « L’intériorité mystique de S. Jean est beaucoup plus proche de la vraie pensée de Jésus que cette extension et ce renforcement de ses déclarations eschatologiques que nous avons remarqués en certains passages des évangilessynoptiques, spécialementdeS. Mattliieu… » (Article cité, Exp. Times, p. ^ib s.) M. von Dol)schiitz va un peu loin et il ne iaut minimiser l’importance de l’élément eschatologique ni dans le Quatrième Evangile, ni dans l’enseignement de Jésus. Mais ses remarques demeurent intéressantes. Pour ce qui est des épîtres johanniques, elles traduisent ce que déjà nous avons quelques raisons de regarder comme l’opinion propre des premières communautés chrétiennes. Et cette diversité que présentent, en matière d’eschatologie, les écrits johanniques, pourrait être l’indice positif de l’extrême incertitude qui régnait au fond, touchant l’avenir et l’époque de la parousie, parmi les chrétiens de l’âge apostolique et parmi les apôtres eux-mêmes.

B. Epitres de S. Pierre et de S. Jacques. — La

/ » Pétri suppose que la fin du monde et la parousie, qui en est le prélude immédiat, sont proches (iv, 7). Peut-être même l’auteur espère-t-il que ses correspondants en seront témoins (i, 5 ss.). Cependant ce n’est pas clair. Le passage iv, i ;  ; , qui pourrait paraître accentuer l’imminence de la parousie, tourne à l’eschatologie transmuée, c’est-à-dire applique des notions ou termes eschatologiques à des faits de l’ordre historique ou purement spirituel et mystique. Lorsqu’au ciiapitre I, 10-12 l’auteur semble vouloir donner les sources générales de sa doctrine eschatologique, nous le voyons alléguer les prophètes d’Israël et les prédicateurs de l’EAangile instruits par l’Esprit-Saint. Aucune référence directe à l’enseignement historique de Jésus.

L’état d’esprit n’est plus tout à fait le même dans la //a Pétri. Sans doute on n’y abandonne nullement la croyance à la réalité de la parousie. On la défend même en termes énergiques contre certains sceptiques, des « moqueurs » (m, i-io), dont l’apparition annoncée serait plutôt le signe qu’elle approche. Car, et c’est un fait remarquable, l’idée même de sa proximité est maintenue et des conseils sont donnés sur la manière dont on doit l’attendre et s’y préparer (m, 12). Seulement, on nous prévient (m, 8) que cette proximité est très relative, attendu que « devant le Seigneur un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour ». Cela rend songeur, d’autant qu’à ne considérer du moins que ces variations, il n"est pas du tout évident que la // » Pétri ne puisse être du même auteur et à peu. près de la même époque que la / » Pétri. C’est à se demander ce que pouvaient bien représenter au juste pour les premières générations chrétiennes ces annonces relatives à la parousie, annonces si catégoriques et si précises en apparence, mais que nous entrevoyons, à certains moments, si incertaines au fond et si indéterminées. Nous découvrons même qu’au sentiment de l’auteur de la //3 Pétri, la date de la parousie n’est pas arrêtée de façon absolue, inconditionnelle, dans les conseils divins. Elle paraît à tout le moins susceptible d’être avancée (m, 12). Cette manière de voir rappelle singulièrement les idées qui avaient cours parmi les Juifs contemporains sur le retard apporté à l’envoi du Messie, sxu’ses causes et ses remèdes. L’influence de la pensée juive sur l’eschatologie chrétienne se laisse entrevoir une fois de plus (cf. Prat, op. et loco supra laud.). Les autorités que l’auteur allègue en confii-mation de sa doctrine eschatologique, semblent les mêmes que dans la première lettre. Ici non plus on n’en appelle pas aux propres déclarations de Jésus sans intermédiaire.

L’cpître de S. Jacques (v, 7-9) déclare que « l’avènement du Seigneur », c’est-à-dire apparemment la parousie, est « proche w, que « le juge est à la porte ». Elle ne précise pas autrement, mais, selon l’usage, prend cette donnée comme base d’exhortations morales et d’encouragements à la patience.

C. Epitres de S. Paul. — L’eschatologie de S. Paul, sur laquelle nous sommes mieux renseignés grâce aux écrits plus étendus et plus nombreux de l’apôtre, a fait l’objet d’un grand nombre de travaux. L’un des plus récents et aussi des meilleurs est celui du professeur catholique F. Tillmann, de Bonn : Die Wiederkunft Christi nach den PauUnischen Briefen (Biblische Sludien, Bd. XIV, Heft 1-2), 1909. L’accord tend à s’établir entre catholiques sur les faits essentiels. S. Paul, et cela jusqu’à la fin de sa carrière, regarde la fin du monde comme prochaine (I Th.,

IV, 16-17 ; I ^’"’"^’"' 29"3’ ; ^’^’51 ; XVI, 22 ; II Cor.,

V, i-io ; Boni., xiii, ii-14 ; Philip., ir, 6 ; Héb., x, 87, etc. Cependant l’on pourrait être tenté de reconnaî191^

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tre dans I Tim., vi, 14-15, une nuance d’hésitation ou de réserve.

Au début de son ministère (I JA., iv, ib-i’j ; I Cor., XV, 51-53), les tenues employés par S. Paul révèlent, sans qu’il y ait toutefois d’affirmation directe, qu’il nourrit l’espoir d’être lui-même, avec l’ensemble de ses correspondants, témoin de la parousie. Cependant, à aucun moment, il ne considère l’avènement tant désiré du Seigneur comme vraiment imminent, et il proteste contre des propos en ce sens qui circulaientparmises chrétiens et que l’on prétendait venir de lui. La parousie, déclare-t-il, ne saurait se produire tant que certains événements ne se sont pas accomplis : la manifestation de l’Antéchrist et préalablement la disparition de l’obstacle qui, jusqu’à nouvel ordre, lui barre la route. Il est vrai que S. Paul, considérant le cours des choses avec cette nuance de pessimisme qui a été signalée plus haut, croit découvrir que « le mystère d’iniquité » dont l’entrée en scène de l’Antéchrist marquera le point culminant, est déjà en activité. Mais il ne semble pas qu’il sache rien de précis sur les phases ultérieures de l’évolution que doit suivre la crise commençante. On dirait même que cette évolution n’aura pas de lien visible, reconnaissable. avec la parousie, au sujet de laquelle, malgré l’existence d’événements avant-coureurs, S. Paul se borne à redire le mot que nous lisons dans les sj’uoptiques : « Vousmêmes, en effet, vous savez très bien que le jour du Seigneur doit venir tel qu’un voleur dans la nuit… «  (1 Tli., x, 2). La pensée de l’apùtre ne semble pas très cohérente en cette matière de la parousie et l’on pourrait en relever d’autres indices.

Nous n’avons donc, en Un de compte, pour déterminer la nature précise, dans l’esprit de S. Paul, de cette proximité de la parousie, que l’espoir qu’implicitement il exprime (I Th., vi, 15, 17 ; I Cor., xv, 51, 53) d’être encore du nombre des vivants, de même que l’ensemble de ses correspondants, lorsque se produira l’avènement glorieux du Seigneur. Mais dès l’époque de la seconde lettre aux Corinthiens, si le désir qu’il en a subsiste toujours aussi vif et aussi profond, son espérance fléchit du moins en ce qui le regarde personnellement (II Cor., v, i-io). Plus tard, dans la lettre aux Philippiens, il envisage l’hypothèse d’une mort prochaine comme possible et cette mort elle-même comme désirable à certains égards (Philip., i, 19-26 ; 11, 17, 23). Enhn dans la seconde lettre à Timothée, il se juge parvenu au terme de sa carrière terrestre et tout proche de sa fin (I Tim., IV, 6 s.). Il n’est plus question d’assister vivant à la parousie. Et ce cliangement s’est accompli dans les idées et dans les sentiments de l’apôtre sans que nulle question i^araisse s’être posée de ce chef devant son esprit, sans que ses convictions chrétiennes aient subi le moindre ébranlement. C’est donc qu’il n’avait aucune garantie sur ce point, qu’il ne savait rien de certain et qui lui vînt de source autorisée : enseignement liistorique de Jésus, tradition ferme de la communauté primitive ou révélation personnelle. Ce n’était donc qu’une espérance fondée sur une conjecture.

Le D TiLLMANN (oj). laud., p. ii’j s.) semblefaire une différence entre l’espérance peu assurée que S. Paul aurait eue d’être lui-même du nombre des vivants lors de la parousie et la conviction notal)lement plus ferme où il aurait été fine, dans l’ensemble, les chrétiens par lui con^ ertis seraient témoins de cet heureux événement. On pourrait alléguer à l’appui de cette manière de voir que S. Paul, même après avoir à peu prés perdu toute espérance personnelle, n’en continue i)as moins d’annoncer comme auparavant la parousie prochaine (liom., xiii, i i-14 ;

Philip., IV, 6, etc.). Mais je doute que ce fait soit probant, à en juger par ce que nous avons rencontré dans les écrits des autres apôtres. Déplus, des indices positifs pourraient être relevés qui tendent à établir que S. Paul n’était sûr de rien, pas plus en ce qui concerne ses chrétiens qu’à l’égard de lui-même. On sait, par exemple, que, pour l’apôtre, ceux que la parousie trouvera vivants, ne passant pas par la mort, n’auront pas à ressusciter. Ils seront simplement

« transformés » (I Co/-., xv, 50-54 ; Cf. Prat, op. laud., 

p. 193 s.). Comment se fait-il donc, s’il tient fermement que ses correspondants, dans l’ensemble, sont destinés à voir la parousie et donc ne mourront pas, qu’il leur isrésente en maints endroits la résurrection comme l’objet d’une commune espérance ?

Peut-être jugera-t-on que le passage bien connu, I Cor., Ali, 25 ss., vient singulièrement accentuer et renforcer les vues émises dans I Th., iv, iS-i’j ; I Cor., XV, 5 1-53. S. Paul y conseille — ce n’est pas vm ordre — aux Corinthiens de demeurer dans la condition où ils se trouvent, de ne point contracter mariage s’ils sont encore libres, s’ils sont mariés de vivre comme s’ils ne l’étaient pas, et ainsi de suite, parce que « le temps est court » et que « la fig.re de ce monde est en train de passer >>. C’est la proximité de la parousie qui, de son propre aA eu, lui inspire ces conseils très précis et importants. Ne doit-on pas en conclure qu’il devait se juger très sûr, non pas seulement de la proximité générale de la parousie, mais de l’intérêt tout à fait pratique et personnel qu’offrait pour ses correspondants le fait de cette proximité, et donc qu’il les croyait fermement destinés à en être les heureux témoins ? Je ne le pense pas. Ildoit être bien entendu tout d’abord que S. Paul professe pour le célibat une estime parfaitement indépendante de toute considération de la parousie prochaine, et E. Aon Dobschiitz se fait un devoir de le reconnaître (Transactions, etc., II, p. 314 s.). De plus, nous avons déjà rencontré dans les épîtres de S. Jean, de S. Pierre et de S. Jacques des conseils analogues motivés par la perspective du prochain avènement du Seigneur, et cependant nous avons cru apercevoir que leur sentiment touchant le fait et surtovit la nature de cette proximité était très peu assuré. L’état d’esprit de S. Paul ne devait pas différer sensiblement du leur.

Observons en terminant que S. Paul ne nous fait connaître nulle part avec précision les sources où il a puisé les opinions eschatologiques que nousvenons de rapporter. Il ne fait aucune allusion à des révélations personnelles qu’il aurait reçues sur ce sujet. Dans I Thess., iv, 15, il déclare bien parler h)d-/u KufJcj. Mais outre que l’autorité invoquée ne saurait, en aucun cas, garantir 1 espérance où il est d’assister vivant à la parousie, espérance dont l’expression est purement implicite et n’appartient pas à la substance doctrinale de I Th., iv, 10-17, il est assez difficile de dire ce que signifie ici « sur la parole du Seigneur », ’( en me fondant sur l’enseignement du Seigneur ». S’agit-il d’un logion particulier qui ne nous aurait pas été conservé par les évangélistes, ou bien de l’ensemble de la doctrine historique de Jésus ? Et si l’on retenait cette dernière liypolliése.quiest assez vraisem])Iable, il faudrait se rappeler que S. Paul n’a pas été le disciple personnel de Jésus pendant sa vie mortelle, que, pour beaucoup de choses, il n’a connu l’enseignement du Maître que par l’intermédiaire de la tradition et que la communauté primitive, en matière d’eschatologie, semble s’être laissée entraîner à joindre ses conjectures personnelles et l’expression de ses espérances à la doctrine qu’elle avait reçue de son Fondateur. Nous avons ici comme la contre-épreuve de l’hypothèse énoncéeà propos du Quatrième Evan1919

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gile. S. Paul, cbez qui la préoccupation escbatologique est assez fortement marquée, n’est pas, sous réserve de sa vocation à l’apostolat et de ses révélations, un disciple personnel de Jésus,

D. Conclusion. — En résumé, dans la plupart des écrits apostoliques, nous trouvons donc les deux énonciations — ne disons pas assertions — suivantes. 1° La parousie, la tin du monde, est proche. Cette énonciation est posée d’une manière assez ferme et seml)le commune à toute la première génération chrétienne. Toutefois la façon dont on la propose et dont oji la justiŒ montre clairement qu’on ne la regarde pas comme faisant partie de la doctrine expressément révélée. Elle ne représente que le sentiment personnel de ceux qui la proposent. De plus, certaines hésitations montrent suUisamment qu’ils ne la tiennent pas pour indubitable et tout à fait certaine. Ce n’est au fond qu’une opinion. Entîn la nature de cette proximité demeure très imprécise et tous font l’aveu de leur ignorance touchant la date exacte de la parousie. 2° La génération présente verra peut-être, vraisemblablement même, l’avènement glorieux du Seigneur et la lin du monde. Ce second point ne fait pas corps avec le précédent. Il est moins universel et surtout formulé avec beaucoup moins de fermeté. Il est presque excessif de parlera son sujet, non seulement d’assertion mais même d’énonciation proprement dite. L’idée dont il s’agit demeure implicite. Elle imprègne et colore certaines affirmations, sans former l’objet d’énonciations distinctes et formelles. Manifestement nous avons affaire à une simple et hésitante conjecture personnelle, qui ne va pas jusqu’à prendre la consistance d’une opinion tant soit peu ferme, à une espérance que l’on caresse, à un vœu que l’on formule timidement.

Cette conclusion, que nous nous sommes appliqué à nuancer aussi exactement que possible, a déjà été formulée par bon nombre d’auteurs catholiques justement estimés. « Cette attente de la parousie prochaine, écrit Mgr Le C.4.mus, n’est pas particulière à S. Paul, bien qu’il en ait parlé plus souvent que les autres (son œuvre littéraire est aussi plus considérable), non seulement dans ses deuxépîtresauxThessaloniciens mais I Co/-., i, 7, 8 ; iii, 13 ; iv, 5 ; v, 5 (tous ces textes sont vagues) ; vii, 29-31 ; x, 11 ; xv, 22-25 et 28 ; II Cor., v, i-io ; Héhr., x, 25 etc.Tousles apôtres la partagent, Jac., v, 7-9 ; I Pierre, i, 5, 7, 13 ; II Pierre, iii, 7-12, sans parler des discours. Actes, II, 16-20 et 40 (vague ; 16-20 distingue nettement la période messianique actuelle, caractérisée par l’effusion de l’Esprit, du « jour du Seigneur » qui est au terme d’une perspective indéterminée) ; iii, 1921 (envoi du Christ dépendant en un sens des dispositions d’Israël, cf. 11^ Pétri, iii, 12) ; I Jean, 11, 18 ; Apoc, 1, 3, 7 ; ni, 10 ; xvi, 15, etc. (je ne crois pas qu’en ces endroits de l’Apoc. la parousie soit visée). Ainsi s’explique la croyance que Jean serait encore de ce monde quand le Maître viendrait. » (L’œuvre des apôtres, II, igoS, p. 3^2, note 1. — Les remarques placées entre parenthèses sont de l’auteur du présent article. De même dans les citations du paragraphe suivant.) C’est le D’Bisping (y 1884) qui, vers 1865, à propos de I Th.. iv, 15-17, rompant avec une timidité exégétique devenue difficile à soutenir, proposa le premier l’explication qu’on A^ient de voir traduite par Mgr Le Camus et sur laquelle il revient avec plus de force encore à la page 343, note 5. Le P. CoRLUY fut un des premiers à l’adopter et on en peut lire l’exposé ferme et mesuré dans la première édition de ce Dictionnaire (1889), Fin du monde, col. 1279, 33. Cf. CoRLUY, La Seconde venue du Christ, dans La Controverse, nov. 1886, et dans La Science

catholique, avril et mai 1887. Elle tend à devenir commune parmi les exégètes catholiques.

Cet état de choses crée-t-il des dillicultés au point de vue de l’inspiration dont bénéficiaient les auteurs des écrits que nous venons d’étudier et de la garantie divine de vérité dont toutes et chacune de leurs assertions sont revêtues à nos yeux ? Si l’on se reporte à la formule des conclusions proposées plus haut, on se persuadera, je crois, qu’il n’en est rien. II ne semble pas que l’on puisse dire à propos de la première énonciation : proximité indéterminée de la parousie, qu’elle constitue proprement une erreur, ni dans ses termes ni même à raison du sens qu’y attachaient les auteurs et qui était assez vague et passablement hésitant. En ce qui concerne l’espérance de voir la parousie se produire dii vivant de la première ou de la seconde génération chrétienne, qui seule pourrait en toute rigueur faire dilliculté, répétons qu’il ne se rencontre même pas à son sujet d’énonciation formelle, de proposition distincte. Il ne jieut donc être question d’erreur enseignée sous la garantie de l’inspiralion. Le P. Prat est évidemment du même avis lorsqu’il écrit à propos de S. Paul : « S. Paul serait-il hanté ijar la perspective prochaine de la parousie ? Il ne faut pas le nier a priori. Sur ce sujet, nous l’avons dit, il n’enseigne rien et a conscience de ne rien savoir. Mais à défaut de science certaine, il pouvait avoir une opinion fondée sur des probabilités ou des conjectures, et, du moment qu’il avertit de son ignorance, qu’il se défend de rien enseigner, on ne voit pas d’impossibilité absolue à ce qu’il règle sur ces probabilités, sa conduite et ses conseils. » (Op. laud., p. 154.)De même M. le chanoine A. Cellini :

« Mais quand les hagiographes (les écrivains inspirés

) parlent en leur nom personnel (par opposition à la situation des évangélistes exposant l’enseignement de Jésus) nous sommes alors dans un cas tout différent de celui dont nous parlions il n’y a qu’un moment ; alors rien ne s’oppose à ce qu’ils puissent avoir des appréhensions, d’ailleurs sans fondement, et à ce que ces appréhensions se reflètent dans leurs écrits, ce reflet étant celui de la pensée non pas divine mais humaine. » (La Questione parusiaca, dans La Scuola Caitolica, 1907, II, p. 22 s.) Et encore M. A. Camerlynck : « Sed hoc ipso quod promissus erat Christireditus, etignotum tenipus, licebat Apostolis parousiam sperare seu augurari vicinam, seu licebat exprimere spem et possibilitatem, proxinii Christi adventus. » (Comme/ifarius in Epistolas Catholicas auctore J. A. vax Steenkiste, éd. 5^, 1909, p. 21 3.) De même F. Tillmaxx, op. laud., p. ^7 s. ; J. Belser, Die Briefe des hl. Johannes, 1906, p. 53 ; Le Camus, op. laud, II, p. 343, note 5, dont, cependant, les points de vue ou les formules demanderaient, semble-t-il, un surcroit d’explications (cf. Lagrange, Revue biblique, 1909, p. 649 s.). P.Magnien, La Résurrection des morts d’après la première Epitre aux l’hessaloniciens, Revue biblique, 1907, p. 365 sq.

III. La fin du inonde dans les Evangiles synoptiques. — Au cours des précédentes recherches, nous avons essayé, à plusieurs reprises, de déterminer la source des opinions et des sentiments que nous rencontrions touchant la proximité de la Gn du monde, et jamais nous n’avons eu l’impression que cette source fût, principalement du moins et sans nul intermédiaire ou apport nouveau et d’origine différente, l’enseignement historique, les propres paroles de Jésus. L’absence de développements eschatologiques saillants dans le Quatrième Evangile nous a frappé et nous nous sommes demandé si cette particularité ne devait pas être considérée comme révélatrice de la pensée véritable de Jésus. Il nous faut 1921

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maintenant aborder l’étude directe des évangiles synoptiques avec, comme dessein principal, celui de découvrir la propre doctrine du Sauveur sur la fin du monde, en la dégageant éventuellement des commentaires ou des accentuations que les évangélistes auraient pu y ajouter.

Les Sj’noptiquesnous ont conservé certaines paroles de Jésus en opposition formelle avec leur vif désir d’être renseignés touchant l’époque de la parousie et dont par suite la rigoureuse autlienticité ne saurait être mise en doute. Il importe de ne point les perdre de vue au moment de s’engager dans une étude détaillée des textes eschatologiques. A deux reprises au moins, Jésus a déclaré que la date de la parousie était le secret du Père et ne pouvait être révélée aux Loiumes. >'. Matthieu, xxiv, 36, et >'. Marc, xiii, 32, disent « le jour et l’heure »,.S. Marc, xiii, 33, « le temps », les Actes des Apôtres, i, 7, « les temps ou les moments ». Ces différentes formules semblent devoir s’entendre non pas du jour et de l’heure au sens strict, tel jour et à telle heure, mais de l’époque même à laquelle se produira la parousie, à savoir dans un siècle, dans dix siècles ou dans cent. Donc de l’aveu même des évangélistes, Jésus aurait déclaré que personne ne savait et qu’il n’avait pas à révéler l’époque de son retour et de la lin du monde. Dans ces conditions, il serait inconcevable qu’il ait pu dire que la parousie se produirait avant la disparition de la génération qui l’écoutait. C’eût été une détermination fort précise de l’époque censée inconnue de la fin du monde.

A. Discours eschatologique. — Ce discours est rapporté par S. Marc au ch. xiii, i-Z-), par S. Matthieu aux ch. XXIV, i-xxv, 46, par S. Luc au ch. xxi, 5-36. On connaît la pénétrante étude que lui a consacrée dernièrement le R. P. Laguange, sous ce titre : L avènement du Fils de Vhomme (Revue Biblique, 1906, pp. 382-4 1 1). Je ne puis mieux faire que d’en résumer ici, en y ajoutant quelques brèves remarques, les principales conclusions. (Voir aussi l’article de M. E. Mangenot : Fin du monde, dans le Dictionnaire de la Bible, tome II, 1899, col. 2267 et ss. ; A. Cellini. Saggio storico-critico di esegesi biblica sulla inlerpretazione del sermone escatologico, 1905.)

Dans S. Marc, le discours eschatologique est introduit par une question des apôtres Pierre, Jacques et Jean, ainsi formulée : « Dis-nous quand cela arrivera (la ruine du temple), et quel sera le signe quand tout cela devra être consommé. » (xiii, h^O Comme l’observe le P. Lagrangk, ce thème en lui-même ne comportait aucune allusion à l’avènement de Jésus. Voyons la réponse du Maître, telle qu’elle est rapportée par l’évangéliste. Les versets 5-8, 14-18, 28-31 et sans doute aussi 9-1 3 répondent directement à la question posée et traitent efi’ectivement le thème annoncé : ruine du temple et de Jérusalem. Par contre, les versets 19-20. 21-23, 24-27. 32-3^ développent un thème manifestement différent, qui ne ])eut être que la parousie et la fin du monde et qui, pour S. Marc lui-même, appartient à un autre plan, se situe dans une autre perspective. La distinction de ces deux tliènies et la diversité de leurs plans respectifs apparaît plus clairement encore si l’on observe que les développements les concernant se succèdent selon une sorte d’alternance rythmique, familière à tous ceux qui ont étudié les prophètes. Au premier thème : ruine du temple et de Jérusalem, se rattache la déclaration :

« Je vous le dis en vérité, cette génération

ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. » (30.)

« Tout cela » s’entend des prédictions annoncées aux

versets 5-8, g-iS, 14-18, 28-31, et, détail à remarquer, répond littéralement au « tout cela 1 de la question

posée par les apôtres et qui ne visait pas la parousie (4). Au second thème : parousie et fin du monde, se rapporte cette autre parole, d’ailleurs incompatible avec la précédente déclaration : « Or quant à ce jour ou à [cette] heure, personne ne sait, pas même les anges dans le ciel, ni le Fils, mais seulement le Père. » (32.) Il n’y a donc pas lieu de prétendre que S. Marc prête à Jésus ou ait lui-même cette conviction que la parousie et la ruine de Jérusalem sont des événements chronologiquement liés et qui doivent se produire l’un et l’autre avant que les auditeurs du Maître aient tous disparu. On ne peut même pas dire que la proximité de la parousie soit insinuée. Sans doute des conseils sont donnés aux apôtres sur la manière dont ils doivent se comporter en l’attendant, mais la perspective se trouve brusquement élargie lorsque Jésus conclut : « Ce que je vous dis, je le dis à tous (ceux qui viendront après vous) : Veillez. » (37.)

Dans S. Matthieu, la question qui ouvre le discours eschatologique énonce deux thèmes différents : « Dis-nous quand cela arrivera (la ruine du temple) et quel sera le signe de ton avènement et de la consommation du siècle ? » (xxiv, 3.) Le discours lui-même est beaucoup plus considérable que dans S. Marc et se prolonge par des conseils sur la conduite à tenir en attendant que se produise la parousie. La partie parallèle au discours de S. Marc est contenue dans le ch. XXIV. Les développements s’en laissent distribuer, comme dans le second évangile, en deux séries qui correspondent aux deux thèmes énoncés dans la question initiale : 1° xxn’, 4-8, 9-1 4, 15-20. 32-35 ; 2° XXIV, 21-22, 23-28, 29-81, 36-42. Les développements de la première série sont étroitement parallèles à ceux de S. Marc, si ce n’est que Matt., xxiv, 9-14 présente un caractère eschatologique plus accentué que Marc, xiii, 9-13. Cette accentuation est secondaire et attribuable à l’auteur du premier évangile. L’autre série de développements offre en revanche quelques éléments nouveaux ou des manières de voir étrangères à S. Marc. Mais cela ne modifie pas, sur le point qui nous intéresse, le sens général du morceau. Deux événements distincts y sont annoncés, qui n’appartiennent, ni pour Jésus, ni même pour l’évangéliste, au même plan chronologique, à savoir la ruine du temple et de Jérusalem et la parousie. Le tot£ qui, au V. 21, ouvre la série des prédictions relatives à la parousie, semble intervenir ici en qualité de terme technique désignant l’époque eschatologique considérée en elle-même, et n’offre avec ce qui précède aucun rapport chronologique saisissable. Quant à Vtxjd’Mç, du V. 29, il se réfère à des événements qui appartiennent déjà à la crise eschatologique (23-28). Le

« tout cela » du v. 34 se rapporte au « tout cela » 

du V. 33, qui désigne les signes ]>récurseurs de la catastrophe dont Jérusalem doit être la victime et qui sont décrits aux versets 4-14 Les sections qui suivent (xxiv, 43-xxv, 46) insistent longuement sur l’incertitude de la date de la parousie et sur la soudaineté do sa venue et, sous diverses formes, recommandent la fidélité et la vigilance. L’impression donnée par ces recommandations est, non pas que l’évangéliste regarde la fin du monde comme imminente, mais plutôt qu’il prévoit et redoute sa tardive venue. Il semble craindre que l’attente des chrétiens ne se lasse. Ce qui distingue principalement le discours de S. Matthieu de celui de S. Marc, c’est que la préoccupation et l’annonce de la parousie occupent matéricilemrnt beaucoup plus de place dans le premier que dans le second. Il se pourrait qu’avec S. Marc nous soyons plus proches de l’état d’esprit de Jésus lui-même et que dans S. Matthieu nous rencontrions quelque chose des sentiments

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et préoccupations de la première génération ciirétienne. Sans rien ajouter de son propre fonds, en groupant simplement des pai-oles prononcées par Jésus en diverses circonstances, en colorant peut-être un peu quelques-unes de ces paroles, S. Matthieu aurait abouti à créer un ensemble, un bloc eschatologique plus imposant et plus impressionnant que des logia ou des paraboles détachés et dispersés.

S. Luc se rapproche beaucoup de S. Marc. Chez lui aussi, la question posée est unique et vise simplement la ruine du temple. A ce thème répondent les sections XXI, 8-g, 10-19, 20-24, 28-33. En revanche, les sections 25-2’j, 34-36, se réfèrent à un autre cycle d’événements et qui s’inscrit visiblement dans une autre perspective, celui de la parousie et de la lin du monde. Entre ces deux séries de faits s’interpose « le temps des nations » (32). Le verset 31, qui pourrait faii-e difficulté : « De même vous aussi, quand vous verrez arriver ces choses (à savoir, dans notre hypothèse, les événements précurseurs de la ruine de Jérusalem et de la dispersion du peuple juif), sachez que le règne de Dieu est proche », que s votre délivrance approche)> (28), doit viser, comme d’autres textes semblables, non pas le dernier avènement, la pai’ousie, mais la triomphale expansion de l’Evangile, du roj’aume messianique, à partir de la ruine de Jérusalem.

« Luc, écrit le P. Lagrange, s’est abstenu de

dire que le Fils ne connaissait pas le jour du jugement, et il n’a pas insisté sur le retard possible de la parousie. Mais, plus clairement encore que Marc, il a opposé l’événement historique qui dcvait avoir des signes présages et qtii inaugui’ait une période nouvelle, et le jour de la fin soudaine. » (Loco laud., p. 407.)

La valeur de ces considérations exégétiques est indépendante des hypothèses littéraires qu’y joint le P. Lagrange et qui consistent à distinguer dans le discours eschatologique, assimilable de ce chef au Sermon sur la montagne, plusieurs discours prononcés par Jésus en différentes circonstances et combinés par Marc et par les autres synoptiques ou par leur source. Ces hypothèses, dont l’exposé nous entraînerait trop loin et pour lesquelles nous renvoyons à la Revue Biblique (article cité), ajoutent un surcroit de force aux conclusions que la seule exégèse autorise sutlisamment. Nous y avons fait appel cependant pour expliquer le discours de S. Matthieu.

En lin de compte, rien, dans le discours eschatologique, ne permet de dire que Jésus ait enseigné l’imminence ou même la proximité de la lin du monde.

B. Autres textes. — Les textes ont été étudiés par le P. Lagrange encore (Rei>ue Biblique, 1906, pp. 56j5’j4’l’avènement du Seigneur), et par M. A. Cel-LiNi (La Scuola Cattolica, 1907, II, pp. 17-30, 167-167, 296-305, 414-425, 027-543, 670-686 : La questiune parusiaca). Nous devons nous borner à quelques brefs éclaii’cissements, pour lesquels nous suivrons surtout le P. Lagrange.

1° On lit dans S. Matthieu, x, 23 : « Et quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre, car, je vous le dis en vérité, vous ne finirez pas les villes d’Israël avant que vienne le Fils de l’homme. » Cette parole forme, en S. Matthieu, la conclusion d’un discovu’s adressé par Jésus à ses disciples au moment de les envojer en mission à travers les cités et les bourgs de Palestine. La perspective chronologique, de même que l’horizon géographique, sont très limités et comprennent tout au plus, outre la mission dont les apôtres reviendront bientcM, cette évangélisation d’Israël qui doit précéder, d’après d’autres textes, l’apostolat auprès des Gentils. Il n’y a pas lieu d’étendre le sens de l’expression : villes d’Israël,

qui doit s’entendre des cités palestiniennes. Mais alors, que signitie la parole du Maître, que les disciples ne Uniront pas les villes d’Israël avant que vienne le Fils de l’homme ? Serait-ce la parousie dont la proximité se trouverait ainsi affirmée avec une clarté indéniable, quoique de façon assez imprécise ? Tout dépend du sens à attribuer à l’expression Fils de l’homme et venue du Fils de l’homme. Le sens est à déterminer d’après Daniel, vii, 13, où il est manifeste que Fils de l’homme, aA’ant de désigner le Roimessie, le chef du royaume, symbolise ce royaume lui-même, le règne des saints. Il est extrêmement vraisemblable que S. Matthieu prend ici l’expression dans ce dernier sens et que, par la venue du Fils de l’homme, il entend cette magnitique et soudaine extension du règne messianique que constituera la conversion des Gentils. C’est la seule interprétation qui soit vraiment compatible avec le contexte.

2"^ Cette exégèse va être continuée par l’examen d’un autre groupe de textes qu’il nous faut maintenant essayer d’éclaircir (JLatt., xvi, 27-28 ; Marc, ix, I ; Luc, IX, 27). On lit dans S. Matthieu, à l’endroit indiqué : « Carie Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses œuvres. Je vous le dis en vérité, il y en a parmi ceux qui sont ici présents quelques-uns qui ne goûteront pas la mort avant de voir le Fils de l’homme venant dans son règne. » Le premier de ces logia est manifestement eschatologique. Il s’agit du jugement dernier, de la glorieuse parousie et de la tin du monde qui la suit. Mais aucune date n’est donnée ni même suggérée. Le second logion doit-il s’entendre dans le même sens et des mêmes faits ? De graves motifs s’opposent à ce que l’on prête à S. Matthieu la conviction que la parousie doive se produire a-ant que tous les disciples immédiats de Jésus aient disparu, et plus encore que l’on attribue une pareille déclaration à Jésus lui-même. Une partie considérable des récits et des discours que nous lisons dans le premier évangile deviendrait inintelligible et, conformément à l’opinion des eschatologistes conséquents, serait à regai’der comme inautheiitique. Il importe donc d’examiner la chose de près. Etant donnés les procédés de composition des synoptiques et tout pai-ticulièrement de S. Matthieu, il est permis de se demander si ces deux logia font vraiment corps et si leur rapprochement ne serait pas le fait del’évangéliste, qui n’aurait pas pris garde au danger de confusion pouvant résulter de cette juxtaposition. Dans S. Marc, leui" solidarité est moins fortement marquée. « Car si quelqu’un a honte de moi, écrit-il, et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme, lui aussi, aurahontede luiquand il viendra dans la gloire de son Père avec les anges saints. Et il leur dit : En vérité je vous le dis, il en est parmi ceux qui sont ici présents qui ne goviteronl pas la mort avant qu’ils n’aient vu le règne de Dieu venu en puissance. » Le second logion de S. Matthieu est pourvu dans S. Marc d’une clausule spéciale d’introduction qui tend à le distinguer plus fortement du premier. Aussi bien, dans les trois évangiles, semble-t-il ne pas avoir, quant au sens, de lien essentiel avec le contexte où il se trouve présentement. Il est fort possible ^ue, prononcé par Jésus en quelque autre ch’constance, il ait été inséré en cette place par S. Marc. S. Matthieu et S. Luc auraient transcrit le tout en effaçant les dernières traces de l’indépendance originelle des deux logia.

Mais le texte de S. Marc et celui de S. Luc offrent un autre intérêt, tout à fait indépendant de l’hypothèse qui vient d’être proposée. Au lieu de « avant de VOLT le Fils de l’homme venant dans son royaume »

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(Matthieu), S. Marc écrit « avant qu’ils n’aient vu le règne de Dieu venu en puissance », et S. Luc h avant de voir le règne de Dieu ». Nous avons donc l’équivalence, conjecturée déjà à propos de S. Matthieu, x, 26, des formules Fils de l homme el royaume ou règne de Dieu. Et s’il est possible que la leçon de S. Matthieu soit primitive et que Jésus ait réellement dit : Fils de l’homme, il n’en reste pas moins que S. Marc et S. Luc l’ont interprétée ici comme signitiant royaume ou règne, ce qui est, dans Daniel, vii, 13, son sens premier. Mais toute venue du royaume ou du règne, même « en puissance », c’est-à-dire par l’action de la puissance divine (cf. le sens de cette formule dans S. Paul), n’est pas la parousie. Il y a donc de solides raisons de penser que, ni dans la bouche de Jésus, ni dans S. Marc el S. Luc, ni même dans S. Matthieu, le logion en question ne vise la parousie et la tin du monde.

3" L’interrogatoire de Jésus devant le Sanhédrin a été rapporté avec quelques différences par les synoptiques. S. Matthieu, xxvi, 63 s. écrit : « Or Jésus se lut. Le grand-prétre lui dit : Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si lu es le Christ, le Fils de Dieu. Jésus lui dit : Tu l’as dit. D’ailleurs, je vous le dis, désormais vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance, et venant sur les nuées du ciel. » —.S. Marc, xvi, 61 s. : « Or il se tut et ne répondit rien. Le gi-and-prêtre l’interrogea de nouveau et lui dit : Es-tu le Christ, le Fils du Béni ? Jésus dit : Je le suis, et vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance, et venant avec les nuées du ciel. » —.">'. Luc, xxiii. Go s. : « Ils dirent : Si tu es le Christ, dis-le nous. Il leur dit : Si je vous le dis, vous ne croirez pas, et si j’interroge, vous ne répondrez pas. Mais désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. Ils dirent tous : Tu es donc le Fils de Dieu ? Il leur dit : Vous dites que je le suis. »

La version de S. Luc est d’une grande clarté, et il n’est guère douteux qu’il ait mieux rendu la teneui" distincte et l’ordre des interrogations que les deux autres synoptiques. Une première question est d’abord posée par les sanhédrites, celle-là même que la situation requiert et que le lecteur attend : « Si tu es le Christ, dis-le nous. » La réponse de Jésus revient à ceci : a Je le suis en vérité, malgré qu’à considérer mon apparence extérieure et ma condition présente, vous puissiez éprouver quelque difficulté à me reconnaître pour tel. Mais bientôt je serai élevé au ciel et glorilié. Bientôt je serai assis à la droite de la puissance de Dieu, ainsi que, d’après Daniel, vii, 13, il appartient au Messie. » — « A la droite de la puissance de Dieu ! Mais c’est la place et le rang, non pas d’une simple créature comme le Messie, mais d’un Fils de Dieu ! Tu es donc le Fils même de Dieu ? » — « Vous l’avez dit. » Les réponses de Jésus s’adaptent parfaitement aux questions posées, une progression très satisfaisante se remarque dans les unes et dans les autres. On lui demande qui il est. Il répond, comme de juste, en déclarant ce qu’il est, le Messie tel que l’a vu Daniel et le Fils même de Dieu. La itarousie n’a rien à faij-e ici, et il n’est nullement question d’elle.

Le récit de S. Matthieu el de S. Marc est moins satisfaisant en ce qui regarde l’ordre des questions. Il semble, au contraire, reproduire plus lldèlement la teneur même de a réponse de Jésus. Or au lieu de la formule limpide de S. Luc, S. Marc, par exemple, a : « Vous verrez le Fils de l’homiue assis à la droite de la puissance, el venant ave< ; les nuées ilu ciel. » L’aspect est tout différent, et la première impression est que Jésus a en vue son glorieux avènement, la parousie. Examinons la chose de plus près. Il faut observer d’abord que si, pour composer son récit

dont l’ordonnance générale est bien supérieure à ce que nous trouvons ailleurs, S. Luc a vraisemblablement utilisé des informations particulières, il n’en est pas moins admis qu’il avait sous les yeux le texte de S. Marc. Et comme on n’aperçoit pas en lui la moindre intention de corriger les affirmations de son prédécesseur et de les contredire, il faut supposer qu’il ne faisait pas de différence pour le sens entre son proprerécitel celui du second évangile. De plus, si le texte de S. Marc et de S. Matthieu était à prendre littéralement et dans un sens eschatologique, s’il s’agissait vraiment d’une vision que Jésus serait censé promettre aux sanhédrites, cette vision n’aurait pas seulement pour objet lapaxousie proprement dite, mais quelque chose d’autre encore et d’antérieur, à savoir la séance à la droite du Père. Ce serait un privilège unique et c’est plus qu’invraisemblable. Et puis qui ne voit l’étrangeté d’une telle réponse, étant donné la question posée. On demande à Jésus ce qu’il est. Il répondi’ait en annonçant le parousie ! Ce qu’on attend, c’est une formule définissant sa mission et ses titres. Ne sei-ait-ce point là le vrai caractère et le sens réel de la réponse que lui attribuent S. Marc et S. Matthieu ? Cette réponse est constituée, à n’en pouvoir douter, par une citation de Daniel, vii, 13, dont la signification se trouve légèrement précisée. Mais dans la vision fameuse de Daniel, il n’est pas question de la parousie en tant qu’épisode spécial de l’histoire du royaume des saints et de son chef, mais indistinctement des prérogatives et des destinées de l’un et de l’autre. De même S. Marc et S. Matthieu voient dans la réponse qu’ils attribuent au Maître, non point l’annonce de son retour glorieux pour une date très prochaine, mais une afiii-malion et une description, en style apocaljptique, de sa qualité et de ses prérogatives de Messie. S. Luc a très exactement traduit la formule « vous verrez », imposée par le texte de Daniel, par le terme proprement narratif « sera ».

4° Quelques autres passages des synoptiques sont interprétés par certains critiques, et sans plus de fondement que les précédents, comme des annonces de la parousie prochaine. C’est le cas, en particulier, de ti. Matthieu, xxiii, 34-38, S. Luc, xi, 49"^ 5 XIII, 34 (A. LoisY, /.es évangiles synoptiques, II, 1908, p. 388 s.). Il s’agit de l’épilogue du discours contre les pharisiens. On y lit : « Voici qu’on vous laissera voire demeure ! Car, je vous le dis, vous ne me verrez plus désormais que vous ne disiez : Béni soil celui qui vient au nom du Seigneur » (Matth., xxiii, 38), et : « Je ^ous le dis, vous ne me verrez plus avant qu’arrive le moment où vous direz : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » (Luc, xiii, 35.) S. Luc, qui a coupé en deux le discours que nous avons dans S. Matthieu, l’a de plus transporté avant l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. Faut-il en conclure qu’à son avis la prédiction de Jésus a trouvé sa réalisation dans les acclamations dont retentirent en ce jour-là les pentes du mont des Oliviers et la Aille même de Jérusalem ? Il ne semble pas. Aussi bien ces acclamations ne lurent-elles nullement le fait des phai-isiens. En outre, le contexte donné par S. Matthieu à la parole que nous étudions est de beaucoup plus satisfaisant. Or dans le premier évangile, le discours contre les pharisiens est postérieur à l’entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem. Que vise donc celle déclaration ? Tout d’abord, lorsque Jésus dit : « Vous ne me verrez plus que vous, etc. », il n’a pas tant en vue le groupe de pharisiens qui l’écoutenl, que le peuple juif dans son ensemble, rebelle jusqu’ici à son action. Cela ressort particulièrement de N. Matthieu, xxiii, 35, où la pensée de Jésus embrasse toute la suite de l’histoire 1927

FIX DU MONDE

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juive et donc aussi la race juive tout entière. Et ce qu’il annonce, c’est la future conversion du peuple juif sur les lèvres de qui il met l’acclamation messianique :

« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.

» Rien ne permet de préciser à quelle époque, proche ou lointaine, s’accomplira cette conversion, ni même si elle se fera par étapes ou tout d’un coup. Et puisque le peuple juif ne doit « revoir » Jésus que postérieurement à cette conversion, l’on ne voit pas comment cette déclaration pourrait constituer une annonce formelle de la parousie imminente. S’agit-il même, directement et uniquement, de la parousie ? Ce n’est pas très sûr. S. Paul, cependant, qui a retenu cette assurance de la future conversion des Juifs (nous ne la trouvons fermement exprimée que dans S. Luc, la phrase de S. Matthieu gardant un caractère hypothétique), semble bien l’entendre ainsi (Rom., XI, 15). Mais justement dans S. Paul, cette annonce de la rentrée des Juifs après que les Gentils auront pris place, rentrée ou conversion qui sera le prélude de la consommation de toutes choses, appartient à un ensemble de conceptions et de vues sur l’avenir qui impliquent une assez large perspective chronologique et dont on ne voit pas bien comment elles peuvent coexister, dans l’esprit de l’apôtre, avec cette Aive attente de l’avènement du Seigneur que nous avons cru constater. Décidément S. Paul devait être bien peu fixé sur la date de la parousie.

C. Conclusion. — Ce rapide examen me paraît légitimer les conclusions suivantes. Ni Jésus n’a annoncé, ni les synoptiques ne lui font dire que son avènement glorieux et la fin du monde se produiront du vivant de ceux qui l’écoutaient ou même dans un avenir prochain. Peut-être cependant quelques-unes de ses paroles, mal comprises des premiers chrétiens, ont-elles contribué, sous l’action d’idées et de sentiments où Jésus n’était pour rien, à former l’état d’esprit que les écrits apostoliques nous révèlent touchant la parousie. Cet état d’esprit lui-même n’a pas laissé de traces certaines dans les évangiles sj-noptiques, sauf peut-être de très légères en S. Matthieu et dans le sens que nous avons précisé plus haut.

Il reste simplement ceci, que Jésus n’a pas cru nécessaire de mettre au point, par des déclarations précises et tout à fait claires, les préoccupations eschatologiques de ses disciples immédiats. En même temps que certaines de ses paroles semblent destinées à calmer et pour ainsi dire à déconcerter leur impatience, d’autres sont de nature à entretenir et à aviver leur espérance. L’on dirait qu’il s’est appliqué à les mettre dans une complète et vive incertitude touchant la date, lointaine ou toute proche, de son retour, multipliant à la fois les appels à la vigilance et à la fidélité. Il y a longtemps que les commentateurs catholiques ont insisté sur la sagesse de cette conduite de Jésus et sur les avantages qu’elle offrait pour l’Eglise. Un exégète anglican, M. F. C. Bur-KiTT, a repris récemment ce point de vue et montré l’infiuence bienfaisante que l’espérance eschatologique a exercée dès l’origine et continue d’exercer sur les destinées et sur la vie intime de la communauté chrétienne (rZ/e EscliatologicaJ Idea in the Gospel, dans Essays on Some Bihlical Questions of the Dur, hy Memhersoj the University of Cambridge, editedby H. B. SwETE, London, 1909, pp. 196-2 13). Mais ces

sortes de considérations ne sauraient rendre acceptables à nos yeux ni l’hypothèse d’après laquelle Jésus lui-même se serait imaginé que la parousie était vraiment prochaine, ni l’interprétation escliatologique de l’enseignement et du ministère de Jésus que M. Burkitt adopte et s’efforce de justifier (cf. F. C. Burkitt, The Pavahle of the Wicked llushandmen, dans les Transactions of the third international Congress for the History of Religions, Oxford, 1908, tome II, pp. 321-828). Sans doute la théologie libérale allemande a tort de prétendre expurger l’Evangile de toute notion eschatologique ; mais c’est un autre excès que de n’y plus voir que de l’eschatologie. La solution catholique, plus mesurée, est la seule qui rende compte de tous les faits.

IV. Bibliographie. — Les Pères et les anciens commentateurs se répartissent, par rapport au problème qui fait l’objet de cet article, en trois groupes principaux. Les uns le suppriment radicalement par une interprétation spirituelle et allégorisante des textes eschatologiques (Alexandrins). D’autres, se plaçant à un point de A’ue pratique, inclinent à voir dans les conditions historiques de leur propre époque la réalisation des prédictions de Jésus, et reprennent les formules de l’Evangile, mais en substituant comme point de départ le siècle où ils vivent à celui de Jésus. Cette adaptation historique de l’eschatologie évangélique se rencontre, à l’état pîiis ou moins systématique, chez un grand nombre de Pères et d’anciens auteurs. Enfin un troisième groupe maintient avec clairvoyance et fermeté le caractère eschatologique des paroles de Jésus et en reporte l’accomplissement dans un avenir inconnu. Ces commentateurs répètent à l’envi le mot de la II" Pétri.

« Devant leSeigneurunjour est comme mille ans et

mille ans sont comme un jour. » Cette manière de voir a trouvé son expression classique dans les lettres bien connues de S. Augustin à Hesychius (MiGNK, P. L., XXXIII, col. 899-925 ; Epist., CDXLvu, CDXLviii, cDXLix). — Lcs travaux catholiques récents qu’il est indispensable de consulter ont été cités au cours de l’article. On lira encore avec fruit les Commentaires catholiques publiés depuis unetrentained’années et dont il est superflu de donner la liste ici. — Parmi les publications protestantes, indépendamment des ouvrages déjà cités, je signalerai comme offrant le plus d’intérêt : Adams Browx, Parousia dans le Dictionary ofthe Bible deHastings, III, col. 674-680, 1900, Edimbourg (interprétation allégorisante) ; H. B. Siiarman, The Teaching of Jésus about the Future, according to the Synoptic Gospels, Chicago, 1909 (interprétation historique) ; Sh. Mathews, The Messianic Ilope in the.Ve »’Testament, 1906 (insiste sur le rôle bienfaisant des croyances eschatologiques). Il est bien entendu qu’en signalant ces ouvrages, je n’entends nullement recommander en bloc leur doctrine. Les articles de M. von Dobschiitz cités au cours de ce travail viennent d’être publiés en volume : The Eschatology of the Gospels, Londres, 1910. Sur l’usage et sur le sens du mot parousie (= ; venue, arrivée) dans la /.nivr, , cf. A. Dkissmann, I.icht vont Osten, 2" et 3<’éd. 1909, p. 278 ss.

A. Lkmonnyer, O. p.