Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Inerrance biblique
INERRANCE BIBLIQUE. — I. Etat de la question. 1. Inerrance et inspiration. 2. Difficultés particulières de l apologétique biblique. 3. Méthode à suivre. — II. Princu’ES et procédés géné-RACX DE SOLUTION. I. Données théologiques, a) Analyse de la formule « L’Ecriture ne fait pas erreur ».
b) Langage humain de la Bible, c) Assertion de l’hagiographe. d) Assertion divine. 2. Données rationnelles, a) Erreur formelle, t) Erreur objective.
c) Expression n’est pas assertion, d) Paroles et sentiments d’autrui rapportés par l’écrivain sa cré. e) Sentiments personnels de l’auteur inspiré. f) Psychologie de l’hagiographe. g) Ses raisonnements, h) Vérité relative. 3. Données littéraires, a) Genres littéraires, b) Procédés rédactionnels. — III. La Bible et les sciences de la nature, i. Principe fondamental. ^. Le concordisme scientifique. 3. /- « Bible et la science. — IV. La Bible et l’histoire, i. Peut-on appliquer au récit biblique ce qui vient d’être dit des sciences de la nature ? a) Analogie des matières, b) Autorité de S. Jérôme, c) Encyclique Providentissimus Deus. 2. Procédés pratiques pour résoudre les difficultés d’ordre historique. 3. Dans les textes prophétiques. — V. Religion et morale. I. Ileligion. 2. Morale.
I.Etatdelaquestion. — j. Inerrance et inspiration.
— Le terme d’inerrance (ni latin, ni français) a été créé par les théologiens pour désigner cette propriété du texte biblique, qui exclut l’erreur, et même sa possibilité. C’est l’inerrance de fait et de droit.
L’inspiration ne résulte pas de l’inerrance ; au contraire, on conclut celle-ci de celle-là. Voir Inspiration de la Bible. L’inerrance de fait, même si on la suppose établie avec évidence, ne serait pas une preuve de l’origine divine de la Bible, puisqu’un livre sans erreur reste possible avec les seules ressources du savoir humain. Il est vrai que l’Ecriture touche à tant et à de si difficiles questions que l’absence de toute erreur, scientiliquement constatée, constituerait une très grave présomption en faveur de son caractère surhumain ; mais l’assistance divine, sans inspiration proprement dite, sullirait à rendre compte de cet état de choses. Les définitions de l’Eglise sont infaillibles, sans être inspirées.
Ce n’est pas précisément pour défendre l’autorité humaine de la Bible que l’apologétique s’attache à la venger de tout reproche d’erreur. Quand on aurait fait la preuve que çà et là les écrivains sacrés ont payé tribut aux préjugés et aux opinions erronées de leur temps, ceux-ci n’en resteraient pas moins comparables aux meilleurs auteurs de l’antiquité. Mais l’autorité divine du texte sacré exige davantage. Aussi bien, tous ceux qui ont cru avoir dans 753
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la Bible la parole de Dieu ont professé pareillement son inerrance. Ce n’est pas que l’inerrancc biblique ail jamais fait l’objet d’une délinition directe et expresse de l’Bylisc, mais elle découle si manifestement du dogme de l’inspiration, elle est attestre avec tant de décision et d’unanimité par toute l’antique tradition, qu’on ne saurait la révoquer en doute sans porter atteinte à l’intégrité de la doctrine clirélienne. C’est dans ce sens que des théoloy^icns parlent du dogme de l’inerrance.
La croyance des Juifs et des Chrétiens dans l’inerrance de la Uible est un fait des mieux attestés. Les témoignages abondent. Qu’il suffise de rappeler ici les plus signilicatifs. S. Justin, P. G., Yl, 626 ; S. IréNiis, P. G., VU, 804, 846 ; S. Hipi’olvtk, édit. Bonvvetscli et Achelis, I, 41. '36, uj8 ; Ohigknk, , P. G., XIII, 1410, 1845 ; XIV, 258 ; EusKBB, P. G., XXllI, 21jo ; S. Basile, P. G., XXXI, 679 ; S. Chhysostomk, P. G., LI, 53 ; S. Ambroise, P. /.., XV, 1846 ; S. JkRÔMB, P. /.., XXII, 573-075, XXV, 1267 ; s. Augustin, P. I.., XXXIII, 112, 376 ; XXXIV, 871 ; XLII, 248.
On ne réussira pas à énerver l’autorité de ces textes en épiloguanl sur un passage d’Origène et deux ou trois autres de saint Jérôme. D’Ohigfnb, P. G., XIII, 1769 (/h -VaJ/A., xxvn.9), il ne nous reste qu’une traduction de RuGn. Si par « errorem scripturæ « l’exégèle alexandrin entend une erreur de l’hagiograplie et non de ceux qui ont par la suite transcrit son texte (ce que beaucoup d’auteurs contestent), c’est qu’il croit une inexactitude purement matérielle compatible avec les exigences de l’inerrance biblique. Le premier passage de S. Jkrùme, Epist., lvii, 7 ; P. /.., XXII, 573, s’explique de la même façon, comme le contexte (col. 675) le donne nettement à connaître ; dans l’autre, Epist., Lxxii, 5, ibid.. 676,
« scriptoris errorem » doit manifestement s’entendre
d’une erreur de copiste ; enfin, dans le commentaire sur Miellée, v, a, P. /.., X.W, 1197, le saint Docteur rapporte le sentiment d’autrui ; il ne le désavoue pas expressément, parce que son concept de l’inerrance tient compte de toutes les complexités concrètes du problème. C’est ce que des écrivains modernes ont trop perdu de vue. Cf. Fr. Schmid, De insp. Bibl., 1885, p. 20 ; L. ScHADE, Die Inspirationslehre des heil. Hierunymiis, 1910, p. 36, 58. Du reste, la pensée de S. Jérôme et d’Origène au sujet de la vérité du texte biblique est assez connue par ailleurs pour qu’on ait le droit de ne pas la mettre en doute à cause d’une phrase obscure.
L’axiome // n’y a pas d’erreur dans la Bible est bien certainement traditionnel. De tout temps on a soulevé des objections contre nos Ecritures, et jamais aucun apologiste chrétien n’a cru pouvoir s’en débarrasser en accordant que le texte faisait erreur. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’ils n’ont revendiqué la prérogative de l’inerrance que pour le texte inaltéré, tel qu’il est sorti des mains de l’hagiograplie. Les anciens savaient aussi bien que nous, et même mieux, que l’inspiration n’avait pas mis les Livres saints à l’abri des altérations des copistes ou des glossateurs. En celle matière, la disjonction triparlile de S. Augustin est restée célèbre : « Si aliquid in eis offendero Litteris qund videatur coniruriiim verilati, niliil aliiid, qttam vel mendosum esse codicem, vel interpretem non assecutum esse quod dicttim est, yel me minime intellexisse non ambigam. 1 Epist., Lxxxii, I ; P. L., XXXIII, 277. L’encyclique Proiidentissimiis Deus a fait sienne celle doctrine. Dhnz.'", 1951-1952.
Qu’on l’envisage en elle-mèiiie, comme conséquence de l’inspiration, ou dans l’enseignement traditionnel, l’inerrance s'étend au contenu intégral de la Bible. L’Eglise a invariablemenl condamné toutes
les tentatives pour la restreindre aux choses qui concernent la foi et les mœurs. Voir Inspiration. — Récemment encore, elle aflirmait de nouveau sa croyance à ce sujet. Dbnz.'", 1950-19'>i. Cependant, ce passage de l’Encyclique Proxidentissimiis appelle une observation. Si on y blâme ceux qui » jugent de l'étendue de l’inspiration et de l’inerrance non pas tant d’après la teneur même du texte sacré lui-même que d’après le but que Dieu avait en l’inspirant », on ne défend pas d’avoir devant les yeux cette distinction, quand il s’agit de préciser la vérité qui, d’après son objet, convient à un passage déterminé.
2. Difficultés particulières de V apologétique biblique. — Il importe beaucoup quera[)ologiste se rende compte de prime abord des conditions assez ingrates qui lui sont faites sur le terrain de l’inerrance biblique. A des milliers d’années de distance, avec nos mœurs d’aujourd’hui, si diirérenles de celles de l’antique Orient, il est facile de faire rire de » ! choses de la Bible, ou encore de les rendre odieuses ; surtout devant un auditoire léger et médiocrement instruit. S. Augustin signalait déjà cet état de choses. A l’objection populaire, tirée des exploits de Sainson, de l’aventure de Jonas ou de l’histoire merveilleuse de Tobie, l’apologiste sérieux, respectueux du texte et de ses auditeurs, fait une réponse solide, mais qui aie désavantage de ne pas être à la portée de tout le monde. Ses explicalionsparaîtrontsubliles, violentes cl arbitraires. C’est qu’on ne réfléchit pas à la complexité des questions auxquelles touche la diflicullé. L’expérience prouve que les problèmes soulevés par la critique des auteurs profanes de l’antiquité ne se laissent pas résoudre dans de meilleures conditions. Seulement, le texte d’Hérodote ou de TitcLive n’intéresse qu’un petit nombre de gens (ceuxlà précisément qui sont préparés à ce genre d'études) ; et plus rares encore sont ceux qui ont quelque intérêt à savoir si ces écrivains ont dit vrai ou faux. -Vu contraire, la Bible est un livre populaire, entre les mains de tous ; et, le plus souvent, on l’aborde avec un parti pris pour ou contre, car il nous importe souverainement de savoir si son texte mérite créance. Le sens mystérieux ou simplement l'étrangeté de certains récits bibliques, une secrète déliance vis-àvis des manifestations du surnaturel (quand ce n’est pas un penchant à l’incrédulité), l’insullisance manifeste de plus d’une solution courante : autant de circonstances qui nous prédisposent ici défavorablement. Des choses qui étonnent à peine dans les faits divers d’un journal paraissent facilement invraisemblables du moment qu’on les lit dans la Bible. De nos jours (1902), lors de l'éruption du mont Pelée à la Martinique, nous avons entendu parler d’une véritable pluie de pierres ; à Cazorla, en Espagne (le 15 juin 1829), il tomba des grêlons du poids de 2 kilogr. ; et, néanmoins, on continuera à contester la vraisemblance du texte de Josué, x, 1 1 :
« Le Seigneur fit du ciel pleuvoir sur eux de grosses
pierres (de grêle) jusqu'à Azéca. »
Il n’est pas rare qu'à une difficulté précise et directe, l’apologiste n’ait à opposer qu’une explication d’une portée générale et parfois purement négative, se bornant à faire constater que l’adversaire n’a pas fourni la preuve victorieuse de son assertion. Il est incomparablement plus facile de nier que de prouver, d’interroger que de répondre. L’adage des anciens trouve ici surtout son application : a Plus objicere potest asinus quam solvere philosophus. ».vec toutes les ressources de la documentation et de la critique moderne, on ne réussit pas toujours, il s’en faut, à établir l’exactitude d'événements qui datent d’hier ; et l’on s'étonnerait des 755
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conditions défectueuses de l’apologétique liililiquc, qui s’occupe d’histoire ancienne, voire même de l’histoire primitive ! Une circonstance dont l’attaque et la défense doivent pareillement tenir compte, c’est que nombre de récits qui selisentdans l’Ancien et le Nouveau Testament restent sans témoignage aucun dans la littérature profane, et à cause de cela sont incontrôlables. Pour en accréditer la vérité dii point de vue purement historique, nous n’avons que des considérations générales sur la valeur de la tradition juive et chrétienne. C’est sullisant, mais pas assez direct pour donner aux dilTicultés particulières une solution qui ne laisse plus de place à la réplique. Cf. S. AUG., De doctr. clirist., 111, ix, 13 ; /-’. L., XXXIV, 71.
Il n’est pas jusqu’aux crojants eux-mêmes qui ne compliquent parfois la tâche de l’apologiste. Habitués qu’ils sont à telle explication généralement admise, quel accueil font-ils à une solution nouvelle que des études ultérieures ont rendue légitime et nécessaire ? Le défenseur de l’inerrance biblique se heurte assez souvent à l’opposition de ceux-là mêmes qu’il a l’intention de servir. Conllit douloureux, mais inévilalde, entre l’attachement au passé et le souci de l’iicjire présente. Il peut bien relarder quelque peu certains progrès particuliers ; en délinitive, il est salutaire, puisqu’il contribue à assurer la sécurité doctrinale.
3. MétJiode à suivre. — Tous les apologistes se proposent de défendre la Bible, encore que tous ne s’y prennent |)as de la même manière. Cette divergence résulte de tendances différentes, qui se traduisent elles-mêmes par des procédés distincts. Un théologien, habitué à lu spéculation et aux synthèses, risque de se faire des exigences de l’inerrance biblique une conception a priori, trop exclusivement fondée sur la délinition de la vérité logique, sans avoir assez d’égard pour l’histoire et l’état concret des textes, leur genre littéraire, etc. Ue la sorte, il peut aboutir à des conclusions incompatibles avec les faits, et créer indûment un conflit entre la théologie et l’exégèse. Pour s’excuser, il ne lui sutlirait pas de dire : Mon rôle, à moi, est de faire la théorie de l’inerrance, à l’exégète et à l’apologiste de l’appliquer. Une théorie n’est recevable qu’autant qu’elle peut se réclamer de la tradition et s’adapter aux textes. La fornuile sommaire « la parole de Dieu ne saurait faire erreur » a besoin d’explication ; les termes « parole de Dieu » et a erreur » veulent être analysés. La parole de Dieu « ne s’exprime dans la Bible que par la « parole humaine ». Il sullit d’énoncer ce fait pour donner à conjecturer le nombre et la complexité des circonstances d’ordre historique et littéraire qui conditionnent rex|)ression de la <i parole de Dieu ». Cette expression a revêtu en effet tant d’imperfections qu’à la limite et au degré inGme île l’exactitude, un théologien ne réussira pas à justilicr l’inerrance du texte, s’il n’est doublé d’un philologue, d’un littérateur et d’un historien. Pour prendre conscience de cet état de choses, il suffit d’avoir lu une fois, avec attention, l’Ancien Testament. De son côté, l’exégète, trop contiant dans la criticpie, est exposé à traiter le texte sacré d’après la méthode historique seule, comme si la Bible n’était qu’un livre ordinaire. Perdant de vue l’unité et la transcendance que les Livres saints doivent à l’Esprit de Dieu, leur auteur, sans tenir un compte suflisant de l’analogie de la foi, il se laisse impressionner outre mesure par les dinicultés ; puis, sous prétexte d’une exégèse plus rationnelle et d’une apologie victorieuse, il en vient à ])roposer des explications réellement in compatibles avec la notion catholique de l’inerrance.
Loin de s’exclure, les deux procédés que nous venons de décrire se complètent et se contrôlent l’jin l’autre. Réunis, ils permettent d’aboutir à des résultats corrects. Récemment encore, Pik X recommandait aux exégètes catholiques de tenir une « voie moyenne » entre la témérité et la routine. Lettre à Mgr Le Camiif, Il janv. itjo6 ; Denz." p. 619, not. i. Au reste, ces conditions faites à l’exégèse et à l’apologétique biblique n’ont jamais varié sensiblement. Ce qui donne à penser qu’elles tiennent à des causes, qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de sipprimer. S. Augustin et S. Jr.RÔMK ont personnilié, au mieux, l’esprit théologique et l’espritcritique. Or, ils ont eu, il y a quinze siècles, les mêmes controverses qui divisent encore les catholiques d’après deux tendances, sinon en deux écoles. Cf P. /-., XXII, col. 83083^, 909-93 1, 935-953, 1 161, 1 1 99-1 181, S’ils ont réussi néanmoins à se rejoindre, ce n’est pas seulement par la volonté de rester orthodoxes ; les deux grands Docteurs ont encore eu la sagesse d’envisager le problème dans son intégrité, tout en l’abordant par des côtés différents. S. Jérôme a beau constater les libertés prises par les auteurs inspirés vis-à-vis de la littéralité des discours et de la matérialité des faits, il se refuse à les taxer d’erreur (hoc qiiippe impiorum est, Celsî, Porphyrii,./iiliani). P. /.., XXU, 5^5. De son côté. S, Augustin déclare qu’il considère comme compatible avec la vérité toute manière de dire qui se rencontre de fait dans les Evangiles. /"./.., XXXI V, 1091 ; cf. Recherches de science religieuse, 1911, p. 395.
Est-il besoin d’ajouter qu’on ne doit aborder l’apologétiqiie biblique qu’avec beaucoup de méthode’.' Il y aurait présomption à croire que le premier venu, sans préparation spéciale, ait qualité pour le faire. Au jugement de saint Jérôme, l’abus ne serait ici que trop réel. « Pour tous les métiers, écrit-il, on admet qu’un apprentissage est nécessaire ; pour l’Ecriture seule, on se croit autorisé à l’enseigner avant que de l’avoir apprise. i> Epist., un, 5, ad Piiulin., P. /.., XXII, 5/|ii. A son tour, S. Augustin déplore les résultats d’une apologétique ignorante et présomptueuse.
« Qu’un chrétien se fasse railler en défendant
des opinions fausses, la chose n’est pas de grande conséquence ; mais le mal est qu’on livre au ridicule nos auteurs sacrés, en faisant croire à ceux qui ne partagent pas nos croyances que ces assertions erronées se trouvent vraiment enseignées dans le texte… Ce que la témérité de ces présomptueux : interprètes crée de difficultés et cause de chagrin à leurs frères plus prudents, c’est ce qu’on ne saurait dire. » De Gen. ad litt., I, xix, 39 ; P. L., XXXIV,
261.
S’il n’y prend garde, l’apologiste se laisse attirer jiar l’adversaire sur un terrain où le combat pour l’inerrance ne devrait pas se livrer. La Bible est avant tout un livre religieux, conçu et écrit à la manière des anciens. Or, on nous en demande compte, comme on ferait d’un traité moderne d’astronomie et de géologie ; ou encore comme si elle était une histoire profane du monde, composée d’après les méthodes critiques d’aujourd’hui. L’apologiste n’a ni le devoir, ni le droit d’accepter la dilliculté ainsi posée. Le faire, c’est se condamner à l’insuccès, ou à une deces victoi-^ res précaires qui rendent plus douloureuse la défaite (lu lendemain. L’apologétique ainsi conduite a encore l’inconvénient de faire perdre de vue l’objet principal de la Bible qui est l’enseignement religieux. A force de ramener l’attention du croyant sur l’écorce du texte, de discuter devant lui les points par lesquels il touche à l’histoire profane ou aux sciences 757
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de la nature, on le distrait de la « parole de Dieu ». N’est-il pas regrettable que depuis le xviii’siècle tout l’eirort, ou peu s’en faut, des catholiques, qui ont fait de la Bible une étude spéciale, se soit produit
« autour du texte « ? Le Livre n’a pas été donné de
Dieu comme un signe de ralliement, autour duquel il sullil de se presser ; dans le plan divin, il est, avant tout, destinée éclairer et à récliauffer les ànies.
« Ce (]ui fait le danger de la critique riilionaliste,
écrit Mgr d’Hulst, c’est moins la valeur des objections que la faiblesse de la foi chez ccun qui en subissent l’influence. Ouest vite ébr ; inlé quanil on ne croit guère. » lu question hiblu/ue dans /.(" Corrrapondunt, 25 oct. 1892. En effet, le moyen de bien (h’fendre ce que l’on ignore ? Pour préparer des défenseurs à la Bible, il faut commencer par lui donner des lecteurs.
II. Principes et procédés généraux de solution.
— Le problème de rinerrance est des plus complexes. Se posant au sujet d’un texte qui est tout à la fois divin et humain, il relève de la théologie et de la critique ; on ne le résoudra correctement qu’en tenant compte de l’une et de l’autre. C’est tout d’abord au point dedépart qu’ilfaul vérilier, à la doublelumière du dogme et de la raison, certaines notions préliminaires qui, par manière de principes, dominent la solution de tous les cas particuliers. L’expérience journalière fait toucher au doigt que les controverses à ce sujet tiennent, en partie, à ce que l’on ne s’entend pas, même entre catholiques, sur la nature et la portée exacte de l’inerrance elle-même. Quand il s’agit de la Bible, les termes û’erreur et de vérité ne sont plus coni])ris tout à fait de la même manière par tout le monde. Il y a là des malentendus qu’il faut d’abord dissiper. Cf. Pbscu, Deinspir. S. Script., p. 490 ; Van Noort, De fontihus roveUil., p. 66 ; BainvEL, De Script, sacra, p. 1^5. L’auteur du présent article avoue s’être spécialement préoccupé de cet aspect de la question. A l’heure qu’il est, l’accord entre catholiques sur l’objet et la méthode de l’apologétique biblique est chose pour le moins aussi urgente que la réfutation des attaques contre la vérité delà Bible.
I. Données théologiques. — a) Le théologien se borne à établir le fait de l’inerrance, il laisse à l’exégèle et à l’apologiste de faire voir, au détail, comment il n’y a pas enefl’et d’erreur dans la Bible. Pour satisfaire aux exigences dogmatiques de l’inerrance, il suffit de ne pas la nier, et de ne rien avancer d’où suive logiquement sa négation. S. Augist., De Cuns. E’ang. 111, XIII, ^3 ; /-’./.., XXXV, 11 85. Mais, l’exégèteet l’apologiste ne sauraient se contenter de la formule purement négative « Scriptura non errât », il ont encore besoin de savoir comment ta Bible dit l’rai, en quoi consiste sa vérité. Or, lesauleurs ne s’accordent pas à analyser uniformément cette formule positive. Cependant, - et l’observation aune importance capitale, — leurs divergences laissent indemne le principe même de l’inerrance ; elles ne portent que sur ses applications. Cf. Chr. Pbsch, De inspir. S. Script., 1906, p. ^90 ; Stiinmen ans.Maria-f.aach, janv.-mars, 1906, p. 144-146. On prétend que l’écrivain inspiré s’est trompé. Ce n’est pas vrai, répond le croyant ; et le théologien précise en ajoutant : ce n’est pas possible. Maintenant, à l’apologiste de faire voir comment en elfet le texte sacré est conforme à la vérité. Pour cela, la première question à résoudre est celle-ci : Que dit le texte ? La réponse est affaire d’interprétation. On comprend sans peine que, sur le terrain de l’exégèse, on puissedifférer d’avis. La vérité del’Eerilure ne se confond pas avec la vérilcdesexplications
qu’on en donne. S. Augustin en a fait plus d’unefois l’observation, notamment dans De Cuns. Ji’ang., III, xiii, /|3 ; P. /.., XXXIV, 1185. Sur le mode et l’ordre delà création, il n’y a pas unanimité parmi les interprètes, même les meilleurs ; mais, dit S. Thomas, les saints Docteurs ont tous sauvegardé, dans leur commentaire du récit qu’en fait la Genèse, « la vérité de l’Ecriture » ; et c’est ce qui leur a permis de proposer des explications différentes, sans cesser d’être orthodoxes. In II Sent., dist. 12, q. i, a. 2, c. Il est clair que dans ce récit de la création, le mot yom ne peut pas signifier à la fois un jour de vingt-quatre heures et une époque géologique ; exégétiquement on doit choisir, mais dans l’incertitude où nous sommes encore sur le sens de cette page, l’une et l’autre explication est compatible avec l’inerrance. Voilà pourquoi l’Eglise les tolère toutes deux. Décret. Cornmiss, pro re hiblica, 30 juin, 190g, quæs. 8. Denz.", 2128.
/() On convient, du moins en théorie, que ce qui n’est pas erreur dans un te.rte profane ne l’est pas davantage quand il s’agit de la Dible, et doit être considéré comme compatible avec sa vérité. La raison en est évidente. C’est que dans les Ecritures Dieu parle à des hommes, pour des hommes, par des hommes, et en langage humain. S. Augustin se plaint que dans l’harmonisation des Evangiles on oublie trop facilement ce principe. « Cum legimus (Evangelium) obliviscimur quemadmodum loqui soleaiuus. An Scriptura Dei aliter vobiscum fuerat quam nostro modo locutura ?.. P. /., XLII, 516 ; cf. XXXllI, 1100. Voilà pourquoi, tous les genres littéraires sont compatibles avec l’inspiration. Voir Critioue biiilkjue, col. 595. Au reste, tout puissant qu’il est. Dieu aurait-il pu s’y prendre autrement ? Quant à suppléer par un miracle aux ignorances et aux autres imperfections dans l’art d’observer et d’écrire, il ne l’a pas voulu ; liabituellement du moins. C’est un fait dont la lecture des textes ne permet pas de douter. Nous n’avons pas plus le droit de nous scandaliser de cet état de choses que du mystère de l’Incarnation. Le Verbe de Dieu écrit s’est fait en tout parole humaine, hormis l’erreur ; tout comme le Verbe incarné a pris pour lui toutes nos inflrraités, à l’exception du péché.
c) Puisque Dieu nous parle dans les Livres saints par l’intermédiaire de l’auteur inspiré, il va de soi que sa parole n’est perceptible que dans le texte de l’hagiographe. Sûrement, l’Auteur principal de l’Ecriture se porte garant de toute proposition du texte représentant une assertion personnelle de l’hagiographe. Bien entendu, cette assertion, pour devenir divine, ne perd rien de ses modalités humaines : elle reste aflirmative ou négative, catégorique ou dubitative, etc. Une proposition ne change pas de portée parce qu’elle fig.re dans un texte inspiré. Ici, comme ailleurs, les nombres ronds ne nous renseignent que par à-peu-prcs. Cf. Matth., xiv, 21 ; xv, 38. Quand l’auteur du second livre des Macchabées avoue en finissant (xv, Sg, 40) qu’il ignore s’il a réussi à composer son ouvrage d’après les règles de l’art d’écrire, il faut l’en croire et laisser aux critiques le soin d’en décider. Il y a réellement équivalence entre assertion de l’hagiographe et « parole de Dieu ", ou encore
« enseignement divin ». Il est vrai que l’on a discuté
sur ce dernier point. Voir Inspiration biblique.
d) L’assertion divine couvre tout le champ de l’assertion humaine passée dans le texte. Doit-on la concevoir comme s’étendant plus loin ? Tout le monde convient que le sens spirituel, voulu de Dieu, a pu être ignoré de l’écrivain inspiré, parce qu’il n’est pas exprimé immédiatement par la lettre. La question ne se pose que pour le sens littéral, et encore la limilc-t-on volontiers aux textes prophétiques.
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Que les contemporains du prophète aient moins bien compris sa prophétie que ceux qui en ont vu la réalisation, c’est chose tout à fait vraisemblable, très psychologique ; — qui du reste n’intci’esse pas l’inerrance du texte, mais seulement les rapports du commentaire historique et du commentaire théolojjique. Voir ExÉGKSK, col 1833-1834. Il s’agit de l’intelligence que le prophète lui-même avait de sa prophétie. Sans doute, il ne lui donnait pas un sens totalement différent de celui que Dieu avait en vue. (N’ous pouvons négliger ici le cas de Gaiphe, Jeun, xi, 49-51, qui est tout à f.iit anormal. Au reste, dans la bouche du grand prêtre, les mots expedit unuin hominem mort pro populo n’étaient pas assertion d’Ecriture.) A moins de pervertir la notion de l’inspiration et de l’iuerrance, à moins do renoncer à maintenir la pensée de Dieu en harmonie avec celle de son prophète, on ne peut accorder qu’Isaïe, par exemple, ait entendu prédire que le Royaume messianique serait temporel, rien que temporel. L’unique question qui se pose est de savoir si le prophète a vu clairement d’avance ce Royaume tel qu’il devait être en effet, avec son caractère spirituel. Il s’est produit à ce sujet entre catholiques une controverse, qui semble tenir à la surface bien plus qu’au fond des choses. Tous finissent par convenir avec saint Thomas, H » lU’, q. i^S, a. 4, que le prophète est entre les mains de Dieu instruinentum deftciens. Cf. Lagrangb, dans Hevue biblique, 18y6, p. 506 ; 1900, p. 141 ; PiiAT, dans les Etudes, 1901, t. LXXXVl, p. ig.’i ; Puscii, De inspir. Script, sacr., p. 609 ; de Bhoglie, Questions biblifjues, p. 349 ; TouzAHi) dans la lie^ue pratique d’apologétique, 1908, t. VII, p. 89. et la Reiue du clergé français, t. LVI, p. 636. De ce que les prophètes s’expriment d’ordinaire en termes symboliques, on est autorisé à conclure que l’avenir se déroulait sous leurs yeux dans des symboles. Mais nous savons par expérience combien imparfaitement une chose invisible ou absente se laisse comprendre dans son symbole. C’est ce que saint Paul appelle connaître « per spéculum in aenigmate ». L’obscurité de nos idées présentes sur la nature du monde à venir nous permet de conjecturer la représentation que les anciens prophètes pouvaient se faire de l’àgc messianique, (i’est sous la figure d’un roi de Juda, trônant à Jérusalem et dominant sur le monde entier, que le Christ leur est apparu. Ils savaient sans doute que sa royauté doit être supérieure à toutes celles d’ici-bas, mais comment ? Maintiendra-t-il le privilège de Sion d’être le centre du culte légitime ; ou bien le transformera-t-il en l’élevant ? C’est ce que les prophètes n’ont, vraisemblablement, entrevu que dans une perspective lointaine, et comme par échappée ou transparence. C’est un fait que, leur texte en main, les Juifs ont attendu un Messie bien dilTévent de celui que Dieu leur avait prédit en effet. Ils se sont égarés, pour avoir confondu la réalité avec son symbole ; pour n’avoir pas distingué entre les aspirations humaines que les antiques voyants d’Israël tenaient de leur milieu, mais qui n’étaient pas passées dans les Ecritures à l’état d’assertion ; celles-ci pouvant seules prétendre représenter les promesses divines.
2. Données rationnelles. — a) L’erreur d’ordre logique, incompatible avec l’inspiration de la Bible, est celle que l’on appelle formelle et objective. Il va . « ans dire que l’erreur morale ou le mensonge est, à plus forte raison, exclue par l’inerrance.
Dansun texte, l’erreur /"orme//f résulte du manque (le conformité entre les assertions de l’auteur et la léalitc des choses. Avant que de décider si quelqu’un a fait erreur, il faut tout d’abord voir s’il a entendu aifirmer et non pas seulement exprimer un doute.
une opinion, une appréciation par à-peu-près. Encore que Dieu ne puisse pas, de lui-même, ignorer, douter et opiner, c’est un fait qu’en inspirant les hommes, il ne les a pas affranchis de toutes ces imperfections de la pensée humaine. S. Thomas, p. I, q. ijj, a. 14, explique l’attitude de l’intelligence divine au regard de nos manières de juger et de dire. Dans l’article Inspiration biblique on dit comment Dieu peut en devenir l’auteur responsable. L’objet réel et la portée d’une assertion dépendent de l’intention de celui qui la formule. D’ordinaire, l’intention d’un écrivain ressort suffisamment de son texte, mais parfoisaussi il y faut encore, pour la déterminer, le témoignage historique sur les origines de l’écrit. S. Luc dit assez clairement dans son Prologue le but et l’ordre qu’il s’est proposé ; mais il n’en va pas de même de S. Marc et de S. Matthieu. Tout ce qui est resté, à un titre ou à un autre, en dehor.< de l’intention de l’auteur, n’est pas censé affirmé par lui. D’où il suit qu’on ne saurait lui reprocher comme une erreur formelle un manque d’exactitude purement matérielle, qui résulterait de ce chef. S. Jean-Baptiste a-t-il dit : u Je ne suis pas digne de lui délier sa chaussure », comme le rapportent S. Marc et S. Luc, ou bien : k Je ne suis pas digne de lui porter sa chaussure >’, comme nous lisons dans S Matthieu ? Peu importe, répond S. Augustin, De cons. Evang., 11, XII, sq. ; P.l.., XXXV, 1091, si les évangélistes ont eu seulement, en rapportant ces paroles, l’intention de nous apprendre que le Précurseur a protesté de son infériorité vis à-vis duChrist. Envisagées de ce point (le vue, les deux formules ont un seul et même sens. Maloonat, In.Mattli., x, 10, ramène de la sorte à l’unité une parole de J.-C. rapportée par les évangélistes en des termes contraires. C’est encore à ce principe de solution que recourt S. Augustin pour expliquer comment les auteurs inspires ne nous ont pas renseignés exactement sur les lois du monde physique. Cf. De Gen. ad lilt., II, ix, jo ; P. L., XXXIV, col. 270. Quand Ehasme attribua aux évangélistes des « lapsus memoriæ >, les théologiens furent assez unanimes à traiter son sentiment « d’erreur et d’impiété ». Cependant l’humaniste exégète se réclamait de S. Augustin(P. i., XXXV, col. 1176) et de S. Jérùme(P. L., XXU, col. S^S) ; et, de leur côté, plusieurs des théologiens, ses adversaires, admettaient (ou du moins toléraient) l’opinion de ceux qui voient dans S. Luc, iii, 36 (qui fuit Cainan), un renseignement matériellement inexact. Cf. Corn, a Lapidb, in. h. l. Cette dilTérence d’attitude tenait à ce qu’Erasme parlait d’erreurs de mémoire (ce qii s’entend naturellement de l’erreur formelle), tandis que ses adversaires, après S. Augustin et S. Jérôme, prétendaient que des inexactitudes toutes matérielles laissaient intacte la vérité de ce que les évangélistes avaient entendu affirmer. Pour se justilier du reproche d’avoir altéré dans sa traduction latine une lettre de S. Epiphane à Jean de Jérusalem, S. Jkrôub renvoj’ail ses censeurs aux évangélistes. « Accusent Apostolum falsitatis, quod nec cura Hebraico, nec cum Septuaginta congruat translatoribus : et, quod his majus est, erret in nomine, pro Zacharia quippe Jeremiam posuit (.1/ « </A., xxvii, (j). Scd absit hoc de pedissequo Christi dicere : cui ciirne fuit non verba et syllabas aucupari, sed sentenlias doginatum ponere. .. Hacc replico non ut Evangelistas arguam falsilatis, (hoc quippe impiorum est, Celsi, Porphyrii, Juliani), sed ut reprehensores mcos arguam impcritiæ ; et impetrem ab eis veniam, ut concédant mihi in simplici epistola, quod in Scriptiiris sanctis, velint, nolinl, Apostolisconcessuri sunt. » Episi. LVII, 7, 9 ; P. L., XXII, 573, 575. Cf. Itechrrches de science religieuse, 191 1, p. 296. Il va sans dire qu’un auteur 761
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n’entend se porter responsable d’une assertion que sous le bénéQce de toutes les pn’cisions qu’il lui donne dans l’ensemble de son texte. C’est ce dont il faut tout particulièrement tenir compte dans une lettre écrite currenle calamn, au courant des souvenirs. C’a clé une singulière idée (pour ne rien dire de plus), de la part du D^ A. Sciulz, Bihlische /.eitschril’t, 1909, VII, p. 151, de prétendre que S. Paul, dans la première aux Corinthiens, ch. T, a formulé, au V. i/(, une erreur objective, en écrivant : « Cratias ago Deo quud neminem testriini haplizati, nisi Crispuin et Caiiim », étant donné qu’il ajoute immédiatement après, V. 16 : a Baptizavi auiem et Stephanæ domain : cæterum iiescio si queni aliiim haptizaverim. «
h) Quand il s’agit d’un écrit profane, on doit distinguer parfois entre le sens que l’auteur avait l’intention d’exprimer et celui qu’il a exprimé en elTot. Cet écart entre son intention et son texte vient de ce que l’attention ou l’expression l’ont mal servi. Mais avec un écrivain inspiré, pareil accident n’est pas possible, a Nam (Spiritus Sanctus)… ita scribenlibus adstitit, ut ea omnia eaque sola quæ ipse juberet, et recte mente conciperent, et fldeliter conscribere vellent, et apte infallibili eritate exprimèrent, j Dbnz.’", 1962. Cependant, même dans l’Ecriture, il y a encore place pour la distinction entre le sens objectif, celui du texte, et le sens qui est resté dans l’esprit de l’auteur à l’état purement subjectif. C’est seulement pour le sens objectif que nous revendiquons l’inerrance. Un écrit, qu’il soit inspiré ou non, ne révèle pas uniquement les assertions de son auteur, il donne encore à connaître une foule de persuasions ou d’opinions qu’il a dans l’esprit. Cet ensemble d’idées et de sentiments a conditionné la rédaction de son texte, il s’y réllcchit, il s’y exprime même plus ou moins, sans qu’on puisse direqu’ils’y trouve garanti par l’autorité de son témoignage, surtout de son témoignage certain. L’auteur croit et parle làdessus comme tout le monde ; seulement, il n’a pas pris la plume pour enseigner quoi que ce soit à ce sujet. Une même phrase change de portée selon qu’elle se lit dans un traité d’histoire naturelle ou dans un livre de littérature ou de piété. De ce point de vue, quelle différence entre Pline le naturaliste et S. François de Sales ! Personne n’a jamais songé à taxer d’erreur le texte d’une loi sur la pèche ou la chasse parce qu’on y part d’une classilicalion erronée des poissons et des oiseaux, mais qui était couramment admi « ; e, quand le législateur rédigeait son texte. Pareillement, l’auteur du Lévilique, x, 6, uniquement préoccupé de porter une loi religieuse, a rangé le lièvre parmi les animaux impurs en sa qualité de ruminant, parce qu’on croyait alors que le lièvre ruminait. Il est vraisemblable que l’hagiographe partage l’opinion commune ; mais, dans son texte, il n’a pas l’intention de se prononcer à ce sujet. De la même façon, l’auteur de Josué, x, 13, a pu écrire, sans faire erreur, que le soleil s’était arrêté au milieu du ciel » pour exprimer la prolongation miraculeuse du jour. Ceux d’entre les catholiques qui admettent que S. Paul a nourri l’espérance humaine de voir, avant sa mort, le suprême avènement du Christ, disent que ce sentiment s’est réiléchi en plus d’un endroit de ses Epitres. mais que nulle part r.pôtre ne le donne comme certain, sur la parole de Dieu et au nom de son autorité apostoliiiue.
c) La vérité et l’erreur sont des propriétés du jugement, ou encore de l’assertion qui l’exprime. Quant à Vexpression elle-même, elle n’est ni vraie, ni fausse ; on dit seulement qu’elle est exacte ou inexacte, selon qu’elle est apte ou non à rendre la pensée de celui qui l’emploie. Or, la justesse d’une expression ne dépend ni de son étymologie ni de son histoire, mais
uniquement de l’usage. Il est inutile de se demander si l’évangéliste croyait à l’influence de la lune sur les maniaques, parce qu’il les appelle « lunatiques ». Mutth., IV, 24. C’était le terme reçu pour désigner cette catégorie de malades. L’Ecriture parle de la
« terre entière », au sens courant de la locution, pour
dire u tout le pays », ou encore le monde connu, et spécialement l’empire gréco-romain. Les écrivains sacrés n’avaient pas à créer leur langue, ils ont employé l’hébreu ou le grec usité de leur temps, sans égard pour les souvenirs mythologiques ou légendaires dont nombre de mots et d’expressions restaient chargés. C’est ce que S. Thomas a fait observer dans son commentaire de Job, xxi, 33. « L’auteur, ccril-il, propose la vérité des châtiments qui attendent les méchants après la mort, dans les termes de la légende populaire, n A leur tour, les évangélistes n’ont pas craint de parler de l’Adès. Matth., xi, 23 ; xvi, 18. La Jl" Pétri, II, 4, fait une allusion au ïartare. Le trait légendaire ne figure pas dans la Bible à l’état de chose enseignée, mais seulement d’expression. Pour maudire la nuit qui l’a vu naître, Job souhaite qu’elle eût été sans lumière aucune ; il invoque les a enchanteurs qui savent déchaîner contre la lune et les étoiles, le dragon Léviatlian pour les dévorer ». Joli, III, 8. Voulant dépeindre la désolation qui doit peser un jour sur l’Idumée, Isaïe, xxxiv, i/j, la représente comme le rendez-vous des monstres qui, d’après la légende populaire, recherchent la solitude ; il nomme les onoccntaures, les satyres et lilith, celle qui ne sort que la nuit, sorte de dame blanche. On s’est donné beaucoup de mal pour justifier le nom de la cigogne, que l’Ecriture appelle, comme tout le monde faisait, hasidah (la tendre), sans s’inquiéter de savoir si cet animal est un modèle de tendresse pour ses petits. Mal avisé serait le théologien, qui tenterait d’établir par l’autorité de S. Paul la trichotomie des anciens, parce que l’Apôtre, employant la terminologie reçue, divise assez souvent le composé humain en corps, âme et esprit.
L’expression d’un auteur inspiré doit être exacte, mais sa justesse peut avoir beaucoup de degrés. A la rigueur, il suffît qu’elle ne trahisse pas substantiellement sa pensée. D’après le D’^ Schmid, De inspirât. Uihliorum vi et ratione, p. 3 18, « l’inspiration ne s’oppose pas à ce que les termes de l’Ecriture soient obscurs, ambigus, vagues, plus ou moins impropres, et à cause de cela prêtant à une fausse interprétation », mais que l’on réussit à écarter, grâce au contexte ou au sentiment traditionnel, rjui a, de tout temps, accompagné le texte. Les exégètes seront facilement de son avis.
(7) Les écrivains sacrés ne sont responsables que de leurs assertions personnelles. Quant aux paroles et aux sentiments d’autrui qu’ils rapportent, ils ne sont censés en garantir la vérité qu’autant qu’ils les approuvent expressément ou équivalemment. Sans cela, une seule chose reste certaine, au nom de l’inspiration ; c’est que ces paroles ont été dites et que ces sentiments se sont manifestés. C’est la règle élégamment formulée par S. Augustin. « Quamvis veruin sit quod dicta sint, non tamen omnia quæ dicta sunt, vera esse credunlur ». Ad Oros. contra Priscil. et Orig.. IX, 12 ; P. L., XLII, col. 676. Le cas d’approbation expresse ne soulTre aucune difficulté. Il est clair que l’auteur du second livre des Macchabées, XII, 46, approuve comme « sainte et salutaire » la pensée qu’a eue Judas Macchabée de faire prier pour les morts. Encore convient-il d’examiner sur quoi porte précisément cette approbation. Apres avoir cité le vers d’Epiménide, si peu flatteur pour les Cretois, S. Paul, Vit., i. 13, ajoute : Testimoninm hoc verum est ! Evidemment, ceci doit s’entendre 763
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avec discrétion. Quand l’hagiographe se borne à rapporter les paroles ou les sentiments de Dieu, du Christ, de la sainte Vierge, des Anges, des Prophètes et des Apôtres dans l’exercice de leur mission divine, l’approbation est tacite, mais certaine. Cependant, encore ici, il sera besoin de discernement. Tous les discours des envoyés de Dieu n’ont pas une égale connexion avec l’objet de leur mission, et ne sont pas censés approuvés sans distinction par l’écrivain sacré. Tout rempli du Saint-Esprit qu’il était pour confondre les Juifs, S. Etienne a bien pu, dans son discours (.Ict., vu), faire un résumé de l’Liistoire d’Israël qui ne concorde pas absolument avec le texte hébreu, suivi par notre Vulgate. En tout cas, rien ne prouve que l’auteur des Actes ait entendu se porter garant de ce discours, qu’il rapporte, jusque dans les moindres détails. Cf. Chr. Pesch, De inspir. sacr. Script., p. 4’16. Il ne manque pas d’auteurs qui expliquent de la même façon le discours tenu par S. Paul aux presbytres d’Asie à Milet. Act., xx, 18-36, dans lequel il leur prédit qu’ils ne le reverront plus. Comme il y a de bonnes raisons de croire qu’en réalité r.pôtre repassa par Milet (cf. II Tint., iv, 20), on se demande si ce n’était pas là un simple pressentiment d’ordre humain, sans garantie d’infaillibilité. Quoi qu’il en soit, ce discours ne figure dans les Actes qu’à l’étal de chose rapportée.
A défaut de toute approbation de la part de l’hagiographe, la vérité objective et intrinsèque des discours rapportés est à déterminer par l’autorité propre de ceux qui les ont tenus. Et ici il est des cas difficiles. On connaît la controverse des anciens au sujet de certains propos des Patriarches, du vœu de Jephté, de la pythonisse d’Endor évoquant l’ombre de Samuel, etc. Cf. Fr. de Hu.mmelauer, Comment, in libr. Jtidic, p. 222-227 ; Comment, in libr. I Reg., p. 248-253. Les discours tenus par des personnages Ûclifs (comme seraient, d’après certain, les amis de Job) appartiennent en réalité à l’hagiographe ; c’est par les lois du genre littéraire du texte, et par une exégèse très attentive que l’on arrivera à distinguer dans ces discours ceux qui représentent la vraie pensée de l’auteur, d’avec ceux qu’il introduit par manière de question ou d’objection. Le P. Corluy, La Controverse (de Lyon), 1885, t. V, p. 305, en rendant compte du livre du D Schmid, De insp. Bibl. vi et ratiune, libr. III, a consacré une étude assez complète et très instructive à cette question. Cf. Pescu, De inspir. sacr. Script., n. 436 451.
e) Jusque dans les sentiments personnels de l’hagiographe, éprouvés au moment même qu’il écrivait, il y a des distinctions à faire. Si parce qu’ils ont été conçus et formulés sous l’influence de l’inspiration, nous sommes assurés de leur sincérité et de leur moralité, il ne s’ensuit pas que leur valeur objective (ou logique) dérive invariablement de cette circonstance une autorité divine. De ce point de vue, qui oserait mettre sur le même pied les deux propositions suivantes, ipii sont pareillement de S. Paul et se lisent à la même ligne : « Teipsiim castum custudi, et Noli adliuc aquam liibere, sed inodico vino utere propter stomachum » ?I Tim., v, 22-23. Le bon sens dit assez que l’inspiration n’a pas dû sup[jrimer la différence qu’il y avait, dans la pensée même de l’Apùlre, entre le précepte concernant la chasteté, et le conseil d’user d’un peu de vin. Le premier se fonde sur la morale chrétienne, qui est un point important de la prédication apostolique ; le second n’est qu’une suggestion d’ami, restant d’ordre humain ; pour laquelle S. Paul ne rpvendique ni mission, ni infaillibilité. En deliors du fait que, dans une lettre inspirée, l’Apôtre a donné à Timotliée un conseil conforme à l’iiygiène couramment admise, qu’y a-t-il ici que l’on
puisse raisonnablement regarder comme « parole de Dieu » ? S JÉuôMR, P.L., XXVI, col. (501, fait observer que la banalité d’un propos n’est pas une raison suffisante de nier l’authenticité ou la canonicité du texte où il se lit, mais il ne s’oppose pas à ce que l’on distingue entre sa réalité subjective et sa valeur objective ; au contraire il suggère cette distinction en rapprochant II Tim., IV, 13 de ! Cor., vii, 12. (Dans le même ordre d’idées, voir Ohigè.ne, P.l,., XIV, 27 ; XIII, 536, 1845 ; S. A.mbroise, P.L., XV, 176-3 ; S. JÉnô. ME, P. /,., XXV, 405.) Quel est le théologien qui oserait partir du texte de la première é])Ure à Timotliée pour soutenir qu’il est de foi ou même théologi(luerænt certain « qu un peu de vin est bon pour l’estomac » ? S. Paul écrit aux Romains (xv, 24, 28) : n Per vos proficiscar in Hispuniam », et pas un commentateur moderne qui se croie obligé, ni même autorisé, à en conclure qu’en elTet l’.^pùtre a dû aller en Espagne, puisque, sous l’inspiration divine, il avait non pas seulement projeté ce voyage, mais dit catégoriquement
« qu’il irait ». C’est par son objet que
nous jugeons ici de la portée véritable de la parole de S. Paul ; nous l’interprétons d’un projet et non d’une prophétie. Aujourd’hui, cette exégèse ne souffre pas de dilliculté ; mais il n’en a pas toujours été ainsi. Cf. S. Thomas et C. a Lapide in h. l. Telle phrase d’une allure uniforme, dite sur le même ton, veut être analysée en des assertions de valeur bien difl’érente. Dans l’oraison pour la fête de sainte Catherine, l’Eglise fait tout uniment mention de la Loi mosaïque donnée sur le Sinaï, du corps de la sainte transporté par les anges sur la même montagne, de ses mérites et de son intercession ; mais, pour respecter l’intention même de l’Eglise, on doit tenir compte des différences que bien certainement elle entend mettre entre les diverses propositions.
Envisagés en eux-mêmes, ces obiter dicta sont sans importance, mais leur analyse amène à préciser la nature de l’inspiration et de l’inerrance ; facilement ils deviennent la pierre de touche des théories, en obligeant de les considérer à la lumière du bon sens. Cf. Uainvel, De Script, sacra, p. 156-157.
/’) Puisque l’inspiration ne suspend pas le jeu normal des facultés humaines, il nous est permis d’analyser psycitologiquement l’attitude de l’hagiographe au regard de la vérité de son texte. Certains jugements ne sont susceptibles que d’une vérité approchée, et, dans ce cas, l’écrivain inspiré lui-même ne saurait prétendre à plus de précision. Quel est le moment précis de l’aube où l’on peut commencer de dire qu’il fait jour ? Sur ce point, chacun s’exprime d’après sa propre impression : l’un dit qu’il fait jour, tandis que l’autre trouve qu’il fait encore nuit. Qui a raison ? Cette observation aidera peut-être à résoudre la difficulté soulevée par les données divergentes de nos évangiles sur l’heure où les saintes femmes vinrent au tombeau de Notre-Seigneur, le matin de sa résuri-ection.
L’expérience quotidienne prouve qu’en racontant un fait un peu complexe, deux témoins, même s’ils ont été oculaires, ne s’accordent pas absolument jusque dans les moindres circonstances. Ne serait-ce pas parce que l’observation ne se fait pas dans des conditions subjectives identiques ? Si oui, il s’ensuit que les menues divergences d’un récit résultent, du moins en partie, d’une certaine impuissance psychologique de voir exactement les choses de la même façon. Le coefficient de réceptivité est très vai’iable. En outre, il faut compter avec les inlidélités de la mémoire. Il va sans dire que cette impuissance pratique croîtra avec le nombre et la qualité des témoins, surtout s’il s’agit d’événements capables d’émotionner en sens divers l’observateur, et de passionner les témoins.
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I
Une iinprccision résultanl des conditions psycliolojj ; i(iues dans lesquelles se produit noruialenienl le témoignage humain ne mérite pas le nom d’erreur ; ce n’est pas même une inexactitude proprement dite. N’a-t-on pas trop perdu de vue cet état de choses dans les dilférents essais d’harmonisation, qui ont pour but d’accorder les quatre évangiles jusque dans les dernières modalités du récit ? Il n’a pas échappé à S. Augustin, bien que peut-être il n’en ait pas assigné clairement la cause. Conlia Faust. Munich., XXXIll, vni ; P. /.., XLII, col. 516.
C’est encore un fait attesté par l’histoire de l’exégèse ((ue de tout temps on s’est accordé sur la vérité substantielle du récit sacré, tant du i)oint de vue historique que du point de vue doctrinal ; mais, toujours aussi et à ce double point de vue, on a été divisé sur le sens, la portée, la certitude de certains détails qui intègrent ce l’écit. La chose est particulièrement sensible en ce qui concerne les récits primitifs. Tous les orthodoxes s’accordent à lire dans le troisième chapitre de la Genèse l’histoire de la chute originelle et à en tirer les mêmes conséquences dogmati(]ues ; mais quand ils en viennent à l’explication détaillée, il s’en faut qu’ils soient tous du même avis : tel trait, compris au pied de la lettre par ceux-ci, n’a au contraire pour ceux-là qu’un sens symboliciue. Le récent décret de la Commission biblique, « jui a eu l’immense avantage de mettre hors de doute l’historicité substantielle du texte, n’a pas supprime cet état de choses. Pareillement, nous sommes historiquement certains et nous croyons de foi divine que le Christ est mort sur la croix, du temps de Ponce Pilate ; mais à quel moment précis ?… Quels étaient les termes exacts de l’inscription placée en baut de la croix ?… Je ne sache pas qu’on ait jamais fait à ces qucstions une réponse admise de tous, et qui soit réellement adinissible comme certaine. Et pourtant, nous avons là-dessus dans les textes canoni<|ucs des renseignements formels. Si, malgré tout, il plane sur ces détails une incertitude, qui semble bien irrémédiable ; si, à cause de cela, nous sommes dans l’impuissance de faire à leur sujet un acte de foi divine, ne serait-ce pas parce que l’incertitude qui les accompague remonte à l’origine même des textes et porte sur cela même que l’historien sacré eut l’intention d’allirmer ? Notre propre adhésion doit se mesurer sur l’intention qu’avait l’historien sacré, sans la dépasser ni la restreindre ; et cette intention, nous ])OUvons presque toujours la déterminer par le but de l’écrivain et la nature du genre littéraire employé par lui. Or, il est manifeste (et tout le monde en convient) que l’auteur inspiré a conçu et rédigé son texte dans un but d’enseignement religieux ; il se propose, même dans les récits, d’enseigner la religion : dogme et morale, car c’est pour cela qu’il est inspiré. Voir Insi-iration. D’où il suit qu’il a entendu certitier son récit, même histori(iue, dans la mesure même où ce récit se rapporte à son enseignement religieux. C’est cela, et cela seulement, qui devient l’objet de son assertion. S’il accueille des traditions avec la forme concrète qu’elles ont, depuis longtemps peut-être, dans la mémoire des hommes, c’est qu’elles lui paraissent suflisantes au parti qu’il en veut tirer. Du point de vue historique (au sens profane et étroit du mot) le texte biblique rédigé dans ces conditions peut paraître imparfait ; mais sa valeur religieuse n’y perd rien. Ce n’est pas la possibilité de faire un acte de foi sur le moment précis de la mort de Noire-Seigneur qui nous mettrait en meilleure posture vis-à-vis du bienfait de la Rédemption.
g) Sous peine d’être erronés, les ruisunnements d’un auteur inspiré doivent conclure ; mais une argumentation peut être concluante de bien des façons.
Tous les arguments n’ont pas une valeur absolue, par exemple celui qui est seulement ad hominem. Pour n’avoir qu’une valeur relative, il ne devient ])as une erreur. Toute bonne logique reconnaît sa légitimité. Au reste, c’est un fait qu’il s’en rencontre dans l’Ecriture. S. Paul part d’un abus pratiqué dans l’Eglise de Corinthe (le baptême pour les morts, 1 Cor., XV, 2g) pour conclure qu’il implique la croyance dans une résurrection future. Quand le même Apôtre en api)elle au vœu de la nature pour prouver que les hommes doivent porter les cheveux courts (I Cor., xi, 14), il entend sans doute la nature interprétée par les mœurs delà société gréco-romaine de son tenqjs. La raison donnée par S. Pierre aux Juifs pour leur i)rouver que les Apôtres ne sont pas pris de viii, savoir a qu’il n’était encore que neuf heures du matin » (.ici., ii, 15), n’est pas assurément de celles qui ne permettent pas d’insister. Tout de même, il semble bien qu’on s’en soit contenté. Si, en argumentant par l’Ecriture, les auteurs du N. T. sont partis i)arfois d’une exégèse courante plutôt que des exigences rigoureuses du texte (voir ExÉGÛSB, col. Li&Uf), ils n’ont commis ni erreur, ni tromperie ; seulement leur argumentation n’avait directement qu’une valeur ad hominem. Cependant, il est possible que des commentateurs, d’ailleurs très rccommaudables, soient allés dans cette direction plus loin que de juste ; par exemple Maluonat, In .Maltli., XXI, 5. Ils ont pour excuse la dillicuUé qu’il y a à rendre compte de certains passages.
//) Ces données rationnelles, empruntées à la logique et à la psychologie, font assez comprendre que pour raisonner utilement en matière d’inerrance, on ne peut pas se contenter des termes d’erreur et de yérilé, ni des notions sommaires que ces mots réveillent ; il y faut une analyse plus pénétrante. Les théologiens, même les plus attentifs, n’ont pas encore réussi à traiter le sujet avec une terminologie uniforme. Pour qualilier les assertions <jui, à un titre ou à un autre, n’expriment qu’imparfaitement la vérité (sans être erronées), les uns parlent de férilé relative. Gh. Piiscii, Prætect. do< ; mat., I, n. 62g ; De inspir. sacr. Script., p. 627, cf. 3^5. D’autres, F. Prat, Eludes, 5 novembre igo2, p. 802 ; J. Bruckeb, Eludes, 20 janvier igo3, p. 232, se défient de l’expression, parce que, disent-ils, on ne voit guère dans ce terme de relatif, quand il s’agit de vérité, qu’un euphémisme pour désigner l’erreur. Le P. ScHii’FiNi, Diinilas Scripturarum…, p. 110, prétend que par vérité relative les néocritiques entendent une assertion dans laquelle l’hagiographe aurait alllrmé per modum unius le vrai et le faux. Il est clair que ce n’est pas dans ce sens que les théologiens et les critiques catholiques emploient cette dénomination. Ils ne la comprennent pas comme M. LoisY. Par vérité relative, ou encore proportionnelle, économique, celui-ci entend une vérité essentiellement précaire. On a cru jadis que le soleil tournait autour de la terre, c’était la vérité d’hier ; on croit maintenant que la terre tourne autour du soleil, c’est la vérité d’aujourd’hui. Cf. Etudes bibliques, p. 35. Dans ce sens, la vérité relative est l’erreur de demain. C’est là une façon d’envisager la vérité expressément condamnée dans le décret l.amentabili, prop. 58. Dbnz.’", 2058. Mais la condamnation ne nous oblige pas de tenir f|ue toute vérité a une valeur simplement absolue. Certaines vérités se trouvent liées aux contingences de l’histoire, et, à ce titre, elles ont de la relativité. Les Juifs croyaient de foi divine la proposition Viendra le Christ de Dieu ; mais c’est dans une proposition contraire Maran altha (]u’au temps de S. Paul se formulait la foi chrétienne. En d’autres cas la rela767
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tivité tient à l’expression elle-même. L’article du symbole : Jssis â la droite du Père, pourrait tout aussi bien se dire Astis à la gauche du Père, dans une langue qui envisagerait la gauche comme un symbole de puissance et d’honneur.
Le P. Pesch, De inspir. suer. Script., p. 525, cf. 375, dit que la Bible contient des erreurs iiialérielles ; il entend par là les mensonges et les erreurs rapportés dans la Bible. (L’appellation paraît être assez impropre. ) Le P. Hetze.nauer, J’heol. biblica, I, p. xxiii, parle d’erre » r objective ; et il donne en exemple les deux récits différents de la mort d’. tiochus, dans
le second livre des Macchabées, dont l’un au moins doit contenir des circonstances erronées, puisqu’ils ne concordent pas. Sauf meilleur avis, il semble préférable d’entendre par erreur objective celle qui se trouve réellement dans le texte, pour la distinguer d’avec celle qui est restée dans l’esprit de l’hagiographe à l’état purement subjectif.
C’est sous le bénéUce de ces explications que nous comprenons la proposition développée plus haut (col. -jb(j) : L’inerrance exclut l’erreur logique et objective.
3° Données littéraires. — a) Genres littéraires. Voir Chitiquk biblique, col. jçjb. Tout écrivain a le droit d’être jugé sur son texte, et ce texte, il l’a conçu et rédigé d’après les lois du genre littéraire choisi par lui. C’est un droit auquel les historiens de l’antiquité peuvent spécialement prétendre. Moins personnels que nos auteurs modernes, ils ne font que rarement confidence au lecteur de leur appréciation sur le fond du récit, et beaucoup moins encore sur les sources où ils l’ont puisé. Ils mettent sous les yeux du lecteur un livre, qui veut être lu et compris comme on fait une œuvre littéraire. C’est là un état de choses incontestable et on ne le méconnaîtrait qu’au grand tlétriment de l’exégèse, de l’apologétique et de la théologie.
Par bonheur, il n’a jamais été complètement méconnu. Au contraire, les grands exégétes l’ont expressément constaté ; surtout ils en ont tenu compte dans leurs commentaires. Et ici, on ne doit pas penser exclusivement à S. Jérôme et à S..Vugustin ; des commentateurs moins méthodiques et moins savants n’ont pas laissé que d’insister sur l’attention qu’il convient de donner au style de l’hagiographe. En tête de son commentaire de S. Luc, S. A.muroise, P. f.., XV, 152y-1532, prévient qu’il tiendra compte du caractère particulier de chacjue évangile : Luc est historique, Matthieu est moral, Marc est dogniati//ue. X voir dans l’Ecriture une série d’asserta rédigés uniformément en style scolastique, tous bons à prouver quelque chose et au même titre, on s’exposerait à des erreurs grossières. Tertulliex, qui n’était pourtant pas un esprit borné, a cru pouvoir conclure de la parabole du mauvais riche la corporéité de l’âme, puisque, dans le sein d’.braham, Lazare a ses doigts, et dans l’enfer le mauvais riche souhaite une goutte d’eau sur sa langue. En.i>ologétique, on s’expose à accepter des dillicultés (]u’il convient d’écarter par la question préalable de la portée réelle du texte. On a écrit de gros volumes pour justifier la chronologie biblique ; puis, on a fini par s’apercevoir qu’il n’y a pas dans la Bible les éléments suffisants d’une chronologie. Cf. J. Bruckek, dans la Co/i</oierse(de Lyon), 1886. t. VI, 3 ; 5 ; t. VII, 5 ; t. VIII, 87. A quoi l’a-t-on reconnu ? Au procédé littéraire d’après lequel les historiens sacrés ont dressé leurs généalogies. Pareillement, c’est parce que l’usage ouïe procédé dit damnatio memoriue autorisait les généalogistes à passer <les termes intermédiaires, que S. Matthieu, i, 8, ne fait pas erreur et n’induit pas nécessairement son
lecteur en erreur par l’omission d’Ochozias, de Joas etd’.masias ; quoi qu’en dise A. ScauLz, Biblische Zeitsclirift, 1909, VU, p. 154. On peut penser que le document reproduit par le premier évangéliste portait déjà l’omission ; et cela à dessein : pour condamner la mémoire des trois rois indignes. C’était déjà l’explication de S. HiLAiRE et de S. JiiRÔMB.Cf. Heer, Die Stanintbàitme Jesu nach Matthiius iind Luhas, 1910. .ujourd’liui, on amasse difficultés sur difficultés contre le livre de Judith, au nom de l’histoire et de la géographie ; et chacune de ces objections a reçu plusieurs réponses. Cependant, la première question à résoudre eût été le caractère littéraire de ce livre ; toutes les objections tombent d’elles-mêmes si l’auteur n’a pas entendu écrire de l’histoire proprement dite. Voir Critique biblique, col. jy’j. En parcourant l’histoire des controverses suscitées au siècle dernier par l’inerrance biblique, on reste étonné du nombre de celles qui reposent sur un faux supposé.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que le recours au genre littéraire a pour but de comprendre l’Ecriture, de la mieux défendre, et non d’altérer la notion traditionnelle de son inerrance. C’est la remarque du P. Pesgh, De inspir. sacr. Script., p. 552 :
« Qu’on parle de mythes ou de légendes, de traditions
populaires, d’histoire ancienne, d’histoire orientale, ou de toute autre chose semblable ; si, sous ces dénominations, l’on entend dissimuler l’opinion d’après laquelle Dieu aurait pu inspirer des erreurs, du moins en des choses accidentelles et de nulle importance pour le salut, c’est s’écarter de la tradition catholique, constante et commune, qui enseigne qu’il n’y a pas seulement les choses principales et la substance même du récit à être nécessairement vraies, mais encore tout ce qui s’y trouve alfirmé. »
b) Procédés rédactionnels. — L’activité littéraire de l’écrivain sacré ne se limite pas à son style, même si on l’entend au sens le plus large du mot ; elle se révèle encore à certains procédés de rédaction, qui atteignent plus profondément la pensée. Ces caractères rédactionnels tiennent à des façons de dire, à une manière d’envisager les choses, exigées bien moins par la réalité toute nue que par le but particulier que se proposait l’auteur en écrivant. Directement, l’activité rédactionnelle atteint la forme du récit, indirectement elle modèle le l’ond un peu différemment ; sans aller pourtant jusqu’à en altérer l’identité. A moins de tenir compte de ce fait, on n’expliquera jamais bien les ressemblances et les différences présentées par certains livres de la Bible, notamment les livres des Rois et ceux des Paralipomènes, les deux des Macchabées, et par-dessus tout les trois premiers évangiles. Identiques pour le fond, ces récits dilfèrent par nombre de modalités secondaires, qui ne sont pas sans importance.
La critique rationaliste ou moderniste a beaucoup abusé de la théorie des procédés rédactionnels pour diminuer la valeur historique de la Bible, même en ce qui concerne le Mouveau Testament. On alfecte de représenter l’histoire sainte comme un thème rudimentaire, que les hagiographes auraient développé au gré des besoins religieux de leur temps ou de leurs tendances personnelles. Cf. J. Wbiss, Das atteste Etangelium, igoS ; LoisY, f.es évangiles synoptiques, 1907, I, Introd., chap. m ; F. Nicol-^rdot, Les procédés de rédaction des trois premiers évangélistes, 1908. Mais, ce n’est pas une raison de méconnaître ce qu’il y a de légitime et d’utile dans cette partie de la critique biblique. Cf. J. Bruckeh, L’Eglise et la crit. biblique, 1908, p. 18. Des critiques catholiques commencent à le comprendre. Ils ont déjà consacré au sujet quelques bonnes pages. F. Prat, L’Evangile 769
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et la critique, dans les Etudes, iSy^, l. LXXII, j). 664 ; K- Mangknot, Les Evangiles synoptiques, icjii.i). 65-88. Nous leur devons beaucoup dans ce par ; igrai)lie.
oc) Description des principaux procédés de rédaction. — i" Si un certain ordre clironol(>j ; iquc est nécessaire à toul récit, il s’en faut qu il doive être rigoureux et exclusif. L’iiistorien ne s’interdit pas les l>role[)ses et les inversions. Cependant, pour se permettre des anaclironismes proprement dits sans faire erreur, il faut qu’à l’ordre des temps il entende join<lre ou substituer l’ordre logiipie, ou encore l’ordre I)sycliolo], ’ique, qui ne sera parfois que celui de ses souvenirs. S. Augustin, De cons. Evang., II, xxi ; P. I,., XXXIV, 1102, cf. 11^5. Ces procédés, dont les historiens profanes usent couramment, sans traliir pour autant la vérité, ne sont pas interdits aux écrivains inspirés ; et nous savons que de fait ils y ont eu recours. Il y a longtemps que le preslijtre de Papias en a fait l’observation au sujet de S. Marc (Kuskbiî, //. / ;., III, XXXIX, i ; /’. G., XX, ayS) ; et S. Augustin l’a étendu aux autres évangélistes. Son exégèse, faite de bon sens et de Unesse, se meut à l’aise au milieu des particules de temps : in Hlo lempore, in diebus illis, ecce, deinceps, postea, slalini, et fartum est, etc. ; il n’y voit souvent que de pures transitions sans portée I)rccise. marquant plutôt la succession des souvenirs de celui qui écrit que l’ordre réel des événements. Cf. De cons. Evang., II, xxii ; /’. /.., XXXIV, 1 102. Cette absence d’ordre chronologique donne facilement aux faits une perspective tout autre ; sur le lecteur distrait, ils produisent l’elTet d’un monument qu’on aborde par des voies dilférentes.
2" A rinq)récision résultant de l’absence d’onlre chronologique, vient se joindre parfois l’obscurité, on ])ourrait dire la confusion que le récit syntliétiipie eli^écit collectif ne manquent pas de jeter (ians nrdiscours. Le récit synthétique combine deux actions qui en réalité ont été distinctes ; le plus souvent il attribue immédiatement l’effet à sa cause morale. D’après.S. Matlli., viii, 5, le centenier en personne vient trouver le Sauveur ; mais ^’. f.uc, vii, 3, nous apprend que l’entrevue eut lieu par intermédiaire. Cf..S. Auc, Cent. Faust ^ XXXIII, vii-viii ; /’. /.., XLII, 515. Le récit collectif mei sur le compte d’une collectivité un discours ou une action, qui, en réalité, n’ont été le fait que de quelques-uns, peut-être niênie d’un seul. Cf. De cons. Evangel., III, xvi ; P. /.., XXXIV, 1190. Telle est la portée de la formule qui revient si souvent dans l’Evangile, surtout dans S. Jean : Besponderunt Pharisæi. Dans l’A. T., le discours collectif par excellence est le colloque qui s’engage entre Josué et tout le peuple d’Israël, .tas., XXIV, i^-ag A l’opposé du récit synthétique, se trouvent les doublets. Voir GniTii^uE dibliijue, col. 802, c. S’il s’en rencontre dans la Bible, c’est qu’ils ne sont pas incompatibles avec l’inerrance biblique, à la condition pourtant i|u’on n’introduise pas la notion d’erreur dans la délinition même du doublet. La question gagnerait en précision si on distinguait : a) Le doublet proprement dit, comme la double dénomination de Hersabée, Gen., xxi, 31 et xxvi, 33 ; <lans lequel l’auteur n’a pas eu peut-être conscience de se répéter. L’inspiration préserve de l’erreur, mais sans donner toute science, b) Les doubles récits, voulus comme tels par l’auteur, par exemple la mort d’Antiochus, II.Maccli., I, 11-17 ; "^’'"29- <) Le récit dans leqiud l’auteur a consciemment fondu deux documents ou deux traditions en dépit de la divergence de certaines circonstances secondaires. Beaucoup estiment que la narration du déluge, Gen., vi-viii, a été composée de la sorte. C’est par la nature et les licences
Tome II.
du genre de composition employé par l’hagiographe que s’expliquerait, sans qu’il ait fait erreur, la présence de doublets ou de doubles récils dans son texte.
3° Il va de soi que l’activité rédactionnelle est encore plus sensible dans les discours que dans les récits. De leur nature, les paroles ont quehpie chose de fluide ; il est dillicile d’en lixer le mol à mot, à moins qu’elles n’aient été notées sur-le-champ. Aussi bien, l’iiistorien, surtout dans rantiquité, ne répond d’ordinaire que du sens..Si l’historien inspiré semble promettre davantage par rtiuploi constant du style direct, il ne faut pas perdre de vue que ce tour lui est imposé par la langue hébraïque. Cf. F. Phat, La Bible et l’Iiistoire, iyo4, p. l. A. n’en pas douter, les évangélistes nous ont gardé souvent les paroles mêmes du Sauveur ; on les reconnaît sans peine à une frappe inimitable ; mais cette littéralité ne résulte pas des exigences de l’inspiration. D’autres fois, ils ne nous ont gardé cpic le sens, ou même une simple identité d’intention. Le mot est de S. Augustin, et il a son importance. Voir ci-dessus (col. 760).
Les discours peuvent être résumés, développés ou combinés. Le plus souvent on les résume. C’est le cas de la plupart de ceux qui sont rapportés dans la Bible, même dans les Evangiles, où les conversations du Christ avec ses Apolres, avec les foules et avec ses adversaires, se trouvent d’ordinaire ramenées à un petit nombre de propositions. Tels qu’ils nous sont parvenus, ces discours auraient pris quelques minutes à peine. Par contre, telle parole a pu recevoir le court commentaire dont elle avait besoin pour être comprise avec toute son ampleur. S. Augustin a expressément formulé le principe dont s’autorise cette façon de rapporter les paroles d’auli’ul :
« Sive ad illuminandam declarandamque sentenliam,
nihil quidem rerum, verborum tamen aliquid addat, ille cui auctoritas narrandi concessa est. » De cons. Evang., II, XII, 28, P. ].., XXXIV, 1091. Avons-nous dans les évangiles synoptiques des exemples de ce procédé rédactionnel ? On en a fait la conjecture pour Marc, X, 12. Cf. Schanz, in li. l., - F. Pkat, U Evang. et la crili<jue, loc. cit., p. 677 ; mais la chose est contestable. Les discours combinés sont ceux qui réunissent des paroles prononcées en des circonstances différentes, l’hagiographe les a rap[irochées à cause de l’identité du sujet, et aussi parce que cette synthèse sert mieux le but qu’il se propose. Il semble bien que S. Matthieu affecte ces groupements homogènes par ex. chap. v-vii ; x, xiii, xxiii, xiv-xv. Déjà, dans la plus haute antiquité, il passait pour s’être attaché plus que les autres aux discours du Seigneur ; et les modernes tiennent grand compte de sa méthode synthétique, quand ils analysent le contenu de son Evangile.
4° De ce qui précède, il suit que des paroles se trouvent situées autrement qu’elles ne l’avaient été dans le cadre même des événements. Ce faisant, les évangélistes n’en ont faussé ni le sens ni la valeur ; mais ils en ont rendu l’exégèse plus difficile. Le danger,
— et on ne l’a pas toujours évité, — est précisément de se méprendre sur la réalité de leur situation, de les interpréter comme si ces logia étaient à leur place chronologique ; alors qu’ils ne relèvent que d’un contexte logique, et peut-être même de ce contexte psychologique, qui, d’après S. Augustin, n’est rien autre chose que la succession des souvenirs de l’écrivain. Dans ce dernier cas, ils n’ont, en réalité, aucun contexte. Ces c( sentences » disparates ont été la pierre d’achoppement des commentateurs, qui, per fas et nefas, ont tenté de les lier à ce qui précède et à ce qui suit. Ils n’y ont réussi qu’au détriment du sens. Mai.don.vt s’est montré plus judicieux. Maintes fois, il se plaint du manque de cohérence ; et il finit par
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conclure qu’il n’y a pas à chercher de contexte historique à certaines paroles, que les évangélistes ont rapportées à un endroit détermine, soit à raison des analogies du sujet, soit encore faute de pouvoir les placer ailleurs d’une façon plus satisfaisante. Cf. Maldonat, Cumment. in quai. Es’angelistas, In Malthæum, xi, 12 ; xxiii, 13 ; Marc., xiii, 1 1 ; ix, 50 ; in /.uc, XII, 49> <^tc. Saint Augustin avait déjà formulé, et en y insistant, cette règle d’exégèse. De tons. £vang., Il, XXI, 51-52 ; P. L.. XXXIV, 1102. Le grand discours eschatologique a toujours été une des croix des commentateurs. S’il est permis d’y voir dans Mat., xxiv-xxv, Marc, xiii et Luc, xxi une narration composite, qu’elle soit l’œuvre des évangélistes ou, beaucoup plus vraisemblablement, le fait d’une tradition antérieure ; — son sens devient plus distinct, plus coulant. Dès lors aussi, on se rend compte que Jésus a pu réellement tenir les propos que lui attribuent les textes, sans avoir cru à l’imminence de la fin du monde. Cf. P. Lagrange. flef. bibl., 1906, p. 382411 ; BUKKITT, The Gospel historv and its transmission, 1906, p. 62 ; E. Mangknot, Les évang. synoptiques, ujii, p. 280. M. Lv.pin, Jésus Messie et Fils de Dieu, 3’édit., 1906, p. Syij, lient cette explication non seulement pour possible, mais aussi comme « critiquement fondée ». Maldonat, In Marc, xiii, 11, avait frayé la voie aux modernes dans cette direction.
5" Tout procédé rédactionnel emporte une certaine interprétation du fait ou du discours rapporté. Loin d’altérer la vérité historique, cette intcr[irétation devient parfois nécessaire pour la protéger contre le déchet que sans cela elle subirait forcément, en l’absence des circonstances qui en déterminaient le sens et la portée pour les témoins immédiats. C’est la remarque judicieuse du P. Prat. « Plusieurs signes naturels ou conventionnels complètent ou précisent la pensée de l’orateur. Le geste, le ton de la voix, les antécédents, les instructions antérieures, les circonstances de temps et de lieu, les dispositions et les préoccupations de l’auditoire, tout cela restreint le discours ou l’étend au delà des simples paroles. Que doit faire en ce cas un liistorien consciencieux ? Il n’a que deux partis à prendre : ou bien, il mentionnera les circonstances nécessaires, pour apprécier la portée des paroles ; ou bien, il fera subir aux paroles un léger changement, qui restitue toute leur véritable valeur. » L’Evangile et la critique, loc. cit., p. 667. Cf. Hectierches de science religieuse, 1911, p. 296. Dans saint Matthieu, N.-S. parle du a Kciyaume des cieux », tandis que dans saint Marc et dans saint Luc, il parle du « Koyaume de Dieu » ; la substitution d’une expression à une autre n’est ])as fortuite. Dans le second livre des Rois, xxiv, i, c’est la colère de Dieu qui met au cœur de David la pensée de recenser Israël ; tandis que le premier livre des Paralipomènes, xxi, 1, l’attribue à Satan en personne, comme dans le cas de Job. L’interprétation doctrinale est manifeste. Il semble bien que, dans les Evangiles, certaines paraboles aient été l’objet d’une légère adaptation, non pas certes fin sens de JiiLicHBR, /)ie Oleichnisreden Jesu, 18<j(), iideL, oisy, Les paraboles de l’Evangile, dans Etudes éyangéliques, 1901 ; comme si les évangélistesou la tradition chrétienne avaient tourné en allégories prophétiques les simples fables dont Jésus-Christ se serait servi, mais uniquement dans ce sens que, grâce aux premiers prédicateurs de l’Evangile, ces enseignements divins ont été constamment tenus, sans altération proprement dite, à la portée de l’intelligence et des besoins présents des fidèles. De là ces modalités divergentes que l’on remarque non seulement dans les détails du récit fictif de la parabole, mais jusque dans les applications doctrinales.
Les commentateurs catholiques ne s’accordent pas sur le point de savoir s’il faut distinguer foncièrement la parabole des talents (Matth.) de celle des mines (ii/f), la parabole du grand festin (i » c)de celle des noces du fils du roi (Maltli.). Ceux qui, après Maldonat et D. Calmet, les confondent doivent, en définitive, mettre les différences au compte de l’activité rédactionnelle. Tout le monde convient, — et il le faut bien, — que la parabole des vignerons infidèles est identique, bien qu’elle se lise dans les trois évangiles avec des divergences de détail assez notables. Quelle est la meilleure façon de ramener le triple récit à l’unité ? On peut voir à ce sujet d’une part L. FoNCK, Die Parabeln des Ilerrn im Evangelium, 1902, p. 338 ; et, d’autre part, Mgr Le Camus, Vie de IS’.-S. Jésus-Christ, 9* édit., 1907, III, p. 63. — M. Man-GENOT, Les Evangiles synoptiques, 191 1, p. 2^1, estime que c’est à un procédé rédactionnel que nous devons la ditférence qu’il y a entre saint Marc, iv, 1 1-12, et les deux autres évangélistes, loc. parai., sur le sens et la portée de l’enseignement en paraboles dans la bouche du Seigneur.
6" Avant que d’assigner des limites à l’activité rédactionnelle, on doit se rendre compte du talent particulier de l’auteur, comme aussi, et surtout, des habitudes littéraires de son époque. Or, le génie hébraïque se complaît à dramatiser non seulement le récit des événements(comme l’y oblige plus ou moins l’absence de style indirect), mais encore les mouvements de la vie intérieure ou les mystères du monde invisible. De là, dans la lîible, des mises en scène capables de donner le changea un lecteur moins averti que de juste. S. Thomas ne s’y est pas trompe. Il estime que la grande théophanie qui termine le livre de Job, xxxviii-xLi, peut n’avoir été qu’une révélation intérieure projetée au dehors. Jn Joh expositio. Opéra omnia, edit. Parm., XIV, p. 126. A plus forte raison admet-il que la scène initiale de ce même livre, où Satan nous est représenté comme ayant ses entrées libres dans le conseil de Dieu, doit être mise au compte de l’activité littéraire de l’hagiographe. Ibid., p. 5. Mais cette scène rappelle de très près celle qui se rencontre ailleurs, dans un livre proprement historique, lU Heg., xxii, 15-23, où le prophète Miellée voit le Tout-Puissant tenant conseil, assis sur son trône, au milieu de ses ministres et assesseurs. Il leur demande lequel d’entre eux ira séduire Achab. Et voilà que l’Esprit d’erreur sort des rangs, s’offre pour cette mission, et obtient de Dieu le congé qu’il sollicite.
Et le serpent tentateur de la Genèse, iii, 1-6, a-t-il réellement parlé ? « Non seulement, répond le P. Bruckkr dans les Etudes, igo6, t. CIX, p. 798, le serpent ne parla point, mais il n’est pas même hors de doute que Satan, qui, lui, pouvait se faire entendre à Eve de telle façon qu’elle crût voir et entendre parler le serpent, ait articulé au dehors les discours que lui prête la Bible. On sait que l’auteur de la Genèse a l’habitude de mettre en discours toutes les pensées de ses personnages, et il n’y a rien d’impossible à ce que tout le dialogue d’Eve avec le tentateur se soit déroulé dans son àme. Ceci est également une opinion du cardinal Cajetan, t|u’on est libre de suivre, si l’on trouve encore après cela un rôle quelconque à donner au serpent. » La Commission biblique. Décret du 30 juin 1909, iii, se borne à dire : K diabolo sub specie serpentis suasore ».
/3) Conséquences de la théorie des procédés rédactionnels. — 1" Réduite à de justes limiles, la distinction entre un élément primitif et un développement postérieur est légitimeen soi, possible en quelque cas ; l)ien que son application reste périlleuse à cause du tact et de la prudence qu’il convient d’y apporter. Le 773
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caractère historique du texte y gagne en précision, et sa valeur dogmatique n’y perd rien. L’élément rédactionnel fait partie intég-ranle ilu texte inspiré, et se trouve dès lors sous la garantie de l’Ecriture. Le théologien peut donc en argumenter, comme l’on fait de la parole de Dieu. Si ces modalités sont de l’Iiagiographe en personne, elles se trouvent légitimées directement par la gràcede l’inspiration ; si elles sont l’œuvre dune tradition antérieure, parle fait même que l’écrivain inspiré les a accueillies, elles participent à l’autorité du texte dans les conditions générales que nous avons dites. Ce n’est pas qu’elles perdent leur caractère rédactionnel, mais elles sont aulhentiquement reconnues comme une adaptation légitime de l’élément traditionnel primitif parcelui qui avait qualité pour le faire ; ’i itle cui auctoritas narrandi cimcessu est », disait S. Augustin. Seulement, l’exégète et l’apologiste doivent s’attacher, dans l’analyse qu’ils font du texte, à distinguer les divers éléments qui en expliquent l’origine. Ils se garderont d’additionner les modalités qui tiennent à la rédaction, comme si, par leur total, on devait obtenir une représentation plvis complète de la réalité historique ; des équivalents se remplacent mais ne s’ajoutent pas. Dans S. Matthieu, xxv, 15, il est question de talents, et dans saint Luc, xix, 13, de mines ; les sommes distribuées sont inégales et fructilienl inégalement, mais il reste dans les deux évangiles analogie de situation et identité d’enseignement. C’est pour avoir supposé, sans preuve sullisante, que tous les détails du quadruple récit de l’histoire évangclique devaient invariablement s’additionner, que des commentateurs ont trovivé que S. Pierre avait renié son Maître non pas trois fois, mais six fois (Denys le Chartreux), et même sept fois (Cajrtan). Maldonat, in Matlh., xxvi, 71, est dur, mais juste, pour cette manière de traiter l’Evangile.
a" Pratiquement, la plupart des exégètes, mêmedu côté des plus conservateurs, recourent çà et là à la théorie des procédés littéraires (moins le nom), pour accorder les textes entre eux. Qu’on lise l’exposition de la parabole des Vignerons, aussi bien dans Knabenbauer et Fillion que dans Maldonat et D. Calmet, et l’on constatera qu’en dclinitive ils en viennent à dire qu’en dépit des menues dilTérences la parabole reste substantiellement identique. Ailleurs, M. Fillion, in Matth., p. 897, écrit à propos des aveugles de Jéricho : a Mais c’est là une anticipation sans importance, une de ces petites licences que les historiens se permettaient fréquemment et qui n’atteint en rien la substance du récit ». Récemment encore, dans son ouvrage sur les Miracles de.V.-.S’. Jésus-Clirist, 1912, t. I, p. 1 16, le même auteur avertit qu’il ne croit pas devoir recourir à la méthode d’i harmonie à outrance, d’après laquelle tous les détails exposés par chaque évangéliste auraient eu une réalité objective et se seraient passés tels qu’ils sont r.iconlés… Quoique excellente parfois, cette méthode n’est pas toujours la meilleure, ni la plus vraie… Mieux vaut reconnaître simplement qu’il existe çà et là, très rarement, des variantes réelles dans les récits de certains miracles ; mais hàlons-nous d’ajouter qu’elles n’ont rien d’essentiel et qu’elles proviennent, soit de la tradition orale, soit des documents écrits dans lesquels avaient puisé les évangélistes. » Dans une vie de Jésus-Christ, qui a eu six éditions du vivant de son auteur, Mgr Le Camus en appelle couramment à l’activité rédactionnelle des Evangélistes ou encore aux légères variantes des traditions qu’ils ont accueillies. Voici quelques passages plus caractéristiques, cités d’après la sixième édition : t. 1, p. 55, 2H0, 314, 326, 364, 371. 403, 413, /)i/(, 4’8, 419. 431, 4’, i, 454 ; t. 11, p. 20, 52, 67, 83, 1O4, 175, 181 ;
t. III, p. 13, 50, 63, 215, 372, 376, 413, 415-416, 469.
L auteur a expliqué et défendu sa méthode dans la brochure Vraie et fausse e.régèse, 1903, p. 13-17.
D’ailleurs, on peut se réclamer ici de l’exemple et de l’autorité des auteurs mêmes du Nouveau Testament. C’est un fait reconnu de tous que le plus souvent ils citent l’Ecriture d’ajirès la traduction grecque dite des Septante, même quand cette version présente des divergences accidentelles d’avec le texte original (voir ExiiGÉSR, col. 1817). L’auteur de l’Epitre aux Hébreux, x, 5, cite le psaume xxxix, 6, Corpus autein aptasli mihi (d’après les Septante) ; alors que l’hébreu, suivi par notre Vulgate latine, porte Jures autein perfecisti mihi (littéral, peifurasli, id est apertas seu dociles fecisti). Nonobstant ces nuances de sens, le texte reste, sous la double forme, sulUsamment expressif de l’obéissance du Christ dans son sacrilice ; seulement l’argumentation est plus directe avec la version grecque.
m. La Bible et les sciences de la nature. — C’est principalement au nom des sciences de la nature que l’on a attaqué l’inerrance biblique. Un principe déjà formulé parles anciens, autorisé récemment par l’Encyclique l’rovid. iJeus, Denz.’", 1947, et, à cause de cela, couramment reconnu aujourd’hui, c’est que « Dieu ne s’est pas proposé d’enseigner aux hommes des notions profanes, sans nul prolit pour leur salut ». Ve Gen. ad lilt., II, ix. De ce principe découlent rigoureusement les conclusions suivantes :
1° En matière d’histoire naturelle, de géologie, de cosmographie, etc., la Bible n’a pas d’enseii ; nemeni. Il est vrai que fréquemment la Bible et les sciences naturelles traitent des mêmes objets : l’homme, le monde, ses phénomènes, etc. ; mais elles les envisagent de points de vue différents. L’Ecriture ne parle de ces choses que pour nous enseigner la place qu’elles ont dans le plan divin, au regard des destinées de l’homme. A cette liii, il sutlisait à l’hagiographe de les décrire comme on faisait couramment autour de lui, d’après l’expérience directe des sens, qui nous renseignent sur les apparences. Cf. Denz.’", 1947. L’auteur de la Genèse a bien pu écrire, sans erreur, que « Dieu lit deux grands luminaires, le plus grand pour présider au jour, et le plus petit pour présider à la nuit » ; miiis si son but eût été de nous apprendre le rôle du soleil et de la lune, dans le système général du monde, son assertion serait erronée. L’ange Raphaël lui-même parle des propriétés du fiel de poisson d’après l’opinion populaire. Toh., VI, 9. Cf. L. FoNCK dans f.exic. biblicum, II, col. 270.
2" Et donc l’exégèse scientihque (je ne dis pas l’exégèse savante), celle qui prétend expliquer le texte biblique d’après les données des sciences naturelles modernes, part d’un faux supposé. Si le premier chapitre de la Genèse a été conçu d’un point de vue religieux pour nous enseigner que Dieu a tout créé de rien ; s’il a été rédigé d’après les apparences ou, tout au plus, d’après les données de la science d’alors ; pourquoi vouloir y retrouver les périodes géologiques de la science moderne ? Pour devancer Newton, Cuvier et Ampère, Moïse eût eu besoin d’une révélation’t scientifique » de premier ordre. Cette révélation n’est pas impossible, mais il n’est pas prouvé qu’elle ait eu lieu. Aussi bien, le système apologétique (d’origine protestante), qui a trouvé tant de faveur pendant le xix" siècle, sous le nom de a concordisme scientifique » ou de « périodisme biblique », est aujourd’hui de plus en plus délaissé. Pour se rendre compte du changement de position qui s’est fait sur ce terrain, il siifiit de comparer ce que M. Hamabd écrivait il y a moins de vingt ans dans le Dictionnaire de la Bible (Vigouroux), II, io34, 775
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avec la conclusion d’un docte théologien, le R. P. Jans-SENS, O. S. B., De Deo créature, qui date de 1906 :
« Quare, ut aliqualiter stare possit sententia periodistica,
oportet ut largissimo sensu concipiatur. Secus, in scientiûca tam aperte olTendit, ut lextum sacrum neduui tueatur, peritorum derisui exponat » (p. 33a). Cf. VAN NooHT, De Deo creatore, 1908, p. 23. En définitive, le concordisme scientilique contemporain relève du même présupposé que le péripatélisnie ljil)Iique des juges de Galilée, savoir qu’en ces matières la Bible a dû s’exprimer d’ai)rès la réalité objective des choses. Toute la diirérence consiste en ce qu’autrefois on prétendait régenter les sciences au nom de la Bible, tandis qu’aujourd’hui on s’attache plutôt à expliquer la Bible d’après les sciences. C’est pourquoi l’exégèse et l’apologétique ont évolué au gré des hypothèses scientiliques : hier, on interprétait le texte sacré d’après Laplace, aujourd’hui on suit Faye, l’exégèse de demain s’attachera à l’astronome en faveur. Pour accorder la Bible avec les données de la science, on a fait violence à son texte dans tous les sens. Ce n’est pas honorer la parole de Dieu, nxais la rapetisser et la travestir que de l’interpréter de la sorte.
Ici se présente une objection. En répondant aux attaques dirigées contre la Bible au nom des sciences de leur temps, les anciens, notamment S. Augustin et S. Tuo.mas, ont donné à connaître qu’ils regardaient comme traditionnel le principe du concordisme biblique scientifique. Seules, les applications ont varié avec les transformations de la science. On peut répondre brièvement, y) Un essai de concordisme se comprend de la part de S. Augustin et de S. Thomas. La science de leur temps ne différait pas sensiblement de celle qui avait conditionné la rédaction du texte sacré ; elles reposaient l’une et l’autre sur l’observation directe des sens et parlaient le plus souvent la langue populaire. /3) Leur but était polémi(iue, il leur sullisait d’établir que le texte biblique ne s’opposaitpas, du moins certainement, aux conclusions que les philosophes d’alors tenaient pour certaines, y) Il s’en faut que, même dans ces limites, ils aient eu conscience d’avoir toujours réussi. C’est alors que, réduite aux abois, leur apologétique a formulé le principe libérateur : la Bible ne prétend ni à la i)récision, ni au langage scientilique. à) En exégèse, ils ont distingué entre le commentaire doctrinal et le commentaire scientilique. II est célèbre, le texte de S. Thomas sur la cosmogonie mosaïque. K En ce qui concerne les origines du monde, écrit il, il y a une chose qui appartient à la substance de la foi : savoir, que le monde a commencé par la création, et, sur ce point, tous les saints (Docteurs) enseignent de même. De savoir, au contraire, comment et dans quel ordre il a été produit, c’est ce qui n’appartient pas à la foi, sinon incidemment, en tant qu’il en est question dans l’Ecriture, dont la vérité peut être sauvegardée de bien des manières ; aussi bien, sur ce point, les saints (Docteurs) ont proposé diverses explications, v In If Sent., d. 1’?, q. l, a.’2. A lire dans S. Augustin, De Genesi ad litteram, et dans S. Thomas, De opère sex dierum, p. i, q. 65-’ ; ^. Une récente réponse de la Commission pour les études bibliques (30 juin 1909) vient de reconnaître officiellement la liberté d’interprétation au sujet de la cosmogonie mosaïque. Cf. Denz.’*, 2124-2128. En permettant d’entendre le jnoi yôm (jour) a soit au sens propre pour un jour naturel, soit au sens impropre pour un certain espace de temps », la Commission envisage la question du point de vue du dogme ou encore de l’exégèse traditionnelle ; il appartient à l’herméneutique rationnelle de décider lequel de ces deux sens convient en effet au texte sacré.
3° Si, franchissant le terrain propre des sciences particulières d’observation, on venait à tourner leurs résultats contre quelque doctrine biblique, jjar ex. la création ; S. Augustin a nettement marqué l’attitude que devrait prendre alors le croyant. « Quoi que ce soit que les gens qui aiment à calomnier les Livres de notre salut puissent établir par des documents véridiques, relativement aux phénomènes de la nature, montrons que cela n’est pas contraire à nos saintes Lettres ; et s’ils tirent quelque chose de leurs livres à eux qui soit réellement contraire à ces Ecritures, c’esl-à-dire à la foi catlwlique, faisons voir de quelque manière, ou du moins croyons sans hésiter ijue cela est complètement faux. » De Genesi ad litteram, I, x.xi, ! i ; P. L., WW, 262. Mais c’est abusivement que l’on parle encore ici de géologie, d’astronomie ou d’anthropologie ; en réalité, le problème a été transporté dans la sphère de la spéculation philosophique, où peuvent seulement se résoudre les questions qui concernent l’origine des choses. Le conflit se produit dès lors entre le dogme et les prétentions de la Science, en entendant par là cette synthèse des connaissances purement humaines que volontiers l’on oppose aujourd’hui à la Révélation divine. C’est de ces hauteurs où la pensée de l’homme risque de se heurter à la pensée de Dieu, que brille la lumière directrice de la Foi sur toutes les sciences particulières. Cf. Dknz., 1635, 1817. Cette distinction permet de reconnaître, avec Léon Xlll, l’autonomie des sciences particulières. Il est dit dans l’encjclique Profid. Deus « qu’il n’y a pas de véritable conflit à craindre entre le théologien qui se réclame du document biblique et le physicien qui se réclame du document scientilique, tant que l’un et l’autre parleront de ce qu’ils savent pertinemment et resteront sur leur propre terrain ». Dknz., 19^7. H est vrai que, dans la même encyclique, on avertit l’exégète que « la connaissance des choses de la nature lui sera utile ». C’est que, pour avoir raison des sophismes(erty)ùone.s) de ceux qui attaquent la Bible au nom des sciences modernes, il faut commencer par comprendre leur langue. Il y a plus et mieux. Si les sciences d’aujourd’hui ne nous suggèrent pas positivement la manière d’entendre le texte biblique, elles peuvent du moins exclure telle ou telle interprétation. C’est ainsi que la géologie a fait voir l’impossibilité de l’explication qui supposait que Dieu avait réellement créé le monde en six jours de vingt-quatre licures. Cf. J. Guibbrt. Les Origines. Questions d’apologétique, Paris, 1896, igio.
IV. La Bible et l’histoire. — i" On se demande s’il n’y a pas lieu d’étendre au récit historique l’application du principe de « l’opinion populaire fondée sur une connaissance superlicielle des faits ». Ceux qui inclinent à répondre aflirmativement font valoir l’analogie des matières, le sentiment de S. Jérômk et l’encyclique Profidcntissimus Deus. On peut lire à ce sujet, d’une part : P. LAonANGit, Méthode liisiorilyue (Paris, 1908), p. io4 ; Eclaircissement de la Méthode historique (Paris, 1906) ; Reyue biblique, igo5, p. 622 ; P. DE HuMiMKLAUER, Exegctisches zur Inspiratiottsfrage (Freiburg i. B., 1904), p. 9 ; Bonaccorsi, Questioni bibliche, 1904, p. lof) ; et d’autre part : P. Dklatthe, Autour de la question biblique (Liège, 1904) ; Le Critérium à l’usage de la nouvelle exégèse biblique (Liège, 1907) ; P. Murillo, Criticii y Exegesis (Madrid, 1906) ; P. Fonck, Der Kaiiipf um die IVahrheil der heil. Schrift seit 25 lahren (Innsbruck, 1906), p. 189 ; P. Pesch, De inspir. s. Script., p. 619.
(/) L’analogie des matières. — Personne ne soutient qu’à propos de l’inerrance on puisse i)arler de l’histoire exactement comme on fait quand il s’agit des 777
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choses de la nature ; même les partisans de l’opinion la plus avancée font ici des réserves, et volontiers ils se rangent à la l’orniule du P. Cohnkly, « muta-Jis mutandis ». //(. ; /. et cril. Inliud. gen. in U. T. liOros sacras, 1885 ; i, p. 584. Seulement, ils font <d)server qu’il y a dans la Bible nombre de faits d’ordre profane dont la certitude n’est ni nécessaire, ni directement utile à son but religieux. Dans ces conditions, pourquoi n’aurait-il pas sufB aux historiens sacrés de les rapporter comme on faisait autour d’eux ? Ils pouvaient bien s’en tenir au témoignage des documents qui étaient à leur disposition. Au reste, avaient-ils le moyen d’en agir autrement, à une époque où la critique historique était encore à naître ? Or, des sources non critiquées ne donnent que les apparences des faits, d’après l’adage funles surit apparentiæ fiictoriim. Comme pour les phénomènes naturels, il peut arriver que les apparences soient conformes à la réalité des clioses, mais il peut se faire aussi qu’elles ne le soient pas ou ne le soient qu’iuiparfaitement. Bien plus, il est des événements, par exemple ceux de l’histoire primitive, pour lesquels le témoignage écliappe depuis longtemps au contrôle de la critique ; l’historien doit se contenter ici de la forme concrète que le fait a prise dans la mémoire des hommes ; c’est là, a-t-on dit élégamment, son (( état civil ».
Ces considérations peuvent bien amener à se demander si l’historien sacré a invariablement pris une même attitude vis-à-vis de tout le contenu de son récit, sans distinction ultérieure : s’ila usé de citation implicite, s’il n’a pas rapporté une tradition populaire, plutôt qu’une histoire proprement dite ; mais elles ne sauraient supprimer les différences qu’il y a, dans la Bible, entre l’histoire et les choses de la nature. On peut ramener ces différences à trois principales.
« ) Les notions d’Iiistoire naturelle ne se présentent
pas dans le texte inspiré à l’état de choses afllrniées pour l’intérêt qu’elles ont en elles-mêmes, comme si de leur vérité objective dépendait l’enseignement du texte sacré ; tandis que les faits historiques doivent être, généralement parlant, considérés comme objet direct d’assertion ; en les rapportant, les historiens inspirés ont bien l’intention de les attester, bien qu’ils le fassent en vue du but religieux qu’ils se proposent., 5) La raison de cette première différence, c’est que la réalité intime des phénouièues de la nature n’a rien à voir avec l’économie de notre salut, tandis que l’histoire sainte n’est pas autre chose que la suite des interventions divines pour la rédemption du monde, y) Ni l’Ecriture, ni l’Eglise n’ont jamais proposé à notre foi un seul des phénomènes de la nature, alors que les Evangiles et les Symboles sont remplis de faits historiques qui s’imposent à la foi du chrétien. S. Tho.mas, De veritale, q. xiv, a. 8, ad i, a raison de distinguer l aspect religieux par lequel un fait devient objet de foi de l’aspect par lequel il reste du domaine de l’histoire, par exemple l’article du Symbole passas sub Pontio J’ilato : mais il ne faut pas perdre de vue que ces deux aspects sont inséparables, la réalité historique étant le support nécessaire de sa valeur dogmatique. Si l’on met en doute le fait de la passion de Jésus, le dogme lui-même de la rédemption du monde par la mort du Fils de Dieu sur la croix s’en trouve essentiellement altéré. On dira sans doute que le rapport entre le fait et la vérité d’ordre religieux qui s’y trouve appuyée n’est pas toujours aussi étroit ; et que, de ce point de vue, il y a une grande différence entre la mort d’Antiochus et celle de Jésus, entre le changement du pain dans le corps du Christ et le changement de la femme de Lolh en une statue
de sel. C’est incontestable, mais il n’en reste pas moins vrai que tout ce qui se trouve consigné dans la Bible a quehjue rapport avec son enseignement religieux. C’est précisément parce que ce rapport n’est pas invariablement le même que l’on distingue dans le contenu des Ecritures un objet principal et un objet secondaire. La distinction des retelata per se et des revelata per accidens (en entendant ici la révélation au sens large du mot) est classique ; elle remonte à S. Thomas. Seulement, cette distinction n’est recevable que sous le bénéfice d’une double réserve. i°) La substance de l’histoire sainte et nombre de faits particuliers, comme les mystères de la vie de N. S., appartiennent à l’objet princijjal ; dans ce cas, faits historiques et vérités dogmatiques ne font réellement qu’une seule et même chose. 2") L’objet secondaire lui-même n’est pas resté en dehors de l’influence inspiratrice et, par conséquent, de l’inerrance qui s’ensuit nécessairement. La certitude du récit biblique ne se mesure pas seulement à l’autorité du témoignage historique, elle dépend encore de son caractère dogmatique. Il appartient à l’Eglise, maitresse de la vérité révélée, de dire avec autorité dans quelle mesure l’histoire se trouve être liée avec le dogme. En dehors de tout secours du magistère ecclésiastique, peut-on analyser exactement le récit que fait la Genèse de la chute originelle ?
/’) I.e sentiment de S. Jérôme. — Pour justifier Jérémie, xxviii, lo, d’avoir donné au pseudo-prophète Hananias le nom de prophète tout court, S. Jérôme fait une observation d’une portée plus générale.
« Quasi non mulla in Scripturis sanctis dicantur
juxta opinionem illiiis temporis quo gesla referuntur et non juxta qund rei veritas conlinehat. » P. L., XXIV, 855. Pareillement, à propos de la tristesse manifestée par Hérode, DIattli., xiv, 8, lors de la décapitation de Jean-Baptiste, — tristesse que S. Jérôme croit avoir été feinte, — le saint Docteur ajoute :
« Consuetudinis Scripturarum est, ut opinionem multoriim
sic narre ! historiens quomodo eo tempore ab omnibus credebatur. u P. L., XXVI, 98. Enfin, pour rendre compte de l’appellation courante qui faisait de S. Joseph le père de Jésus ii, il écrit dans le même sens : « Excepto Joseph et Elisabetlt et ipsa Maria, paucisque acfmodum, si quos ab his audisse possumus aestimare, omnes Jesum fîlium aeslimabant Joseph ; in tantum ut etiam Eyangelistæ opinionem vulgi exprimcntes, quæ tera historiæ lex est, patrem eum dixerint Sah’atoris. >. C. Helvid., i, 4 ; P. L., XXIII, 187, cf. Iliid., looi. On peut accorder, si l’on y tient, que S. Jérôme a excédé, ou qu’il a usé de concession oratoire, — ce qui est tout à fait dans sa manière ; — maisil ne paraît pas possible decontesterque le principe formulé par lui dans les textes cités, surtout dans le dernier, n’ait une portée plus générale que les applications particulières qu’il en a faites. Et c’est bien de la sorte que le P. Cobnbly l’a entendu, quand il s’en réclame pour préciser le degré d’exactitude historique, qu’il convient de reconnaître aux deux documents qui ouvrent le second livre des Macchabées. Introd., spec. in libros. V. T., 1887, I, I, p. /169 ; il fait même dans l’Introduction générale, I, p. 603-006, une théorie à ce sujet. « Maxirai moment ! est hæc S. Doctoris observatio, qua nos monet, ne Scripturarum verba secundum hodiernum scienliarum statum premamus, sed ex sacrorum scriptorum mente et intentione explicemus. Quoi difficultates nunquam essent proposilae, si omnes interprètes semper S. Hieronyrai monitum præ œulis habuissent ! » (p. 604).
A l’autorité de S. Jérôme, l’auteur eût pu ajouter celle de S. Bèdb, P. /,., XCII, gSS, 974, 1022 et de S. Thomas, II » II", q. 174, a. 5, ad 4, qui accorde 779
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que l’Ecclésiastique, XLvi, 23, en écrivant du prophète Samuel : et exaltavil locf m sitam de terra in prophetia (allusion à la scène d’Endor, 1 Heg., xxviii, 16), a pu ^’exprimer de la sorte d’après l’opinion que Saûl et les personnes présentes se faisaient de l’évocation de l’ombre du prophète.
On peut reconnaître tout cela sans accorder pour autant qu’au sentiment de S. Jérôme Yopiniun est la loi souveraine de l’histoire. Dans tous les cas envisagés par le saintDocteur.ce qui relève de l’opinion, ce n’est pas le fait lui-même, mais sa nature intiuie, sa cause, son explication, (jiie l’on ait appelé Hananias prophète, qu’Hcrode ait manifesté de la tristesse, que les contemporains de Jcsirs-Christ l’aient cru et dit lils de Joseph, que Saiil ait pensé entendre la voix de Samuel : tels sont les faits attestés par le récit de l’Ecriture, et qui certes n’y sont pas donnés comme reposant sur de simples on-dit. Mais s’il s’ajfit de savoir dans quelle mesure ces manières de parler et de juifer reposaient sur une interprétation exacte des faits, l’hagiographe se tient alors à l’opinion courante. Par ce coté, certains événements se rapprochent des phénomènes de la nature. Encore est-il que dans deux des cas énumérés ci dessus (les seuls incontestables), l’hagiographe donne nettement à entendre que l’opinion populaire n’était pas conforme à la réalité des choses. Tout au plus, pourrait-on dire que certains documents historiques, les généalogies par exemple, ne sont pas d’ordinaire susceptibles d’une vérité plus grande que celle qu’ils ont in e.ristimiilione Imminam. Une généalogie atteste que, si les choses se sont passées normalement, X a engendré Y. Si les documents généalogiques qui figurent dans la Bible peuvent prétendre à plus d’exactituile, ce n’est pas au nom des exigences de l’histoire.
c) L’encyclique ProvidentissimusDbus. — La théorie du P. CoHNBLY se trouve assez bien résumée dans rencycli<|ue, Dknz.’", igig, où il est dit : « Hæc ipsa deinde ad cognatas disciplinas, ad hifitoriani jiritesertim. juvahit Iransferri. » Gettesimple [jlirase, jetée comme en passant et à la dérobée, est chargée de conséquences, puisque les principes en question, dont il est dit o qu’on pourra lesappliqueraux sciences voisines et notamment à l’histoire », sont ceuxlà mêmes que nous venons d’exposer pour les sciences naturelles. La querelle qui s’est engagée sur le sens du document pontilical, n’est pas une pure alfaire de mots : il y a au fond de la question un problème d’intérêt général ; maison doit convenir qu’il est très complexe, encore imparfaitement élucidé. Il semble bien que la portée du passage a été exagérée en sens contraires. Au demeurant, ledissentiment ne saurait guère porter que sur les applications, puisque tout le monde convient qu’il ne s’agit pas d’apprécier le récit historiiiuc et la description des phénomènes de la nature d’après une commune mesure, mais seulement mutatis muiandis.
^"Procédés pratiques pour résoudre les difficultés d’ordre historique. — Ces procédés ne sont que des applications des principes développés dans la première partie de cet article (col. 767), et notamment de ce qui a été dit à propos de V « assertion » de l’auteur inspiré et de l’a expression » qu’il lui donne d’ai)rès les divers <i genres littéraires ».
a) C’est surtout dans les textes historiques que l’on doit commencer par se demander si l’original n’a pas été altéré. Il est certain que la transmission des textes s’est faite dans des conditions défectueuses. Tous les livres canoniques offrent dans leur teneur jtrésente des altérations. Les noms propres et les chiffres ont iiarticulièrement soulfert. U est
trop clair que Saiil ne monta pas sur le trône à l’âge d’un an et qu’il a régné plus de deux ans, en dépit de la leçon actuelle de I lieg., xiii, 1. Voir Textes DB l’Ancie.n et uu Nouveau Testa.ment. Cependant, il ne faut pas recourir à l’hypothèse d’une altération sans raison positive et uniquement i)Our sortir d’embarras ; car la solution serait, dans ce cas, pire que la dilliculté, elle ferait planer le doute sur tout le texte des Ecritures. Cf. L’autorité de la Bible en matière d’histoire dans la « Revue du clergé français ii, I déc. 1902, p. 26-27.
h) Avant de prétendre et surtout d’accorder qu’il y a incompatibilité entre les données d’un auteur profane et celles de la Bible, on s’assurera du sens exact et de la portée des deux textes affrontés. La précipitation a été cause qu’on a soulevé beaucoup de dillicultés sans fondement solide dans les textes eux-mêmes. L’Exode xv, nj, ne nous oblige pas d’admettre que le Pharaon oppresseur a été personnellement enseveli dans les eaux de la mer Rouge (voir Egypte, col. 1310). L’auteur dusecond livre des MacchabéeSj VIII, 16, ne se prononce pas sur l’exactitude de tout ce que iyidas a^ait entendu dire des Romains, en particulier u qu’ils obéissaient tous à un magistrat uni(pie, sans rivalitésni intrigues ». On devrait avoir sans cesse devant les yeux la règle d’or de S. Augustin, reproduite dans l’encyclique l’rovid, JJeus : « Ne aliquid temere et incognitum pro cognito asserant… Nihil temere esse affirinandum, sed caute oninia modesteque tractanda. » Dans le cas d’une contradiction irréductible, le croyant prendra le parti de la Bible ; à moins qu’il ne préfère attendre de l’avenir la solution de la dilliculté. L’histoire des découTcrtes modernes nous apprend que des objections réputées insolubles il y a cent ans, et hautement invoquées contre l’autorité du texte sacré, ont fini par tourner à sa justification. Demain, peut-être, quelque document nouveau permettra d’accorder l’auteur des Actes, V, 36-87 et l’historien Josèphe sur la question des soulèvements provoqués par Theudas et Judas le Galiléen. Mais, mettons les choses au pire en supposant que les deux récits sont réellement incompatibles, pourquoi l’autorité de Josèphe l’emporterait-elle sur l’autorité de S. Luc ? Voir Cbitiqub biulujob, col. 81 3.
c) U arrive fréquemment que deux récifs sont contradictoires seulement en apparence. C’est qu’en dépit des circonstances semblables qu’ils présentent, en grand nombre peut-être, ils n’ont i)as un même objet. La plupart des apologistes pensent que S. Jean, 11, 15, raconte un fait dilTérent de celui qui se litdans les évangiles synoptiques ; J.-C. aurait chassé les vendeurs du temple deux fois ou même davantage. On n’a pas prouvé ((u’ils aient tort.
d) Il peut se faire que deux récits se complètent. Dans ce cas, les circonstances différent mais ne divergent pas. C’est de la sorte que S. Matthieu et S. Luc ont i)u raconter l’enfance de N.-S. sans se rencontrer sur beaucoup de points. Leurs différences s’expliquent par les conditions diverses dans lesquelles se sont formées les traditions dont ils dépendent. D’autres fois, les diversités de deux récils résultent de procédés rédactionnels, et c’est par voie d’équivalence qu’on les ramènera à l’unité. De ce que dans S. Matthieu, xxvi, 8, tous les disciples indignés dcmandeniutquid perdilio liæc ? aorii ({ie dans S. Jean, XII, 4-5, la plainte est formulée par l’Iscariote seul, il ne s’ensuit pas que les textes aient trait à deux événements distincts.
e) Un même fait peut prendre des aspects assez différents selon qu’il est raconté en prose ou dinnté poétiquement. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer le récit des livres historiques avec certains 781
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psaumes (i.xx VII, civ-cvi, cxxxiv, cxxxv) qui reprennent l’histoire d’Israël, comme fait un poète. Même dans un livre proprement historique ou même dogmatique, il peut se faire qu’on rencontre çà et là des traditions populaires. En principe, rien ne s’oppose à ce qu’un historien inspiré les « rapporte », ou encore les n utilise » en vue du but qu’il se propose. Cf. Bainvel, /^e." « ’cri^i. sacra, p. 153-155, 1^7. En fait, ce n’est pas un état de choses à supposer ; on ne l’atlirmera que sur bonnes preuves et en réservant le jugement éventuel de l’Eglise. Décret, commiss. hihlicae, 26 juin igoô ; Dbnz.’", lySo. De graves auteurs ont entendu de la sorte l’altercation entre .S. Michel et le diable au sujet du corps de Moïse, dans répître de S. Jude, g ; ou encore les mœurs des <lémons qui aiment les lieux solitaires et sans eau, dans S. Matthieu, xii, 43. Cf. Doin Calmet, in h. t. et Bacuez-Brassac, Manuel biblique, igii.n" I131. S. Paul a-t-il fait allusion à une légende rabbinique en écrivant du Christ qu’il était » la pierre spirituelle qui accompagnait Israël dans le désert ? » I Cor., X, 4. Des exégèles catholiques (Maikr, BisriNG, Drach, Lkmo.n’nyer) ne font pas dilliculté de l’accorder, malgré les réclamations du P. Gounfly, ///. h. l. Le P. Knabenbauer, Comm. in duns lihr., Macchnb., 1907, p. 292, voit une tradition populaire dans l’anecdote du feu sacré retrouvé par Néhémie (II Macch., I, 18-2li) ; « tradilio quædam popularis <iua raandatuni illud legis Levit., vi, 12, de igné in altari semper ardenti illustratur ».
Les élymologies des noms propres (et il y en a beaucoup dans la Bible) réfléchissent souvent les crojances populaires. Il est bien difficile d’expliquer autrement le triple rapport que le texte des Juges, XV, 17-19. met entre la mâchoire d’âne de Samson, le mamelon dit de la Mâchoire et la fontaine Ain liaqqôré. Autour d’un même nom se forment parfois deux ou trois traditions qui en expliquent l’origine, et chaque tradition a sa raison d’être. C’est un fait que le sens et l’origine du nom de Bersabée sont expliqués de deux façons différentes dans la Genèse,
XXI, 31 ; XXVI, 33. Cf. Dict. de la fii b te (Vigourousi), II, 1629. En comparant S. Matth., xxvii, 8, avec les Actes, I, 19, on se demande s’il ne faut pas en dire autant d’Haceldama. Cf. Mgr Lb Camus, V^ie de Jésus-Christ,
! i’édit., III, p. 371-372.
/^ Pour rendre compte des antilogies, surtout de celles qui se rencontrent dans un même livre, la théorie des citations /aci/es peut être utile, non pas par manière d’expédient et faute de mieux, mais à l’état de procédé légitime.. l’article Critique biblique, col. 802. nous avons déjà dit qu’il y a dans la Cible des citations implicites ou tacites, reconnaissablés par l’analyse du texte ; ici, il reste à rechercher si l’auteur inspiré est censé garantir invariablement et jusque dans les derniers détails la vérité du contenu de pareilles citations. Il y a longtemps que des exégèles de grand mérite ont fait pratiquement une réponse négative à la question. Cf. Èuskbk, P. G.,
XXII, 8<jG ; S. JiinÙMK, P. /.., XXIll, 1002 ; Cajetax, jANSKNiusGand., GKNiinRARD, Petau, Pereira, in Luc, m, 26 (cf. Etudes religieuses, t.I.p. 213 et t. LXXXVI, p. 488). Ribera et Estius, in Ilebr., ix, 21. De nos jours, les premiers parmi les catholiques qui ont proposé le principe et comme suggéré la théorie des citations tacites incomplètement garanties sont : B. SGH..ErER, Bit/cl und ff’issenschaft, p. 118, 149. 180 ; F. DR HoMMELAUER, In II Keg.. xxiv, 9 (1886) ; abbé DE BnoGLiE, Questions bibliques, igoi^, p. 19 ; P. Bruckbr, Eludes religieuse.^, août 1894, p. 6’iO (cf. t. XCVI, igo3, p. 686, et surtout /.’Eglise et la iritique biblique, 1908, p. 68-71, 226) ; P. Lagrange, Hevue biblique, 18y5, p. 02 ; 1896, p. 507-616 ; 1897,
p. 370-872. Depuis, la théorie a été présentée d’une l’açon plus achevée par le P. Prat, Etudes religieuses, 1901, t. LXXXVI, p. 475 et La Bible et l’iiistoire, 1904, p. 48. Cependant des théologiens (P. Schifiini, JJtyinitas Scripturae, igoS, p. 162 ; P. Delattrb, Autour de la question biblique, 1904, p. 807) condamnaient la théorie comme une nouveauté pernicieuse. C’est dans ces conditions que, le 13 février igoS, la Commission biblique déclara que la théorie des citations implicites ne saurait être un procédé courant pour résoudre les didicultcs soulevées par le texte biblique, mais qu’on peut y recourir dans le cas où il sera solidement établi que l’hagiograplie cite sans faire siennes, ni approuver toutes les assertions de son document, « salvis sensu et judicio Ecclesiæ n. Denz.’", 1979.
Ceux qui prendraient occasion des citations tacites pour restreindre quelque peu l’objet de l’inspiration, reçoivent dans l’encyclique Pascendi, Dknz.’", 2090, un blâme discret, et comme en passant, à propos des modernistes (auxquels, du reste, on les oppose) ; mais il ne semble pas que le document pontifical ait entendu déroger au décret de la Commission biblique. Des théologiens recommandables reconnaissent la légitimité du principe et de la théorie, tout en avertissant des dillicultés, des incertitudes et des abus que l’application peut entraîner. Ch. Pesch, De insp. sacræ.Scriptur., 1906, p. 689 ; J. V. Bainvel, De Script, sacra, 1910, p. 147. 154-155 ; van Noort, De fontibus revelationis, 1906, p. 63-6g. Le P. KvABENBAUER, Comment, in duos libros Macchabæorum, igo7, p. 278, 305-306, accepte ce mode de solution, bien entendu dans certaines limites. Cf. Stimmen aus Maria-I.aach, sept. igo8, p. 35 1.
La difficulté qui reste encore ici à surmonter est toute d’ordre pratique.. quels signes reconnaître que l’on a des arguments assez solides pour autoriser l’hypothèse d’une citation implicite incomplètement garantie ? II arrivera facilement que ce qui parait solide âl’un sera jugé insuffisant par un autre. Des exemples donneront peut-être une impression plus exacte de la mesure à garder. Voici quelques antilogies que des auteurs catholiques compétents croient pouvoir résoudre par cette voie, ou reconnaissent, tout au moins, que la solution est recevable. II lieg., xxiv, g, comparé avec I Par., xxi, 5 : Von Hummelauer, Prat, van Noort. — II Macch., i, 1117, comparé avec II Macch., ix, i-ag et I Macch., vi,
I-16 : COUXELY, KNABBÎfBAUER, CrAMPON — I.UC, III,
36, avec G en., 11, 12 : Pesch, Prat, Bainvel, Brassac, cpii sont à joindre aux auteurs anciens énumérés plus haut à propos de ce même texte. En définitive, la solution revient à dire : ces passages sont de ceux que l’on peut expliquer par une citation implicite et, en dehors de cette explication on ne voit pas de solution réellement satisfaisante. Cependant comme, de sa nature, la citation implicite est limitée aux docximents reproduits tels quels par un écrivain, les généalogies par exemple, et que. d’autre part, il est pratiquement difficile d’établir qu’il y a vraiment citation inconiplètenient garantie, des critiques catholiques (Lagrange, von Hummelauer) préfèrent, quand il s’agit d’apprécier l’attitude d’esprit de l’hagiographe vis-à-vis de son récit, recourir aux lois du genre littéraire dont relève l’histoire antique et surtout l’histoire sacrée. Dans ces conditions, la citation implicite n’est plus qu’un cas particulier de la théorie générale des genres littéraires.
3* On a dit que la prophétie (au sens de prédiction) n’est que de l’histoire écrite par avance. Bien que cette définition soit défectueuse, il reste vrai que, du 783
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point de vue de l’inerrance, les textes prophétiques soulèvent des diflicultés analogues à celles que nous venons d’envisager à propos de l’histoire.
a) On doit commencer par voir s’il y a réellement prophétie. La question ne se pose pas pour les textes des Prophètes écrits sous l’inspiration divine, mais pour les livres des historiens sacrés dans lesquels se trouvent rapportés des discours tenus par des prophètes. Il ne s’ensuit pas ipso fado que ces paroles soient données couinie l’expression authentique de la pensée divine. L’inspiration n’était pas à la commande de celui qui avait le nom de prophète et en faisait habituellement la fonction. Au moins une fois, l’Ecriture (II Beg., vii, 4-1^) met en scène un proplièlc (Nathan) emporté par un mouvement naturel, et que Dieu fait se rétracter. Cf. S. Ghkgoire, in Ezech.. I, I, 16 ; P. /.., LXXVI, 7y3 ; S. Thomas, II H", q.i^i, a. 5. Il estelair que le cas étant exceptionnel, on n’est pas admis à le supposer sans preuve.
h) L’objet précis de la prophétie n’est pas chose facile à déterminer. Dieu avait promis des biens temporels à Israël en retour de son observation de la Loi, mais dans quelles conditions ? La promesse s’adressait-elle au peuple ou aux individus ? La réponse n’est pas aussi aisée qu’on se l’imagine avant que d’avoir étiulié la question d’un peu près. El pourtant, on la suppose résolue quand on prétend que les promesses n’ont pas été tenues. Au besoin, il sullirait pour écarter la dilliculté de faire observer que ces promesses courent d’un bout à l’autre de l’Ecritvire, et qu’Israël s’y est invinciblement attaché en dépit du démenti cruel que les événements nous paraissent leur donner. Le fait de cette confiance est inexplicable si l’on n’admet pas que les Israélites avaient, pour surmonter la difliculté, des raisons de croire à la Cdélité divine : ou bien ils s’estimaient sviffisamment récompensés (Ps. xxxvi, aS), ou bien ils avaient conscience de l’infidélité de la nation (/) ?((/, , xxxvi, 25), ou bien ils en étaient venus à comprendre la subordination des biens temporels et passagers à ceux de l’àme et de l’éternité (Sagesse, iii-iv).
c) Pour se rendre compte de la vérité d’une prophétie, on donnera une attention minutieuse à toutes les circonstances qui en précisent la portée. Il y a des prédictions conditionnelles ; si elles sont restées sans effet, c’est que quelqu’une des conditions dont dépendait leur réalisation ne s’est pas vériliée. Cf. Jon., II, g ; iii, 4 ; /inïe, xxxviii, i. Par ces mêmes exemples, on voit qii’il n’est pas nécessaire que le prophète ait, sur l’heure, conscience de prédire conditionnellement l’avenir. Dieu se réserve de manifester, dans la suite, le caractère véritable de la prophétie, soit par une révélation expresse, soit par la signification non équivoque des événements eux-mêmes. Des promesses divines non réalisées par la faute des hommes résulte naturellement un certain écart entre l’histoire et la prophétie. Si nous n’avions que le texte des Prophètes pour déterminer le rôle qu’Israël, en tant que tel, doit jouer dans le Royaume de Dieu établi par le Messie, il est vraisemblable que nous le représenterions assez dilTérenl de ce qu’il a été en clfet. Certes, il y a une différence entre Isa’ie, Lx, et.S. Matthieu, viii, 11-12. Le chap. xidel’Epilre aux Uomains permet d’entrevoir la place des Juifs dans le christianisme, s’ils avaient cru en masse au Messie.
d) C’est surtout dans la prophétie qu’il faut distinguer entre l’assertion et son expression, entre l’objet de la prophétie et les descriptions qui le rendent sensible. Cf. S. AU(iUST., ne civ. Dei., XVI, 11 ; P. A., XLI, ^79. Quand on découvrit l’inscription cunéiforme de Sennachérib, qui est en parallèle avec Isa’ie, X, aS-Si’i, on ne manqua pas de dire que la marche des
Assyriens envahisseurs n’avait pas été celle annoncée parle prophète. Les apologistes d’alors donnèrent du texte biblique des explications plus ou moins ingénieuses. Aujourd’hui, la plupart conviennent « qu’on ne peut pas tirer de la prophétie une indication très sûre de la marche suivie par l’invasion assyrienne » (ViGOUROUx), parce qu’Isaïe n’a pas voulu écrire d’avance {’histoire de la campagne, mais faire seulement une vive peinture du torrent dévastateur, qui va passer sur la Judée (Pillion et Trochon, après le protestant Franz Dkutzsch). Cf. A. Condamin, Le /.ifre d’Isaïe, p. gg. Au lieu de suivre l’ordre chronologique, comme fait l’historien, le prophète procède ordinairement par tableaux. Dans ces tableaux sans perspective, les événements se présentent sur un nièiue plan ; on dirait qu’ils se succèdent et se touchent, alors qu’en réalité des siècles doivent les séparer. C’est ce qu’on appelle le contexte optique. Il est incontestable que les Prophètes ont lié assez étroitement l’âge messianique avec le retour de l’exil ; ils yoyaienl, pe r mod II m iiniiis, les deux points extrêmes de cette dernière étape de la miséricorde de Dieu sur son peuple, sans mesurer exactement la distance qui les séparait. Les tableaux prophétiques présentent encore un autre danger à l’exégète distrait ou insuffisamment renseigné sur les procédés littéraires et psychologiques des prophètes. Le relief du trait, l’isolement de la scène ou du personnage peuvent, de |irime abord, produire l’impression que chaque tableau se siillit, alors qu’en réalité il ne donne à connaître qu’un aspect de la réalité. Si dilTérent que soit le portrait du Roi-Messie qui se lit au ch. xi d’Isaïe de celui qui figure au ch. i.iir, ils représentent bien l’un et l’autre une seule et même figure.
V. Religion et morale. — i. Religion. — La supériorité de la Bible en matière d’enseignement religieux est incontestée. Par leur religion, les Juifs l’ont emporté sur tous les peuples de l’antiquité, même sur les Grecs ; ils ont été les éducateurs de l’humanilé. Ils avaient conscience de leur mission. lloin.. II, 17-i/i.
a) D’après l’explication rationaliste, cette supériorité s’expliquerait uniquement par des causes naturelles. On a renoncé au paradoxe de Rknan sur le monothéisme spontané des Sémites, que l’histoire a totalement démenti ; mais on parle aujourd’hui d’i( évolution >>. Les Hébreux, qui étaient |)olylhéistes à l’origine, se seraient acheminés lentement au monothéisme, en passant par l’étape intermédiaire de riiénotliéisnie monolvtrique. C’est la théorie en vogue. Cf. E. Kautzscii, lieligion nf Israël dans Dict. of tlie mille (Hastings). Extra-vol., igo^, p. 612. Nous n’avons pas à envisager ici dans toute son étendue cette question de critique religieuse (qui est traitée dans Ctiristiis, p. 690) ; il suffit de faire voir que l’Ecriture n’a jamais rien enseigné de contraire à la religion naturelle ou encore au dogme chrétien. Pour être divine, c’est-à-dire fondée sur une révélation, il n’est pas nécessaire que la religion de la Bible n’ait connu aucun progrès. En fait, les textes forcent de reconnaître que, de la Genèse à l’Apocalypse, la lumière des révélations divines est allée en grandissant. C’est ce que la théologie reconnaît expressément (voir ci-dessus Docmk, col. 1180).
On sait que S. Paul appelle » temps d’ignorance », les siècles qui ont précédé l’Evangile. Actes, xvii, 30. Or, l’ignorance ou même la connaissance imparfaite peuvent facilement paraître des erreurs à qui les considère du point d’arrivée d’une doctrine, qui s’est constituée progressi emenl. Et ici, les exemples abondent. Un des plus saillants est l’idée que les Hébreux se faisaient des destinées d’oulre-tombe.
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Avec les lumières de l’Evangile sur nos fins dernières, nous avons de la peine à comprendre que les auteurs de l’Ancien Testament ne parlent pas plus souvent, ni avec la précision que nous y mettons, des récompenses et des cbàtiments de la vie future. ( ; ’est perdre de vue que la grande épreuve de la foi, avant que le k mystère » de la rédemption n’eût été révélé <lans le Clirist Jésus, tenait précisément aux ténèbres qui enveloppaient encore le décret porté par la justice divine sur l’homme coupable.
Toute connaissance imparfaite se traduit dans des formules imprécises, inachevées, obscures. Les anciens Hébreux croj’aient certainement à l’unité et à la transcendance de Jahvé leur Dieu, mais n’étant pas métapliysiciens, et d’autre part n’ayant sur la nature divine que des notions insuffisantes, ils ont exprimé ses attributs en des termes anthropomorpliiques. Jahvc résidait sans doute dans les pays où il s’était révélé, sur les hauts-lieux, du Sinaï à Jérusalem, et particulièrement sur le montSion. Etait-il ailleurs ? Pouvait-il se trouver en divers lieux à la fois ? La question ne se posa pas tout d’abord. Cependant, on lui donnait déjà une réponse pratique. Jahvé ne devait pas résider exclusivement au milieu de son peuple, puisqu’il entendait les blasphèmes des païens et voyait leurs crimes. Bientôt les psaumes et les prophètes exaltent expressément l’omniscience et l’immensité du Dieu d’Israël. Finalement, l’auteur de la Sagesse décrit la subtilité et la force (le l’Esprit de Dieu qui pénètre le monde entier. Au reste, ici plus qu’ailleurs, il importe de distinguer entre les croyances de l’auteur inspiré et celles des personnages dont il parle II y a longtemps que S. Cyrillr a fait observer que les patriarches, Jacob notamment (Gen., xxviii, 16), avaient de Dieu une représentation as’sez rudimentaire. P. G., LXIX, col. 188. — Faut-il ajouter que beaucoup des critiques ailressées à la théologie biblicjue tiennent uniquement à l’expression. Ecrivant en des lang^ues qiii avaient servi tout d’abord à exprimer des crojances polythéistes, les hagiographes ont forcément employé des termes qui se rencontraient ailleurs avec un sens erroné ; mais, sous leur plume, ces mêmes termes prenaient une acception nouvelle. C’est à tort qu’on a prétendu découvrir un vestige du polythéisme primitif des Hébreux dans l’emploi du pluriel Elohim pour désigner la divinité. Autant vaudrait dire que les premiers chrétiens se faisaient de leur Dieu une idée identique à celle des païens d’Athènes et de Rome, parce qu’ils parlaient comme eux de 0 « o ? et de Deiis.
Pour la même raison, un écrivain inspiré peut bien formuler son enseignement religieuxd’après les catégories d’un système philosophique. Ce qu’il emprunte à la sagesse humaine n’est, après tout, qu’une
« expression i> pour rendre intelligible et plus acceptable
sa propre doctrine. Il est bien dillicile de ne pas reconnaître une influence de la philosophie alexandrine sur l’auteur du livre de la Sagesse et sur celui de l’Epilre aux Hébreux. Le P. Coblcy, La Sagesse dans l’Ancien Testament (Congres scientifique des catholiques, Paris, 1888, p. 61-92), et le P. Cohnfly, Comment, in liOr. Sapientiæ (op. postum. edit. a P. Zorell), 1910, p. a^-So, s’accordent à reconnaître que l’auteur de la Sagesse a utilisé certaines données des Plaloniciens et des.Stoïciens, en ce qui concerne la matière informe, la distinction des vertus cardinales, les attributs de l’Esprit et de la Sagesse divine, etc. Les théologiens scolastiques devaient en faire autant d’.Vristole.
fc) C’est surtout dans les institutions que se révèle l’infériorité de l’antique économie religieuse. Par les formes de son culte : sacrifices, hauts-lieux, lustra tions, oracles, vœux, etc., la religion d’Israël ressemble beaucoup à celles des autres peuples ses voisins. Mais ces ressemblances sont toutes matérielles, l’esprit et l’objet des pratiques prescrites par Moïse différaient foncièrement de ce qui se rencontrait ailleurs. Du moment que des rites ne sont pas répréhensibles en eux-mêmes, ils peuvent être ordonnés au culte du vrai Dieu, quand même ils auront été reçus jusque là pour honorer les idoles. Cf. H. Pi.nard, Infiltrations païennes dans le culte juif et chrétien, 1909. Chercher à connaître l’avenir ou la volonté divine par le sort n’est plus superstition ni vaine observation, quand Dieu promet de les révéler de cette manière. Le serpent d’airain n’était pas une idole, mais un simple symbole de la miséricorde divine. " Qui enim conversusest, non per hoc(signum) quod videbat sanabatur, sed per te omnium Salvatorem », Sap, XVI, 7. Quand on en vint à lui rendre un culte superstitieux, le roi Ezéchias le fit mettre en pièces. IV Reg., xviii, l^. L’apologiste peut établir directement qu’il n’y avait rien d’irrationnel et d’immoral dans les institutions juives (bien qu’elles supposent une vie religieuse encore imparfaite) ; mais pour faire voir positivement leur caractère divin, il doit recourir aux considérations générales sur l’origine du judaïsme.
2. Morale. — Comme la révélation, et en partie à cause d’elle, la connaissance de la loi morale est allée en progressant. Dans la même mesure, la consciences’estdéveloppée et les mœurs sesont adoucies. S. Augustin a plus d’tine fois rappelé qu’il y aurait injustice à apprécier la conduite des anciens, même de ceux qui sont loués dans la Bible, d’après les exigences de la conscience chrétienne. Au nom de ce principe, l’apologiste n’est pas tenu de suivre jusqu’au bout S. Ambroisk, De Ahraliam et Isaac, P. /.., XIV, 419-534 et S. Augustin lui-même. Contra mendac, P. /-., XL, 533, dans la justification qu’ils entreprennent des Patriarches. On n’est pas obligé de soutenir qu’Abraham et Jacob n’ont pas menti, bien qu’ils soient vraisemblablement excusables ; car rien ne prouve qu’ils aient connu aussi bien que nous toute l’éfendue de la loi qui interdit le mensonge.
Au reste, il s’en faut que l’Ecriture soit censée approuver toutes les actions de ceux dont elle nous dit l’histoire. Il n’est pas rare qu’elle se borne à raconter le fait, nous laissant de le jugera la lumière de la saine raison ou de la loi. Etait-il besoin de blâmer expressément la conduite de Juda dans l’épisode qui se lit au chapitre xxxviii de la Genèse ? Néanmoins, cette réserve du texte sacré a été cause de plus d’une controverse. On sait que les Pères ont apprécié différemment les exploits de Samson et de Jephté. A propos de ce dernier notamment, ils se sont demandé s’il avait réellement immolé sa nUe et si Dieu avait eu son vœu pour agréable. Le très grand nombre ont résolu la première question par l’atlirmative, mais en faisant observer que Dieu n’avait pas inspiré Jephté en cette circonstance. Si l’Ecriture s’abstient de le blâmer, c’est qu’elle compte, pour une juste appréciation du fait, sur la condamnation formelle de ces sacrifices portée par Dieu lui-même, qui ne veut pas être honoré comme on faisait le dieu Moloch. /)eu/., XII, 3 1. La prescription du /lerem (anathème, extermination) au sujet de certaines peuplades chananéennes, qui revient plusieurs fois dans la Loi de Moïse, n’est pas en contradiction avec celle qui défend les sacriOces humains. Le lièrent n’était pas un sacrifice, mais seulement une exécution martiale. Comme les guerres avaient alors un caractère religieux (se faisant par l’ordre et sous la conduite du 737
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dieu national), le hérém était considéré comme un acte de religion. Voilà pourquoi il est dit de Samuel qu’il mit en pièces le roi Agag j devant Jahvé >'. lJ(eg., XV, 33. On retrouve encore cette expression à propos des sept lils de Saiil crucitiés par les Gabaonites
« devant Jahvé ». Il lieg., xxi, g.
Le droit des gens était à peu de chose près chez les Hébreux ce qu’il était chez leurs voisins. En temps de guerre, on ne se faisait pas scrupule de recourir à la fourberie et de violer la parole donnée. Jaliel est expressément louée dans le cantique de Debbora {Jiii !., V, 2^-27) pour sa conduite envers Sisara. D’ailleurs, on ne doit pas perdre de vue que certaines actions, si répréliensibles qu’elles soient en elles-mêmes, peuvent mériter, à plus d’un égard, l’admiration et l’éloge. S. Thomas, 11’II", q. 1 10, a. 3, ad. 3, fait remarquer que les louanges données par l’Ecriture aux sages-femmes égyptiennes qui épargnaient, par un mensonge, les enfants des Hébreux, ^.corf. 1, 20 ; à Judith se pré[)arant à séduire et à décapiter Holopherne, Judith, x, 4 ; à Kazias.se perçant de son épée, pour ne pas tomber entre les mains des pécheurs, Il.Vaccli., XIV, 3 ; -46, s’adressent à l’amour de la religion et de la patrie qui éclate dans ces courageuses actions.
Bibliographie. — Abbé de Broglie, Questions hitiliquex, 1897. P. J. Brucker, Questions actuelles d’Ecriture sainte, iSgS ; L’Eglise et la critique biblique, KjO"). P, Lagrange, l.a méthode historique. surtout à pmpos de l’Ancien Testament, 1903 ; Eclaircissement sur la méthode historique, igoS. P. Fr. de Huinmelauer, Ejcegetisches zur Inspirationsjrage, igo^. X. Peters, Die grundsdtzliche Stellung der kathol. Kirche zur Bihelforschung, igoS. Bonaccorsi, Questioni liihllche, igO). P. A. Delatlre, Autour de la question biblique, igo^. P. L Fonck, Der Kampf um die Wahrh>it der heil. Schrift seit 25 Jahren, igoS. P. L. Murillo, Critica y Exegesis, igoô. Clir. Pesch, De Inspiratione sacræ Scripturae, 1906. P. Dorsch, dans la Zeitschrift fiir kutholische Théologie (Inashruck), Igoô, p. 631 ; igo6, p. 56, 22’j.
Les traités dogmatiques de l’Inspiration, les traités d’Herméneutique sacrée et les Introductions générales à l’Ecriture sainte traitent incidemment, et à des points de vue différents, de l’inerrance biblique.
Alfred Dlr.vnd.S. J.