Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Jésus (IV. Le témoignage du Père)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 742-763).

Chpitre IV

LE TÉMOIGNAGE DU PÈRE

384. — Jésus avait terminé sa vie mortelle par un appel, acte suprême d’abandon, à son Père du ciel : f.c., XXIII, 46. Toute l’antiquité chrétienne a vu dans la résurrection la réponse du Père, le témoignage irréfragable rendu par lui à la mission du Sauveur.

Les richesses contenues dans ce fait immense sont telles qu’il importe de les inventorier sommairement dès l’abord, d’y relever la présence de traits dilTérents et, à première vue, malaisément compatibles. Que Jésus ait été rendu à la vie par l’action d’une vertu divine, c’est un événement attesté par voie de témoignage et s’inscrivant à son heure dans la trame de l’histoire véritable. « Il s’est montré vivant |à ses apôtres], après sa passion, par maint indice probant (i-j kw^cû Ti/z/ïroiî !  ;), se manifestant à eux durant quarante jours et les entretenant du Royaume de Dieu » ; Act., i, 3… « Dieu le ressuscita le troisième jour et lui donna de se manifester I comme vivant], non sans doute au peuple entier, mais aux témoins élus pour ce rôle par Dieu, à nous qui avons mangé et bu en sa compagnie depuis qu’il est ressuscité des morts » ; ^c/., x, 40-41- Ces passages, choisis entre bien d’autres, visent la réalité delà résurrection, abstraction faite de son caractère particulier, unique, m3stéricu. Ce dernier caractère 1473

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ne laisse pas cependant d’être fortement souligné par d’autre textes. La vie que Jésus manifesta alors n’est pas en elTet la vie commune, telle qu’il la menait durant les jours de sa chair. C’est une vie nouvelle, glorieuse, divine, qui déborde par plusieurs de ses manières d’être notre connaissance actuelle. Dans ce sens, elle est pleine de mystère et objet de foi. Pour employer les termes consacrés en tliéologie, on la « croit », on ne la n voit » pas’.

Faute de distinguer ces deux points de vue, beaucoup d’auteurs se sont engagés dans un fourré d’objections inextricables. Car ni le fait, tel que les témoignages d’Iiistoire l’établissent, ne rend compte intégralement de cette vie surhumaine, dont la foi seule saisit toute la portée ; ni le caractère mystérieux de cette vie n’olfusque la valeur des témoignages par rapport au fait constant qui fonde la foi. Indépendamment des qualités merveilleuses et nouvelles constatées par les témoins du ressuscité, l’identité personnelle de celui-ci avec Jésus de Nazareth est objet de connaissance sensible.

("est à fonder cette alTirmation en raison et en histoire qu’on s’est attaché exclusivement ici. Ceux des textes anciens qui affirment ou exploitent le côté mystérieux, transcendant, a myslagogique n du fait, ne seront utilisés que dans la mesure où ils supposent et conlirment la réalité de l’événement.

3âS. — De ce qui constitue un signe divin : fait réel ; connexion certaine entre ce fait et la personne ou la doctrine ((u’il est question d’autoriser ; transcendance du fait par rapport aux forces naturelles à l’oeuvre dans le cas, nous pouvons prendre ici le dernier élément pour accordé. Si Jésus est ressuscité, c’est là chose divine, personne ne songe à le nier.

« Aujourd’hui, pour l’homme moderne, dit M. Ed.

Stapfbr-. une résurrection véritable, le retour à la vie organique d’un corps réellement mort est l’impossibilité des impossibilités. » i La réanimation ou la transformation soudaine en quelque chose qui ne serait ni tout à fait matériel, ni encore tout à fait spirituel, d’un corps réellement mort, emporterait la violation des lois le plus assurément connues de la physique, de la chimie, et de la physiologie. Le témoignage fiit-il cinquante fois plus fort qu’il ne l’est, n’importe quelle hypothèse serait rece^’ohle de préférence à celle-là^. »

Dans cette parole du D"" H. Rasudall, nous trouvons formulée en toute franchise la lin de non-recevoir opposée par nos adversaires au fait de la résurrection. Ce fait n’a pu avoir lieu, iiarcc qu’il impliquerait une dérogation sans exemple aux « lois delà nature (Voir supra, cï. III, sect. a, n. 236) : les témoignages fussent-ils cinquante fois plus forts, l’exclusion systématique du fait, au nom de la philosophie a scientiste », s’imposerait. On ne s’étonnera pas, après cela, de voir les auteurs précités prendre avec les textes les libertés les plus étranges. Ces

1. " Cliristus resurgensnon rediit ad vitam communiter notam sed nd quamdani vitam immortalem et Deo conformem. » Cette vie « Iratiscendehat communem notitiam et mvsterii plena est » ; S. Tho.ma3, Summa Theol., III P., q. 53, art. 2.

2. La mort et la résurrection de Jéiua-Christ, Paris. 1898, p. 26.

3.’1 Were tbe lestimony fifty times stronger than it is, any hypothcsis woald be more possible tliaii tlint » ; H. Rashdall, frapment d’un mémoire inédit, cité par KlKSOPP Lakk. The historical évidence fnr thc Résurrection of Jésus Christ. London, 1907, p. 269. Conséquemment à ces déclarations, Rashdall conjecture (comme possibles) des apparitions de Jésus à ses disciples, qui seraient " OD éTénement psychologique réel, bien qu’bypernormal n

t real though supernormal psychologicui event).

Tome II.

textes ne peuvent avoir pour eux que l’apparence de l’histoire. Quelles hypothèses ont été mises en avant pour expliquer les choses sans recourir à une résurrection véritable, nous le verrons plus bas.

N’excluant pas a priori, pour complaire « ux postulats d’une philosophie particulière, cette solution, nous allons rechercher si le fait de la résurrection est réel, et lié sûrement à la vérité de la mission de Jésus.

1. — La’Vérité historique de la Résurrection

356. — Epuisé par une longne et atroce agonie, Jésus fut interrogé par des juges prévenus qui poussèrent la bassesse de cœur jusqu’à l’outrager et à le brutaliser, en compagnie de leurs gens. Nous ne pouvons que conjecturer ce qu’il eut à souffrir ensuite, lié, grelottant, condamné, dans l’angoisse et le froid de la nuit. Trainé de prétoire en prétoire, sans répit et sans nourriture, pressé de questions insidieuses, flagellé à la romaine dans le but d’émouvoir le peuple à compassion, bafoué, maltraité, conspué, coiironnéid’épines, il ne put porlor sa croix jusqu’au Calvaire. On dut réquisitionner sur place un certain Simon, originaire de Cyrènc, père d’Alexandre et de Rufus, Mc, xv, 21. Cloué sur le bois, épuisé de sang et dévoré de soif, Jésus rendit l’esprit. Un soldat lui donna le coup de grâce et il fut enseveli dans cent livres d’aromates qui l’eussent achevé s’il avait respiré encore.

Mais il était mort avant. Nous avons sur ce point le témoignage concordant : de Pilate qui, étonné de cette mort relativement rapide, commit un centurion pour enquêter à ce sujet et ne livra le corps à Joseph d’Arimathie qu’après avoir eu la réponse. Mc, xv, 14-45 ; — des soldats, qui, voyant que les deux autres cruciliés vivaient encore, les achevèrent à coups de massue,./ «., iix, Si sqq. ; — des amis de Jésus qui le détachèrent de la croix, soignèrent le corps, le déposèrent dans le tombeau ; — des ennemis qui, craignant une fraude, Mt., xxvii, 62, durent prendre leurs précautions’.

337. — Enfin il n’est pas de point de fait plus solidement documenté que la sépulture de Jésus. Les quatre évangélistes la mentionnent en terniesexprèsi Me, XV, 42-/(7 ; Mt., xxvii, 57-61 ; fc, xxni, 50-55 ; Jo, , XIX, 38-42. Tous la décrivent. S. Pierre en parle au lendemain de la Pentecôte : Act., 11, 29, coll. xni, 29. S. Paul, non content de rappeler le fait : 5ti iry.yyi, I Cor., xv, 4, fonde sur sa réalité une ample théologie : / ?o « !., vi, 4 ; Col. 11, 12. Tous les symboles anciens en fontétat^.M. E. von DoBscniiTz,

1. « A vrai dire, la meilleure garantie que possède l’historien sur un point de cette nature — dit avec quelque

! exagération Renan. — c’est la haine soupçonneuse des

ennemis de Jésus, II est très douteux que les Juifs fussent dès lors préoccupés de la crainte que Jésus ne passùt pour ressuscité ; mais, en tont cas, ils devaient veiller ft ce qu’il fût bien mort. Quelle qu’ait pu être à certaines époques la négligence des anciens en tout ce qui était ponctualité légale et conduite stricte des afTaîres, on ne peut croire que, cette fois, les intéressés n’aient pas pris, pour un point qui leur importait si fort, quelques précautions. » Vie de Jésus’^, p. 444-4’15.

2. X. Seeberg, Der Katechismut der Urchrîstenheil^ Leipzig, 1903, p. 8.ï, 141. 202 ; Arnold Meter, Vie.Auferstehung Christi, Tubingen, 1905, p. 117 et 351. II a fallu toute l’audace de M. Loisy, pour révoquer en doute, sur des raisons hautement sophistiques, un fait si bien attesté. C’est à ce propos que, perdant tout se.itiment du réel, il a écrit : <( L’ensevelissement par Joseph d’Arimathie et la découverte du tombeau vide, le surlendemain de la passion, n’offrant aucune g^arantie d’authenticité [après qu’on s’est débarrassé, per fat et nefas, de tous les 1475

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dit donc très bien dans son opuscule Pâqiie et Penlecoie, que « le a été enseveli esl un des points les plus anciens de la prédication apostolique. S. Paul [en devenant chrétien] l’a trouvé déjà lixé’. »

La résurrection, fait réel

A. — Le témoignage de saint Paul

358. — Jésus, après cette mort certaine, s’est manifesté comme certainement vivant. Tel est le fait que nous garantit le témoignage des disciples et, tout d’abord, de saint Paul. Dans une lettre écrite auplus tôt en h’à, au plus tard en 67, faisant allusion à sa prédication initiale et essentielle, et s’adrcssanl à ceux-là même qui l’avaient reçue quelques années auparavant (selon toute probabilité pendant l’hiver de l’an 50-51)- l’apôtre s’exprimait en ces termes :

Je vous rappelle, Frères, l’ICfongile que je vous ai annoncé, celui i|ue vous avez reçu, dans [la croyance] duquel vous avez persévéré et par lequel aussi vous êtes sauvés si, dans les termes où je vous l’ai annoncé, vous le gardez 3 ; — à moins que vous n’ayez cru en vain !

Je vous ai donc transmis tout d abord ce que moi-même j’ai reçu par tradition ; que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Ecritures ; et qu’il a été enseveli ; et qu’il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Ecritures ; et qu’il a été vu par Pierre, ensuite par les Douze. Après, il a été vu en une seule fois par plus de cinq cents frères, dont lu plupart sont encore vivants à ce jour, et dont quelques-uns sont morts. Ensuite il a été vu par Jacques, ensuite par tous les apôtres. Après eus t jus, il a été vu par moi aussi, comme par l’avorton [de la famille apo.stolique]. Car je suis le dernier des apôtres, indigne d être appelé apcitre, puisque j’ai persécuté l’Eglise <ie Dieu ; mais par la grrce de Dieu je suis ce que je suis, et la grâce à moi dévolue n’a pas été stérile, mais j’ai plus travaillé qu’eux tous — non pas moi, mais la giài-e de Dieu qui est avec moi. Or donc, que ce soit moi, que ce soient eux. c’est ainsi que nous prêchons et c’est ainsi que vous avez cru.

Or, si la prédication [évangélitpie] porte que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi vous disent-ils qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Glirist non plus n’est pas ressuscité..Mais si le Christ n’est pas ressuscité, vaine esl donc notre prédication, vaine également est votre foi ! [Bien plus], nous sommes convaincus d’être de faux témoins de Dieu, car nous avons témoigné de par

textes ! ], l’on est en droit de conjecturer que, le soir de la passion, le corps de Jésus tut détaché de la croix par les soldats et jelé dans quelque fosse commune, où l’on ne

pourrait avoir l’idée de l’aller chercher Quelques

lettres sur des questions actuelles, Paris, 1908, p. 93-94.

1. Osttn und l’fîni ; slen, Leipzig, 1903. p. 11. c Das begra benisl eines di-ræltesten Stllcke des Kerygma. Puulus hat es schon vorgefuiiden. »

2. Pour ces données chronologi pies, je suis Ferdinand PrtAT, La Chr.malogic de l’âge ap-/slo ! i</ue, dans Recliercln’s de science religieuse, juillet 19rJ, p. 372-392 friche bihliographie ibid., ’i. 372 et 374). On sait que la rencontre de saint P.iul à Cnrinthe avec le proconsul Gallion, frère de Scnèque : Act., xviii, 12. peut être datée siirement, a un. ; ou d.’ux années près :.jl-53, par l’inscription trouvée à Delphes et publiée par.M. Bouhglet en 1905 (texte avec photogravure de l’inscription dans le Pauliis de A. Diissmam.n-, ’riihicigen, 1911, p. 159-177). Cette inscription porte en eifet. ligne fi, que Gallion était proconsul d’Achaïe entre les26’cl 27’salutations de Claude comme empereur, c’e^l : i-dire entre 52 et 53. Sur les détails, F. Pkat, lue. latid., p. 374-37 ! ».

3. Pour la construction adoptée ici, R. Cornfly, Conimentarius in I- « ad Cnrinlhins, Paris, 1890, p. 451, 452. On peut consulter, sui- l’ensemble du lexle, avec le P. Cornely, E. Mancenot, La Ilrsurrrclii>n de Jesus^ Pari », 19Iii, surtout p. 40sqq. ; et les commentaires de A. LemOiNnyeu, hpitres dé S. Paul,. Paris, 1908, p. ir>2-172 ; de G. Tois-SAINT, Eptlres de saint Paul, ], Paris, 1910, p. 406-422.

Dieu qu’il a ressuscité le Christ — ce qu’assurément il n’a pas fait si les morts ne ressuscitent ]>as.

Car si les morts ne ressuscitent pas [ne peuvent ressusciter ], le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est votre foi, vous êtes encore dans vos [anciens] péchés [dont vous croyiez que la foi vous avait tirés]. Donc encore ceux qui sont morts dans le Christ ont péri. Or, si c est dans cette vie seulement que nous espérons au Christ, nous sommes les plus malheureux des hommes.

Mais au fait, le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis [dans le Seigneur]… I C„r.. XV. 1-20.

359. — Je n’ai pas voulu couper par des gloses ce témoignage capital. Il nous ramène, qu’on y songe bien, par la prédication de Paul à Corinthe, aux années 50-5a ; par la croyance traditionnelle que Paul a trouvée vivante en s’agrégeant à l’Eglise, aux années 34-36’ ; par l’identité de la prédication apostolique sur ce point de la résurrection, à tout l’intervalle compris entre ces dates. Cela nous met à vingt ans, à dix ans, à quatre ans et moins encore, de la passion du Seigneur I

360. — La déclaration est épisodique, et d autant plus notable : la dispute des Corinthiens portait en effet, non sur la résurrection du Christ dont ils n’avaient garde de douter, mais sur la résurrection des morts en général. Tout l’effort de l’apôtre va à rendre manifeste l’étroite connexion des deux faits : si le Christ est ressuscité — et nul chrétien ne saurait le contester sans ruiner du coup tout 1 édifice de sa foi — la résurrection est donc possible 1 Non seulement une reprise momentanée des conditions mortelles, comme il était arrivé par exemple au fils de cette veuve de Nain ou à Lazare, mais’une entrée définitive, triomphante, dans une vie désormais immortelle. Paul ne dit pas qu’il faut croire à la résurrection de Jésus, encore que, de cette résurrection, il rappelle en passant les preuves irréfragables, — il dit que la résurrection de Jésus, bien comprise, assure le fidèle de la certitude et de la gloire de sa propre résurrection Il est donc tout à fait vain d’alléguer, contre la réalité du fait, le caractère théologique du morceau. Tout de même que la mention de la mort rédemptrice : « Il est mort pour nos péchés, conforméiuent aux Ecritures », offusque si peu la réalité de la mort, qu’au contraire le dogme est fondé sur ce fait et s’écroulerait avec lui ; de même, la description de la gloire des ressuscites, qtii est pour nous objet de foi, n’infirme en aucune manière la réalité de la résurrection. Pas plus ici qu’ailleurs, Paul ne distingue des éléments — apologétique et tliéologique ; objet de « vue rationnelle » et objet de « foi » — que des nécessités de méthode nous ont forcés depuis de discerner. Ces éléments sont présentés par lui, et par toute la prédication apostolique, dans leur indissoluble union. La mort du Christ est, par identité, mort rédemptrice ; sa résurrection est, j)ar identité, son entrée dans une vie glorieuse. Mais c’est le même Jésus qui est mort et qui est ressuscité, car en décrivant la résurrection des justes, dont celle du Christ

1. Feid. Pkat, La CItronalogit de l’âge apostnlique, dani rie, herc/ies, 1912, p. 383-392. Il est très notable que S. Paul, dans le fameux passage de rE[>itre aux Calâtes, I. 18 sqq., où il raconte que, trois ans après sa conversion, it vint à Jérusalem et y passa une quinzaine de jours dans le but précis de s’entretenir avec Pierre (t’7Ti’ : i^7at I> ; ^àv). nomme justement Pierre et Jacques comme les deux seuls apôtres qu’il vit alors. Il est infiniment probable que i-’cst en cette occurrence — de <-inq à huit ans apiès les faits — qu’il reçut, de la bouche même de ceux qui en avaient été favorisés, le récit des visions du Christ ressuscité mentionnées ici. Voir F. H. Cuase, dans les Cambridge l/icologicat Fssnys, London, 1905, p. 392. l’.77

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€sl le premier exemple, l’archétype, les « prémices », Paul pren’l bien soin de noter l’identité persistante (lu glorilié : « Il (nul que cette chose corruptible revéie rincorruptibilité, cette chose mortelle, l’iinmorlalilé » ; I Cor.. XV, 53.

361. — On ne gagnerait pas davantage à souligner la mention des Ecritures dans l’aflirmation fondamentale :

Le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux et il a Mé enseveli ; [Ecritures,

Et il egt ressuscité le troisième jour, conformément aux et il a été TU pai’Pierre, etc. [Ecritures,

Oliaciine des parties de l’antitlirse : mort rédemptrice du Christ (rendue sensible par la sépulture) ; résurrection glorieuse du Christ (rendue sensible par les apparitions) ; avec sa contre-partie doctrinale : mort du chrétien au péché parle baptême ; résurrection à une vie meilleure et, en germe et en droit, glorieuse, sur le modèle et par la vertu du Christ ressuscité ; — se retrouve au fond de tous les enseignements de saint Paul. On pourrait presque résumer en elles sa théologie. Ces points substantiels sont formulés ici en termes qui sentent leur symbole, avec

« la précision et la concision d’un catéchisme’».

C’est à ce caractère traditionnel et catéchétique, expressément souligné par l’apôtre Ç-nKpéSuxcx. -/kp L/ufv…ô xai 7rîzfi : / ».J « ), qu’est due l’allusion scripturaire dont les adversaires de ce grand témoignage- ont souvent abusé. L’appel aux Ecritures était, dans rai)ologétique primitive, un indispensable lieu commun. Les Libres inspirés offraient en effet aux évangélistes le terrain sur lequel ils pouvaient joindre normalement leurs auditeurs, ceux-ci étant tous, au début, des Israélites, des prosélytes ou du moins des personnes n craignant Dieu » (Supra, n. 53), et convaincues comme telles de la divinité des Ecritures. Mais ce renvoi à la parole de Dieu n’était pas toujours, il s’en faut, un argument apodictique, et beaucoup moins dispensait-il d’autres preuves.

363. — Ces preuves, en ce qui louche la résurrection, ce sont les apparitions du Christ. Rien n’autorise à penser que Paul ait voulu en dresser, dans cet endroit, une liste complète. Toutes les vraisemblances sont au contraire pour un choix raisonné, l’apiitre retenant, et énonçant dans un ordre que les transitions nous donnent, en gros, pour chronologique, les témoignages qu’il jugeait les plus propres à convaincre ses correspondants. D’abord, Pierre (on sait que son autorité était si grande à Corinthe qu’elle balançait celle même de l’apotre fondateur : I Cor., I, 12). Ensuite, le collège des Douze 3. Puis la grande apparition collective, qu’on a vainement

1. Ferdinand Pkat, i « Théologie de saint Paul, II, 1912, p. t>2. Sur la catéchèse apostolique et paulinienne, excellente note ibid., p. 61-67.

2. En particulier M. LoiST, Les Evangiles synoptiques, II, 1908, p. 740 : u Ou peut même dire qu’il [Paul] entend le prouver [le fait de la résurrection] par les Ecritures avant de le prouver par les apparitions. » Cependant l’auteur note, là-même, que <( la référence aux Ecritures porte… spéciulement sur le troisième jour i) ; ibid., n. 2 [[envoyant dans le texte à l’appel de la note 1].

Dans Jésus et la Tradition éfangélique, 1910, p. 200, M. Loisy ajoute qu il est u de toute invraisemblance que les textes de 1 Ancien Testament aient suggéré d’aboni aux J : sciples la résurrection de leur Maître. Pour trouver cette résurrection dans les textes… il fallait être convaincu premièrement qu’elle devait y être ; c’est-à-dire qu’il fallait y croire pour la découvrir dans l’Ecriture i).

3. Le undecim de la Vulgale est sans doute le rellet d’une correction postérieure..Même sans Judas, et avant l’élection de Matthias, le collège restait celui des Douze.

cherché à identifier avec une de celles que rapportent nos évangiles : la mention de la survivance de la plupart des témoins est ici un indice clair de l’intention ai)ologctique de Paul, u’Vous pouvez les interroger », serable-t-il dire. L’apparition à Jacques avait une spéciale importance pour les lidèles de tendance judaïque, Jacques étant considéré par tous comme le principal des chrétiens judaïsants. Les (< apôtres » sont ensuite mentionnés en bloc. Finalement, Paul se meta sa place, la dernière, en dehors de la série primitive et normale des témoins. Tard venu dans l’Eglise, il a été enfanté au Christ d’une façon violente, et il n’a fallu rien de moins que la grâce de Dieu pour faire, avec cet « avorton », le plus laborieux des apôtres.

Nonobstant ces particularités du dernier témoin, l’apparition du chemin de Damas est égalée ici à celles des jours qui précédèrent l’Ascension. C’est le même mot qui les introduit : ’ : , i-/jr,. Cette assimilation toutefois ne porte pas sur les circonstances, mais sur l’évidence touchant le fait dont il s’agissait de témoigner. Les termes emplojés par Paul, ici et ailleurs : Il vue » (iùp’My. : I Cor., ix. i ; ii-fSi) : I Cor., xv, 8), « révélation » (ôi’i.T.’^/.y.’j.ù’Peui ; à-noy.’A’jfy.t riv ui’iv aù « û… ; Gal., i, la, iG), impliquent tous un élément de connaissance immédiate, lumineuse, interprétant avec certitude le phénomène extérieur. Les trois récits de l’apparition, tels que nous les donnent les Actes, confirment, à travers leurs divergences modales *, les indications personnelles des épîtres.

363. — Il reste que saint Paul, dans cette lettre écrite vingt-cinq ans environ après la Passion du Seigneur, donne la résurrection de Jésus pour un des articles fondamentaux de la croyance chrétienne. Comme il l’avait reçu en entrant dans l’Eglise 2, Paul l’a transrais et son enseignement sur ce point (ses correspondants le savent de reste et peuvent le vérifier ) est identiquement celui des autres apôtres.

Le fait ? Les Corinthiens y croient depuis qu’ils ont adhéré au christianisme : en douter serait renoncer à leur foi. Et ils y croient à bon escient, sur des témoignages indiscutables, dont les principaux sont rappelés : c’est Pierre dont, ici comme ailleurs ^, Paul détache et met au premier rang l’autorité ; c’est le collège des Douze ; c’est la foule des 500 disciples,

« nuée de témoins » dont l’un ou l’autre sera aisément

accessible à qui voudrait l’interroger ; c’est Jacques, le fidèle zélateur de la loi ; ce sont « tous les apôtres* ».

C’est Paul, enfin, qui termine et authentique

1. Act., is, 1-20 ;.XMi. i-17 ; xxvi, 9-l’.l. On peut se reporter à l’article important de V. Rose, Bei’ue Biblique, 1902, p. 321-316.

2. J’entends ici le 5 yv’^ TTvpûv.C’-y.’, conformément au sens du terme, au contexte et à toute vraisemblance, d’un enseignement traditionnel, non d’une illumination directe de Dieu. C’est trop jiresser quelques mots de l’épître aux Galates que d’attribuer, avec le P. Cornely (Commenta^ riits in I Cor., p. ^i."ï2 ; cf. aussi p. 33(>-337) cette connaissance exclusivement : « ~’/.piïa.%’-yj se. immédiate a Domino, hominis ministerio non interveniente H, à une révélation divine immédiate.

3. X. RoiROx. S. Paul témoin de la primauté de saint Pierre, dans Recherches de science religieuse, 1913, p. 489-531.

h. Il est très difficile d’identifier sûrement ces « apôtres ». Il nous semble plus probable qu’il ne s’agit pas seulement des Douze, mais du groupe entier des disciples de la première heure, ayant reçu leur mission du Christ ressuscité et parmi lesquels les Douze auraient été Icr premiei’s et principaux, par suite de leur élection et de leur formation particulière. ot Att)9. ce Dictionnaire l’article .Vpôtres, de Mgr P. B.^tiffoi., I, col. 251, 259 et passim.

la liste glorieuse. Tous ont vu le Christ ressuscité : leur parole, leur foi, Irur vie entière peuvent servir de garants à ceux qui, par eux. ont cru.

364. — A côté de ce témoignage, si ferme et si dense en sa brièveté voulue, il faut placer les récits touchant la résurrection, tels que nous les ont gardés les évangiles. La plupart, et probablement tous, dans leur forme actuelle, ont été rédigés après les épîtres aux Corinthiens et indépendamment d’elles : ils nous disent plus et moins que celles-ci. Une rapide allusion à l’apparition du Seigneur à Pierre, mise par Paul en un relief singulier (Le, xxiv, Z !) ; rien de l’apparition à Jacques’. En revanche, plusieurs apparitions circonstanciées, dont Paul ne souille mot.

Soit à cause de leur importance, soit à cause des ditficultés qu’ils soulèvent, ces récits réclament une particulière attention. Après les avoir cités dans leur intégralité, nous étudierons brièvement leur caractère et leur condition littéraire. Puis, ayant rapproché les fragments anciens qui peuvent, à côté d’eux, présenter quelque intérêt, nous formulerons les résultats historiques de notre enquête.

B. — Les récits évangéliques de la résurrection

365. — Après le sabbat, à l’aube du premierjour dusabbat [notiveau, Marie de Magdala vint, avec l’iuitre Marie, voir le tombeau. Et voici un grand tremblement de terre : un ange du Seigneur, descendu du ciel, s’avança, fit rouler la pierre [qui fermait le sépulcre] et s’assit dessus ; sa face [brillait] comme 1 éclair, et son vêtement était blanc conuiie neige. De la peur qu ils en eurent les gardes furent terrifiés et comme frappés de mort. Or l’ange, s’adressent aux femmes, dit : « Vous, ne craig : nez pas : car je sais que vous clierchez Jésus, le crucifié. Il n’est pas ici ; il est ressuscité comme il l’avait dit. Venez, vovez la place où il gisait. Et vite, allez, dites aux disciples qu il est ressuscité des morts, et voici qu’il vous précède en Galilée. l » à. vous le verrez. Je vous ai dit. n

Et s’en allant d’auprès du monument, avec crainte et grande joie, elles courureut annoncer [la chose] aux disciples. Et voici que Jésus se présenta au-devant d’elles et leur dît ; « Salut ! » Elles, s’approcbant, embrassèrent ses pieds, et se prosternèrent [ainsi^ devant lui..-Vlors Jésus leur dit : « Ne craig"nez pas ; allez, annoncez à mes frères qu’ils aillent en Galilée, et là ils me verront. »

Comme elles allaient, quelques-uns des gardes vinrent en ville et annoncèrent aux princes des prêtres tout ce qui était arrivé. S’étant [donc] réunis en conseil avec les anciens, [ceux-ci] prirentune forte somme qu’ils donnèrent aux soldats en disant : « AflSrmez : ses disciples sont venus la nuit et l’ont pris, pendant que nous dormions. Et si la chose arrive aux oreilles du procurateur, nous [le] calmerons et nous vous empêcherons d’être inquiétés. » Eux prirent l’argent et firent comme on le leur avait dit. Et cette version s’est répandue chez les Juifs jusqu’à ce jour.

1. L’Evang-ile selon les Hébreux, sorte de doublet roman* ce, très ancien, de notre premier évangile, se chargea de combler cette lacune par un récit d’allure fort suspecte. Texte rapporté par S. Jluôme, de Vi/i* ir/lusirihus. Il ; dans les Aniilegomena-d’Erwin pKErscnEN, Gîessen, 1905, Uebràerevan^eîiiini, frag. 18, p. 7-8 : « L’Evangile qu’on appelle selon les Hébreux, que j’ai naguère traduit en grec et en latin et qu’Origène utilise souvent, raconte, après la résurrection du Sauveur : Après ai’oir donné le suaire au serviteur du prêtre, le Seigneur nUa vers Jacques et lui apparut, car Jacques avait fait te serment de ne pas goûter de pain à partir de l’heure où il avait bu le calice du Seiîfneur jusqu’au moment où il le verrait ressusciter des morts. Et. un peu plus loin ; u Apportez, dit le Seigneur, une table et du pain. » Et aussitûtaprès on ajoute : // prit le pain^ le bénii^ le rompit et en donna à Jacques le juste et lut dit : u Mon frère^ mange ion pain, car le Fils de l’homme est ressuscité des morts. »

Or, les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que leur avait marquée Jésus, et le voyant ils se prosternèrent, maie quelques-uns doutèrent. Et s’approchant, Jésus leur parla en ces termes : x Toute puissance m’a été donnée, au ciel et sur terre. Allez donc et faîtes de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur enseignante garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle [présent]. » Mt.^ xxviii.

366- — Le sabbatpassé, Marie de Magdala, Marie [mère’de Jacques et Salomé achetèrent des parfums jtonr aller lui faire les onctions [d’usage Et de très bonne heure, le premier jour du sabbat [nouveau], elles viennent au monument, comme le soleil était déjà levé. Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre hors de la porte du monument ?)> Et avant regardé, elles virent que la pierre — qui étuit fort grande — avait été roulée de côté. Et entrant dans le monument, elles virent un jeune homme assis à droite, revêtu d’une robe blanche, et elles furent saisies de stupeur. Mais il leur dit : u Ne sovez pas [ainsi" saisies. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié. Il est ressuscité, il n’est pas ici. Voyez la place où on le déposa. Mais allez, dites à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée. Là vous le verrez comme il vous l’a dit. r Lors, sortant, elles s’enfuirent du monument, prises d’un tremblement, hors d’elles-mêmes. El elles ne dirent rien à personne ; elles avaient peur’… .Vf., XVI, 1-8.

367. — Etant ressuscité le matiu, le premier jour du sabbat [nouveau], il apparut d abord a Marie de Magdala, , de qui il avait chassé sept démons. Elle, s’en allant, l’annonça à ceux qui avaient été avec lui et qui étaient dans l’affliction et dans les larmes. Or ceux-ci, entendant dire qu’il vivait et qu’elle l’avait vii, ne crurent point. Après cela il se manifesta, en une forme différente. à deux d’entre eux qui cheminaient, allant à la campagne : à ceux-ci’les autres disciples] ne crurent pas non plus. Fioalement il apparut aux Onze eux-mêmes, comme ils étaient à table, et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur parce qu’ils n’avaient pas cru à ceux qui l’avaient vu ressuscité.

Et il leur dit : a Allez dans le monde entier, et prêchez l’Evangile à toute créature. Qui croira et sera baptisé sera sauve ; qui ne croira pas sera condamné. Or voici les signes qui accompagneront [la parole de^ ceux qui auront cru : en mon nom ils chasseront les démous j ils parleront des langues nouvelles : ils saisiront [impunément ^ les serpents et s’ils boivent quelque breuvage d& mort, il ne leur nuira point ; ils imposeront les mains aux malades, qui seront guéris, w

Or donc le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu, et eux, s’en allant, prêchèrent partout, avec l’assistance du Seigneur qui confirmait leur parole par les miracles qui l’accompagnaient 2. 3/c., XVI, 9-20.

1. Marc décrit admirablement le premier moment, tout à l’étonnement et à la crainte. Nous savons que les femmes se ressaisirent, que la joie se mêla, comme il arrive, à l’effroi initial, et les rendit capables de transmettre leur message. Voir H. B. Swete, The Gospel according io S. Mark’^, p. 398-390.

2. C’est délibérément que j’ai distingué, des huit premiers versets, ce qn’on est convenu d’appeler la (( finalede Marc ». Ou sait que létat de la question textuelle n’autorise pas à assimiler, sans plus, les versets 9-20 aux premiers.’Là-dessus, entre autres, la dissertation du P. Lagba : sck, Evangile de saint Mare, ^, p. ^2fi-439.) D’autre part, ce morceau est incontestablement canonique ; et on décretrécent de la Commission biblique (26 juin r-’ll) ne permet pas à des catholiques d’affirmer comme une vérité démontrée — ce qui d’ailleurs serait, du simple point de vue critique, fort téméraire — que saint Marc n’est pas l’auteur de ces versets. (Sur le sens et la portée du décret, Ferdinand Prat. La Question synoptique, d&ns les Etudes du 5 décembre 1912. p. 598-015.^

Il ne peut étro question de discuter ici la question d’auteur. Qu’on attribue ces versets à nne reprise postérieure, .

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368. — Elle jour du sabbat [les femmes qui éUi « iit | venues avec Jésus de la Galilée] se reposèieot, selon le pvécei » te ; mais le ()reniier jour de la semaine, de très grand matin, elles vinrent au tombeau, jiorlant les j>iirtuuis qu’elles avaient préparée. Ur, elles tfouvèrenL la pierre roulée hors [de l’enUvej du tombeau, et étant outrées, elles ne trouvèrent pas le corjis du Seigneur Jésus. Kt comme elles étuienLdans l’inccrtituilo à ce sujet, voici que deux liouimes leur apparurent, en Uabit resplendissant. Tandis qu’épouvantées elles jelai’-nt leur reg^ard eu terre, ils leur dirent : d Pouirpioi obercbez-vous le vivant parmi les morts ? Jl n e>t pas ici, mais il est ressuscite. Souvene2-vous de ce qu’il vous dit étant encore en Galilée, disant du Fils de l’iitanme : u Il faut qu’il soit livré aux mains des pécbeurs, qu’il soît crucitîe et que, le troisième jour, il ressuscite. » Lors elles se souinreat de ses paroles et, étant revenues du tombeau, elles annoncèrent tout cela aux Onze et aux outres [disciples]. C’étaient Marie de Magdala et Jeanne et Marie [mèrc’de Jacques ; et les autres qui étaient avec elles, racontaient [aussi] ces choses aux apôtres. Mais ces paroles leur paiureut pareilles à celles [de geni^j en délire et ils ne cruieut pas les feuimes. Pierre cependant se leva et coui-ut au tombeau et s’étant penché [à rintérieurj, il ne vit que les linj^es [sans le corps], et il s’en rdourna, s’étonnant à part lui de l’événement.

Et voici que deux d’eiUre [les disciplesj cheminaient le même jour vers un bourg éloigne de soixante stades de Jérusalem, et nommé Emmaus’. Et ils s’entretenaient entre eu-v de tous ces accidents. Or, tandis qu’ils parlaient et cherchaient ensemble, voici que Jésus lui-même, s’étant approché, faisait route avec eux ; mais leurs yeux étaient tenus de façon qu’ils ne le reconnaissaient pas. U leur dit : (( Quels sont ces discours que vous échangez en marchant ? » Et ils s’arrêtèrent, tout tristes. Répondant, l’un d’eux, du nom de Cléophas. lui dit : (( Tu es bien dans Jérusalem le seul étranger à ne pas savoir ce qui s’y est passé ces jours-ci ! » — « Quoi ? » leur dit-il. Mais eux :

« Touchant Jésus de Nazarethqui était, à la face de Dieu

et de tout le peuple, un prophète puissant en œuvre et en paroIe : comment les princes des prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné h mort et l’ont crucifié. Nous, nous espérions qu’il était celui qui doit racheter

par S Marc, de son travail resté, pour une cause inconnue, inachevé ; ou qu’on avoue son ignorance, on ne sort pas des probabilités. Deux points, par ciinlre, sont pratiquement certains ; 1. La finale olïre avec ce qui précède un contraste qui, à travers la traduction même, reste sensible. Outre que le morceau est nu résume très vapjue, impersonnel, sans analogue dans le second évangile, il y a une manifeste solution’le continuité entre le verset 8 et le erset y, qui prend l’histoire de la résurrection à pied d’œuvre, comme si les huit premiers versets n’existaient pas, comme si Marie de Magdala n’était pas nommée au premier (voir M. J. Lackakge, lib. cit.^ p. 435 ; 11. B. SwETE, Tite Gospel accordlng to S. Mark-, p. ciiicxiii). L’état extérieur du texte, l’absence de la finale dans quelques-uns des nuinuscrîts les plus anciens — dont le Vaticanus et le Sinaituns (grec et syriaque) ; les doutes d’Eusèhe. de saint Jérôme et, très probablement, d’Origène ; la pluralité des finales et l’incertitude des stichométries, tons ces indices fortifient d’ailleurs l’impression de discontinuité signalée plus haut. — 2. En dépit de cette constatation, le fragment l’emporte incontestablement, en valeur et en antiquité, sur les autres finales qui garnissent, çà el là, à sa place ou conjointement avec elle, dans des manuscrits postérieurs. Sa présence dans presque tous les manuscrits principaux, dans toutes les versions (à l’exception du sinaïtique syriaque, du codex Bobiensis, de lu version lutine ancienne et de quelques uianuscrits de la version arménienne) ; l’usage qu’en ont fait les Pères du ue siècle, entre autres S. Justin, S. Irénée, Tatien ; l’acceptation par toutes les églises U la même

« pot(ue ; le caractère sobre et traditionnel du morceau,

autant de raisons qui nous amènent à voir en lui un fragment de caractère primitif, rédigé au premier siècle,

« une authentique relique de lu première génération H chrétienne’U. B. SwETK. /(6. /af/É^., p. cxii : voir aussi ToRKiLD

Skat Hoerdam, dans le Uihbert Journal de juillet 1905, p. 7W sqq.V Nous l’utiliserons comme tel.

1. Voir D. Btv.y, Emmaiis, dans les Recherches de science religieuse^ juillet 1914.

Israël, mais avec tout cela voilà le troisième jour depuis l’événement. Quelques femmes, à vrai dire, de celles qui sont avec nous, nous ont bien surpris : allées dès le matin au sépulcre et n’ayant pas trouvé son cprps, elles sont venues nous parler d’une apparition qu’elles ont vue, d’anges qui disent que [Jésus] vit. Quelques-un.s deï> noires ontéte au tombeau et ont trouvé les choses conformes aux dires des femmes, mais lui, ils ne l’ont pas vu. » Lors, , il leur dit : (f Gens lourds d’esprit, lents de cœur à croire en tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fuUait-il pas que le Christ soutriit ces [peine>] |>our enti’er [ainsi] dans sa gloire ? » Et commençant depuis Moïse et tous les prophètes, il leur interpréta ce r|ui, dans toutes les Ecritures, le concernait.

Or, ils approchaient du bourg où ils se rendaient. Lui fit semblant de pousser au delà. Mais eux le pressèrent en disant : a Restez avec nous, car le soir vient et le jour a décliné déjà. » Et il entra pour rester avec eux. Or, comme il était à table avec eux, il prit du pain, et, l’ayant béni, il le rompit et le leur dejuna. Lors, leurs yeux se dessillèrent et ils le reconnurent : mais il leur devint invisible. Et ils se dirent entre eux : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, lorsqu’il nous parlait dans le chemin, lorsqu’il nous ouvrait [le sens] des Ecritures ? » Et se levant à l’heure mémo, ils retournèrent à Jérusalem ^t trouvèrent rassemblés les Onze et leurs compagnons, qui leur dirent ; (( Véritablement le SeigLeur est ressuscité et Simon l’a vu ! » Mais eux racontaient les incidents de la route et comme il s’était fuit connailre d’eux dans [l’acte de] la fraction du pain.

Comme ils parlaient ainsi, lui-même [parut] debout au luilieu d’eux et il leur dit : « Paix à vous ! » Saisis de CTiiinte et d’elïroi, ils croyaient voir un esprit. Mais il leur dit : a Pourquoi êtes-vous troublés ? Pourquoi ces pensées de doute montent-elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds. C’est moi-même. Touchez et voyez : un esprit n’a pas chair et os comme vous voyez bien que j’ai. » Et ce disant il leur montra ses mains et ses pieds. Mais comme ils ne croyaient pas encore (si grande était leur joie !) et qu’ils restaient ébahis, il leur dit : « Avez-vous quelque nourriture ici ? i » Ils mirent devant lui un morceau de poisson rôti et à leurs yeux il en prit et en mangea.

Il leur dit : « Ce sont les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous, qu’il fallait que tout ce qui est écrit de moi, dans la loi de Moïse, les prophètes et les psaumes, fut accompli. » Alors il leur ouvrit l’esprit sur le sens des Ecritures et il leur dit qu ainsi il était écrit : le Christ devait souffrir, et ressusciter des morts le troisième jour, et on devait prêcher en son nom la pénitence à toutes les nations — en commençant par Jérusalem. « Vous êtes témoins de tout cela. Et je vais. moi, envoyer sur vous ce que mon Père a promis ; vous autres, restez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez investis de la puissance d’en-haut. > »

H les conduisit de là jusqu’à Béthanïe et, élevant ses mains, il les bénit. Et tandis qu’il les bénissait il se sépara d’eux. Eux retournèrent à Jérusalem en grande allégresse et ils étaient assidûment dans le Temple, rendant grâces à Dieu. Lc.j xxiii, 56, xxiv.

369. — J’ai parlé, Théophile, dans mon premier livre, de ce que Jésus fit et enseigna depuis le commencement jusqu’au jour où, ayant intimé ses [iréceptes, par le Saint Esprit, aux apotres qu’il avait choisis, il fut enlevé au ciel. Devant eux il s’atllrma vivant, a]>rès sa passion, par maint indice certain, s’étant montré à eux durant quarante jours et leur parlant du Koyaume de Dieu. Et se trouvant à table avec eux il leur prescrivit de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’[y] attendre [l’eiTet de] la promesse du Père : « celle dont je vous ai parlé ; Jean baptisait dans l’eau ; vous, vous serez baptisés du Saint E>prit sous peu de jours)>. Or, ceux qui étaient réunis l’interrogeaient, disant : « Seigneur, est-ce présentement que vous rétablirez le royaume d’Israël ? » Il leur dit : « Ce n’est pas à vous de connaître le temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous recevrez la force du Saint Esprit qui viendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’au bout du monde. » Disant cela, sous leurs yeux, il fut élevé et un nuage le déroba à leurs regards. Àct.^ i, 1-1*.

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370. — Le premier jour de la semaine, Marie de M.’igdula vient le matin au tombeau, avant l’aube, et elle voit la pierre du st^pulcre ûtée. Elle court donc, va trouver Simon Tierre et l’autre disciple — celui tjue Jésus aimait

— et leur dit : « Us ont enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons où ils l’ont mis ! > Pierre sortit donc, et Tautre disciple, et ils vinrent au tombeau. Tous deux couraient ensemble, mais 1 iiulre disciple précéda Pierre à la course et vint le premier au sépulcre. S’étant penché [à lintér’icur] il vit les linges gisant, mais n’enlra pas. Simon Pierre, fjui l’accompagnait, arriva donc et entra dans le sépulcre : il vit les linges gisant [à terre] et le linge dont on avait entouré sa tête, non pas avec le* autres linges, mais plié à part dans un [autre] endroit. Alors entra aussi l’autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau : il vit et crut. Jusqu’alors ils ne savaient pas [le sens de] l’Ecriture, t’i fallait que [Jé^us] ressus citât dps morts. Les disciples s’en retournèrent donc chez eux.

Marie se tenait près du sépulcre, à l’extérieur, pleurant. Or, comme elle pleurait, elle se pencha [à rintérieur| du tombeau et vit deux anges vêtus de blaïic, assis l’un a la tête, l’autre aux pieds de la place où gisait [auparavant] le corps de Jésus, lis lui dirent : x Femme, pourquoi pleures-tu.' >' Elle leur dit : « C’est qu’ils ont pris mon Seigneur et je ne sais où ils l’ont mis.)> Ce disant, elle se retourna et vit Jésus debout — mais elle ne savait pas que c’était Jésus. Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Elle, pensant que c’était le jardinier, lui dit : « Seigneur, si vous l’avez emporté, dites-moi où vous l’avez mis et je l’enlèverai. » Jésus lu » dit : ’1 Marie ! » Elle, s’étant retournée, lui dit en hébreu :

« Rabboni » (ce qui veut dire : mature). Jésus lui dit : « Ne

me touche pas, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père. Mais va vers mes frères et dis leur : « Je monte vers mon Père et le vôtre, vers mon Dieu et le vôtre. » Marie de.MoLrdala vint et annonça aux disciples : a J’ai vu le Seigneur et il m’a dit ceci. »

Et comme il était tard, ce jour-là, premier de la semaine, et, par crairte des Juifs, les portes étant closes du lieu où se tenaient les disciples, Jésus vint et se tint dcbfput au milieu [d’eux]. Il leur dit : « Paix à vous », et ce disant il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent donc, voyant le Seigneur. Or, Jésus leur dit derechef : « Paix à vous ! Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie, n Et disant cela il souffla et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux de qui vous remettrez les péchés, ils leur sont rem s ; ceux de qui vous les retiendrez, ils [leur] sont retenus. »

Or l’un des Dou ?e, Thomas, appelé Didyme, n’était pas avec eux quand vint Jésus. L^s autres disciples lui dirent donc : « Nous’avons vu le Seigneur. » Lui leur dit :

« Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si

je ne mets mon doigt dans la marque fies clous et mu main dans son côté, je ne croirai pas. » Après huit jours, les disciples étaient enfermés de nouveau et Thomas avec eux. Jésus vint, les portes closes : il se tint debout au milieu et dit : « Paix à vous ! » Ensuite il dit à Thomas : « Mets ton doigt ici et vois mes mains, et ta main, tiens, mels-la dans mon côté, et no sois pas infidèle, mais croyant. » Thomas répondit et lui dit : « Mon Soigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : (( Parce que tu m’as vu. tu as cru : bienheureux ceu.x qui, n’ayant pas vu. croiront. »

Jésns opéra, sous les yeux de ses disciples, bien d’autres signes [miraculeux] qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-ci ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, Fils de Dieu, et pour qu’en le croyant vous ayez la vie en son nom.

371. — Après cela^ Jésus se manifesta de nouveau à ses

1. Contrairement à la fin de Man-, ce chapitre xxi’de Jean n’otTre pas, du point de vue textuel, prise au doute, Non seuiometit il n’existe « aucuno trace du fait que l’Evangile aurait été lu quol<pie part et à quelque époque que ce soit, sang ce chapitre xxi », mais f( cet épilogue est, avec le prologue, le morceau le mieux attesté du livre » ; Th. Zamn, Das Eran^clium des Johanncs ausgelegt^ Leipzig, l’.tOS, p. 11. Voir les [>reuves, par exemple dunsV Eïn le du ni> de Zahn, Il 3, p. ^19">-."107. Il reste que des indices très clairs : la présence d’une première finale : xx, 30-31 ; le caractère rétrospectif des faits narrés h ])artir du ver.*tet 20 ; l’attestation formulée nu vei-set V’/, forcent d’y oir

disciples, près de la mer de Tibériade ; il se manifesta ainsi. Ensemble étaient Simon Pierre et Thomas surnommé Didyme, Nathanaél, de Cana de Galilée, les [fits] de Zébedée et deux autres disciples. Simon Pierre leur dit : « Je vais pêcher, m Eux lui disent : « Nous [y] allons nous aussi avec toi. » Us sortirent, montèrent dans la barque et, cette nuit-là, ne prirent rien. Le matin étant venu, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était Jésus. Il leur dit donc : « Enfants, n’avez-vous rien à manger.’» Us lui répondirent : m Non ! » Lors, il leur dit : « Jetez le filet à droite du bateau, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc [le filet] et ne pouvaient plus le retirer à cause de l’abondance des poissons. Le disciple que Jésus aimait dit en conséquence à Pierre : « C’est le Seigneur. » Simon Pierre, entendant [dire] que c’est le Seigneur, mit son vêtement autour de ses reins (car il était nu} et se jeta dans la mer. Les autres disciples vinrent dans la barque, car ils n’étaient pas loin de la terre, mais à deux cent coudées à peu près, tirant le filet [plein] de poissons. Quand ils furent descendus ù terre, ils virent du charbon gisant, un poisson placé dessus et du pain. Jésus leur dit : « Apportez des poissons que vous venez de capturer. » Simon Pierre monta [dans la barque] et tira le filet plein de gros poissons ; cent cinquante trois. Et nonobstant qu’ils fussent si nombreux, le filet ne se rompit pas. Jésus leur dit : » ( Venez, dînez. » Nul des disciples n’osait lui dire : « Qui êtes-vous ? » (ils savaient que c’était le Seigneur). Jésus s’approche, prend du pain et le leur donne et semblahlement du poisson. Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples après être ressuscité des morts.

Quand ils eurent dîné, Jésus dit à Simon Pierre : (( Simon, fils de Jean, m’aimes-(u plus que ceux-ci ? t> 11 lui dit : ff Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. » Il lui dit : (( Pais mes agneaux. » Derechef il lui dit une seconde fois : {( Simon, fils de Jean, m’aimes-tu } » [Pierre] lui dit : ({ Oui, Soigneur, vous savez que je vous aime. » Vésus] lui dit : » Pais mes brebis. » Une troisième fois il lui dit : (( Simon, fils de Jean, m’aimes tu ? » Pierre fut chagriné qu’il lui ait dit une troisième fois : » < M’aimes-tu ? ", et il lui dit : « Seigneur, vous savez toute choses ; vous savez que je vous aime. » Jésus lui dit : « Pais mes brebis. — En vérité je le le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais et tu te promenais où tu voulais. Mais quand tu auras vieilli, tu étendras tes mains et un autre te ceindra et [te] mènera où tu ne voudrais pas [aller], d (Il lui indiquait par ces paroles par quel genre de mort il glorifierait Dieu.) Et parlant ainsi il lui dit : (( Suis-moi. » Pierre s’étant retourné, voif, les suivant, le disciple que Jésus aimait et qui pendant la Cène reposa sur sa poitrine et lui dit : » Qui est celui qui vous trahira.’» Voyant donc celui-ci, Pierre dit à Jésus : « Seigneur, celui-ci, que lui [arrivera-t-il].’» Jésus lui dit :

« Si je veux qu’il demeure jusqu’h ce que je vienne, que

t’importe ? Toi, suis-moi. i) Le bruit se répandit donc parmi les frères que ce disciple-là ne mourrait pas. Or, Jésus ne lui dit pas qu’il ne mourrait pas, mais : « Si je veu.v qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t importe ? »

C’est ce disciple-là qui a témoigné louchant ces choses et qui les a mises par écrit — et nous savons que son témoignage est véritable. Jésus accomplit bien d’autres œuvres : si on les écrivait par le menu, je pense que le monde ne sullirait pas aux livres cpi’on écrirait.

Jo., X., XXI.

372. — A ces récils, on unit d’ordinaire quelques indicationsemprunléesauxévangilesnon canoniques

un appendice, qui ne rentrait pas dans le plan primitif de l’auteur. Voir Th. Calmes, l.’Evani^ile selon saint Jean, Paris, 190^, p. 46(1 sqq. ; B.’kiss, Das Johannesevanî*e~ lium ah rinheitUches W’erk^ Berlin, 1912, p. 3d4, 355 Quoi qu il en soit de la question littéraire soulevée par le verset 2’i, les souvenirs consignés ici sont incontestabletrès anciens (M. LoisY lui-même, Le Quatrième Evangile^ Paris, 1903, p. 926, en juge ainsi), et leur historicité est aussi bien attestée que celle des faits narrés dans les autres chapitres de l’évangile icdiannifjue : M. Lki’IN, f.n râleur historique du IV* rt-angile, Paris, 1910, l, p. 621 sqfj. Sur les détails et l’accord avec les autres traditions, H. B. SwKTE. The appearances of Onr Lord afier tfie Passion^ London, 19(1 ?, ch. vi, p. 51-66. 1485

JESUS CHRIST

l’186

les plus anciens. Non seulement P. W. Scumiedel, lians le tableau qu’il a joint à l’article Jit’surrection and.Iscensiun Narralnes de VEncyclopædia Hiblica de T. K. Glieyne*, mais M. Friedrich Loofs, dans son opuscule : Die Auferstehungs llerichte und ihr IVerl’^ et Mgr P. Ladkuze, dans sa belle conférence sur la llésnrrcction du Christ défaut la critique cnritemporaiite’-', en ont fait état. Le professeur H. 1 ?, SwKTE en use de même, après s’être expli((ué sur la valeur qu’il attache à ces indications, u Quand nous sortons du Nouveau Testament, les échos de la tradition primitive deviennent rares et, pour la plupart, ne méritent pas confiance’. n Un fragment de V FCvangile dit des Hébreux (écrit palestinien de la lin du i" siècle) raconte l’apparition du Seigneur à Jacques. Je l’ai cité plus haut. Un morceau copte du second siècle décrit l’apparition aux saintes femmes, près du sépulcre, en des termes qui permettent de croire ce récit partiellement indépendant des narrations synoptiques-’. Mais seul VEiangite dit de Pierre, du second siècle, vaut, semblet-il, d’être cité ou résumé ici. Ce qu’il dit pour com])léter nos récits canoniques et, plus encore, la façon dont il le dit, mérite attention. On peut mesurer sur cet ouvrage — le plus sobre, le plus ancien des évangiles non canoniques dont il ne nous reste plus qu’une poussière de fragments — la dilTcrence qui sépare, de tout ce qui n’est pas eux, les livres retenus et canonisés par l’Eglise*.

373. —’Voyant les prodiges qui s’accomplissaient après la mort du Seigneur, et le peuple ému,

les Anciens eurent peur et vinrent prier Pilate en ces termes : « Donnez-nous des soldats atin qu’ils gardent le sépulcre durant trois jours, de crainte que ses disciples ne viennent, n’emportent [son coIp^] et que le peuplo, croyant qu’il est ressuscité des morts, ne nous fasse une méchante afl’aire. » Pilate mil à leur disposition le centurion Petronius et des soldats pour garder la tombe : avec eux les prêtres et les scribes vinrent au sépulcre et ceux qui étaient là, tous ensemble, avec le centurion et les soldats, roulèrent une grande pierre, la mirent contre la porte du sépulcre, y opposèrent sept sceaux et, ayant dressé là une tente, ils veillaient.

Et de bon matin, à l’aube du sabbat, une foule do gens

1. Vol. IV, col. 403’J-’1037. London, 1<JÛ7 ; le tableau est en face des colonnes 405.’ ! , 4054. Cet article de P. W. Schraiedel réunit, dans un ensemble dont l’érudition fait ressortir l’arbitraire et le criant apriorisme, toutes les difficultés, tous les heurts, toutes les antinomies qu’on peut relever ou soupçonner dans les récits. Je ne vois pas que personne, ni M. Arnold.Meyer, ni .M..lfred Loisy, ni M. Kirsopp Lake, ait, sous ce rappoi’t, rien ajouté à P. W. Schmiedel.

2. Leipzig, 1898, : j’édition à Tiibingen, l’J08, p. 38-31 : i. S.Bruxelles, s. d. [1907], p. 8, 9 en note.

4. The appearance-s ofOiir Lord, p. xv.

5 Ce fragment, d’abord publié par C. Si’.hmidï dans les 5(<r « n ; » jirr/’r/W( ! de l’Académie de Berlin. 1895, p. 705-711, est donné, en trad ne tion allemande, dans les Antilegoiucnn de E. Preuschcn, 1905. p. 83-8’i..Marie, Marthe et Madeleine vont au tombeau pour embaumer le corps, trouvent la tombe vide, sont troublées et pleurent. Jésus leur apparaît, leur défend de pleurer, se fait reconnaître et dépêche l’une d’entre elles annoncer aux apôtres la résurrectinn. Marthe y va, ne réussit pas à les persuader. Marie est envoyée à son tour et ne réussit pas mieux. Alors le Seigneur lui-même y va et adresse la pai’ole aux disciples. Ils le prennent d’abord pour un fantùrae, mais lui se fait reconnaître, soit en rappelant ses paroles anciennes, soit en les invitant à le loucher : « Pierre, mets ton doigt dans le trou des clous de ma main, etc.)’r ». Pour l’Evangile de Pierre, dont je traduis le principal fragment, trouvé à Akhmim en Egypte en I88(i, et édité d’abord par Bol’RIAnt en 1892 (tac-simile par 0. von Gebhartll en 1893), je suis le texte de E. Preuschen, AntiUgomcna-. 1905. p. 16-20.

vint de Jérusalem et du voisinage pour voir le tombeau scellé. Mais la nuit où bi’illa l’aube du dimanche, comme les soldats montaient la garde, deux à deux, une grande voix se fit entendre dans le ciel, et ils virent les cieux s’ouvrir et deux hommes, éclatants de lumière, en descendre et s’approcher du tombeau. Or, la pierre qui appuyait sur la porte roula d’elle-même et se plaça de cùté, la tombe s’ouvrit et les deux jeunes gens entrèrent. Ce que voyant, ces soldats éveillèrent le centurion et les Anciens, qui étaient là aussi, de garde. Et comme [les soldats] expliquaient ce qu’ils avaient vii, ils aperçoivent derechef trois hommes sortant du tombeau : deux soutenaient le troisième, et la croix les suivait. La télé des deux [qui soutenaient] atteignait le ciel et celle de celui qui était soutenu dépassait les cieux. Et ils entendirei t une voix [venue] des cieux, qui disait : « As-tu prêché aux morts.’» Et une réponse partit de la croix : « Oui. n Les soldats s’arrangèrent donc entre eux pour s’en aller et déclarer l’alTaire à Pilate. Et comme ils se concertaient encore, ils virent les cieux s’ouvrir de nouveau ; un homme descendit et entra dans le sépulcre. Ce qu’ayant vii, ceux qui étaient avec le centurion, laissant la tombe qu’ils gardaient, se hâtèrent, en pleine nuit, d’.dier trouver Pilate et ils lui racontèrent tout ce qu’ils avaient vii, grandement troublés et disant : « Véritablement, il était le Fils de Dieu ! » En réponse Pilate leur dit ; « Je suis innocent du sang du Kiis de Dieu : l’affaire [de sa mort] est vôtre. » Ensuite, tous étant venus priaieni[Pilale] avec instance d’ordonner au centurion et aux soldats de ne dire à personne ce qu’ils avaient vu. « Car il est bon, disaient-ils, d’esquiver [la responsabilité] de ce grand péché à la face de Dieu, et de ne pas tomber aux mains du peuple juif pour être lapidés. » Pilate ordonna donc au centurion et aux soldats de ne rien dire.

A l’aube du dimanche, Marie de Mag.’ala, disciple du Seigneur — elle craignait les Juifs, enflammés décolère, et [par suite] n’avait pas accompli au tombeau du Seigneur [les rites] que les femmes ont accoutumé d’accomplir sur les morts qu’elles ont aimé, — ayant pris [avec elle] ses amies, vint au sépulcre où on l’avait déposé. Or, elles craignaient que les Juifs ne les vissent et disaient : « Si au jour même où il fut crucifié nous n’avons pu pleurer et nous lamenter, du moins faisons-le présentement sur son tombeau. Mais qui fera rouler devant nous la pierre qu’on a mise contre la porte du sépulcre, afin que nous puissions entrer près de lui et accomplir ce qui convieitt ? n — La pierre était grande en effet — « Et nous craignons que quelqu’un nous vole. Si nous ne pouvons pas [entrer], du moins, en mémoire de lui, nous jetterons sur la porte [les parfums] que nous avons apportés, nous pleurerons et nous nous lamenterons jusqu’à notre retour à la maison. » Or, en ar-rivant elles trouvèrent le tombeau ouvert et s’étanl approchées elles se penchèrent et virent à l’intéi leur, assis au milieu du sépulcre, un beau jeune homme entouré d’un vêtement splendide, qui leur dit : a Pourquoi êtes-vous venues.’Qui cherchez-vous.’Le crucifié, n est-ce pas.’Il est ressuscité et est parti. Si vous ne le croyez pas, penchez-vous et voyez la place où il gisait. Car il n’est pas là, il est ressuscité et est parti pour le lieu d’où il avait été envoy »’. n.lors, saisies d’effroi, les femmes s’enfuirent.

C’était le dei-nier jour des Azymes et plusieurs s’en allaient, retournant chez eux, la fête achevée. Mais nous, les douze disciples du Seigneur, nous étions dans les pleurs et le deuil, et chacun [de nous], attristé do ce qui était arrivé, s’en retourna vers sa maison. Or moi, Simon Pierre et mon frèie André, ayant pris nos filets, nous partîmes vers la mer [de Galilée] et avec nous était Lévî, fils d’Alpbée, que le Seigneur…

Evangile de Pierre, vers. 29-60.

374. — Du texte ainsi interrompu, l’intérêt principal réside dans le caractère manifestement dérivé, secondaire, de la narr<ilion. Dès que l’auleiir quitte, pour une glose, voire pour une explication, le solide fond évangélique, les fautes de goût, les anachronisracs, les invraisemblances se mu’lijjlient. De mcrie que dans le passage relatif à la Passion (et non traduit ici) le pseudo-Pierre met dans la bouche d’Hérode .ulipas l’appellation, continart au grotesque, de

« Frère Pilate ». de même ici, les traits sobremi ni 1487

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1488

indiqués par les évangélistes sont par lui majorés, soulignés, étendus jusqu’au ridicule. Les précautions des Anciens louchant la sépulture sont circonstanciées et l’on nous montre ces Juifs orgueilleux mettant la main à la besogne, en compagnie des soldats romains. On nous les montre, vivant de pair à compagnon avec eux ! La résurre> ; tion est décrite, et avec ces traits de fausse grandeur, de gigantesque, qui sont proprement la signature du faiseur d’apocryphes. Si les rétlexions des femmes ne sont que prolixes, celles des Anciens sont invraisemblables. Finalement, il n’est guère de délai ! , ajouté au fond primitif, qui ne se présente comme suspect. C’est dire qu’en dehors des textes canoniques, évangéliqucs et pauliniens, il ne reste à l’historien que des glanes à peu près négligeables. Par contre, la moisson évangélique, si elle n’est pas aisée à recueillir et à mettre en gerbe, est abondante.

La condition littéraire et historique des textes.

378. — La condition littéraire des textes n’est pas diirérente — sauf en ce qui concerne la finale du second évangile et l’appendice du quatrième, pour les raisons et dans la mesure qui ont été précisées en note — de celle des autres récits évangéliques.Un’en va pas de même si l’on considère ces mêmes textes du point de vue de l’histoire. Une disproportion se manifeste très vite entre l’importance du fait de la résurrection, telle qu’elle ressort d^ toute la tradition chrétienne primitive, et la brièveté, les lacunes, les heurts de la tradition écrite. Nous avons entendu saint Paul afUrmer aux Corinthiens, sous les formes les plus diverses et comme chose allant de soi, le caractère fondamental de la croyance en la résurrection : elle fait partie de la substance la plus indispensable de la foi. Si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est la prédication apostolique, vaine la foi des chrétiens : ceux-ci sont les plus malheureux des hommes, en consentant des sacrifices pareils pour une chimère ; ceux-là sont des faux témoins et des blasphémateurs : I Cor., XV, 13 sqq. Ces paroles ne sont i)as isolées : tous les discours résumés dans les Actes’, qu’ils soient de Pierre et de Jean ou de Paul, qu’ils s’adressent aux membres du Sanhédrin, aux néophytes des premières Eglises, aux Athéniens curieux de nouvelles, au prince éclairé qu’était Agrippa, partent de la résurrection ou y ramènent. Le procurateur Feslus résurae-t-il à sa façon toute la querelle entre Paul et ses adversaires, c’est encore la résurrection du Christ qui fait centre dans la grossière esquisse du Romain : il s’agit pour lui « d’un certain Jésus, mort, et dont Paul affirme qu’il vit » ; ^c(., XXV, 19. Toutes les épîtres, celles de Pierre comme celles de Paul, et l’Apocalypse de Jean 2, ramènent comme un refrain ou, pour mieux dire, comme le thème fondamental de l’enseignement et le sûr ga l.ylci., II, 22-26 [au peuplede Jérusalem : Pierre] ; iii, 15-26 [idem] ; it, 10, 20, 33 [nu peuple : Pieire et Jean] ; v, 2933 [an S.Tiihédrin : Pierre et Jeun] ; x, 37-4’i[au centtirion Comelins et à sa maison : Pierre] ; xiii, 27- ; iO (aux Juifs et aux « craignant Dieu » d Aniioche de Pisidie PiiulliTii, 3, 18. 31-32 [aux Athéniens : Paul] ; xxvi 22, 26 [au lii Agrippa et ii sa suite : Paul].

2. Paul : Rom., i, 4 ; iv, 23-2’i ; vi, 4-10 ; tu, 4 ; tiii, 1011, 34 ; X, 9 : <r Si tu confesses de hoiiche que Jésus est le Seipneur et si tu crois dans Ion creur que Dieu In ressuscité des morts, tu seras sauvé », [sur ce texte, voir AH., XVI, 31 et G. Milluun, rhe Epislles lo the T/ie.isalonians, London, 1908, p. 139] ; xiv, 9 ; — I Cor vi 14 IV, 1-5, 13-19 ; — II Cor.. IV, 13-14 ; _ I Thessal., i, 7-10’IT, 12-13 ; — Ephe ! >., i, l(>-23 ; — Philipp., 11, 5-12 : — Coloss. , II, 12, 111, 1-4 ; I Tin,., iii, 16, Il Tim., 11, 8-10- _ r/ebr., TI, 17-20 ; — Pirrre : I Petr., i, 3, 21 ; jii, 18-22 ;

— Jean : Apuc, 1, 5, 18.

rant des promesses d’au delà, le même fait de la ré surrection.

376. — Cela étant, on ne peut que constater l’extrême sobriété de nos récils, pour ne pas dire leur pauvreté. D’apparitions certaines, nettement affirmées par saint Paul qui en connaissait personneUement les bénéficiaires, et dont la narration eût tant importe — apparition à Pierre, apparition à Jacques

— il ne subsiste, dans nos évangiles, qu’une sèche mention, ou moins encore. Il a fallu, pour que nous possédions la précieuse liste de témoins dressée par Paul, que les Corinthiens prêtassent une oreille trop indulgente aux adversaires de la résurrection des morts I La catéchèse primitive, toute orale, semble s’être bornée à l’affirmation du fait, à la production des témoins, à l’exploitation théologique cl ascétique de 1 événement. Quand les évangélistes entreprirent de mettre par écrit ce que concernaitla résm-rection, ils se trouvèrent en présence de peu de matière : le seul épisode vraiment détaillé et formant narration présent dans les Synoptiques, est celui des disciples d Emniaus. Hormis ce trait recueilli par saint Luc — de la bouche probablement de l’un des témoins survivants 1 — nous ne trouvons que des récits clairsemés et peu circonstanciés.

Le quatrième évangéliste s’affirme ici encore, et se prouve, comme ailleurs, témoin. Quoi qu’il en soitdes causes qui ont amené cette relative indigence (et il faut faire, me semble-t-il, très grande, la part de la

« possession n tranquille, incontestée, quant à la

substance de l’événement : il fut dès l’abord tourné j en symbole, en article de foi, ce qui le soustrayait en partie à la curiosité du détail comme aux récits épisodiques), on doit reconnaître que la vie glorieuse du Christ nous est mal connue.

377. — La nature de cette vie, extraordinaire, nouvelle, exemple des conditions communes jusque-là acceptées par Jésus, explique ce qu’il y a, dans ces traditions peu développées, de moins net, de plus flottant, de moins cohérent. Des impressions de ce genre ont toutes commencé par rétonnement, l’effroi, le doute de ceux qui les subissaient ; c’était Jésus qu’on voyait, qu’on entendait, qu’on touchait ; ce n’était plus le Jésus d’autrefois I Il fallait, pour le reconnaître, un efTorI et une abstraction des conditions habituelles de la vie humaine. Ces incertitudes, ces fluctuations, cet elTorl, très visibles dans nos récils, on laissé des traces particulières en ce qui concerne le temps et la localisation des apparitions, presque toujours soudaines, déroutant les attentes et les désirs.

378. — Le caractère des documents, tel qu’il vient d’être décrit, tout en rendant à l’historien sa tâche extrêmement délicate et difficile, le rassure, touchant la qualité des matériaux qu’il doit employer. « Des témoins déshonnêtes, remarque excellemment Plum-MBR, eussent rendu le témoignage plus harmonieux-. » Il faut ajouter que des hommes possédés des préoccupations que leur prêtent les critiques rationalistes, eussent « arrondi », complété, majoré les témoignages 3. Il n’en est rien, et la sèche énumération de

l.On sait que l’auteur du troisième évangile et des .ctes raconte, dans un des passages de ce dernier livre mis à la première personne du pluriel et qui sont les fragments d’un journal de route ( H iVs/ùcA^-), qu il vint i’i Jéru.ialem avec saint Paul :.ict., ixi, 15 sqq.

2. « Dislionest nilnesses would hâve niade the évidence more harmonious », The Gospel nccurdine to S Luhe’IIIOI. p. 546. "

3. Rien n’est plus instnirlif que de comparer aux récits les intentions prêtées aux nai râleurs, par M. Arnold Meikk. par exemple : Uie Aufcistchung Chriati, loliingrn, 1905, ’p. 14 sqq. D’après re critique, l’cvnnjjile de hi i-.-surrection étant le principal, le plus sujet ù contestation et à I’189

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saint Paul — cinq lignes épisodiques — ajoute en réalité beaucoup à ce que nos évangiles jious ont transmis. Tant lui grandie scrupule des narrateurs, et leur souci, relevé par le 1res ancien témoin qui documenta, au début du ii" siècle, Fai-ias d’IIierapolis,

« de ne pas mentir le moins du monde, [fj-r, ’J/£ ; /ja7fei Ti iv « i-rof ;  ! » (EusKBK, H. E., 111, XXXIx).

Les faits cet tains.

379. — Il est malaisé, et ce n’est pas ici le lieu, d’écrire une histoire suivie des apparitions. Les éléments de cette histoire existent, mais à vouloir les ordonner chronologiquement, on oblicnt îles arrangements dilTérents, dont plusieurs sont vraiment probables, dont aucun n’est certain. El cependant, lorsque nous envisageons d’ensemble les témoignages apostoliques transcrits plus haut, quelques traits ajiparaissent d’abord. La divergence des points de vue, les incertitudes de temps elde lieu peuvent bien brouiller ces lignes ; elles se reforment sous le regard attentif, comme ces courants essentiels déterminés par les accidents du rivage, et que l’agitation des vagues montantes ne parvient pas à dissimuler ou à dévier longtemps.

380. — Le premier de ces traits, négatif mais fort notable, c’est l’absence de toute indication lemporelle sur le point capital de la résurrection, jointe à l’absence de toute description du fait lui-même. Eu une matière qui devait retenir si puissamment l’attention des premiers chrétiens, il eût élé naturel de combler, par l’imagination, de pareilles lacunes. Les plus anciens auteurs d’apocryphes et, en particulier, celui de l’Evangile de Pierre, n’y ont pas manqué’. Mais aucune tradition digne de foi ne les en ayant informés, nos évangélistes n’en ont rien dit.

381. — Le second trait concerne le tombeau qui fut trouvé vide.au matin du troisième jour, par des femmes (au nombre desquelles figure au premier rang Marie de Magdala). Cette constatation ne se lia pas d’abord pour elles avec l’idée de la résurrection du Seigneur, qu’elles n’attendaient nullement. Quelques-uns des disciples, dont Simon Pierre, avertis par les femmes, s’étant rendus sur le lieu, purent constater l’exactitude de l’information.

Cette série de faits possède une telle importance qu’il n’est expédient dont on ne se soit avisé pour en ébranler la certitude. M. Kirsopp Lake suppose bravement que les saintes femmes se sont trompées de tombeau : u Les environs de Jérusalem sont pleins de tombes taillées dans le roc, et il ne serait pas aisé de distinguer l’une de l’autre sans | la présence] de

fausse interprétation, il fallut beaucoup ajouter aux traditions primitives, préciser des traits, buruioniser, prt’venir des difficultés (p. 14-15). Pour satisfaire des néophytes avides de merveilleux, engajîés dans le courant syncrétiste des religions orientales, il fallut, de jilus. faire une part à la chair du Christ, aux miracles, au. repas sacrés. De là, nouvelles additions (p. lfi-17 :. Enfin la tendance apologétique et evhémériste de la communauté doit entrer en ligne de compte, comme aussi la nécessité de montrer les proiihéties accomplies (p. 18-19). — On se demande alors comment tant d’intentions, tant de nécessités, tant de motifs pour étendre, interpoler, multiplier la matière primitive, ont abouti à nos maigres, brefs et fragmentaires récits !

1. P. W. Scu.mii : del ne peut s’empêcher de le remarquer ;

« La ré-^urrection même de Jésus qui est, dans les

récils canoniques, avec une réserve notable, toujoui-s supposée comme.’tyant eu lieu déjà et jamais décrite, est représentée ici [dans l’Evanjîile de Pierre] comme ayant eu lieu sous les yeux des Romains et des Juifs qui gardaient le sépulcre — et d’une façon qu’on ne peut qualifier que de grotesque, u Siesurrectlon… narratit^et, dans l’E. B. de Cheyne, IV, col. 40’17.

marquesdistinctives*. » Suit une explication tendant à montrer que cette confusion n’a rien que do vraisemblable dans le cas ! Avec moins de candeur, mais non moins d’aplomb, M. P.W. ScujiiiiDEi. adjuge tout à la légende : je transcris en note, intégralement, les i( preuves » administrées par ce savant-. Elles caractérisent à merveille une méthode. Puis, comme on ne fait pas à l’arbitraire sa part, et que l’incident est lié avec l’épisode de Joseph d’Arimathie demandant à Pilate le corps du Seigneur et veillant à le faire ensevelir, on en vient — et c’est M. LoisY — à rejeter et cet épisode et tous les récits du tombeau trouvé vide. « Cette preuve de fait… parait avoir été imaginée d’après les vraisemblances, comme une scène de roman, par un esprit de médiocre invention, pour des lecteurstrès crédules-*. » En réalité, aucune raison sérieuse de suspecter cette partie du récit ne peut être alléguée. Ni la difficulté de concilier certains détails (dont la diversité fait ressortir par contraste l’unilormité du fond), ni l’invraisemblance des incidents, ni le caractère

1. The Instorical évidence for the Itcaurrectioii of Jésus Christ, London, 1907, p. 250.

-. Après avoir renvoyé aux considérations qu’il a fait valoir dans un autre article de la même Encyclopédie (s. V. Gospel, n. 138, e. f. [II, col. 1879, 1880], où l’on nous renvoie au numéro 27 [11, col. 1782, 1783] du même article), .I. P. W. Scn.MiEDiiL jtoui’suit : « Les trois points desquels nous devons partir [dans la démonstration de la non-historicité du tombeau vide] sont : [lj le silence de Paul (comme aussi de tout le N. T., à part les Evangiles ; voir en particulier Act, , il, 29-32) — silence entièrement inexplicable si l’histoire était vraie ; [2] ensuite ht parole de Me., XVI, 8, d’après laquelle les femmes ne dirent rien de leurs expériences au sépulcre — parole qui doit être entendue dans le sens que Marc était le premier en état de publier les faits, en d’autres termes que toute l’histoire estune production très tardive ; [3] enfin, si (comme nous l’avons vu) les premières ajiparitions de Jésus eurent lieu en Galilée, les nouvelles de ces apparitions seraient .’irrivées à Jérusalem bien trop tard pour permettre un examen du sépulcre donnant des résultats satisfaisants. Si l’on avait trouvé un corps, il aurait été en un état de dissolution trop avancée pour permettre une identification ; si l’on n’aaît pas trouvé de corps, la ctiose aurait été très facilement explicable sans postulei- une résurrection. » Fncyclopædia Jhblica, s. v. Jiesurrcction… narratires, Tol. IV, col. 406G.

Le ton doctoral et l’absolu des formules ne font-tjue souligner l’insigne faiblesse de ces raisonnements. Paul, rappelant un fragment de la catéchèse primitive où ce détail du tombeau trouvé vide ne ligurait pas, avait d’autant moins à l’ajouter que cette allirmation. implicitement contenue dans ce qu’il disait, n’aurait porté aucun élément de conviction nouveau dans resjirit des Corinthiens. — Le silence des femmes concerne le premier moment, durant lequel, « pleines d’effroi et hors d’ellesniênies », elles ne dirent rien à personne. Le récit de Marc, brusquement interrompu sur ces mots : « car elles avaient peur », ne permet nullement d’entendre que les femmes ne dirent jamais l’ien à personne, ni alors et sur le coup, ni ensuite. Ce silence persévérant est contredit I>ar tous les récits complets. — Ces mêmes rt’-cits contredisent explicitement et unanimement l’iiypollièse d’après buiuelle les premières apparitions auraient eu lieu en Galilée. Même dans cette hypothèse, le dilemme final i’<léveloppé ailleurs par l’auteur : E. / ?., II, col, 1880] est simplement ridicule. M. Srhmiedel. qui suppose, Ibid., col. 1880, que la jïremière apparition en Galilée put avoir lieu le troisième jour après la mort de Jésus, et que lu nouvelle put en être portée il Jérusalem sur-le-champ (forthwith), estime-t-il que le corps ne pouvait être identifié après six jours, après huit jours.’On croit rêver en lisant — et répétés deux fois, et de quel ton décisif ! — de [)areil3 non-sens.

3. Jésus et la tradition efangàlifue, Paris, 1910. p. 205. Détails dans les Ei’aii- ; iUs si/iwpliques, U, i^Ofi, p. 6^6737. On peut voirla solide discussion de M. E. Mangï- : not, La Résurrection de Jésus, Paris, 1910, p. 177-240. 1491

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a secondaire » de la narralion. Rien au contraire Je mieux attesté, de plus naturel, ni de moins concerté que ces notations de témoins oculaires, dont toute trace d’harmonisation postérieure est absente' et qui nous mettent aux yeux l’agitation, l’etTroi, le væt-vient trépidant de la première heure.

382. — Le troisième trait concerne la genèse de la foi en la résurrection chez les femmes, et leur inutile tentative pour faire partager cette foi aux apôtres. A travers les dilïérences de présentation et les incertitudes chronologiques, il reste acquis que les fidèles amies du Crucifié reçurent d’abord du dehors l’interprétation véritable du fait que leurs yeux étonnés constataient : le tombeau ouvert et vide. Une intervention personnelle de Jésus acheva de les convaincre et les décida, en même temps, à communiquer aux disciples ce qu’elles venaient d’apprendre. Le rôle de Marie de.Magdala est fortement accusé dans toutes les sources, bien que le quatrième évangile seul nous donne le dernier mot de ce divin épisode. Tous les récits mentionnent également (et leur accord est notable) que le témoignage des femmes, celui de Madeleine en particulier, encore qu’il réussit à émouvoir et à mettre en branle quelques-uns des apôtres, fut radicalement impuissant à leur communiquer la foi en la résurrection. Tout cela leur parut suspect, invraisemblable, propos de femmes exallées.

383. — Enfin le Maître — c’est le quatrième trait

— se manifeste directement à ses disciples.. Pierre d’abord (nous le savons par le témoignage concordant de Luc et de Paul), puis au groupe apostolique pris d’ensemble, puis à d’autres ou aux mêmes, en des lieux divers, à des heures et dans des circonstances fort dilTérentes. Cette manifestation se produit à l’improviste et, loin de trouver un milieu bien préparé, vibrant, facile à persuader, se heurte d’abord au doute, à l’incertitude, à l’effroi mêlé d’inquiétude qvie suscite le contact inattendu du surnaturel. La même impression initiale de défiance et de défense scande, sous des formes diverses et plus ou moins naïves, tous les récits. Elle est vaincue par l’insistance du Maître ressuscité, qui multiplie les marques de son identité personnelle (nonobstant les conditions nouvelles où il se meut) avec le Jésus qu’avaient connu les disciples. Tantôt c’est un geste familier

— celui de la fraction du pain — qui jette à ses pieds,

« le’s yeux ouverts ", les pèlerins d’Emmaiis ; tantôt

c’est un mol, un appel, un accent qui rend à Marie de Magdala celui qu’elle avait tant aimé ; tantôt c’est une sorte d’enquête en règle et d’assurance contre l’hallucination ou la vision fantômale — paroles, toucher, nourriture prise en public — à laquelle se prête Jésus ou qu’il provoque. L’apparition ne consiste y’amflj.' ; , que nous sachions, dans une simple vision, ou un sentiment de présence analogue à celui dont les mystiques sont favorisés. Plusieurs sens et souvent tous sont affectés, non pour un moment et dans un éclair, mais d’une façon durable, par des paroles, des ordres, des promesses, des actes divers impli(iuant des changements d’attitude, des allées et venues, des pauses, des perles et des reprises de contact : d’un mot, une conversation suivie.

384. — Cinquième trait : il se l’orme, dans ces esprits lents à croire, une conviction inébranlable qui modilieet >i renverse » leur état d'àme antérieur. De ces désillusionnés, de ces découragés, de ces hommes accablés par l’effroyable catastrophe où avait sombré, avec l’honneur et la vie de leur Maître,

I. Voir par exemple P. I.AnEf/.E, /a Hcsurrectiondu Christ, [lilOT], p. 51 sqq. ; V. Rosp, Eludr^surlra Hfnngi/es*, Paris, 1905, p. 306-321 : R. von IJobsciiiItz, Ostcn und Pfingstcn, Leipzig, 19113. p. 10 sqq.

l’espérance même d’un avenir meilleur, la foi au ressuscité fait des témoins inconfusibles, des apôtres dévoués jusqu’au sang. Entre le « petit troupeau » privé de sou Pasteur et dispersé, qui se cachait au soir du jour fatal, apeuré et démoralisé — et le groupe rallié, complété, compact, conquérant, qui fut le noyau de l’Eglise primitive, il y a plus qu’une modification, il y a transformation, refonte héroïque des sentiments, trempe nouvelle des volontés. Il existe désormais, pourrait-on dire en anticipant le mot de quelques années, des « chrétiens >. Ils n’hésitent plus, n’atermoient plus, ne cèdent plus à leur rêve charnel. El le secret de ce prodigieux changement est dans leur foi en la résurrection du Maître. Cet homme qu’ils ont abandonné, qu’ils ont vu abandonné de son Père et sommé vainement par ses ennemis de se sauver lui-même ; ce condamné, ce pendu, ce mort enseveli — eh bien ! on l’a vu derechef, il vit, il est ressuscité, il est le Seigneur, il est assis à la droite de Dieu ! Conviction victorieuse, qui n’est pas le résultat d’une longue élaboration doctrinale, le contre-coup et la revanche Imaginative des persécQlions subies, la projection de prophéties anciennes. Elle existe, agit, soutient tout, explique tout dès le début : elle n’est pas une conséquence, mais une cause ; elle n’est pas une suite et un progrès, mais le frisson initial et le premier moteur de la vie chrétienne.

385. — Que l’apôtre Paul n’ait pas été le premierà mettre ainsi l’importance de la mort du Christ et l’importance (le sa résurrection au premier plan, mais qu’il se soit rencontré dans cette confession avec la communauté ]>rimitive — cela appartient aux faits historiques les plus certains. « Je vous ai transmis, écrit-il aux Corinthiens, ce tiue moi-même j’ai reçu par tradition : à savoir que le Christ est mort pour no » péchés et est ressuscité au troisième jour. » Sans doute Paul a fait de la mort et de la résurrection du Christ l’objet dune spéculation ultérieure et il », pour ainsi dire, résumé tout l’Evangile en ces deux événements — mais ces faits, le cercle des disciples personnelsde Jésus et la communauté primitive les tenaient déjà pour fondamentaux. On peut l’alfirmer ; la reconnaissance durable de la dignité de Jésus-Christ, la vénéralion, l’adoration qu’on lui a portées, ont ! à leur point de départ. Sur le double fondement de ces pierres s’est édifiée toute la christologie. Mais déjà avait-on dit de Jésus Christ, durant les deux premières générations, tout ceqne les hommes peuvent dire de plus sublime. Parce qu’on le savait vivant, on le loua comme celui qui est élevé à la droite de Dieu, le vainqueur de la mort, le prime de la vie, la puissance d’une nouvelle création — comme la voie, la vérité et la vie….Mais surtout on sentit qu’il était le principe actif de la vie personnelle : " Je ne vis plus, c’est le Christ qui vit en moi. » Il est « ma » vie. et percer jusqu'à lui à travers la mort est un gain. Où. dans l’histoire de l’humanité, est-il arrivé quelque chose de ) » areil ^ — Que ceux qui avaient mangé et bu avec leur Maître et l’avaient vu sous les traits de son humanité, l’aient annoncé non seulement comme le grand Prophète et le révélateur de Dieu, mais comme le guide divin de riiîstoire, comme le m commencement » de la création de nieu et comme la force intime d’une nouvelle vie ! Jamais les disciples de.Mahomet n’ont ainsi parlé de leur prophète ! Il ne sutlit pas de dire qu’on a transporté simplement sur Jésus tous les attributs du. Messie, et d’expliquer tout par l’attente du retour glorieux dont les rayons se seraient projetés en arrière,.assurément l’espérance certaine de la résurrection faisait qu’on détournait les yeux de la a venue en humilité >-. Mai » qu’on ait pu fonder et maintenir ferme cette espérance certaine elle-même ; qu'à travers les souffrances et la mort on ait vu en lui le Messie élu ; que, à coté de l’image ntessinnique vulpaire, et dans cette image, on ait senti qu’il était, on ail serré sur son cœur le Maître présent et !e Sauveur — voilà l'étonnant ! Et là, c’est bien la mort « pour nos péchés », c’est bien la résurrection qui ont confirmé l’impression faite par la personne, et qui ont donné à la foi son point fie départ certain ; « Il est mort pour nous en victime, et il vit. » 1493

JESUS CHRIST

1494

… Que ces deux affirmations aient été pour I ; i communauté i>i-iinitive les points substantiel » [Je sa fui, nul n’en a encore doutf. Même Strauss ne le conteste pas, et le grand critique ! ", C Baur reconnaît que la chrétienté la plus ancienne a été biUie sur la confession de ces Mérités’].

386- — Cette union étroiti-, indissoluble, entre la réalité du fait de la résurrection et la croyance qui a fondé l’Eglise clirétienne et transformé le monde, est la conlirmalion la plus solide de la vérité du témoignage apostolinue, tel que tous les documents anciens nous l’ont transrais, tel que Paul écrivant aux Corinthiens l’a motivé, tels que nos récits évangéliques l’ont, dans une assez large mesure, circonstancié. C’est une mauvaise défaite que d’assimiler à ce propos toute croyance sincère et de dire, avec M. P. W. Scn.MiHDBL’^, que la réalité du fait générateur de la foi n’importe pas.

387- — Mauvaise défaite, parce qu’elle suppose à la vérité et à l’illusion le luême droit à l’existence, le même pouvoir de fonder, l.i même fécondité. Sophisme dégonflé par Rbn.vn lui-même : « Rien ne dure que la vérité… Tout ce qui la sert se conserve, comme un capital faible, mais acquis ; rien dans son petit trésor ne se perd. Tout ce qui est faux, au contraire, s’écroule. Le faux ne fonde pas, tandis que le petit édifice de la vérité est d’acier et monte toujours 3. > Ce queRenan présente ici commeun fait d’expérience et en historien, prend une valeurphilosophique indubitable, et devient une certitude pour qui admet que le monde, et en particulier le monde des esprits, n’est pas abandonné aux convulsions d’un hasard aveugle, mais est orienté vers un but par une Puissance sage et bonne. Dans cette hypothèse, qui est celle mêiue oii se place, de toute nécessité, 1 homme religieux, l’immense réalité chrétienne postule à sa base une croyance fondée en réalité.

C’est ce qu’a reconnu un exégète protestant dont

1. Ad. Harn.vck, Das M’rsen des C/irlstentums*, 1901, p. 97, yS. J’ai traduit à nouveiiu le texte, que serre encore trop peu la seconde traduction française, Paris, 1907 p. 188-191.

2. > Il est indéniable que l’Eglise a été fondée, non directement sur le fait de la résurrection de Jésus, mais sur la croyance en sa résurrection, et cette foi travaillait ai’ec une èi^ale énergie^ que la résurrection fut un fait réel ou non (and lUis failli worked with equal power, whelher the résurrection was an actual fact or not). » Besurrection. .. narratives, dans VE.B. de T. K. Cheyne, IV. cnl 4086.

3. Hiit’Hre du peuple d’Israël, V. Paris, 1891, p. 421. On peut rapprocher de ces paroles celloa du plus instruit parmi les modernistes restés catholiques. Rien qu’il révoque en doute « les argumentations de l’apologétique usuelle », en particulier celle qui u invoque la transformation merveilleuse des Apôtres, l’étonnante propagation de la foi, la constance héroïque des premiers croyants ». sous couleur que « cela ne prouve directement qu’une sincérité de conviction, non pas sa valeur objective » {Dogme et Critique. Paris, 1907, p. 1871,.M. Edouard Le Roy estime que largument vaut si on l’applique, non plus à la seule génération apostolique, mais à la foi chrétienne prise d’ensemble : « Ce qui est pure chimère illusoire, pure hallucination morbide, sans valeur de vérité, peut sans doute susciter momentanément lu foi la plus complète. Mais une telle foi n’est pas nourrissante ni fructifiante au point de vue moral ; elle ne produit rien de solide ; elle ne se transmet pas bien loin ; elle ne rassemble pas beaucoup d’âmes dons une communion qui les vivifie ; elle ne résiste pas à l’action réduclive et dissolvante de la durée, à l’épreuve de la mise en usage prati (]ue ; elle se solde toujours eu fin de compte par un échec oit se détoile son caractère mensonger n tibid.. p.’224). C’est bien dit ; mais ce sont là les lignes de « l’apologétique usuelle I), quand elle est honnêtement exposée, et ainsi ce n’était pas la peine de médire de celle-ci pour la reprendre ensuite ^ son compte.

l’appréciation me paraît digne d’être citée. Ayai.t vécu toute sa vie au confluent des deux cultures, française et allemande, spécialisé dans les études scripturaires, qu’il renouvela plus qu’homme du monde chez ses coreligionnaires, criti<|ue indépendant jusqu’à la témérité, ayant anticipé dès 1834, avec a uu coup d’œil génial », la plupart des thèses qui rendirent célèbres les noms de Graf, Abr. Kuenen, J. Wellhausen’, Edouard Reuss entreprit, au soir de sa vie, de résumer tous ses travaux bibliques en un ouvrage d’ensemble, qui parut à Paris en seize tomes, de 1874 à 1881. Dans le volume consacré aux évangiles synoptiques, sous le nom A’IIisloire évangélique, voici comme il s’explique sur le point capital^ :

388. — Quant nu fonil du fait principal, nous voulons dire de la résurrection elle-même, l’exégèse ne peut que constater que jamais et nulle part les apôtres n’ont exprimé le moindre doute, la moindre hésitation à son égard. L’apologétique, de son ciMé, peut aujourd’hui s épargner la peine de discuter sérieusement certaines explications imaginées autrefois pour écarter le miracle, telles que la supposition d’une simple léthargie, de laquelle Jésus serait peu à peu revenu ; ou celle d’une fantasmagorie organisée par des chefs de parti occultes, à l’effet de faire prendre le change aux disciples ; ou celle d’un mensonge sciemment mis en circulation par ces derniers, et autres pareilles, tout aussi romanesques et singulières ; l’histoire et la psychologie, la physiologie et le bon goût en ont fait justice depuis longtemps. L’expédient de réduire le fait à un simple mythe se heurte surtout contre la brièveté de l’espace de temps écoulé entre l’événement et les premières prédications, et le recours à une illusion visionnaire est impossible en face de l’univei-salité et de la fernirt^’des convictions au sein de l’Eglise. Lors même qu’aucun de nos évangiles n’aurait pour son récit la garantie d’un témoignage oculaire immédiat, il resterait celui de Paul, dont les allîrmations ne peuvent être que la reproduction de celles dos personnages qu il nomme. Nous pourrons reconnaître que beaucoup de choses dans cette histoire sont pour nous incompréhensibles, que nous n’arriverons jamais à nous rendre compte de la nature de l’existence de Jésus ressuscité, que notre raison est arrêtée à chaque fois, quand elle essaie de concevoir et d’accorder les éléments des divers récits : il resterait toujours ce fait incontestable, que l’Eglise qui subsiste depuis dix-huit siècles a été bvtie sur ce fondement, qu’elle en est donc pour ainsi dire une attestation vivante, et qu’à vrai dire, c’est elle qui est sortie du tombeau du Christ. avec lequel, selon toutes les probabilités, elle y serait autrement restée enterrée à jamais.

C. — Les objections principales

389. — Quoi que dise Reuss, justement d’ailleurs, des hypothèses « romanesques et singulières » imaginées par les rationalistes pour expliquer sans miracle la croyance en la résurrection du Christ, nous ne pouvons en faire abstraction dans le présent travail.

Du moins, nous bornerons-nous à celles qui n<ms paraissent mériter discussion, soit qu’elles s’appuient à des faits réels qu’elles faussent en les exploitant ; soit qu’elles s’orientent dans les voies « normales », où l’erreur même garde une certaine vraisemblance et, par conséquent, un certain pouvoir d’alliranc ?.

390. — Ne rappelons que pour mémoire les hypothèses de Samuel Reimarls, dans les célèbres Fragments de Wolfenbiittel, publiés par Lbssing (enlèvement du corps de Jésus par les apôtres, désireux de faire croire à la résurrection-’) et de Gottlob Paci. us (léthargie ou syncope du Christ, suivie d’un

1. P. LoBSTEiN dans la PBE^, XVI, 190.5, p. 694.

2. Histoire ét’angé/ique [La Bible, traduction nouvelle arec Introduction et Commentaires, le Souveau Testament, l), Paris. 1876, p. 701.

3. Vi}n dent Zwecke Jesu und seincr Jiinger, éd. G. E. Lessing, Brunswick, 1778, Depuis Reimarus, Ihypothèse 1495

JESUS CHRIST

1496

réveil de quelques jours, et de la moiL définitive’)-Ges ridicules tictions, comme aussi les variantes, à peine plus vraisemblables, par lesquelles on a essayé de les rajeunir (enlèvement du corps par les gens du Sanhédrin) ont fait leur temps. Les critiques les plus radicaux : un P. W. Schmibdel-, un Arnold MeyerS, pour ne pas parler des autres, en ont reconnu l’inanité. Leur maître à tous, David Frédéric Strauss, avait, avant eux, cinglé de son ironie ces vaines tentatives’. Toutes comportent une part d’insincérité et de l’raude, qui n’est pas seulement rebutante en elle-même, mais hautement invraisemblable : fraude de la part des apùlres, ou fraude — tout à fait contraire à leurs intérêts — de la pari des Juifs, membres du Sanhédrin. Strauss s’espace en particulier sur l’iiypotlicse d’une survie succédant à une mort a])parenle : « Abstraction faite des difficultés dans lesquelles elle s’engage, cette conjecture ne remplit même pas la tâche qu’elle s’est donnée, d’expliquer la fondation de l’Eglise chrétienne par la croyance au retour du Messie Jésus à la vie. Un demi-mort qui se glisse en rampant hors de la tombe, un débile qui rôde de-ci de-là, un misérable qui a recours aux soins médicaux, aux bandages, aux fortifiants, aux luénagements, et qui, à In liii, succombe à ses soull’rances, ne pouvait absolument donner au.x disciples l’impression du vainqueur de la tombe et de la mort, du prince de la vie, qui est à la base de leurs démarches ultérieures^. » L’enlèvement du corps par les gens du Sanhédrin, à laquelle, en désespoir de cause, recourt Albert Héville, n’explique aucunement le changement qu’on est bien obligé de constater dans l’esprit et l’attitude des apùtres.

de l’enlèvement a été reprise sous diverses formes, altril )uée (à litre de conjecture plus ou moins plausible) ù Marie de Magdala par Rf.na^ ; à Joseph d’Arininthîc par Oskar UoI.TZMA^^’dans sa T/c Jt- ycius, 1*)01, H. J. IIoltz-MAN. N dans son Hand-Commentar sav les Syaopiiinies. 188’.(, 1901, et W. HEiTMilLLEK, Jésus, 1918, p. lO’i ; aux Juifs par Alb. Rkvili.l. — Voir E. M.v.genot, La Hesurreclion de Jésus, Paris, 1910, p. îlilî-iSg.

1 Das Leb n Jesit als Gi und’.age einer reiiien GeschichLe des Urcliristcntunis, Heidelberg, 1828. L’hypothèse a ëlé défeQdne j)ar K. A. Hase, dans sa Leben Jesu, 1819, 51805, et sa GescIticUte Jesu, Leipzig, 1-S76. Elle a été rejirise, notamment, par W. Sand, La fêrîlé sur la mort de Jésus-Clirlst, Pai’is, 19’t ; ï ; P. Gai.i.L’AUD. Le problème de la résurrection du Christ, ! *ar19, 1909, et les tUéosophes en général.’2. Résurrection.,. narratives dans VE, B., IV, col, 40(î(>, 4067.

3. iJle Auferstehung Chrlsti, p. 117 sqq.

4. Il s’explique conlpe Paulus dans le troisième des écrils polémiques suscités par sa peemièce Vie de Jti-ius {Sireilschri/’ten zur Vertciduiig meiær SeJtri/’i icber das Leben Jesu, Tùbingen, 18 :  ! 7) ; conli’e Reimaïus dans sa Vie de Jésus pour le peuple allemand, postérieure de près do trente uns, et très dill’érente, comme on « ait, de la première Leben Jesu (Das Leben Jesu fiir das deutsehe Volk bearbeil.et, heinzig : , 18( »’i).

.’J. Das Lrhen Jesu fiir das deutsehe Volk bearbeîtet’-^ Leipzig, 1874, p. mm.

6. Jésus de Nazareth, Paris, 1907, 1, p. 4fîl sqq. V. ttosK, Etudes sur tes Eeani^iles *, Paris, 190.’), p. 311-316, fait justement remar(iuer l’invraisemblance, dans l’hypotUi-se, du silence prolongé gardé parles Sanht-drites au moment de la prédication publique de Jésus ressuscité. « Conçoit-on qu’en face de cette prédiction solennelle de la résurrection de l’homme qu’ils ont voulu détruire en le crm-iâant, ces autorités haineuses et sarcasliques, si elles ont contribué a l’enlèvement du cudovr-e, soient restées silencieuses et inartives.^ hn pièce à conviction était entre leurs mains ; ils pouvaient ébranler d’un seul geste, d’une parole, la foi nouvelle dont les progrès rapides les inquiétaient, et, ajjrés avoir tué le prophète, ruiner son œure pour toujours. Si les -Sanbédi ites se sont tus, s’ils n’ont pas opposé ce démenti éclatant, c’est paixe qu’ils n’étaient pas en état de le fournir)) [j. 31.t.

391. — Aussi la presque unanimité de nos adversaires contemporains, laissant à leur désuétude ces échafaudages d’hypothèses, s’oriente dans d’autres voies, plus radicales, plus négatives encore. Après avoir de leur mieux disjoint et rétréci la base de fait supposée par les récits, ils recourent, pour expliquer le reliquat — que la foi universelle et féconde de l’Eglise primitive en la résurrection ne leur permet tout de même pas de négliger ! — à deux expédients principaux : celui devisions subjectives, hallucinatoires, et celui de croyances préexistantes, qui auraient agi par voie d’infiltration et d’inspiration sur la première génération chrétienne. Sous cette influence, une impression d’abord fugitive et fluide aurait acquis du corps, se serait précisée, précipitée en affirmations positives, solidifiée en récits détaillés.

398. — Avec des dosages différents, cette mixture d’hypothèses se retrouve dans tous lestravaux récents consacrés par des auteurs rationalistes à la résurrection. Mais là s’arrête l’accord. Au cours de la triple étape fom’nie par nos adversaires : élude critique, destinée à « réduire » les textes ; élude sur le nombre, le temps, le lieu et la nature des visions ; désignation ou suggestion des traits, des mythes, des croyances qui auraient réagi sur les apôtres et les évangélistes — le gros des écrivains se divise en petits groupes, et finalement s’émiette en individus. Dans le champ, à peu près indéfini, des conjectures, chacun se trace un sentier, au gré de ses préférences, des postulats de sa philosophie parliculiôre, des hasards de sa compétence. Ce qui parait" possible » à l’un est déclaré par l’autre insoutenable, contraire a aux lois de la nature ». Pour ceux-ci, il ne peut s’agir, en aucun cas, de « résurrection » proprement dite. Parlez-nous, si vous voulez, d’  « immortalité’ni Sur les infiltrations mythologiques possibles, probables ou certaines, les divergences s’accusent avec une crudité qui serait, dans tout autre sujet, divertissante. On pourra en juger plus bas.

393- — la réduction des textes. — Deux moyens sont généralement employés pour éliminer une partie des textes : l’incompossibililé de l’énuméralion paulinienne des apparitions avec bon nombre de celles que rapportent les évangiles ; l’existence, et l’incompossibililé, de deux traditions évangéliques, dont l’une placerait les apparitions majeures à Jérusalem, au troisième jour, l’autre en Galilée, après un laps de temps plus considérable.

La ])remière de ces difficultés suppose à tort (nous r.ivons montré plus haut, n. 362) que l’énuméralion faite par saint Paul est complète, exclusive de tout ce qui n’y figure pas. Hypothèse arbitraire : le plus érudit de ses défenseurs et le plus acharné, M. P. AV. Sc.H.Mn : nEi„a beau s’y mettre à mainte reprise, affirmer que Paul a dà rapporter tout ce qu’il savait sur le sujet, à cause de l’importance qu’il, v attachait’ ; que les transitions même employées par PApôtre :

« alors…, ensuite…, ensuite…, alors finalement », 

excluent tonte omission « de la manière la plus décisive

  • » ; qu’il n’avait aucune raison de ne pas men

1. K. Lake, The historical et’idence ofthe Résurrection,.., p. *-68, 269 ; Alfred Loisv, Siniples réflexions sur le Décret LameiitabiU-, Paris, 1908, p. 170.

1. Résurrection… narratives, dans E.B., IV, 4057. L’auteur s’était déjà expliqué en ce sens dans son commentaire du passage afférent : l/and-Commentar zurn N. T, , éd. IL J. lloltzmann, II, 1, Freiburgi. B., 1891.

3. Ibid., col. 4058. Le D’1". 11. Chase remarque justeniiMktlt-dessus, Cambridge theolo^^ical Essai/s. London, 190 : », |j. 395, note 1. que limite/., « ensuite », marque roriirc des ap|)aritions (par ex. les Douze après Ccq>hiis|, mais n’e.eelut nullement la présence d’autres apparitions dans l/ « 97

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lionner, s’il l’avait connu, le témoignage des femmes’, toute cette argumentation a silenlio ne convainc pas. Il est au contraire hautement improbable ((ue, dans cette brève énnmcration, formant parentlièse, et destinée à fournir aux Corinthiens des garants irréfutables, ollicicls, autant que possible connus d’eux et accessibles, du fait de la résurrection, Paul en ait apjielé à des apparitions d’un caractère privé, comme celles dont furent favorisés les femmes ou les disciples d’Ummaiis. Nous avons vu par contre que chacun des témoignages retenus par lui avait sa raison d’être, devait porter coup dans l’esprit de ses corresponilants. Mille exemples nous avertissent d’ailleurs de ne pas expliquer trop vite par l’ignorance d’un auteur le silence qu’il garde sur des faits dont il semblerait qu’il dût parler.

394. — L’autre ditlieulté est spécieuse et mérite davantage considération. Elle consiste à distinguer, puis à opposer deux courants dans les traditions Il sous-jacentes " aux récits évangéliqnes. La première et plus ancienne serait représentée par Marc, xiv.aSet x^^, i-8, etpar.1/a(Mi> », xxvi, 82, etxxviri. L’apparition racontée dans l’appendice de l’évangile johannique, Jo., xxi, et amorcée à la fin de Véfarigih de Pierre, vv. 59-60, seraient des indices de la même tradition. La plupart des critiques rationalistes estiment que le témoignage de saint Paul rentre plus naturellement dans ce cadre. Selon cette tradition, le Christ aurait apparu anx disciples en Galilée seulement, peu de temps après sa mort, mais à une époque qu’il est impossible de déterminer précisément. Les rationalistes radicaux, avec M. Loisy et M. P. W. ScHMiETiEL, ne voient dans les récits concernant la visite des femmes au tombeau et la disparition du corps du Seigneur, que des tentatives apologétiques fort anciennes, mais plus ou moins maladroites et sans fondement dans l’histoire.

L’autre tradition, postérieure et partant pins r^he en détails, serait représentée par /.uc, xxrv, Jet., I, i-cj, et par Jean, x.x. Elle localiserait les apparitions à Jérusalem, les ferait commencer le matin du dimanche et finir le soir même (c’est l’impression que laisserait l’éiuingile de Luc) ou un temps plus ou moins long après (les Actes spécifient quarante jours, Jean laisse la chose indéterminée).

Nos récits actuels (et en particulier la finale de Marc, xvr, 9-20, mais déjà partiellement Matthieu et Jean) auraient commencé de combiner et d’harmoniser, par voie surtout de juxtaposition, ces deux couches de tradition qu’on peut appeler, pour faire eonrt, galiléenne et judéenne. A l’appui de ces conclusions, ou apporte surtout, avecdes vraisemblances (fondées elles-mêmes plus ou moins sur le postulat de l’irréalité de toute résurrection proprement dite) l’analyse critique des récits eux-mêmes. Il est naturellement impossible de discuter ici le l)ien-fondé de chaque détail, dans des analyses qui dilTèrent grandement selon les auteurs. Mais il reste possible d’indiquer les lignes générales commandant toute la discussion.

395. — Un premier fait à retenir est que, aussihnnt que nous puissions remonter, pour le premier évangile et pour le quatrième (aucun indice critique ne permettant de conjecturer qu’il ait jamais été lu sans le chapitre xxi), nous trouvons les deux traditions combinées. On les considérait donc comme complé rintervaDe. Le « ânnlement >y, ïzy’.r- : ’-yj est également chronologique, non exclusif. C’est ce que reconnaît M. A. Loisy, disant ijue l’Apôtre montre l’intention a d’énoncer dans l’ordre chronologique les apparitions principales du Christ ressuscité » ; Les Evangiles synoptiques, M, p. T.tS. C’est moi qui soulii ?nc les mots importants. 1. Ibid., col. 405’.l.

meutaires, et non comme exclusives. Le troisième évangile, si on l’interprète, ainsi qu’il est raisonnable, à l’aide du début des Actes (qui renvoie explicitement au premier « Discours » de Luc) oU’re un cadre assez étendu pour (jii’on y puisse faire rentrer sans violence les ap[iaritions galiléennes. Il n’est nullement besoin pour cela de supposer — la conjecture n’est [las déraisonnable, mais elle paraît un peu artificielle — deux groupes de disciples, l’un à Jérusalem, l’autre en Galilée. Du second évangile, interrompu brusquement avant toute mention d’apparition, on ne peut rien conclure. Il y a des ])robabilités pour que la première lin de Marc (si elle a jamais existé) contint à peu près ce que nous livre explicitement la fin de saint Matthieu’. Quant à la finale actuelle, elle unit manil’estenieut les deux traditions ; à plus forte raison les fragments non canoniques les plus anciens, tels que l’évangile de Pierre. L’hypothèse des deux traditions c.rclnsives ne peut donc se réclamer d’aucun de nos récits, tels ((u’ils existent. Elle est un résultat obtenu uniquement par la critique interne des documents ; elle oppose comme incompatible ce que les plus anciens rédacteurs, au premier siècle, ne faisaient pas diiliculté d’unir et de concilier.

396. — Un second fait, très défavorable à l’hypothèse de nos adversaires, c’est la quasi nécessité où ils se mettent de rejeter, avant toute enquête, les épisodes concernant l’ensevelissement de Jésus par Joseph d’Arimathie, la visite des femmes au matin du dimanche et le tombeau trouvé vide. Tous les critiques en effet donnent la préférence à la tradition galiléenne. comme soutenue par les pins anciens témoins (Marc, Matthieu, Paul très probablement), plus vraisemblable en elle-même et fournissant à la préparation psychologique des apparitions le temps, l’éloignement. les moyens de suggestion nécessaires. Mais alors, le plus qu’on puisse garder à Jérusalem, c’est une démarche des femmes, terminée par une déception et une fuite éperdue. Contrairement à tous les textes, il faut traiter de légende la constatation du sépulcre trouvé vide, <m recourir, pour expliquer la disparition du corps, aux expédients surannés dont personne ne veut plus. Aussi voyons-nous M. P.-W. ScHMiKDEL, M. Arnold Mevkr, M. A. Loisy faire de plus en plus grande, en ces épisodes, la part de la légende pure. Le dernier arrive, très logiquement, à ne plus garder un.set/Me ces traits comme historique, quitte à trouver pour chacun d’eux nue raison subtile qui aurait amené à l’imaginer. Mais i|ui ne voit qu’à ce degré le parti pris et l’arbitraire dominent et maltraitent à merci les textes, auxquels l’historien a le devoir de se soumettre — s’il veut bien les interpréter — dans toute la mesure du possible’?

397. — Le témoignage de Paul enfin, qu’aucun critique de sang-froid n’ose révoquer en doute, et dont la plupart se servent comme d’une norme à laquelle ils rapportent les autres récits, ce témoignage favorise le parti adopté par les évangélistes. « Bien que Paul n’indique ni le lieu ni le temps des apparitions,

1. Là-dessus F. H. Chase, dans le Journal of theologi cal Studies. juillet IflOS, vol. VI. p. 482 sq.

2. Un historien protestant, M. A. Arnal dit, « propos de ces procédés violents (dont il souligne lemploi dans O. Ppleidereb, sur cet exemple justement des récils de la résurreclion) : « Pfleiderer extrait ce qu’il croit être le novau réel de récits imaginaires ; ensuite il continue sa marche, insoucieux des difijcultés qui surgissent de ses théories… Au cours de cette étude, Pfleiderer invoque encore l’histoire, mais ce n’est plu » l’histoire ordinaire c’est l’histoire faite par Dieu et corri^^ëe par Pfleiderer. » La Personne duChriat et le rationalisme allemand contemporain, Paris, 1904, p. 209, 210. 1499

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reconnaît M. LoisY, il donne suffisamment à entendre f qu’elles se sont produites en des endroits différents et à des intervalles plus ou moins inégaux et éloignés’. » Parmi ces endroits, ajouterons-nous, il est tout à fait arbitraire de ne pas mettre d’abord Jérusalem. La première apparition mentionnée par Paul esl celle dont Pierre fut favorisé. Le seul des évangélistes qui en parle la place à Jérusalem. C’estajouter au teste que d’assimiler n fort probablement » cette vision avec celle qui est racontée dans le dernier chapitre de saint Jean’-. Là, Pierre est dans la compagnie d’autres disciples, en particulier des fils de Zébédée : Paul, dans son énumération, distingue au contraire Pierre tout seul, de Pierre considéré dans les groupes dont il faisait partie et où il tenait le premier rang : les Douze, les apôtres…

398. — Tous ces indices réunis nous autorisent à voir dans les souvenirs divers réunis par les récits évangéliques, des traditions complémentaires et non exclusives. Jésus apparut aux siens à Jérusalem et en Galilée. L’ordre et le temps exact des a[iparitions nous échappent en partie, et cela, de p, ir la nature des récits. On ne doit pas faire diflîculté de reconnaître, en effet, que l’analyse el la distinction des sources, dont abusent les critiques radicaux, n’est pas sans fondement dans les textes. Si nous ne possédions qu’une des deux séries de documents, nous n’hésiterions guère à localiser les apparitions soit en Galilée, soit à Jérusalem, tout de même que si nous n’avions que les Synoptiques, ou l’évangile johannique, la perspective historique, la chronologie el le théâtre habituel de la vie publique de Jésus seraient singulièrement réduits et simplifiés. Il est cependant tel détail (nous l’avons remarqué en son temps) de l’enseignement ou de l’histoire du Seigneur, tels que les rapportent les Synoptiques, qui ne prend tout son sens que dans la perspective joliannique ; et, à son tour, le récit de Jean met en scène bien des personnages qui sont supposés connus par les Synoptiques, sans lesquels on ne saurait s’expliquer leur attitude. Ces considérations amènent les historiens de la vie du Christ à compléter une tradition par l’autre, encore que si diverses. A plus forte raison dans le cas des récits de la résurrection, où c’est moins le ton général, les caractéristiques el le but des narrations qui différent, que des indications ou suggestions de temps et de lieu. Tout en reconnaissant dans les textes l’écho de deux groupes de souvenirs, plutôt juxtaposés que fondus harmonieusement, nous refusons (comme les évangélistes eux-mêmes) d’o|>ter entre ces données traditionnelles. Le cas se présente très souvent en histoire de souvenirs solidement attestes, mais à i>remiére vue peu cohérents entre eux el dont il faut renoncer à fixer avec certitude la suite exacte et détaillée : prendre texte de là pour choisir une seule série cohérente de souvenirs, en rejetant les autres ou en renonçant à les utiliser, est une simplification commode, mais peu scientifique, un procédé justement décrié par tout historien consciencieux’.

1. l.e.1 Evangilei synnptiques, II, p. 7 :  ! 9.

2. Ihid., p. "’il.

?. Ce proccfié est trop commode, d.ins sa rigueur somm ; iire, pour n’iHie pas fort ein|>lo.vii. Mais si un peu de srionce tranclinnle y condoil, beauioup de srience et le dcvelop]>emenl du sens historique en ramènent. Un des exemples les plus fiappanls porte sir les prcmièieB impressions catholiqnes de saint Augustin.

Pnrlantdes dilTéiences manifestes de ton et de perspective qui ciislent entre le récit des Confessions sur la coiiviMsion d’Augustin et les premiers éciits (IfS Dialogue), heaiiconp plus proolies du fait, du saint, nombre de criliqnis ont voulu rejeter absolument, comme.(secondaire », incompatible avec les Dialogues ci en soinine inutilisable

399. — La nature des apparitions. — Ce que les critiques rationalistes laissent subsister des récits renferme toujours une ou plusieurs « apparitions » du Christ. De quelque façon qu’on les conçoive ou qu’on les explique, ces manifestations d’outre-tombe sont le postulat impérieux de la foi des apôtres en la résurrection. Il semble même que la tendance actuelle aille plutôt à élargir qu’à diminuer cette base de faits. Une vue plus intelligente des origines chrétiennes amène en effet nos contemporains à constater la place immense occupée dans la genèse de la religion chrétienne par la croyance et la doctrine du Christ ressuscité. La disproportion llagrante qui éclate entre les résultats d’une ])art et d’autre part la cause ou, pour mieux dire, le prétexte qu’on assignait à ce prodigieux mouvement des esprits, engage à ouvrir un peu plus grandes les avenues du « possible ». Ajoutez que les recherches récentes, et relativement précises, en matière de psychologie, fournissent un matériel d’analogies et de manifestations posthumes qui permettent, avec quelque virtuosité, défaire rentrer celles dont autrefois on ne voulait à aucun prix, dans un courant de faits classés et naturels. Enfin l’importance croissante, et justifiée, donnée au texte de saint Paul, ne permet pas de réduire à moins de cinq ou six le nombre des apparitions principales.

C’est dire que nous pouvons négliger l’hypothèse de l’hallucination « sous la forme ridicule que lui adonnée [et maintenue] Renan’».

400. — Les conjectures qu’on a substituées à celles de Renan forment un écheveau embrouillé, nuancé à la couleur des opinions philosophiques de chaque auteur. On peut distinguer les fils suivants, présents dans tous les systèmes ou à peu près :

I. Jésus n’a pu ressusciter, au sens propre du mot : il n’y a donc pas eu réanimation de son corps mortel. Sous quelque forme qu’elle se présente, cette notion doit être rejetée, et les traits où elle s’exprime taxés de légendaires ;

a. Les apparitions doivent donc être ramenées à un sentiment de présence avivé jusqu’à l’hallucination

historiquement, la belle narration des Confessions. Une étude plus calme et plus approfondie a montré la compatibilité fjénérale des deux tableaux, el permis d’utiliser le plus récent, tout en tenant compte de son caractère — comme on doit utiliser le quatrième évangile en même temps que les Synoptiques. Voir bi-dessus L. df Mo.n-DADON, Les pre’iiicres i’npressloiis catholiques de saint Augustin, dans les Eludes du 5 juin l’Jll, tome CXl.K, p 441 sqq. (Histoire de la controverse sur le point relevé ici, p kk.i, 414, note).

1. Kd. Le Roy, Do^me et Critique, Paris, 1907, p. 21’J. J ajoute : et maintenue. Car ce n’est pas seulement dans ses prem ers ouvrages : l’ic de Jésus, 18('>31s, p..’i’i’.l-450 ; Les Ap’lres, S6ti, p. !  ! sqq., que Renan attribue aux saintes femmes et en particulier à Marie de Magdala, l’hallucination qui aurait « ressuscité » Jésus dans le cœur de ses disciples. CeUe page de mauvais roman n’a pas cessé de charmer son auteur : il ne s’est pas lassé de lui donner des répliques égalecnent fades. La dernière, à ma connaissance, se trouve dans V Histoire du peuple d’Isiæl., vol. V, IS’.tl, p. 418 : « Sur de vagues indices, les femmes de la suite de Jésus, en parliculier Marie de Magdala, s’imaginèrent que.lésus était ressuscité et parti pour la (ialilée ; ce fut là sûrement le miracle suprême de l’amour. Il fut plus fort que la mort, il rendit la vie à l’objet aimé. Une ombre pvle comme un mythe, un être vulgaire n eut pas opéré cemir.icle. l’aire porter lout le fardeau d’nmourdes origines chrétiennes sur un pédoncule tr.ip faible pour le soutenir serait contraii-e h la statiipie de l’iiislnire, Jésus a été cbarmaut ; seulement son charme n’a été connu que d’une douzaine de personnes. Celles-ci ralTolèrent de lui à ce point que leur amour a été contagieux et s’ejl imposé au monde. Le monde u adoré celui qu’elles ont tant aimé. »

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JÉSUS CHRIST

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visuelle, jusqu’à une perceiilion sensible sans objet perceptible réel — encore que la cause spirituelle de cette perception ail pu être réelle’ ;

3. Ces apparitions se sont produites à plusieurs reprises, probablement en Galilée, dans des circonstances qu’il est actuellement impossible de préciser, à une date étçalenient incertaine, sutlisamment tardive pour rendre vraisemblable le travail subconscient,

« la réaction… profonde, mais progressive, qui

permit à la foi des apôtres en Jésus Messie de se ressaisir dans le milieu où elle était née’-' », et finalement de se projeter en visions ;

4. La nature de ces visions nous échappe : pour en donner quelque idée, on prend comme point de comparaison l’apparition du Christ à saint Paul sur le chemin de Damas — apparition dont on « spirilualise X l’objet, en pressant quelques-uns des termes employés à ce propos par l’apôtre. Puis on rappelle certains faits analogues, les visions de saint Thomas lîecket et de Savonarole, qui auraient apparu à tel de leurs disciples après leur mort, les « voix » de Jeanned’Arc, etc. Enlin l’on s’oriente dans le sens d’apparition de fantômes jjroprementdits. Les recueils de faits de ce genre, établis par les soins de la Société psychique de Londres, et étudiés spécialement par F. W. H. Myers-’, sont mis à profit dans ce but.

401. — La première remarque, et capitale dans l’espèce, qui s’impose à la lecture de ces thèses, (je me suis efforcé de les résumer sans les fausser) c’est la distance qui les sépare des données de fait, telles que les documents nous les livrent. Nous avons moins là une interprétation de ces données qu’une reconstruction des événements tels qu’ils ont dû se passer..u cours de cette restitution, on essaie naturellement de reprendre contact, çà et là, avec les textes, mais on commence par s’en séparer sur le fond et, des détails même, on ne garde que ceux qui se prêtent aux cadres plus ou moins étroits qu’on s’est tracés a priori.

402. — C’est ainsi d’abord que tousles textes assignentaux apparitions une cause sensible, encore que sui generis et échappant aux conditions communes. Cette cause sensible, c’est le corps du Seigneur, non tel qu’il était avant sa mort, mais constitué dans un état nouveau, glorieux, mystérieux tant qu’on voudra — tel pourtant que la présence de Jésus reste perceptible, tangible, corporelle. On aura beau ralliner sur le possible, développer à ce propos, avec M. Ed. Lr Roy par exemple, une théorie nouvelle de la matière, de l’incorporation et de la glorilication ^

1. Celle réserve permet à quelques aiitears de m : iiriteïiir une certaine réalité aux apparitio’13 sons admetire pour autnnt la réjuireciio.i. Ainsi M. K. Lake, The hislorical efidtnce of tlic Résurrection, p. 270 sqq. ; Ed. Le Roy, Domine et Critique, p. 218 sqq. Cette préoccupation mène à forger des expressions telles que : (( apparences subjeclivu-objectives », « hallucinations vraies i> ; Le Roy, ibid., p.’224|, etc.

2. AU. LoiSY, Les Evangiles synoptiques, II, p. "43.

3. La Society for Psychical Research a été f, , ndêo en 1881 par ! ’. W, H. Myers et E. Gurney. En cttlUiboi-ation avec K. Podmore il » ptihliérent les l’hanlasms nf the Lii’ins ; (adaptation fi-ançaise par Li-on.Marillier, 1891). Apres la mort de Myers, on é*iit.i son énorme ouvrage Hunian Personality (adaplaiion française très abrégée par le D’Jiinkélévitch, UtOJ). Les faits intéressant la question présente se trouvent dans le vol. II de Human Personaîity : Surviva’of Human Personaîity after death.

(. Cette théorie, qui est fonction d’une conception générale idéaliste, exposée ailleurs par l’auteur, est appliquée à la résurrection, en particulier à la notion de u corps glorieux », par M. Le Roy, dans Dogme et Critique, p. 23ri sqq. N<>us n’avons pas à la discuter ici, sinon en tant qu’elle ne rend pas compte des données de fait. Sur le

on doit reconnaître qu’aucun témoin n’a parlé dans l’hypothèse d’une jjrésence « mystique », incorporelle, ni dans celle — qui s’est posée pour eux et qu’ils ont délibérément rejelée — d’une apparition en songe ou de la vision d’un fantôme. U est d’ailleurs certain que saint Paul a toujours distingué la vision qu’il eut sur le chemin de Uamas (la seule qu’il assimile à celle des autres témoins de la résurrection ) des simples visions extatiques, d’ordre privé, dont il jiarle ailleurs. Celles-ci lui laissent un doute sur le mode, même la ])rincipale (U Cor, xii, 1-2) :

« S’il faut se gloritier (ce qui ne convient guère) j’en

viendrai aux visions et révélations du Seigneur. Je connais un homme… élevé, il y a quatorze ans — corporellenient ? je ne sais ; incorporellemeiil ? je ne sais, Dieu le sait ! — jusqu’au troisième ciel, etc. » Dans cet état, qu’il ne peut i)réciser (il y insiste, iliid., XII, 3), Paul entend « des paroles ineffables, qu’il ne sied pas de dire ». La vision de Damas au contraire ne laisse aucun doute à l’apôtre sur la façon dont il a vu le Seigneur ; elle le constitue apôtre au même titre que ceux qui ont vu Jésus au lendemain de la résurrection : Pierre, Jacques, les cinq cents frères… La doctrine de la résurrection des corps, exposée au chapitre xv de la première Epitre aux Corinlhiens, identilie le corps glorilié, spiritualisé, transmué, avec le corps charnel, mortel et corruptible’. Tous les étais scripturaires de la théorie des visions non sensibles s’écroulent donc : elle n’a pas d’ap[iui dans les textes pauliniens ; elle contredit manifestement les autres.

403. — Quanta l’hypothèse fondamentale, bien qu’elle soit faite à dessein d’expliquer les fails, on ne peut qu’en souligner l’invraisemblance, soit qu’il s’agisse de ceux auxquels on prête la vision sans objet sensible, soit qu’il s’agisse de l’hallucination elle-même et de ses résultats. La jiréparation psychologique qu’on suppose à l’origine des visions : regrets profonds du Maître adoré, se tournant peu à peu en conviction qu’il n’a pu mourir, qu’il n’est pas mort tout entier ( « les héros ne meurent pas 1 ») ; sourd travail subconscient des paroles autrefois entendues ; réminiscence et application des figures et prophéties du Vieux Testament ; besoin de se reprendre, par-dessus la catastrophe du Calvaire, aux espérances d’autrefois, et le reste : autant de conjectures sorties tout armées du cerveau des critiques rationalistes.

404. — Tout nous montre au contraire, dans le groupe apostolique dispersé, découragé, décapité,

cor/tment de la réanimation du corps et de sa transformation en corps glorieux, qu’il s’agisse du coips ressuscité du Christ, ou des nùtres, on peut consulter le cardinal Billot dans son traité de Nofissimis-, Rome, 1903.

1. Sur cette question secondaire, que je ne puis ici qu’effleurer, on lira l’étude considérable de M. E. Mange-NOT, La Résurrection de Jésus, i" partie, cli. Il et iii, surtout pp. 123-17fi. L’eiigèse de I Cor., xv, est un peu morcelée dans la Théoto/ ; ie de saint Paul de Kerd. Pbat. Le passage le ]>lus imporlanl. vol. I, p. lS.i-19’i. M. LoisT recoanait que « les apvtres et saint Paul n’entendent pas raconter des impre-sions suljjcctives ; ils parlent d une présence du Christ objective, extérieure, sensible, non dune présence idéale, bien moins encore d une présence imaginaire. Quoique le corps de Jésus ait été en quelque sorte spiritualisé par la résurrection, les disciples ne se représentent pas le Sauveur comme un pur esprit, ni la résurrection coomie la ppruianence de son fline immortelle, .. Pour eux, le Sauveur éliiit vivant, par conséquent avec le corps qu il avait eu avant sa mort. Le » conditions d’existence de ce corps étaient différentes, mais c’était le même qui avait cle mis dans le tombeau, et que l’on croyait n’v être point demeuré i>. Les Evangiles synoptiques, 11. p. 74 : f. T’i’i. Cest l’éTide.icc même pour reix qUî il’avcugle l>os Vapriarisme.

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JESUS CHRIST

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des défiants et des vaincus. Ni ils ne s’attendaient à revoir leur Maître, ni ils ne le reconnurent d’abord. Il n’existe aucune ressemblance entre les visions qui convainquirent ces hommes de peu de foi et les

« fantômes de vivants » entrevus par quelques personnes, 

ou les hallucinations dont l’histoire a gardé un souvenir plus ou moins net. Ici, l’objet reste vague, ne s’impose coniniunérænt qu’à un sens (ou la vue, ou l’ouïe), rarement à plusieurs, jamais chez un homme sain à tous’— hormis le cas de sommeil naturel ou provoqué. Faute de contrôle et de réaction, l’hallucination tend alors en effet à devenir complète. Mais tout émus qu’ils fussent, les apôtres n’étaient pas des détraqués ou des débiles. Ils ne dormaient pas. Ils voulaient positivement réagir. Leur passé, leur avenir ne permet pas de les assimiler aux petits cercles exaltés — disciples de Savonarole, Camisards cévenols — avec lesquels on se donne le tort de les comparer. Loin de pouvoir alors

« créer » son objet, dans un élan désespéré, comme

on est obligé de le supposer, la foi des apôtres avait elle-même besoin d’être renouvelée, relevée, recréée. La parole des femmes n’y sufht pas, non plus que la vue du tombeau vide.

405. — L’hallucination enfin, même < vraie » (au sens où quelques-uns de nos adversaires le prennent, c’est-à-dire l’interprétation d’une présence spirituelle comme réellement objective, sensible, se manifestant par des paroles, des gestes, etc.), reste stérile, parce qu’elle est fondée sur la débilité et l’illusion. Ou elle tend à devenir habituelle, et c’est l’équilibre de la vie mentale et morale qui peu à peu fléchit, pour s’écrouler enfin dans la manie ; ou, restée à l’état d’incident sans lendemain dans une vie normale, elle n’y exerce aucune influence durable. Son milieu reprend l’homme sain d’esprit, et tout est dit : il ne subsiste dans son souvenir qu’une incertitude, une inquiétude, un point sensible. Est-il besoin de montrer quel abîme existe entre ces phénomènes anormaux, toujours un peu morbides, partant inféconds, et la conviction ferme, sereine, invincible qui, sans arracher les disciples à leurs traditions, à leur ambiance, à leurs habitudes d’esprit, les redressa, les transforma, centupla leurs énergies, interpréta pour eux tout le passé, fit de ces hommes, durant tant d’années, des chefs, des convertisseurs et des héros ? Que l’on songe à l’influence exercée par les Douze, non seulement aux premiers temps, dans un cercle relativement restreint de disciples, mais quinze, mais vingt ans après, alors que des hommes comme Paul, .-VpoUo.Silaset cent autres se référaient à leurs visions comme au témoignage décisif, à leur enseignement comme à la voie sfire, hors de laquelle on courrait en vain I (Gal., ii, a.)

406. — Les infiltrations païennes. — Sinouspassons aux « infiltrations mythologiques » dénoncées ou soupçonnées dans nos récits (et les traditions qui sont à la base de ces récits) par divers auteurs, nous nous trouvons en présence <I’un nombre considérable de rapprochements dont quelques-uns seulement sont spécieux -. Chaque critique a utilisé dans ce but

1. Sur tout cela, Pierre.Tatvet, L’automntiiijnepsychoh-iiyM <r^, Paris, 1899, p. 451 sqq., 457 sqq.Surles hnllucin.itions en général, p.subconscient et les t phénomènes transcendants n : fantômes, messoges, etc. voir J. de.k Vaissiîîhe, Elément) de Psychologie exprrimeniale, Paris. 1912, avec bibliographie 1res complète, p..’îfii,.’ ! 68-.369, : tT2-.’17.3.

2, Les principaux de ces rapprochements ont été réunis par C. Clemen, dans ta ïteligiortigeachichtliche Frhlærung des euen Testaments, Giessen, 1909, p. 140-1^5. La circonstance du « troisième jonr n est une de celles qni ont donné lieu au plus grand nombre de combinaisons.

l’objet de ses études spéciales. Les assyriologues

H. ZiMMERy, P. JeNSEN, PlADAU, ViROLLEAUD UOUS

renvoient naturellement à Babylone, à Marduk, aux dieux assyriens. Pfleiderer et RsrrzExsTEi.N recourent aux religions orientales et égyptiennes, aux cultes d’Attis, d’.donis. d’Osiris. Les plus ardents promoteurs de la méthode, H. GrNKBL, T.-K. Chevxe et leurs émules, prennent de toute main et de toute fable les traits qui leur paraissent susceptibles d’une application quelconcpie. On n’attend pas qiie nous entrions dans un détail fastidieux, qui risquerait de perpétuer, sous couleur de les discuter, maintes

« explications » que leurs auteurs responsables ont

déjà abandonnées.

407. — Nous noterons seulement quela théorie de l’emprunt direct n’est plus soutenue à peu près par personne’. On se rejette sur des emprunts indirects, le milieu juif étant censé avoir servi d’intermédiaire entre les mythologies de la Babjlonie, les doctrines de l’Iran, les cultes orientaux d’une part, et le christianisme naissant. En ce qui touche le sujet présent, on peut résumer les vues des adversaires dans les deux propositions snivanies : la notion chrétienne de résurrection a pu être influencée — d’aucuns disent : a été sûrement influencée — par les croyances, alors très répandues, de dieux mourant et ressuscitant. La fixation de la date : Jésus est ressuscité le troisième jour, est due probablement à des calculs et à des suggestions d’origine mythologique. Une ana-Ij’se un peu serrée des pages consacrées à la question par Hermann Gunkel- aura le double avantage de préciser sur un exemple concret les procédés de l’école dite < comparative » (religions^escliichtlicli), et de donner à la critique une base ferme. Je choisis à dessein l’un des plus modérés et probablement le plus solidement érudit des tenants de la méthode.

Jésus n’est pas le senl, ou le premier, des êti-es divins à la n ?surrection duquel on ait cru. La cro.vance à la mort, suivie dun retour à la vie, des di* u.x, existait pinncipalement en Egypte, mais aussi en Babylonie. en Syrie, en Phénîcie. Originairement, il s’agissait d’événements naturels pris comme les moments d’une vie divine : les dieox du soleil ou de la véirélalion pennissent au matin ou au printem|js. Il est bien mulaisésans doute de supposer que ces symboles et ces croyances eurent næ influence directe sur les disciples dn Christ. Mais, dans le judaïsme même, n’y avait-il pas queli^ue trace de notions apparentées ? Les morceaux mystérieux de r.

cien Testament concer nant le Serviteur de ïahvé n’ont-îls pu suggérer la pensée d’un Christ mourant et rendu h la vie ? Certes, le judaïsme officiel, à l’époqiie de Jésus, ignor.TÎt tout cela. Qui dira que cette notion n’avait pu se former dans certains cercles particuliers, écartés ?

D’autant que la date assignée à la résurrection du Christ rend l’hypothèse plus vraisemblable. La résurrection eut lieu, nous dit-on, le malin du dimanche de Pâques, au lever du soleil. Est-ce un hasard que cette coïncidence ? Le dieu mort, d.ins les religions orientales, renaissait au matin, avec le soleil (qu’il personnifiait) et au printemps. Allons plus loin : le Christ est ressuscité .( le troisième jour » ou (( au troisième jour)). Pourquoi ? Les premiers chrétiens disaient : parce que cela était prédit ! Mais chacun sait que c’est après coup qu’on a trouvé dans l’Ecriture cette indication. Si l’on veut expliquer d’où vient cette notion du troisième jour et l’importance

M. E. Maxcesot a pris la peine de les recueillir et les a fort bien discutées : la Ttésurrection de Jésun, p. 5.^-64.

1. Il faut excepter les récits de l’enfance, particulièrement attaqués par Paul Wendi.and, habituellement moins téméraire : Die hellenistisch-roemische Kriltur in ifiren Bezleltungen zit Judentum und Christentum-, Tubingen, 1912.

2. Ziim religionsffesc/iichtlichen Verstændnis des N. T., Goetlingen, 1903. p. 76-S2. Je ne connais rien déplus clair dans l’énorme littérature de l’érole. On ne donne ici qu’un résumé, terminé par nue citation textuelle.

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qu’on lui attribue, il faut rocouiir aux religions étrangères. Trois est en ellet un nombre sacre dans beaucoup de religions orientales. Dans la tradition juive, il joue également un rôle : Jonas reste trois jours dans le poisson, et c est lii un trait appartenant prubablemen t ù un mythe solaire. Trois et demi est le nombre des temps durant lesquels, selon Daniel (échu de mythes anciens concernant le chaos) le mal doit avoir puissance sur terre. Dans l’Apocalypse jolianniiiue, le jeune héros solaire doit grandir durant trois temi)S et un demi-temps, avant sa victoire sur le Dragon. Dans la mythologie grecque, Apollon, le quatrième jour [j/c] après sa naissance, va sur le Parnasse et tue le serpent Pytho. En somme, trois on, plus exactenieni, trois et demi, est le temps du mal triomphant, du Chaos, de la puissance uialigne, auquel succède la victoire du bien, de la Lumière, de la puissance bienfaisante. L’hiver, anrpiel succède le printenijjs, et la renaissance du soleil, dure trois mois on un [en plus. (( De tout cela ressort donc une explication du merveilleux nombre trois appliqué à la résurrection do Jésus, et cette explication est derechef qu’avant Jésus il existait, dans les milieux judéo-syncrélistes, une croyance en la mort et en la résurrection du Christ. »

408. — On lient ici sur le vif uii bon spécimen de la mélliode coniparalive. Il n’y manque même pas le

« coup de pouce » destiné à faire concorder les « trois

temps et demi », voire < le fiualrième jour », avec les

« trois jours >> ou « le troisième jour ». Mallieureusenient

pour M. Gunkel et ses émules (qui ne l’ont dépassé qu’en invraisemblance), l’hypotliése des emprunts et des intiltrations, même indirects, reste dans le domaine de la pure conjecture, et tout le positif, sur lequel doit tabler l’historien, est contre elle.

n n’j' a pas dans tous nos récits trace d’une allusion à des croyances préexistantes, à des précédents mythologiques ou même juifs. Tout est concret et, comme on dirait en anglais, malter uj facl. Aucune généralisation, aucun appel au s_ymbolisme solaire, à la renaissance des saisons, à la victoire d’un Héros sur le Chaos. Les notations de temps, en particulier, dont on fait étal, ne donnent lieu à aucun commentaire, et l’importance attribuée au troisième jour est destinée évidemment à préciser, à mettre hors de doute la réalité du fait. Ce cliilTre n’a pu (on le reconnaît ) être suggéré par les Ecritures de l’Ancien Testament ; les disciples n’avaient pas compris les prédictions de Jésus à ce sujet : c’est le fait qui pour eux interpréta les unes et les autres, encore qu’après coup on ait pu le lire dans les prophéties et rendre ainsi plus croj’abic, aux Juifs et aux prosélytes, l’annonce de la résurrection.

409. — Mais il y a plus, et si l’on rapproche d’un peu près la résurrection du Christ et la reviviscence des dieux solaires, des demi-dieux de la végétation et des saisons, d’Osiris, d’Adonis, d’Atlis, la contradiction éclate. Là, nous avons un homme véritable, Jésus de Nazareth, connu, familier, réellement pris, persécuté, immolé par ses ennemis, sous les yeux de ses disciples : et très lût après cette mort, ceux-ci sont persuadés et convaincus, non par raisonnements, espoirs et attente, mais par des faits, quc leur Maître est ressuscité. La vie nouvelle où il est entré déborde leur faculté de comprendre, mais elle s’impose à eux, et désormais ils seront des témoins irréiirochables et persuasifs du ressuscité. L’élolTe dont est fait le dieu mytliique est bien différente : son histoire a les contours vagues de la légende ; sa mort et sa reviviscence ont la plasticité des symboles et aussi l’impudeur des fables naturistes..Sous des noms divers, à travers les épisodes suggérés par la fantaisie <lébridée des poètes ou réglés par l’arbitraire des mystes.oe sont les grandes forces obscures, amorales et anonymes, dégradées et désignées par le travail des hommes, qui occupent le fond du tbcà Tonie II.

tre t déterminent les phases majeures du drame. Nous sommes hors de toute histoire et de tout contexte réel : aussi les fables peuvent-elles se rapprocher, se greffer, s’allonger, se déformer à l’infini. A l’origine de toutes, il y a, non une personne, mais un couple divin, dans lequel o la première place appartient à la femme’», et si, dans quelques-uns de ces mythes, l’idée de la vie future fil pénétrer un rayon de lumière et introduisit la notion de purification (sinon de pureté) morale, rien ne put cll’acer l’horreur du mythe primitif. Atlis — pour sortir du vague sur un des exemples ks plus employés par les comparatistes — Atlis est « le héros pitoyable d’une obscène aventure d’amour ^ ». Uans la forme la plus ancienne du mythe, tantôt il ne meurt pas, et tantôt il ne revient pas à la vie. Lorsqu’on tailla, en pleine fable, une sorte de mystère joué, représenté, une fête du printemps, symbolique du renouveau annuel, on emprunta aux mystères égyptiens ou syriens des cléments figurés, attribuant à Cybcle une partie du rôle tenu ailleurs i)ar Aphrodite ou Isis. Quel rapport entre tout ceci et l’histoire de la mort et de la résurrection du Christ’.'

410. — Mais c’en est assez, et trop peut-être, sur des objections qui ont l’avantage de montrer jusqu’oii le parti pris et la crainte du surnaturel peuvent entraîner des érudits. Après avoir passé en revue ces difficultés, il sera permis de les déclarer légères, trop légères pour contrebalancer le témoignage des contemporains, de Paul et de Pierre, de Jacques et de Jean, de ceux qui, ayant vu Jésus ressuscité, nous ont transmis leurs impressions personnelles, et ont confirmé leur déposition par la fécondité de leur vie et l’héroïsme de leur mort.

S. — Valeur apologétique de la résurrection

411. — La connexion qui existe entre la résurrection de Jésus et sa mission, est manifeste. Amis et ennemis l’ont entendu ainsi et la controverse, actuellement comme autrefois, se concentre sur la réalité du fait : si le Christ est ressuscité, il est vraiment le Fils de Dieu. La valeur de cette inférence ne faisait pas question au tem|>s du christianisme primitif et c’est tout le Nouveau Testament qui en fait foi 3.

« De la certitude de la résurrection, [les disciples] se

sont élevés à la foi en Jésus comme Messie. Seigneur et Kils de Dieu. Le triom]>he du matin de Pâques avait rétabli l’harmonie de sa vie que la mort avait brisée ; les paroles qui leur avaient été dites autrefois, qui avaient été incomprises et oubliées, leur remontent au c(eur ; elles revivent, elles s’éveillent à la lumière de ce faitrévélateur : Jésus ressuscité, voilà le fuit apologétique qui domine les origines chréliennes, le motif de crédibilité en quelque sorte unique, qui a ébranlé les 8)^ôtres et leurs auditeurs et les a amenés à donner leur assentiment au divin mystérieux, non encore épanoui, qui se cachait dans la personne du Sauveui-’. »

1. Franz Cu.iont, Lex Religions orientales dans le Paganisme romain^ Paris, 1907, p. r>0.

2. Id., Ihld., p. 88. — Sur le mythe <l*AHis. on peut consulteT’P. Deciiarme, dans le Dictionnaire des Antiquités Dareniberg et Saglio, Ci/hèie, vol. II. col. 1681 sqq. ; 0. GiiiiprE, Griechisclie Mythnlo^^le, II, Miinich, 1901), p. 1529 sqq. ; et la monographie de llugo llFPDmc, Ailis^ seine Mt/then and sein Kult, Giessen, 19(> : i ( « Kl’, !).

3. On peut s’en convaincre en lisant tie suite, dons le livre des Actes, les passages suivants : i, 3 ; 21-22 ; II, 22-36 ; ui, 15-26 ; iv. 10, 20, 33 ; v, 29-33 ; x. 3"-41 ; XIII, 27-’(0 ; XVII,.3, 18, 31-32 ; xxii, 1’(-15 ; xxv, 19 ; xxvi, 22-23, 26 ; — ou dans une seule des Epltres de saint Paul : aux Romains, i, 4 : iv, 23-24 ; vi, 4-10 ; vii, 4 ; viii, 10-11, 34 ; X, 9 ; xiv, 9.

4. V. Rose, Etudes sur tes Kfan^iles’, Paris, 1905, p. 273.

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JÉSUS CHRIST

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Les modernes n’en jugent pas autrement et ce serait tem])S perdu que de s’arrêter à le prouver. Mais il est indispensable de montrer que telle a été la pensée de Jésus lui-mcnie.

412. — A quatre reprises, dans des prophéties qui ont été ci-dessus transcrites dans leur teneur intégrale et dont l’authenticité a été pareillement établie {Supra, ch.lll, sect. 3, nn. 2/17 sqq.), le Maître achève le tableau des douleurs qui l’attendent par le trait glorieux de sa résurrection. Nous savons, moyennant le témoifrnage de ceux qui nous les ont rapportées, que ces paroles demeurèrent incomprises au cours de la vie du Sauveur et même au delà. Accueillies avec l’attention que les disciples portaient habitnelleaienl aux entreliens de Jésus, gravées dans leur mémoire par leur allure étrange et paradoxale, ces prédictions s’illuminèrent aux clartés de la résurrection. Elles revécurent alors, comme il arrive aux formules de haut relief qui se fixent par la répétition, même sans être pleinement assimilées, dans le souvenir des simples et des enfants : l’intelligence postérieure de ces formules est facilitée par la possession imperlur bal)le de la « lettre ». C’est ce que savent et escomptent les bons catéchistes.

Mais en dehors de ces prédictions explicites, il est deux paroles de Jésus qui se rapportent plus exclusivement, sinon plus clairement, à ce sujet. Elles comptent d’ailleurs, à cause de leur importance et aussi des conditions littéraires du texte, parmi les plus discutées de l’Evangile. Les voici, accompagnées des autres passages qui peuvent aidera les interpréter correctement.

Le signe de Jouaa

413. — Groupe A.

Lors, quelques-uns fies Scribes et des Pharisiens lui répliquèrent, disant : a Maître, nons voulons voif un signe [accompli] par vous ! » Mais il leur dit en réponse ; " La génération [présente], maligne et adultère, réclame un signe, et de signe il ne lui en sera pas donné, hormis le signe de Jonas le prophète. Car tout ainsi que Jonas fut dans le ventre du poisson, trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre, trois jours et trois nuits.

« Les hommes de Ninive se lèveront, au jugement, contre

cette génération-ci, et la condamneront ; car ils ont tait pénitence ù la prédication de Jonas, et voici plus que .lonas ici. La reine du Midi se lèvera au juL, ^ement contre cette génétation-ci et la condamnera ; car elle vint du bout du monde écouter la sagesse de Salomon, et voici plus que Salomon ici. ».1/^, iii, 38.42.

Aux foules qui se pressaient, [Jésus] commença de tlir-e : (1 Cette génération-ci est une génération maligne ! Klle cherche un signe, et signe ne lui sera point donné, hormis le signe de Jonas. Comme en eiïet Jonas fut un signe pour les Ninivites, ainsi le Fils de l’homme sera [un signe] pour cette génération-ci. La reine du Midi se lèvera au jugement contre les iiommes de cette génération-ci et les condamnera ; car elle vint du boni du monde écouter la sagesse de Salomon et voici plus que Salomon ici.

« Les hommes de Ninive se rlresseront,.au jugement, 

contre cette génération-ci et la condamneront ; car ils ont fait pénitence, ^ la prédication de Jonas, et voici plus que Jonas ici, )) Lc, xi, 2î*-33.

Groupe fi.

Survinrent les Pharisiens qui commencèrent de le presser, ré( ! lamant de lui un signe du ciel, pour l’éprouver. Or gémissant du fond de l’âme il leur dit : « Qu’a cette génération à chercher un signe [de ce genre] ? Oui, je vous le dis, [on verra] s’il est donne un signe à cette génération ! » Mc, viii, 12-1.3.

Et survenant, les Pharisiens et f les] Sadducéens réclamaient do lui, pour l’éprouver, qu’il leur montrât un signe [venu] du ciel. En réponse, il leur dit : (c Le soir vou.s

dites : [Il fera] beau temps, car le ciel rougeoie ; et le matin ; Mauvais tem[is aujourd hui, car le ciel est sombre et rouge. Ainsi vous savez discerner le temps qu’il fera, sur les apparences, et vous ne savez pas Ûire] les signes des temps.’[Cette] génération maligne et adultère réclame un signe, et de signe il ne lui sera pas donné, sinon le signe de Jonas. » Et les laissant là, il s’en alla. Ml.,.vi, 1 i.

414. — A propos de ces textes, des questions se pressent, qui ne sont pas à discuter toutes ici. Jésus prononça-t-il deux fois cette parole, dans des circonstances analogues, mais différentes ? Cela reste probable sans être certain, du point de vue historique où nous nous maintenons.

Ce qui est clair, c’est qu’un groupe de Pharisiens, lidèles interprèles en cela de leur génération entière’(le mol même de « génération » était devenu classique en Israël, depuis la fameuse génération contemporaine de Moïse, dont les infidélités, les tribulations et les gloires formaient la page la plus instructive et la plus exemplaire de l’histoire du peuple juif), prétendaient exiger du Sauveur des signes évidents, matériellement eonstatables, de sa mission. Nous avons expliqué plus haut comment les miracles évangéliques, et les dispositions morales et religieuses réclamées pour leur interprétation correcte, étaient trop spirituels j)Our ces cœurs durs. Ils demandaient en conséqiience des signes d’un ordre différent, des météores, des perturbations cosmiques, comme celles que la voix d’Elie avait autrefois provoquées (III (I) fleg., XVIII, 38 ; I^V (II) Heg., i, 10 sqq). Les évangélistes sont d’accord pour exclure les enquêteurs du privilège même de la bonne foi : on voulait ainsi éprouver, tenter le Maître, et l’on se réservait sans doute d’attribuer au malin esprit les merveilles que Jésus pourrait opérer. Mais la ruse fut déjouée ; ces exigences se heurtèrent à un refus catégorique.

Toutefois, Jésus (nous l’apprenons de Matthieu et de Luc, Marc n’ayant consigné que le refus des’i signes » cosmiques) élargit sa réponse en faisant appel à un signe en particulier qui serait donné, lui, à cette génération, et dont l’inintelligence coupable la condamnerait : te signe de Jonas. Tout revient à déterminer la nature et la portée de ce signe.

Si nous n’avions que le groupe B de textes, nous en serions réduits là-dessus à des conjectures : les traits principaux de la carrière du prophète, telle qu’elle est décrite dans le livre qui porte son nom, retiendraient sans doute notre attention. Les plus frappants de ces traits, les plus populaires sont manifestement, avec et après la survie miraculeuse de Jonas, le succès (à peine moins merveilleux) de sa prédication à Ninive. L’allusion à la résurrection du Christ et au succès postérieur de l’Evangile serait moralement certaine, encore qu’implicite.

415. — Mais la présence, en nos dociimenls, du groupe A, précise l’allusion et, en même teuii)s, complique le problème. L’obstination des gens decette génération perverse et « adultère » (au sens, également classique en Israël, d’infidèle à son Dieu) sera condamnée au dernier jour, et les exemples de docilité qui lui sont opposés sont empruntés à des Ocnlils ! La reine du pays de Saba est venue écouter la sagesse de Salomon : les lils d’Israid refusent d’écouter ou de comprendre la sagesse du secoiul Salomon, dont le premier n’était pourtant que la figure. Les Ninivites, princes en tële, seconvertirenlà la voix de Jonas : les compatriotes de Jésus feront, en grand nombre, fi de son message, pourtant combien

I. Cf. entre autres, le ; ’i 1rs Juifs n’c’amei.t des signes -, de saint Paul. I Cor., I, 22. 1509

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plus persuasif el plus important ! Soulignant ce dernier trait, on serait tenté de voir le si^^ne de Jonas dans sa prédication, d’opposer à son luessaife bien accepté le niessasfe incompris de Jésus. L’application du sigue porterait d’abord sur la prédication, indirectement sur toute la carrière publique du.Maitre, miracles et résurrection coiiipris. La majorité des exégètes libéraux et nombre de catholiques se sont orientés dans cette voie i. Us font remarciuer que l’incident des trois jours dans le poisson n’a guère pu fournir un signe aux Ninivites ; que le contexte dans saint Malliicu, xii, 4’» et le texte de saint Luc, xi, 2930, opposent la foi des Ninivites croyant à la prédication do Jonas à l’incrédulité des Juifs en face de la prédication de Jésus ; que l’exemple de la reine du Midi s’expliquerait mieux ilans cette liypotlièse.

416. — Le verset 40 de saint Matthieu : ( signe de Jonas » doit s’entendre avant tout de la résurrection 2.

417. — Sans vouloir contester la probabilité de la première interprétation, nous avouons préférer celle-ci. La violence manifeste qu’autrement on fait subir au texte : « car, tout ainsi que Jonas…, ainsi le Fils de l’homme, iiT-î/j /y : p-- o^-r^i… ii, ne se justifierait ([ue par la quasi-impossibilité de garder aux expressions leur signification habituelle. Or cette impossibilité n’existe aucunement. Ni la nature du <i signe », ni la parole de Luc, xi, 30, qu’on allègue à ce propos (a De même que Jonas a été un signe pour les Ninivites, ainsi sera le Fils de l’homme pour cette génération-ci »), ne l’imposent le moins du monde. Je dirais presque : au contraire ! La comparaison porte sur l’ensemble de la mission de Jonas, histoire et message. Le c signe », c’est la figure suscitée dans le souvenir des auditeurs de Jésus par la mention de Jonas. Celte menlion évoquait, avec

1. Le grand.Maldonat l’avait déjà ouverte, au moins comme une issue possible et plausible. Parmi les critiques lib**i-aux, on peut consulter par exem[)le Ed. Revss, Hîst’iire évangéhque, 1876, p. 287. Plus radicaux, quelques mofIerns traitent d’infeVpolation pure et simple tout ce qui a li-ait au d signe de Jonas ». -insi.. Loisy, à titre conjectural (Les Evangiles Synoptitjups, I. 1007, p. y94). En ce cas, dit-il, il faudrait renvoyer l’intei-polution « à une époque foit ancienne, voisine de celle où la rédaction des Syno[>tiques peut être considérée comme af rètée définitivement ». B.’eiss admet que le si^rie est la résurrection ; Joh. Weiss, le jugement ù venir ; Ad. Harnack, la [irédicûlion au sens large du mot : « Un prophète est venu !))

Parmi les auteurs catholiques qnî ont vu dans la prédication du Sauveur, prise d’ensetnble, le sij^ne de Jonas, il faut mentionner.i.Sl., lfred Durand, Pourquoi Jr^ts a parlé en paraboles, dan » les Etudes du 20 juin 1906, t. (^ VIT, p. 7fi’t et note ; et A. van IIoonacker, les Douze petits Prophètes, Paris, lïlOS, p., 520-32.5.

2, En ce sens, avec des nuances diverses, et après tous les Rnci**ns..l. Kn.vuenbaufr. Commentnrius in Mattltæum, I Paris, 1802, p. 501 ; TheodorZAHN, Das Evangelium des Maltkæus ausgelegl", Leipzig, 1910, p. 473.

l’épisode miraculeux des trois jours el trois nuits passés dans l’abîme, et cette dramatique survie, célébrée par le cantique du prophète, l’édifiant exemple des Ninivites se convertissant en foule à la voix de Jonas. L’histoire connue de tous fournissait ainsi, par ses deux points saillants : la miraculeuse aventure, l’étonnante conversion, tous les éléments d’un f signe », d’un maclial, d’une parabole prophétique conforme au génie d’Israël et à l’économie de la manifestation messianique. Il y avait là ombre et lumière, comparaison et contraste, clarté pour les âmes droites et aveuglement pour les méchants. Comme le vieux prophète arraché aux portes de Shéol fut, par sa prédication et tout son effort (quelles raisons de se faire croire donna-t-il aux Ninivites, nous n’en savons rien et peu importe ici), le signe dans lequel les gens de la grande cité reconnurent, pour leur salut, l’appel divin, ainsi Jésus ressuscité, et prêché comme tel, sera le « signe de contradiction » autour duquel s’accomplira le grand partage au sein de la génération qui l’écoutait. Celle génération veut des signes ? — Le signe qui lui sera donné, c’est le message pascal scellant et entérinant, au nom du Père céleste, toute la prédication de Jésus, et produisant celui-ci devant tous comme le nouveau Jonas, échappé de l’étreinte de la mort. Mais la génération des fils d’Israël sera moins docile à l’appel de Dieu, moins habile à discerner les signes des temps, que l’auditoire de Jonas. Les Ninivites se lèveront au dernier jour pour condamner ceux qui auront péché contre une telle lumière. Tout le passage est donc prophétique et le second Jonas, c’est Jésus ressuscité ; encore que, au moment de la prédiction, il touche déjà du doigt et souligne douloureusement l’esprit charnel el chimérique qui se manifeste el provoquera bientôt, dans la généralion qui l’entoure, n l’adultère » définitif, suivi de la répudiation et du châtiment divin.

Celte interprétation, qui tient compte de l’exégèse traditionnelle, est aussi la seule littérale. Elle acquiert une nouvelle probabilité de l’étude suivante, sur le signe du Temple réédi/ié.

Le signe du Temple réédiflé

418. — Jésus vient de chasser les vendeurs du Temple :

Les Juifs répliquèrent donc et lui dirent : « Quel sij ; ne nous montrez-vous, qui [vous autorise à] agir ainsi.’» .lésus répondit en ces termes : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai [de ses ruines], » Les Juifs dirent en conséquence : « Ce temple a été élevé en quarante-six ans, et vous, en trois jours, vous le relèverez ? u (Mais lui parlait du temple de son corps. Quand donc il fut ressuscité des morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait dit ceci, et ils crurent à l’Ecriture et aux paroles que leur avait dites Jésus.) Jo., 11, 18-23.

Pendant l’interrogatoire, la nuit que Jésus fat litre ; on cherche des témoignages contre lui :

Finalement deux [faux témoins] s’avancèrent, disant : Cet homme a dit : (( Je puis dctroire le Temple de Dieu et après trois jours le réédifier. » Ml, , xxvi, 61.

Et quelques-uns se levant déposaient faussement contre lui. disant : « Nous-mêmes l’avons entendu dire : Je détruirai ce temple fait de main d’homme et après trois jours j’en réédificrai un autre, non faitde main l’homme ! » Et. même ainsi, leurs témoignages n’étaient pas concordants. Me., XIV, , ">7-59.

Sur le Calvaire :

Et ceux qui passaient-là le bafouaient en branlant la tète et en disant : u Toi, l’homme qui détruis le Temple et le réédiûes en trois jours, sauve-toi [donc] toi-même, si 1511

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ta es le FiU de Dieu, et descends de la croix ! Mt, , xxvii 39-40.

Et ceux qui passaient là le bafouaient en branlant la lète et en disant : q’a donc ! Toi qui détruis le Temple et le réédilies en trois jours, sauve-toi [donc] en descendant de la croix ! » Mc, iv, 30-31.

On traîne le diacre Jitienne Jetant le Conseil.

Et ils subornèrent des témoins menteurs qui dirent : (( Cet homme ne cesse de déblatérer contre le Lieu saint et la Loi, car nous l’avons entendu dire que ce Jésus de Nazareth détruira ce Lieu [saint] et changera les coutumes que Moïse nous a transmises. >>

Act., Ti, 13-14.

419. — Il ressort des textes’que cette parole de Jésus eut un retentissement considérable et que son caractère mystérieux prêta largement à interprétation maligne, voire calomnieuse. Il va de soi qu’en la mettant dans la bouche de n faux témoins » les Synoiitiques n’entendent aucunement contester l’aullienticilé du dire : l’étrangeté même de celui-ci le place au-dessus de tout doute. Le faux témoignage portait sur la signification matérielle, anarchique, révolutionnaire, donnée à une parole énigmatique. Rien dans la carrière et l’attitude du Sauveur ne permettait de présumer ce sens. Quant à la portée véritable de la déclaration, elle ne nous a été livrée que par le quatrième évangéliste. Encore prend-il soin d’observer que l’intelligence de cette parole ne se fit jour pour les disciples eux-mêmes qu’après la résurrection. Jusque-là, ce fut lettre close pour les amis, pierre de scandale pour les adversaires.

Le signe est en effet, comme celui de Jonas, dont il est en somme une réplique, et plus exclusivement encore, prophétique. Il ne vise les interlocuteurs actuels de Jésus qu’en tant qu’ils appartiennent à la génération qui sera témoin de la mort du Sauveur et sûrement instruite de la résurrection. Les Juifs qui contestent le bien-fonilé du pouvoir exercé par le Maître sont’assignés à ce jour prochain. Alors le mystère s’éclaircira, et l’on verra nettement de quel côté est le droit. Le grand duel tragique des deux esprits et.pourainsi dire, des deux religions, se résume et se symbolise dans les deux Temples. Au magnifique édilice ( « quelles pierres et quelle structurel ») où résidait exclusivement, pour tout bon Israélite, la gloire de Dieu, va se substituer un culte plus large, en esprit et en a érilé ; aux figures et aux promesses, la réalité du Règne de Dieu. Mais actuellement toute cette immense réalité se cache et se réduit en Jésus : son corps est le frêle temple oii résident, mieux que jamais en aucun édilice fait de main d’homme, la gloire et les complaisances du Père. Et à tous ces grands de chair, à tous ces illusionnés qui réclament des signes du ciel, et devant lesquels il vient d’allirmer ses prérogatives, le Maître jette ce mot profond qui est à la fois un défi et une prédiction : n Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverait » Il n’importe pas que les esprits de ses auditeurs s’égarent présentement sur l’édifice matériel, en supputent la grandeur, opposent aux forces présumées du prédicateur nazaréen l’énormité de la lâche qu’il assume ! Ce sont là erreurs d’interprétation qu’il ne plaît i)as

1. On peut consulter à ce propos.). Knabenbauer, Commeniarius in Iclianiient ^ Paris, 1898, p. 132 sqq. ; J. E. BprSEK, Das Evangeliuin des heil. tiJiannes, Freiburg i. H.. 11105, p. S.") sqq. ; Th. Z.vii.n, Das Erangeliuin des loJiannes aus^ele^f, Leipzig. 1908, p. 170 sqq. — Le commentaire de M. A. Loisv, Le Quatrième Efan^ile, P.iris. 1903, p. 288-3011, est tr.s complet et, en quelques points, i>énéti’ant. Il est malheureusement dominé et gâté parles vues de l’auteur sur le caractère général du quatrième évangile.

au Maître de corriger : les esprits droits ne s’y tromperont pas. Us attendront en paix le signe annoncé dans ces paroles mystérieuses.

L’avenir se chargera de mettre chaque chose à sa place, de renverser, à la façon divine, les vues humaines ; de faire germer dans le tombeau oii le corps de Jésus, travaillé jusqu’à la mort, sera enfin déposé, la gloire du Fils de l’homme ; de bâtir, sur cette pierre rejetée par les maîtres d’œuvre ofiiciels, un Temple que nulle tempête, nul assaut des hommes, nulle action du temps ne pourra renverser.

420. — Les deux signes allégués par le Christ en faveur de sa mission divine s’éclairent ainsi l’un l’autre, et tous deux renvoient à la résurrection. Constatée directement par les apôtres, attestée par eux au peuple, la réponse du Père confirmera les leçons et l’autorité du Fils. Sous les traits du vieux prophète surgissant de l’abîme, dans le symbole du nouveau Temple élevé de main divine sur les ruines du Temple écroulé, c’est le vainqueur de la mort, c’est l’auteur de la vie, c’est le Seigneur ressuscité qui se profile à l’horizon évangélique. Les termes restent énigmatiques aux disciples eux-mêmes ; les indifférents s’en moquent ; les ennemis y cherchent des armes contre le Nazaréen. Mais la forme paradoxale et incisive des dires les a gravés dans la mémoire de tous, et à l’heure prochaine oii Pierre proclamera : « Sache donc toute la maison d’Israél que Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez mis en croix ! » (--tct., ii, 30), on se souviendra des paroles du Maître et autour d’elles s’accomplira le départ entre les « fils de lumière n et les autres.

Conclusion

421. — En résumé, celui qui veut laisser aux textes du Nouveau Testament leur sens certain et aux origines chrétiennes leur consistance historique, doit reconnaître que, par une action divine incompréhensible, Jésus a été corporellement arraché à la mort et constitué dans un état nouveau, glorifié, mystérieux, tel pourtant que l’identité du ressuscité avec leur Maître ne fit aucun doute, après expérience et enquête, pour ses disciples.

C’est le verdict de l’Iiistoire honnêtement consultée. S’ajoiitant aux arguments dévelojipés précédemment, ce fait miraculeux les couronne, loin d’}' contredire, et achève en lignes sublimes une carrière que tout démontre plus qvi’humaine. Il y a entre la résurrection et la vie du Sauveur une harmonie interne qui rend celle-là plus croyable. Le triomplie final de l’esprit non aux dépens, mais à l’avantage de la matière ; la victoire du juste, du bien, du sacrifice volontaire ; la confiance au Père récompensée ; la foi au Fils motivée sans être imposée et devenant raisonnable sans cesser d’être méritoire : tels sont quelques uns des aspects religieux du fait de la résurrection.

422. — Il en est d’autres qui, pour n’être pas plus importants, sont plus explicitement mis en lumière dans le christianisme ancien : n mourir pour vivre » ou plus exactement « mourir pour ressusciter ». mourir au mal, au charnel, au temporel, à l’égo’isme, au péché, à la « nature > tarée et déchue, pour revivre en grâce, en pureté, en esprit ; — « perdre son âme pour la sauver », sacrifier sa vie temporelle à l’expansion en nous et hors de nous du Royaume de Dieu, dans l’espoir d’une vie meilleure, c’est tout le fond de la nouveauté chrétienne. C’est la leçon qu’après Jésus Paul et tous les apôtres ont constamment prêchce. Or la résurrection du Christ n’est pas1513

JESUS CHRIST

1514

seulement le symbole de ce grand chanjfeiuent ; elle est le gage de sa rcalilr, l’assurance donnée pur Dieu, à ceux qui s’y efforcent, qu’ils ne perdront pas leur peine et que leur vie vaut d’être vécue. C’est avec et par le Seigneur ressuscité que cette doctrine a conquis le monde et s’impose encore (dans une certaine nusure et pour leur bonheur) à ceux même qui ont cessé de croire au fait de la résurrection. Sous ce rapport, le D’W. Sanoay dit bien que ce fait est

« la pierre d’angle du mysticisme clirclien’».

C’est là ce que nul penseur ne tiendra pour négligeable, et moins que personne celui qui prétend juger dune doctrine par ses aptitudes à contenter l’inlelligence et à guider noblement la volonté. Sans accorder à leur façon de voir une importance décisive, et surtout exclusive, nous avons le droit d’en faire état, et de marquer le contraste qui existe entre ces hautes vues et les Ans de non-recevoir opposées par nos adversaires aux allirraations des témoins. Mal fondées en liistoire, ces fins de non-recevoir sont, en philosophie même, indéfendables. Elles sont le reste de conceptions déterministes rigides aujourd’hui délaissées, et d’une étroite assurance qui paraît mesquine ; elles sont l’héritage, fort dommageable, du rationalisme le plus suirisant, dans son insuflisance manifeste à cxpliqvier tout le réel.

Jésus, sous bien des formes difforentes, a suggéré, inculqué, répété que la foi ne s’imposait pas par des signes prestigieux, qu’il fallait porter à la recherche du Royaume un cicur purifié, une vue nettoyée des mirages charnels, une simplicité d’enfant : à ceux qui sont ainsi disposés, les signes seront surabondants. Parmi ces signes, il n’en est pas de plus grand que celui de Jonas : il est le plus persuasif comme argument ; il est encore, comme objet de foi, le plus salutaire, car « Si tu confesses de bouche que Jésus est le Seigneur, et si tu crois en ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, — tu seras sauvé 1 » Itom., x, g.

Bibliographie

483. — La résurrection du Christ a donné lieu à une foule de travaux, au premier rang desquels il faut mettre certaines l’i’e.’.- du Sauveur : notamment en France celles de C. Fouard et de Mgr E.Le Camus.

Parmi les monographies, on peut citer les brochures de Const. Chauvin. Jésus-Christ est-il ressusci /e ?Paris, 1901 ; de P. Ladeuze, La résurrection du Cliriit dei’ant la critique contemporaine, Paris et Bruxelles, [1909] ; de E. Dentier, Die Auferstehunii Jesu Ckrisli nucli deii Bericliten des TV. T., Miinstèr, 1908 ; de J. Muser, Die Auferstehung Jesu und ilire nenesten h’riliker^^ Paderborn, igiii ; les conférences de E. Jacquier, La fiésurrection de Jésus-Christ, Paris, i^M ; — les étudesdeE. Mangenot, La Résurrection de Jésus, Paris, 1910 et de A. Cellini, Gli uUimi capi del tetramorfoe la critica razionalistica, Rome, 1906.

Les chapitres concernant la résurrection dans . Rose, Etudes sur les Evangiles, Paris, igoS, ch.viii ; J. iMausbach et G. Esser, dans Religion, Christentum, Kirche, 11° Partie, Liv. VU.

Innombrables articles, dont la plupart sont relevés dans la Biblische Xeitschrift, cahiers 2 et 4 de chaque année, s. v. Jésus.

Parmi les.anglicans, outre les ouvrages déjà anciens, mais encore utiles de R. F. Westcott, The Gospel of the résurrection, London, 1866, et de Milligan, Tlie résurrection of Our Lord, London, 1881 (tous deux souvent réédités depuis) ;

1. Jésus ClTisI ; D. »., II, p. 6’12, A.

J. Orr, The résurrection of Jésus, London, 1908 ; II. lî. Swete, The appearances ofOur Lord after the Passion, London, 1907 ; Th. Thorliirn, The résurrection narratives and modem criticism, London, igi i (contre P. W. Schmicdel), et la partie afférente de The Gospel in light of hisluricat criticism, dans les Cambridge theological Essays, London, igoS, par F. IL Chase, (’e travail a été réédité et complété en 1914.

Parmi les protestants conservateurs, il faut citer Fr. Loofs, Die.tuferstehungsherichle und ihr It’ert, Leipzig, 1898, Tiibingen, 1908 ; P Uolirbach, Die Hericltle iiber die Auferstehung Ji’su Christi, Berlin, 1898 ; Fr. Barth, dans ses Ilauptprobleme des Lebens Jesu^, Gutersloh, igcj.

Plus à gauche, E. von Dobschiitz, Osien und P/ingsten, Leipzig, 1908 ; Ed. Stapfer, La mort et la résurrection de Jésus Christ^, Paris, 1898.

Les i)rincipaux travaux rationalistes ont été cités dans l’article : ce sont le mémoire de P. W. Schmiedel, Résurrection… narratives, dans l’E. B., de Cheyne et Black, IV, igo3, ’igo’j, col. /1039-4087 ; les monographies d’Arnold Meyer, Die Auferstehung C/ir14-(i, Tiil)ingen, igoS ; et deKirsopp Lake. The historical évidence for the résurrection of Jésus Christ, London, igo^ (un peu moins radical).

Sur les objections tirées de l’histoire comparée des religions, on peut consulter Cari Clemen, Religionsgeschichtliche Erhlærung des Neuen Testaments, Giessen, 1909, J). i/|6 sqq., 269 sq. Prendre de préférence l’édition anglaise revue et augmentée : Primitive Christianity and its non-jewish Sources, 1912.

Objections du point de vue philosophique (et moderniste) dans Ed. Le Roy, Dogme et Critirjue, Paris, 1907, p. 155-258. L’auteur reprend les dillicullés de Loisy, ajoute les siennes et propose une solu’.ion supposant toute sa philosophie particulière, idéaliste. — Les mouograiiliies de la Bibliothèque [moderniste radicale|</e critique religieuse : P. LeBrelon, La Résurrection du Christ, Paris, 1908, P. Calluaud, le Problème de la résurrection du Christ, 1909, sont négligeables.