Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Loi ecclésiastique

La bibliothèque libre.
Dictionnaire apologétique de la foi catholique

LOI ECCLÉSIASTIQUE". — Ses caractères : I. Evululion ; ll. Transcendance.

Pour opérer la sancliticalion du monde, Dieu se sert d’éléments créés, parfois assez vulgaires, auxquels Il communique son inspiration ou sa force, et qu’il transforme en instruments de ses desseins. L’Eglise, mue par le Saint-Esprit, imite dans son action ces procédés divins. Obligée de se donner, pour le bien des lidèles, une discipline, des lois, une vie juridique, elle ne craint pas de laisser pénétrer chez elle quelques institutions ou usages d’origine profane ; mais elle puriûe ces apports, les élève à sa hauteur, et leur assure une efficacité nouvelle. Cette double vérité cçmmande tout le développement du droit canon. L’Église, en construisant son droit, emploie pour partie les éléments que lui fournit le milieu où elle évolue, mais en même temps elle leur communique quelque chose de sa transcendance.

I. Évolution du droit canon. — Le christianisme naquit au sein de l’Empire romain, immense État providentiellement préparé pour abriter le berceau de Notre-Seigneur et recevoir le germe de son œuvre. Quoique persécutée, l’Église se modela dans une certaine mesure sur la puissante machine qui la bro}ait. Le Christ, il est vrai, lui avait tracé les grandes lignes de sa constitution ; en faisant des Apôtres les pasteurs du troupeau, et de Pierre le chef du collège apostolique, il avait créé l’épiscopat et la papauté. Mais les détails d’exécution restaient à préciser, et c’est sur cette organisation concrète du gouvernement ecclésiastique que l’organisation de l’Empire exerça une influence réelle, contenue d’ailleurs dans des limites qu’il est difficile de déterminer. {Corpus Juris, Decreti /" pars, Dist., lxxx, c. i, c. 2 ; cf. PuiLLiPs, Kirchenreclit, t. II, § 68, p. 20 sqq. ; Wernz, Jus Decretalium, 2° éd., t. II, §715, p. 483.) La division politique du territoire en cités, en provinces, en diocèses, en préfectures, fournit un cadre auquel s’adaptèrent naturellement les circonscriptions ecclésiastiques. De même que l’Église institua, à côté des fêtes païennes et souvent aux mêmes jours, ses solennités à elle et son culte, qui

1. L’auteur de ces considérations, disparu au cours des combats d’août 1914, n’a pu écrire l’article qu’il destinait au Dictionnaire apologétique. C’est aux Etudes (20 avril 1914) que nous empruntons l’expression d’idées qui lui étaient chères, certain de remplir ainsi le vœu de ce bon ouvrier. Quelques phrases, écrites par lui au présent, seraient aujourd’hui à mettre au passé.

N. D. L. D.

Unirent par supplanter les antiques superstitions, de même elle établit, parallèlement à la hiérarchie laïque des présidents, des vicaires, despréfets du prétoire, sa hiérarchie toute religieuse d’évêques, de métropolitains, de primats, de patriarches, et quand la première eut croulé sous le flot des invasions barbares, l’autre resta debout par la vertu du Christ.

Libre, à partir de Constantin, de se développer largement, forcée par la disparition de l’Empire de se suffire à elle-même sous tous les rapports, l’Église dut se pourvoir d’un régime juridique complet ; et comme ses clercs admiraient profondément tout ce qui restait de la culture romaine, comme elle-même, dans le système de la personnalité des lois, vivait selon la loi romaine (secundum legem romanam, quam Ecclesia vivit, Lex Ripuariorum, LVIII, § i), le droit qu’elle élabora se trouva tout pénétré d’éléments romains. Si elle avait grandi à une autre époque ou dans d’autres régions, elle se serait assimilé une technique différente ; mais Dieu l’ayant placée dans le milieu romain, c’est cette civilisation qu’elle utilisa. Tantôt elle canonisa purement et simplement les règles qu’avaient tracées les empereurs ou les jurisconsultes classiques (Cf. Benoit XIV, De Synodo dioecesana, L. IX, c. x ; Laurin, Inlroditctio in Corpus Juris canonici, Appendix, § 30, p. 262), tantôt elle s’inspira de leurs décisions pour légiférer de son chef (Cf. Laurin, loc. cit., p. 268 ; Wernz, loc. cit., t. I, § 195, II, p. 296). Le droit romain fut reçu, devant ses tribunaux, comme source subsidiaire générale : c’est à lui, quand les canons se taisent, que les juges d’Église doivent emprunter leurs solutions (X. v, 32, c. i ; cf. Bouix, De Judiciis, t I, p. 19 sqq. ; Laurin, loc. cit., p. 263 ; Wernz, /oc. cit., 1. 1, p. 297). Par cette voie, la procédure romaine fut transportée dans le domaine ecclésiastique, et devint la procédure canonique CVoir par exemple saint Grégoire le Grand, Epist., L. XIII, ep. xlv ; P. L., t. LXXVII, col. 1294 sqq. ; cf. Bouix, loc. cit., p. 21 ; DevoTt, Instituiionum cancH/carum Lib. IV, tit. i, § 5, t. II, p. 220) ; le système romain des contrats fut adopté par les archidiacres ou les évêques, sauf modifications de détail, comme l’expression merveilleusement exacte et fine de la justice (Cf. Wernz, loc. cit., t. III, S ; 228, IV, p. 232). Beaucoup d’infiltrations du même ordre amenèrent des éléments romains jusque sur des terrains où l’Église édifiait des constructions originales. Pour n’en citer qu’un exemple, la parenté légale née de l’adoption devint, grâce aux souvenirs de la jurisprudence impériale, uji empêchement au mariage chrétien (C. xxx, qu. 3, 11

LOI ECCLESIASTIQUE

12

c. I, c. 6 ; cf. Benoit XIV, loc. cit., h. IX, c. x, n. 3-5).

II est ^Tai qu’on relève également quelques traces d’influences germaniques dans la formation du droit de l’Eglise latine : pour compter les degrés de parenté qui font obstacle au mariage, le mode de calcul cUer aux Barbares prévalut (C. xxxv, qu. 5, c. 2. Cf. Vernz, lue. cit., t. IV, n. ijog, tit. xvii, nota 40, p. 25 1 sqq.) ; les cojureurs, les purgations par le serment des vieilles coutumes teutoniques (Cf. Es-MEIN, Histoire du droit français, b’éd., p. 59, 98 sqrj.) fournirent plus d’un trait à la purgatiu cano ?iica (Cf. Devoti, loc. cit., 1. III, tit. ix, § 26, nota 3 ; t. ii, p. 1 10) ; le teslimoniiim « e^ùmæ mon ! ts(C. xxiiQ, qu. 1, c. 2 ; X. IV, 15, c. 5, c. 7 ; cf. Esmein, le Mariage en droit canonique, t.I, p. 261 ; Wernz, loc. cit., t. IV, n. 344, tit. XIII, p. 144), ce recours à sept témoins qui garantissent sur certains points délicats la bonne foi des époux, suggéré par des traditions populaires imprégnées de germanisme, passa dans les usages des cours de chrétienté. Mais ce ne sont là que des détails : l’ensemble, le fond, l’essentiel du droit canon appartient à la civilisation latine, et on peut dire, en s’en tenant aux grandes lignes, que dans l’EgJise d’Occident, tout ce qui n’est pas divin, est romain.

Le développement du droit canon se poursuivit par les mêmes procédés que celui du droit romain. Fut-ce une imitation voulue, ou simplement l’effet d’une rencontre fortuite ? Il est malaisé de le décider. En tout cas, les Décrétales des papes rappellent étrangement, dans la forme, les rescrits des empereurs ; de part et d’autre, des solutions d’espèce deviennent, comme nous dirions aujourd’hui, des arrêts de principe, et prennent l’autorité d’un règlement applicable à tous les cas semblables. Le Décret de Gratien éveille le souvenir du Digeste : dans chacun de ces deux recueils s’accumule une masse énorme de textes, de provenance très diverse, dont la conciliation n’est pas toujours facile. Les Décrétales de Grégoire IX font pendant au Code de Justinien : des deux côtes nous sommes en présence d’une collection authentique, dont les éléments sont sanctionnés par l’autorité suprême. Plus tard, on joindi-a au Décret et aux Décrétales des compilations postérieures, et l’ensemble formera le Corpus juris canonici, comme l’addition des Novelles au Digeste et au Code avait achevé de constituer le Corpus juris civilis.

Le droit canon atteignit ainsi un haut degré de perfection. Il s’était assimilé le meilleur des législations profanes, surtout du droit romain, qui savait si habilement satisfaire les exigences de l’équité et les besoins sociaux ; il avait épuré ces emprujits au souffle de la doctrine et de l’esprit chrétiens ; sui-lout il les avait complétés et développés. Au treizième siècle, l’Eglise est en possession d’un système juridique hors de pair, supérieur à toutes les Luslitutions temporelles de la même époque. Non seulement il les dépasse par l’élévaliou morale que lui assurent le contact du dogme et la protection de la Providence, mais de plus, au point de vue purement leclinique, il se recommande par des mérites qui sont à cette date son apanage exclusif : les sources dont il dérive sont des recueils qui égalent en précision et en clarté ce qu’on connaît alors de plus accompli, les compilations justiniennes ; la synthèse doctrinale qui le résume, tissée par les glossaleurs autour de chaque mot du Décret ou des Décrétales, déroule, comme une tapisserie d’un coloris bien fondu, la suite de ses théories logiques et cohérentes. Aucune autre société ne pouvait alors mettre en ligne un droit plus parfait. Les seigneuries entre lesquelles se

partageait le monde féodal vivaient sur des coutumes lentement élaborées : ici, simple modification des pratiques romaines ; ailleurs, produit d’un vieux fond germanique fécondé par le christianisme ; sou » vent, sans doute, elles aboutissaient à une jurisprudence très lieureuse, bien adaptée aux besoins du peuple, originale, naïve et belle (voir surtout Beaumanoir, Coutumes de fieau^’oisis [1283|), mais qui n’avait en définitive ni l’unité ni la solidité de la grande construction canonique. On eût dit des demeures gracieuses ou commodes, au pied d’une magnitique cathédrale.

Les civilisations profanes sont allées de l’avant. Sar le terrain juridique, leur marche fut lente, et les vraies améliorations ne s’eff’ectuèrenl que péniblement. Pour me borner à la France, malgré la rédaction des coutumes au quinzième et au seizième siècle, malgré les grandes ordonnances de nos derniers rois, malgré le travail doctrinal de Doraat, de Pothier et de leurs émules, notre droit, jusqu’à la lin de l’Ancien Régime, resta dans un désordre jieu accessible et chaotique. Le Code civil réalisa un immense progrès. Réserve faite de quelques dispositions qu’une conscience droite ne peut pas approuver, il faut convenir que c’est un chef-d’œuvre, admirable de clarté, de logique et de sens pratique. Les autres codes français ne lui sont guère inférieurs. Au cours du dix-neuvième siècle, la plupart des États de l’Europe occidentale réformèrent leur législation sur ce type ; les spécialistes en ont étudié et discuté la doctrine, puis ils ont proposé des conceptions plus neuves, plus hardies, dont quelques-unes se sont déjà fait recevoir en pratique, surtout dans le Code civil qui régit l’Allemagne depuis 1900. Il serait curieux de rechercher dans quelle mesure ces mouvements divers procédèrent de l’esprit chrétien, et ce que les rédacteurs des lois modernes ont emprunté aux traditions canoniques. Sans m’arrêtera cette étude qui déborderait le cadre du présent article, je remarque que l’Eglise connaît les transformations récentes du droit et qu’elle s’y intéresse, déliante sans doute des nouveautés qui compromettraient les principes, mais sympathique à tous les perfectionnements inoffeusifs. Elle se rend compte qu’à l’heure actuelle la technique juridique profane l’emporte en plusieurs points sur les procédés et le style que, de génération en génération, se transmettaient les canonisles, et elle est décidée à profiter de toutes les innovations qu’a justifiées l’expérience des sociétés laïques. L’œuvre législative de Pis X, qui est immense, révèle cette tendance, et ce pontificat, qu’on représente Aolontiers comme conservateur à outrance, est au contraire, en matière juridique, un des plus résolument novateurs qu’ait jamais connus la Curie.

Dès la première année de son règne, Pie X créa une commission chargée de préparei- une codification générale du droit ecclésiastique (Motu proprio Arduuni sane, 19 mars 1904, Acta Sanctæ Sedis, t. XXXVI, p. 549). Cardinaux et cousulteurs se mirent à l’œuvre ; après dix ans de travail, on est sur le point d’aboutir. C’est l’efi’ort législatif le plus gigantesque qui ait été tenté depuis Justinien : l’Dglise, catholique, c’est-à-dire une société vaste comme l’univers, dont l’action disciplinaire s’étend aux objets les plus disparates et prend les formes les plus variées, entreprend de remanier et de fondre en un corps unique, non pas seulement, comme l’ont fait la plupart des Etats, celles de ses lois qui se rapportent à des matières de même ordre, mais tout l’ensemble si bigarré de ses statuts !

Déjà des fragments considérables, détachés dn code futur, ont été promulgués, soit pour réaliser immédiatement des réformes attendues, soit pour 13

LOI ECCLÉSIASTIQUE

14

mettre à l’essai telle ou telle mesure. Or, l’étude de ces décrets montre que leurs auteurs, tout en perfectionnant le droit canon par ses niétbodes propres, n’ont pas dédaigné de cliercher du côté des institutions civiles ce qu’elles pouvaient leur suggérer en fait de progrès de bon aloi.

Ainsi l’Eglise reste fidèle à sa méthode traditionnelle : prenant son bien partout où elle le ti’ouve, elle butine parmi les civilisations profanes, je ne dis pas toute sa technique juridique, mais une partie des éléments à l’aide desquels elle élabore cette technique. Seulement — et c’est ici qu’apparaît la note spécifique du droit canon — elle adapte ces emprunts à sa nature et à son but ; elle les anime de son esprit et leur imprime son cachet divin.

II. Transcendance du droit canon. — Le concile du Vatican (Sess. iri, cap. 3, Denzinger-Bannwarl, n. 1794) énumère les traits qui distinguent l’Eglise catliolique : immutabilité, sainteté, fécondité en toutes sortes de biens… Inhérentes à sa vie, ces propriétés pénètrent son action et en caractérisent toutes les manifestations, à des degrés et avec des nuances variables selon les terrains où elle opère. Quoi qu’elle entreprenne, son œuvre traliit toujours quelque chose de ses perfections intimes. Le droit canon en porte donc, lui aussi, le reflet, tantôt plus obscur et tantôt plus brillant, mais toujours reoonnaissable. Quiconque étudie sérieusement le développement de cette discipline, y découvre les signes de la véritable Eglise, traduits en langage technique, visibles dans la mesure et sous la forme qui conviennent aux constructions juridiques.

1° — C’est d’abord l’immutahilité. Lorsqu’une institution n’est que l’expression d’un dogme ou la réalisation concrète des lois fondamentales imposées par Noire-Seigneur à son Eglise, il est clair que l’institution gardera à travers les siècles, sous des modilieations accidentelles, une permanence essentielle, et ce phénomène prend un relief saisissant, si on lui oppose les vicissitudes dont se compose l’histoire des sociétés temporelles.

Depuis le début de notre ère, l’organisation politique de l’Europe fut plusieurs fois bouleversée. Après la chute de l’Empire romain, l’Occident se morcelle en une multitude de domaines indépendants : chaque baronie devient une souveraineté. Puis, peu à peu, de la réunion de ces seigneuries se forment les Etats modernes, où domine un pouvoir central devant qui toutes les autorités féodales finissent par disparaître. Au milieu de ces sociétés qui passent, seule l’Eglise demeure et garde intacte sa constitution. Sans doute, elle connut des fluctuations superlicielles, qui tirent varier chez elle l’exercice réel et concret du pouvoir : aux origines et pendant tout le moyen âge, lesévêques, au moins en général, jouissaient pratiquement d’une indépendance assez large, et quelques-uns ne subissaient que peu l’influence de Rome ; plus tard, un mouvement de centralisation se dessinant dans l’Eglise comme dans les Etats, l’intervention du pape fut plus fréquente et plus eflicace à l’intérieur des diocèses [Cf. Wbrnz, loc. cil., t. II, n. ^ijo sqq. (désignation des évoques) ; n. 853 (conciles provinciaux) ; n. 760 (voyage ad limina) ; n. 829 s^ry. (réserves) ; n. SgS, etc.]. Mais ces variations de fait n’empêchent pas que le régime organique de l’Eglise ne soit resté identique en substance ; môme aux heures les plus féodales, je veux dire les plus favorables au démembrement de la souveraineté, on reconnaissait au Pape le primat, non seulement d’honneur, mais aussi de juridiction, qui fait de lui le juge d’appel de toute la chrétienté, le pasteur des pasteurs et l’évêque des évêques.

Quand ensuite s’évanouit la féodalité terrienne, elle n’entraîna pas dans sa ruine l’épiscopat, qui garda sa dignité et ses droits, en sorte que, seule en Europe depuis dix-neuf siècles, l’Eglise a conservé sa constitution : c’est toujours une monarchie absolue, tempérée toutefois par l’existence nécessaire de l’aristocratie épiscopale.

La mèiue stabilité se retrouve dans les institutions qui sont en connexion intime avec le dogme : tel surtout le mariage. Quand le pouvoir civil s’avise de légiférer sur ces matières, des revirements incessants détruisent l’une après l’autre ses pauvres élucnbrations. Qu’il me suffise d’énumérer les lois qui, en France, depuis 1789, ont successivement réglé la question du divorce (Cf. Viollkt, Histoire du droit civil français, 20 éd., p. 447 sqq.). Le décret des 20-25 septembre 1792 admit le divorce par consentement mutuel, ou même à la requête d’un seul époux, pour incompatibilité d’humeur. Le décret du 4 floréal an II rendit le divorce plus facile encore, puis celui du 15 thermidor an III en revint au régime de 1792. Une loi de l’an V imposa quelques délais à l’époux trop pressé de quitter son conjoint. Le code de 1804 permit le divorce, mais moins largement que les textes antérieurs : l’incompatibilité d’humeur ne suffisait plus à y donner droit. La loi du 8 mai 1816 supprima le divorce ; celle du 27 juillet 1884 le rétablit ; celle du 18 avril 1886 en modifia la procédure ; les deux lois du 15 décembre 1904 et du 13 juillet 1907 favorisèrent le second mariage des époux divorcés… Et pendant ce temps, l’Eglise reste fidèle à son inflexible tradition : le mariage est toujours à ses yeux ce qu’il était pour Notre-Seigneur (jl/ « (<., v, 82 ; xix, 9 ; Marc, s., 11, 12 ; /.hc, xvi, 18) et pour saint Paul (I Cor., VII, io sqq) : l’union indissoluble d’un seul homme et d’une seule femme. Jamais sa législation universelle ne s’est écartée de cette conception [Cf. EsMEiN, le Mariage en droit canonique, t. I, p. 64 sqq. : t. II, p. 45 sqq. (érudit, parfois inexact) ; Wi : rnz, loc. cit., t. IV, n. 696, p. 605 sqq."] ; elle en maintient constamment toutes les conséquences, quelque prière qu’on lui adresse en sens contraire, quelque intérêt qu’elle ait parfois à se montrer complaisante.

Lorsque l’immutabilité du dogme ne commande pas directement la permanence delà discipline, l’histoire de celle-ci ne présente évidemment pas la même fixité ; elle révèle toutefois un esprit de suite dont on trouverait diflîcilement l’équivalent ailleurs. Certains chapitres du droit canon confondent leur origine avec celle du christianisme ; dès les premiers siècles, l’esquisse en fut ébauchée ; puis les contours se sont précisés, ils ont subi quelques retouches de détail, mais l’ensemble du dessin garde l’aspect primitif. Ainsi en est-il des règles relatives à la vie privée des prêtres. De très bonne heure, en Occident, on tend à leur demander deux choses : le célibat et l’abstention des afl’aires séculières. Autour de ces prescriptions fondamentales, se développe un réseau de mesures secondaires, qui appliquent les principes et en facilitent l’observation : formation précoce et prolongée des candidats aux Ordres, obligation pour le clergé de porter des vêtements modestes comme forme et discrets comme couleur, interdiction de se mêler aux divertissements trop profanes, de fréquenter les tavernes, de porter les armes, de faire du commerce, etc. Ces dispositions se transmettent, à travers les âges, de concile en concile et de pontife en pontife ; il y a là comme une tradition disciplinaire, une pars tralatitia de l’édit canonique que les pasteurs confirment les uns à la suite des autres, presque dans les mêmes termes. C’est que l’idéal du prêtre ne varie pas : à toute époque, ce doit être l’homme de Dieu, intermédiaire entre le ciel et la 15

LOI ECCLÉSIASTIQUE

16

terre, dégagé des préoccupations temporelles, chaste comme la Vierge mère, parce que, comme elle, il rend présent et donne au monde l’Hostie sans tache. L’Ecriture I sainte suggérait les traits qui conviennent au sacerdoce : « Celui qui n’est i)as marié a souci des choses du Seigneur, il cherche à plaire au Seigneur ; celui qui est marié a souci des choses du monde s (I Cor., vii, 3-2-33). » Le soldat de Dieu ne s’embarrasse pas d’affaires séculières » (II Tim., ii, 4). Je traduis d’après la Vulgale, et non d’après l’original grec, parce que c’est sous sa forme latine que ce texte exerça son influence sur la discipline occidentale. Le Saint-Esprit lit en sorte que, dans la conscience du peuple et surtout des pasteurs, le type du vrai prêtre devint très net et ne subît plus de déformations. De là, dans la législation canonique, la persistance d’ordonnances périodiquement renouvelées, se répétant d’âge en âge comme un écho qui se prolonge et rebondit sans lin. Au total, la discipline ecclésiastique est en général plus fidèle à elle-même, moins sujette à de brusques volte-face, que ne le sont la plupart des législations profanes.

a*" — Plus encore que l’immutabilité, la sainteté de la société chrétienne se manifeste dans son droit, à telle enseigne que cette note de la véritable Eglise ne peut être bien comprise qu’après une étude de ses lois et de leurs effets.

Négativement, d’abord, jamais les Papes, les conciles ni la coutume n’imposèrent au monde catholique aucune mesure contraire à la morale. Si des déviations ont pu se produire dans les règlements locaux, elles n’ont pas fait fféchir la discipline universelle. Il est à peine besoin de rappeler que les législateurs laïques ne sont pas toujours aussi scrupuleux, et c’est pourquoi l’Eglise, avant de leur emprunter leurs créations, a soin de les vérifier et de les choisir. Elle ne permet aux sources profanes de mêler leurs eaux au fleuve canonique qu’après épuration et filtrage. Ainsi l’admiration naïve et entliousiaste des clercs pour le droit romain ne les entraîne jamais jusqu’à canoniser la notion antique de l’esclavage, d’après laquelle les servi et les mancipia étaient des choses, non des personnes (Gaius, ii, 14 : Est etiam alia rerum divisio : nam aut mancipi sunt aut nec mancipi. Mancipi sunt… servi et ea animalia quae coUo dorsove domari soient… Cf. Dig., IV, v, fr. 3,

i ; L, XVII, fr, 32). L’Eglise, au contraire, a toujours reconnu que les esclaves, sujets de droits, étaient capables de contracter un mariage valide (cf. Pltilosophumena, IX, xii, P. G., XVI, 3386 ; G. xxix, qu. 2, c. I, 2, 6 ; Paul Allard, Les Esctæs chrétiens, 1. ii, chap. IV ; Dict. apol., v" Esclavage, col. 1477, i, ’186 ; DuTiLLEUL, Dict. de théol. cathol., v° Esclavage, col. 468), et l’on sait assez que ce fut en grande partie grâce à son influence que s’opéra leur émancipation progressive. (Paul Allard, Les Esclaves chrétiens, Résumé et Conclusion. Dict. apol., passini ; DuTiLLEUL, loc. cit., col. 470 sqq).

Le régime des contrats, tel que l’avaient organisé les jurisconsultes classiques, était dans l’ensemble une œuvre de justice ; tout n’y était cependant pas irréprochable ; aussi l’Eglise, en l’adoptant, prit-elle soin de l’amender : elle prohiba l’usure, et même la stipulation d’intérêts à quelque taux que ce fût (D. XLVii, c. 2, 5 ; C. XIV, qu. 4. c. 2, c. 8 ; X. v, ig, etc.), alors que la République et l’Empire avaient admis le prêt à 12 p. 100 (Cf. F. Baudry, Dictionnaire des antiquités, o Foenas, p. 1226 ; Cco, Institutions juridiques des Ilomains, t. II, p. 387) ; elle s’affranchit du formalisme, trait essentiel de la technique romaine qui, en principe, refusait de sanctionner les conventions non revêtues des solennités légales ou ne rentrant pas dans certains cadres

(Dig. II, XIV, fr. 7, § 4 : Nuda paclio obligationem non parit. Cf. XIX, v, fr. 15), et elle reconnut la force obligatoire des simples pactes, « si nus qu’ils fussent .) (X. I, 35, c. I : Pacta quantumcumque nuda servanda sunt ; c. 3. Cf. Viollet, loc. cit., p. 600).

N’exagérons rien cependant, et n’allons pas nous imaginer l’Eglise, dès les premières années de son existence, fulminant l’anathème contre tous les abus. Ellle y eût inutilement compromis son autorité naissante. Elle prit donc souvent le parti de se taire, et s’inclina parfois devant des situations étranges, qu’elle n’était pas encore à même de réformer. Mais les textes montrent que jamais ses canons universels n’approuvèrent la moindre infraction au droit naturel, et qu’elle s’efforça peu à peu de ramener les peuples au strict respect de la morale.

Il y a plus : le droit canon, considéré dans son ensemble et surtout dans ses statuts les plus originaux, les plus spécifiquement ecclésiastiques, représente un immense effort pour promouvoir la vertu, disons mieux, la sainteté, et parfois l’héroïsme. Ce n’est en définitive qu’un des instruments dont se sert l’Eglise pour faire son œuvre au milieu du monde, c’est-à-dire pour le sanctifier et le sauver. Cette action est efficace, et si elle ne réussit pas à supprimer tous les vices, elle contribue du moins à élever sensiblement le niveau moral de l’humanité.

Voici, en premier lieu, les empêchements de mariage. L’énumération en est longue, la casuistique compliquée, et de nombreux évoques, au concile du Vatican demandèrent des simplifications (CoH. Lac, t. VII, col. 842, 873, 877, 880 sqq., 882, etc.). N’empêche que cette législation procède de pensées très hautes, et qu’elle concourut à donner aux fidèles une grande idée du contrat matrimonial. On respecte davantage un acte que l’Eglise entoure de précautions si multipliées ; une retenue salutaire préside aux relations de famille, quand les jeunes gens que rapproche la parenté ou l’alliance n’ont plus l’espoir de réparer par une union légitime les fautes que leur suggérerait la passion (Cf. Instr. Card. Rauscher, 4 mai l885, § 81, Coll. Lac, t.V. col. 1297).

La discipline à laquelle est soumis le clergé mérite une attention spéciale. J’en ai dit un mot déjà pour en indiquer la stabilité ; il est temps d’en remarquer la sainteté. Tous les Etats donnent des instructions à leurs agents ; mais que leur demandent-ils ? L’exactitude à bien remplir leurs devoirs professionnels, peut-être une certaine tenue extérieure, un décorum de bon ton, et c’est tout. Aucun gouvernement ne pénètre dans la vie privée de ses fonctionnaires ; aucun n’ose leur prescrire d’être des saints. L’Eglise a cette audace. Elle impose à ses ministres un statut légal qui les saisit dans le détail intime de l’existence ; elle exige d’eux des vertus très supérieures à celles du commun : chasteté parfaite, fidélité à la prière quotidienne prolongée, charité qui distribue en bonnes œuvres tout le superflu des revenus du bénéfice, sans jamais thésauriser (Conc Trid., Sess. xxv, de Réf., c. i). Pour fixer ce régime, des Dccrétales sont insérées au Corpus juris sous des rubriques significatives : De vita et honestate clericorum (X. III, i), De cohahitatione clericorum et muUerum’(X. iii, 2), A’eclerici vel monachi sæcularihus negotiis se immisceant (X. iii, 50)… Ces titres sont mêlés à ceux qui règlent les contrats ou la procédure en s’inspirant des antécédents romains : De pactis, (X. I, 35), De litis contestatione (X. 11, 5), De testamentis (X. m. 26)… On y retrouve la langue des jurisconsultes païens, presque leur style ; au premier abord, on pourrait croire tous ces fragments signés de Gaïus ou de Papinien ; mais dès qu’on s’y arrête, on y reconnaît, coulée dans le moule juridique.

17

LOI ECCLÉSIASTIQUE

une doctrine morale ([ue ne soupçonnaient pas les anciens. L’Eglise n’a copié leurs procédés que pour les faire servir à ses fins à Elle, cl pour réaliser un idéal nouveau.

Montons encore d’un degré. Les Ordres religieux Il représentent, dit Léon XIU (Lettre à S. Eni. le cardinal archevêque de Paris, Au milieu des consolations, 23 déc. 1900, Jeta S. S., t. XXXIII, p. 36o), la pratique publique de la perfection chrétienne j. Leurs membres se vouent, selon les conseils de l’Evangile, à l’abnégation totale d’eux-mêmes par la pauvreté, la chasteté, l’obéissance. Il leur arrivera de se laisser aller à des défaillances ; mais l’état de vie dans lequel ils sont engagés les oblige à tendre vers les sommets ; l’essence de ce status, c’est de mortifier constamment l’inclination naturelle de l’homme vers les biens créés pour établir en son cœur le règne de l’amour divin : conception grandiose et austère, qui semble dépasser les forces moyennes de l’humanité et échapper par là même à l’emprise du législateur. Eh bien ! l’Eglise a osé en faire l’objet d’une réglementation positive ; la vie religieuse existe chez elle à titre d’institution normale, olficiellement reconnue et pratiquement organisée. Plusieurs titres du Corpus, complétés par d’innombrables documents du Saint-Siège, en réglant le fonctionnement des Ordres et des Congrégations, constituent un véritable code de perfection. Il y a là une législation compliquée, loutTue, mais qui réussit à formuler et à coordonner en système juridique les principes d’un renoncement absolu. En vérité, les civilistes ne nous avaient pas habitués à trouver dans les manuels de droit des méthodes de sacrifice, et il faut avouer qu’en passant de leurs ouvrages aux traités canoniques de Hogularibus, on change d’atmosphère. Les canonistes, comme tous les juristes, aiment les brocards qui condensent en peu de mots une théorie entière. Parmi ces aphorismes qui voyagent de décrétale en décrétale et de glose en glose, beaucoup expriment une vérité de bon sens ou une sentence d’équité ; généralement de provenance romaine (voir, par exemple, le commentaire de Reiffenstuel, De liegulis juris), ils sont marqués au coin de la sagesse quiritaire, et servent utilement à résoudre les dillicultés courantes en affaires. Quelques-uns, toutefois, rendent un bien autre son : i< Tout ce qu’acquiert un moine appartient à son monastère > (Quicquid monachus acquirit, monasterio acquiril. Cf. tous les canonistes passim, V. g. VERMEERscu, de iî’e//^ ; osiA-, t.I, n. 242) ; « Le religieux n’a de volonté ni pour le oui ni pour le non » (Religiosus velle vel noUe non liabet. Cf. in Vl", 1, 6, c. 27 ; iii, 1 1, c. 2 ; III, 12, c. 5). En ces deux phrases, sont résumés les principes du détachement le plus radical : abdication de toute propriété individuelle, immolation de toute volonté propre. Voilà certes des maximes que ni les Sabiniens ni les Proculiens n’avaient mises en circulation ; c’est l’enseignement d’une autre école qui se fait entendre ici. L’Eglise a glissé parmi les Hègles de droit des Pandectes les préceptes ou les conseils del’Evangile ; en recueillant l’héritage juridique de l’Empire, elle a mêlé aux monnaies d’airain qui portent 1 image des Césars quelques pièces d’or frappées à l’efligie du Dieu crucifié.

Ainsi le droit canon reflète à sa manière la sainteté de la société qu’il régit. Quelques esprits, toutefois, hésitent à en convenir ; sans nier absolument la beauté de nos institutions, ils sont plus attentifs au levers de la médaille. Ne lit-on pas souvent, dans les canons de conciles ou les constitutions du Saint-Siège, l’aveu d’abus lamentables qui n’auraient jamais dû se glisser, semble-t-il, au sein du peuple fidèle ? Que de pontifes, au moyen âge, ont gémi sur l’incontinence des clercs (Cf. C. xxxii, per totum ; X.

III, 3 et /(, etc.) et sur la simonie ! (Cf. D. i, qu. 1-7, passim ; X. v, 3, etc.) Us prennent des mesures pour remédier au mal, on ne leur obéit pas ; leurs successeurs se voient dans la nécessité d’innover les mêmes lois, de les munir de sanctions pénales, et ce n’est qu’après une véritable lutte contre l’inertie ou la malice des sujets que l’autorité finit par faire respecter sa volonté. Un tel spectacle n’est-il pas simplement scandaleux ?

Je ne le crois pas. Ceux qui s’étonnent de ces déficits ne paraissent pas se rendre compte des sacrifices que suppose l’observation intégrale des lois ecclésiastiques. Ont-ils réfléchi à la dose de vertu qu’exige des prêtres le célibat, et des moniales la clôture perpétuelle ? Or, une partie notable des canons occidentaux est consacrée à urger l’accomplissement de ces grands devoirs. Il est entendu que tout chrétien a le droit de se marier, que toute chrétienne est libre de rester dans le monde ; mais, si un jeune homme reçoit le sous-diaconat, il s’engage pour toujours à la chasteté parfaite ; si une jeune fille fait profession dans un Ordre cloîtré, elle s’astreint à passer toute sa vie au fond de son couvent, sans en sortir et sans yrecevoir personne. Ce sontdeslourdes obligations ; il favit, pour y rester constamment fidèle, un véritable héroïsme. Et cependant l’Eglise ne craint pas de les sanctionner juridiquement. Ce qui doit nous surprendre, ce n’est pas qu’une pareille discipline se soit heurtée à des résistances plus ou moins passives, c’est qu’elle ait pu néanmoins s’établir et se maintenir pendant des siècles. Uappelons-nous en effet que Notre-Seigneur n’a pas rétabli la nature déchue dans l’intégrité delà justice originelle ; les blessures que lui infligeala faute d’Adam ne sont pas encore cicatrisées, et la concupiscence continue de la porter au péché. La Grâce ne détruit pas en nous les tendances mauvaises, mais elle les combat et les dompte. L’Eglise seconde la Grâce ; elle prêteà ses opérations invisibles le secours d’une action visible, et le droit canon est précisément l’arsenal des armes qu’elle a forgées pour cette guerre. Or, quelles que soient les péripéties de la lutte, elle ne capitule jamais, et c’est cette fermeté qui est admirable. Que de fois n’a-t-on pas tenté, par exemple, d’olilenir du Saint-Siège la suppression du célibat ecclésiastique ! Rome s’est constamment refusée à la moindre concession de ce côté, et les adversaires de la chasteté cléricale n’ont réussi qu’à provoquer de la part des pasteurs un redoublement de vigilance. (Cf. v. g. Conc. Trid, Sess. xxiv, De Sacram. Matrim., can. l, 9 ; Encycl. Mirari vos, 15 Aug. 1882, § Hic autem vestram ; Syllabus, prop. 7^, N.B. ; ^ncyc. Pascendi, 7 sept. 1907, ^ Pauca demum superant. ) Sur ce point comme sur bien d’autres, l’histoire de l’Eglise est celle d’une reforme perpétuelle ; je ne sais rien de pluscontraireàla marcheordinaire des choses humaines. En général, les sociétésquiont commencé à déchoir ne se relèvent plus ; l’Eglise, au contraire, sort toujours à son honneur des crises qui l’éprouvent.

Beaucoup d’abus invétérés, enracinés dans les mœurs, ont fini par disparaître, sous l’action de la hiérarchie, favorisée par des circonstances providentielles. La simonie fut la plaie du moyen àge(X. v, 3, c. 39 ; Innocentius III, in Conc. Lat., W", a. I215. Cf. C. I, qu. I, c. 7, 28 ; qu. 3, c. I, 9, 13 ; X. v, 3, c. 13, 30, 40, 42 ; Extrav.comm., v, i, c. i, etc.) ; quelles traces enreste-t-il de nos jours et dans nos régions ? La vie privée des prêtres, à certaines époques, était loin d’être irréprochable ; actuellement, notre clergé donne l’exemple d’une correction qui laisse peu de prise à la médisance ; jamais, je pense, la pureté des mœurs sacerdotales ne mérita mieux qu’aujourd’hui 19

LOI ECCLÉSIASTIQUE

20

la vénération publique. J’ai fait allusion déjà à la clôture des moniales ; il a fallu des avalanches de bulles et de décrets (Cf. Ferbakis, Piumpta Bibliotlieca, v’Moniatis, art. 3, 4 ; Uollwkck, Die hirchlichen Strafyeselze, § il, Ç), 150, p. t221 sqq.), pour en imposer la rigueur ; iiiais le but est atteint. Chacun sait avec quelle tidélitc les religieuses des Ordres cloîtrés observent ce point de discipline ; bien qu’elles n’aient plus en France de vœux solennels, et que par suite elles échappent à la clôture papale sanctionnée par l’excommunication, elles n’en sont pas moins exactes à tenir fermées les portes de leurs monastères. Nos Carmélites, pour ne parler que d’elles, restent jusqu’à la mort recluses derrière leurs grilles, à moins que la persécution ne les jette sur les chemins de l’exil.

Artisans de réformes efficaces, les textes canoniques sont aussi des témoins qui révèlent le travail de la Grâce dans les âmes. Au dix-neuvième siècle, la vie religieuse se développa magnifiquement ; des Instituts nouveaux se fondèrent de toutes parts, beaucoup sollicitèrent l’approbation du Saint-Siège, et soumirentleurs règles au contrôle de la Chaire apostolique. Si fréquents furent ces recours, qu’il devint opportun d’en déterminer la procédure et les conditions ; la Sacrée Congrégation des évêques et réguliers publia en 1901 la méthode qu’elle avait coutume de suivre, en y ajoutant un schéma d’après lequel devraient être rédigées les Constitutions dont on désirerait la confirmation. Rien ne montre mieux que ces Normæ célèbres, la vitalité de l’esprit chrétien : voilà donc un document juridique rendu nécessaire par une floraison d’Instituts nouveaux, si riche, si spontanée, si variée, qu’il faut la régulariser par voie administrative. On réduit l’ascétisme en articles de code, qui expliquent les moyens de réaliser sans illusion le don complet de soi au service de Dieu et du prochain ; sous ces formules brèves et claires, c’est la sainteté même de l’Eglise qui resplendit.

3° — C’est aussi sa fécondité, et nous constatons ici un autre signe distinctif de la société que fonda Notre-Seigneur Jésus-Christ. D’après l’enseignement du Concile du Vatican, elle verse sur le monde d’iné-IJuisables bienfaits ; c’est un des traits qui révèlent son origine divine. Or, beaucoup de ces bienfaits ont passé par le canal juridique ; le droit canon fut un agent de civilisation et de progrès. Les faits signalés jusqu’ici en fourniraient à eux seuls une preuve suffisante. Ils mettent en évidence l’inlluence moralisatrice de la législation ecclésiastique ; peut-on rendre un meilleur service aux nations que de diminuer les crimes et de faire fleurir la vertu sur leur sol ? Mais je suis loin d’avoir tout dit, et il est facile d’allonger la liste désavantages dont le monde est redevable à la discipline catholique.

Au moyen âge, les tribunaux des évêques ou des archidiacres sont mieux tenus que ceux des barons laïques ; leur procédure est plus raisonnable, leurs sentences sont plus modérées ; aussi les fidèles s’empressenl-ils d’y porter leurs litiges (Cf. Esmein, Histuire du droit français, 5 » éd., p. 277.). Les juges d’Eglise deviennent les grands diseurs de droit de la chrétienté, et ils font pénétrer dans les rapports sociaux plus de justice et de charité. Au milieu de populations à demi barbares, l’Eglise, par ses institutions et ses lois, concourt à adoucir les mœurs. Elle prescrit la trêve de Dieu (Cf. X. i, 34), punit les tournois meurtriers (CL X. v, 13) et le duel judiciaire (Cf. X. V, 14, e 2 ; V, 35, c. I, 2.), réprouve les ordalies (Cf. C. 11, qu. 5, c. 7 ; X. v, 35, c. 3.), et finit par faire triompher des modes de preuve plus humains, même devant les cours séculières (Cf. Esmein, loe. cit., p. 4 16, 779).

Cette influence salutaire du droit canon sur le milieu ambiant n’appartient pas seulement à l’histoire du passé ; c’est encore un fait actuel. Si le divorce, toutinscrit qu’il est dans les lois, reste cejiendant soumis à des conditions assez restrictives, si la majorité des honnêtes gens continue à le réprouver, c’est à l’Eglise qu’on le doit : qu’elle fasse fléchir, par impossible, la rigueur de ses principes, qu’elle atténue la sévérité de ses prohibitions, et on verrait bientôt la conscience populaire oublier de plus en plus l’inviolabilité du lien conjugal ; le Parlement abaisserait les dernières barrières qui contiennent encore l’inconstance des époux ; le nombre des divorces, déjà si inquiétant, grandirait rapidement, et nous reviendrions à la licence païenne. Même remarque à propos du duel. Magistrats et jurés ne sont que trop portés, sur ce chapitre, à une indulgence excessive ; l’Eglise, au contraire, maintient fermement ses sanctions (Cf. Hollweck, loc. cit., § 165, p. 254 sçy. ; RivKT, Dictionnaire apulof^étique, v" Duel ; Wbrnz, loc. cit., t. VI, n. 3^5 sqq., p. 3^5 sqq.). Son attitude n’est pas sans faire impression sur l’esprit public ; on s’en apercevrait, le jour où, d’aventure, elle y renoncerait : le peuple aurait vite l’ait de perdre le peu qui lui reste de sens moral en cette matière. L’Eglise est donc vraiment, selon l’oracle d’Isaïe (xi, 12) que lui applique le concile du Vatican (Sess. iii, cap. 3, Denzinger-Rannwart, n. i^gi), « comme un étendard levé sur les nations », manifestant au monde l’ordre et la paix du Royaume de Dieu.

Nos anciens auteurs vantaient « l’air doux et salubre » de la coutume de Paris, « respiré par Messieurs du Parlement. » (BuoDE.iU, Commentaire sur la coutume de Paris.) L’atmosphère où vive : it les canonistes est encore plus tempérée. Mais, pour s’en rendre compte, il ne suffit pas de passer rapidement à ti-avers l’un et l’autre milieu ; il faut les fréquenter tous les deux avec quelque assiduité. On se sent alors dominé par une impression qui résulte de multiples détails : isolé, chacun d’eux passerait peut-être inaperçu ; quelques-uns même feraient plutôt croire à une certaine rudesse du for ecclésiastique ; mais l’ensemble suggère cette conviction que le droit canon porte en soi un élément de douceur qui ne se retrouve pas au même degré dans les droits laïques. Le fait est d’une constatation délicate, et l’aflirmation doit en être prudemment nuancée ; il est cependant réel. Deux traits, sans plus, en ébaucheront un commencement de preuve : le caractère de l’autorité et celui de la législation pénale. Le commandement, dans l’Eglise, garde toujours quelque chose de paternel. Sans doute, les bureaux du Saint-Siège ou la curie d’un vaste diocèse prennent forcément les procédés de toute grande administration ; et cependant, leur nianièred’agir, leurs/v’e, comme on dit, n’a pas cette raideur qui caractérise les interventions de nos chambres ou de nos ministères. La coutume est là, pour diversifier, selon les besoins locaux, l’application de la loi ; un régime très souple et très développé de dispenses achève de l’adapter aux situations individuelles. Quant au droit (lénal ecclésiastique, il a son cachet spécial de modération et d’indulgi^nce. Ce n’est pas, je le sais, la réputation qu’on lui fait ; mais ceux qui lui reprochent une sévérité excessive montrent par là ou qu’ils le connaissent mal, ou qu’ils ignorent les systèmes de répression en usage ailleurs. Avant d’en venir aux châtiments proprement dits, l’évêque a le devoir d’essayer d’abord de moyens plus bénins : monition paternelle, monition canonique… Il est tenu de se comporter en père, <iui cherche à corriger ses fils coupables, mais qui recule autant que possible devant les exécutions rigoureuses. C’est le Concile de Trente qui le lui ordonne 21

LORETTE

22

(Sess. xiii, de lief., c. i. Cf. Instr. S. C Ep. et lieg., II juin 1880, n. 1-8). Quel article du Code d’instruction criminelle prescrit l’équivalent aux tribunaux correctionnels ? La loi du sursis elle-même n’a pas introduit dans les prétoires français, à l’égard des prévenus adultes, des habitudes aussi discrètes. D’un autre côté, parmi les peines qu’inflige le for ecclésiastique, un lion nombre sont i médicinales », c’est-à-dire que le premier but qu’elles visent est l’amendement du délinquant. Les criminalistes contemporains s’cflorcent d’orienter dans le même sens les sanctions de la justice séculière ; ils voudraient rendre la peine éducatrice, et se montrent très fiers des quelques progrès réalisés sous ce rapport à leur instigation. Sans qu’ils s’en doutent, peut-être, l’Eglise depuis longtemps avait frayé la voie ; en punissant les fautes de ses enfants prodigues, elle se préoccupe toujours de leur amendement (Cf. Holl-WECK, loc. cit., § 21, p. 84 ; Webnz, loc, cit., t. VI, n. 72, p. 80 ; n. 78, p. 84), parce qu’elle est leur mère, cl que toute son action procède de cette unique pensée : sauver les âmes I

Concluons. Dans la série des systèmes juridiques ]iassés ou présents, le droit canon se détache avec une physionomie originale qui n’appartient qu’à lui. l’ormé d’éléments humains qu’il emprunta pour parlie au droit romain ou autres législations profanes, il a su les transfigurer. La Providence, qui assiste incessamment l’Eglise, a veillé sur ses lois comme sur les autres manifestations de sa vie, et elle les a marquées d’un sceau divin. Quelle que puisse être, au point de vue purement technique, la valeur du droit canon, pour la beauté morale et l’eflicacilé sanctificatrice il est sans rival ; il a sa transcendance à lui. J’accorde qu’elle ne se montre pas toujours avec un éclat éblouissant. Certaines régions du domaine canonique semblent encombrées de prescriptions minutieuses ou terre à terre. Cependant l’inspiration qui les a dictées ne laisse pas que d’être très haute, et si l’on y regarde de près, l’ensemble des institutions ecclésiastiques, avec l’unité de leur histoire et la fécondité de leurs résultats, se distingue par des traits extraordinaires, que n’explique pas suflisamment le jeu des activités naturelles. Dansune galerie de peinture, si au milieu de toiles de second ordre on a glissé un chef-d’œuvre, le gros public passera devant tous ces tableaux sans remarquer de différence ; un artiste, au contraire, s’arrêtera devant le chef-d’œuvre et reconnaîtra d’emblée le pinceau d’un maître. De même dans le monde juridique. Qu’un amateur distrait feuillette successivement tous les Corpus juris du monde, il n’y verra que des collections, égales entre elles, de textes souvent coml >liqués et quelquefois bizarres ; mais supposons un observateur attentif et de bonne foi, libre de préjugés, sachant ce que veulent et peuvent les législateurs humains, ce qu’ils demandent aux peuples et ce qu’ils en obtiennent ; que cet homme étudie, à coté du droit des sociétés profanes, le droit de l’Eglise, il découvrira vite que celui-ci n’est pas de tout point pareil aux autres, que sa formation, son développement, ses effets, échappent aux lois sociologiques communes. Quelqu’un de plus grand qu’un homme, dira-t-il, a passé par là : Digittis Dei est hic.

H. AUFFROY, S. J.