Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Mariolatrie

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique

MARIOLATRIE. — I Partie. — Le développement de la dévotion et du culte de Marie. — 1. La dévotion et le culte avant le concile d’Ephèse. — II. La dévotion et le culte de Marie, du concile d’Ephèse à l’iconoclastae. — III. La dévotion et le culte de Marie dans la période iconoclaste. — IV. La dévotion et le culte mariai jusqu'à la Réforme. — V. La dévotion et le culte marial depuis la Réforme. —

II Partie. — Conclusions apologétiques. — I. Le culte de Marie n’est pas sorti du paganisme. — II. Le culte de Marie n’est pas le résultat d’une aveugle poussée mystique. — III. Le culte de Marie est l'épanouissement de la croyance chrétienne. — IV. Les abus du culte de Marie : i. Question préalable ; 2. Dispositions pour juger de bonne foi ; 3. Constatation d’abus.

Conclusion. — Bibliographie.

L’accusation de Mariolâtrie vise à la fois la théologie de la Sainte Vierge et son culte. L’Eglise, dit-on, a enrichi Marie d’une théologie de mauvais aloi ; elle l’a quasi divinisée et lui rend des honneurs idolâtriques. Uneapologéliquecomplètedevrail donc démontrer tout d’abord que la théologie mariale n’est que le développement logique ou simplement l’explicilation des formules scripturairesoutraditionnelles ; ensuite que leculle n’est que la conséquence, plus 'ou moins immédiate, légitime pourtant, de la croyance ; enûn que, même s’il ne commémore que des miracles, apparitions ou faits d’ordre siuiplement historique, ce culte reste toujours fidèle à un

ensemble d’idées dogmatiques et traditionnelles (cf. Nkwman, Cerlain di/fcullies, t. U. p. 26-28).

Ici, la lâche est plus simple. Les auteurs des articles sur la Virginité, l’Immaculée Conception, l’Assomption de Marie ont pris soin de marquer les stades du développement de ces dogmes ou croyances ; ils ont expliqué et légitimé la portée de l’argument de convenance et le rôle de ! ' « Ecclesia discens ». Nous n’avons à nous occuper que de la vénération, de l’invocation, du culte public ou privé, sans pouvoir toujour.s cependant éviter le terrain théologique. Dans une première partie nous tracerons les grands traits de l’histoire de la dévotion mariale ; dans une seconde nous tirerons les conclusions qui paraissent découler des faits.

I. — Le dévbloppemrnt de la dévotion et du culte

DE MARIE

I. La dévotion et le culte avant le concile d’Epbëse. — Pouvons-nous en parler à cette époque ? Uest bien évident d’abord qu’on n’a pas à prendre très au sérieux les récits qui nous montrent les païens honorant par avance la Vierge Mère ; ceux qui colportent de soi-disant apparitions de Marie à Auguste (cf. KoHALLT DU FLiiUUY, t. I, p. 312) ; ni même les traditions qui représentent les apôtres ou les mages lui consacrant de son vivant des sanctuaires et des autels. Ce sont légendes en désaccord avec des faits bien établis, et dont le tort est aussi d'être patronnées par des témoignages bien jeunes

(ROHAULT DE FlEURY, t. 1, p. I, l3, 30^ ; lîOURASSÉ,

iiumma aurea, t. X, col. 697 et 615 ;.-icla Sanct., martii, t. 111, p. 532 ; Maracci, Aposioli Mariiini, Siimma, t. XIII, col. 553 ; Anal. BoHand., t. XIV, p. 139 ; Leroy, Les Pèlerinages de la Sainte Vierge en France, t. UI, p. 428).

Je ne voudrais pas non plus trop insister sur les hymnes attribuées à saint Epurem. On a pu comparer ces prières à celles du moyen âge, tant y est vif le sentiment, ardente l’invocation ; mais on n’admet pas généralement l’authenticité d’un bon nombre (cf. Dict. de ThéoL cath., t. Y, col. 188, et R. DuvAL, La Lia. syriaque, p. ig ; Burkitt, Saint Ephraims quotations from the Gospels, dans Texts and Sludies, l. VII, fasc. 2, p. 24, 20).

Il y a lieu de s’arrêter davantage aux peintures ou autres documents iconographiques, bien que l’interprétation ait fourni matière à controverse, tant elle est délicate. Or, parmi ces peintures, ces bas-reliefs, ces verres dorés, les uns représentent la Sainte Vierge isolée et comme pour elle-même. Leur importance est manifeste. Les autres, plus nombreux et plus anciens, introduisent Marie dans une seine biblique telle que l’Annonciation, l’Adoration des Mages ; certes, le vrai centre de la peinture c’est Jésus, et toutefois Marie y est à l’honneur. Dans les fresques du cimetière de l’riscille (ue siècle), et des saints Pierre et Marcellin (me siècle), elle est assise ; les autres personnages, y compris l’ange Gabriel, debout. Le siège de Marie est drapé d’une housse, symbole de dignité (cf. Liell, Die Darstellung J/ar/o ; WiLPERT, Lehneh, p. 285 et suiv. ; Roiiaclt de Flkury, t. II, p. 613 ; Beissil. t. I. p. 7, 8, 9 ; Phratk, dans Michel, Jlisluire de l’art, t. I, p. 32 ; Leclercq, Archéiilogie chrétienne, 1. 1, p. 178 ; t. II, p. 173, 496).

Enfin et surtout, dès le second siècle et certainement au troisième, la Mère de Jésus devient le thème de tout un cycle littéraire et légendaire. On veut raconter son histoire, défendre ses privilèges, glorifier sa dignité, édifier sur ses vertus, les proposer en exemple. Citons les récits divers dont l’assemblage formera le Protévangile de Jacques et ses diverses retouches, arabes, syriaques, lutines et autres ; les

légendes sur le Transitas et l’Assomption. Littérature abondante, mal classée, formée de pièces parfois disparates, chargées d’interpolations et souvent remaniées, littérature mal datée, dans son ensemble entre le deuxième et la fin du cinquième siècle. A coté de légendes gracieuses et d’une orthodoxie parfaite, on rencontre des traits choquants et même des tendances hérétiques. L’Eglise du quatrième et du cinquième siècle a été dure aux apocryphes, et s’il est inexact que le Pape Gélasb les ait condamnés tous (cf. Dict. de ThéoL, art. Gélase. coi. 1179, et DoBScniiTz, Das Decretum gelusianum…, dans les Texte und Untersuchungen^ t. XXXVIll, 4)) il "e manqua point de Pères pour les malmener.

Pourtant ces légendes, ces failles si l’on veut, nous sont des témoins irrécusables de la popularité dont jouissait Marie parmi le peuple chrétien du deuxième siècle. Dès ce temps, quand s'écrivaient les premiers récits, avant peut-être, c'était chez les fidèles, chez les simples, comme un axiome, que Marie était pure de corps et d'âme, belle et sans tache, aimée de Dieu comme nulle autre, privilégiée du Tout-Puissant, enfin que, si grande, elle devait être bonne (Dicl. TliéuL catli. ; — Dict. arch. clirét. ; — Catliol. £i.c)clop., au mot Apocrrpha, t. I et à la table, t. XVI, p. 123, on y trouvera les indications bibliographiques utiles ; — R. Duval : Litt. syriaque, p. gS ; — lixTitFOh : Lilt. grecque, p. 401 — Analecta Bolland., passim ; — Amann : Le Pro'érangile de Jacques et SCS remaniements latins, Paris, igio ; — Ch. Michel et P. Peeters, Les Efangites apocryphes, Paris, 3 vol. igii, 1914 ; — Bardenhewer, Ceschichie der Altchristlichen Litteratur, t. I, p. 402 ; — MontaGUR, Rhodes James, M. A. :.ipocrypha anecdola dans Texts and Studies. vol. II, n" 3 et ib. vol. V, n" 1 ; — FoRBEs RoBiNsoN : Coptic Apocryplial Gospels, ib. vol. IV n° 3 ; — LeHir, cité par Roiiault de Flbirv, t. I, p. xvi). On aura la même impression en parcourant les interpolations chrétiennes des Oracles Sibyllins (Jos. Geffcken, Die Oracula Sibylli/ta, Leipzig, 1902, et Neubert, 1. c. p. 214) et quelques récits de Saint Grégoire de NYSSE(f. G. XLVI, 912) et de Saint Grégoire de Nazianzb (P. G. XXXV, 1181), où mention est faite de prières à Marie, où apparaît la toute-puissance de son intercession.

"Tels sont les faits qu’il importait de dégager. Pas de culte mariai nettement distinct et proprement dit, c’est entendu ; mais déjà chez les foules ce respect, cette vénération, où la dévotion est en germe. Et qu’on veuille bien ne pas l’oublier : parallèlement à cette dévotion populaire naissante, se développe la théologie mariale officielle. Constatons-le dès maintenant — nous y reviendrons — le peuple chrétien n’est point ici un isolé, un enfant perdu : il avance guidé par l’instinct, mais il ne suit pas son caprice ; avec lui, le contrôlant, subissant volontiers son impulsion, mais ne le faisant qu’avec prudence et à coup sûr, progressent la théologie et le dogme.

II. La Dévotion et le Culte de Marie du concile d’Ephèse k l’Iconoclasme. — Après le concile de Nicée (325) qui définit la consubstantialité du Verbe avec le Père, les conciles d’Ephèse (43 1) et Chalcédoine (45 1) ont proclamé Marie « Mère de Dieu vraiment et proprement » (Dbnzinoer-Bannvvart, n* 1 13, 202, a 18}. Marie Mère de Dieu est mieux connue, plus appréciée à mesure qu’avance l'étude, complexe à l’infini, de l’unique et divine personne du Fils de Dieu. Plus grande se fait sentir la majesté du Christ consubstantiel au Père, plus aussi s'élève dans la vénération de tous, docteurs et fidèles, la femme bénie entre toutes dont Dieu voulut bien faire sa Mère, la Femme qui a enfanté « Le Verbe fait chair d (cf. Saint Cyrille, P. G., LXXVII. 1029). Le culte 305

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liturgique va paraître, ou plutôt il va se distinguer du culte de Jésus avec lequel il était mêlé. C’est ainsi <|u’au iv° siècle Jérusalem célélirait la Purilication (le Marie unie à la Présentation de Jésus (cf. BauMER, Jiiit. du iréi'., t. I, p. ^-ig, et Ducuesne, Origines du cullc chrétien, p. 261).

On a dit qu’au iv' siècle Antiocbe commémorait une sorte de A^aidlis Mariae, la k Mvvi>/ ; tZ-. k/ic< ; ôîîz-.r.vj y.À Kur.'y-f, Oi-'.j Hypivi » (Cf. Baiimstarck, dans la Rômische Quartatscitrifl, 1897, p. 55). Il semble bien que les premières fêles de Marie eurent généralement ce caractère (cf. Proclus, P. G., t. LXV, 679 ; saint PiKHRE Chrysologuh, /*. /.., t. LU, 5^5 ; D. G. MoRiN, /.lier comicus, dans Anulect.Maredsolana, 1893, t. 1, p. i 0- En tout cas, au v' siècle, au vi" au plus tard, l’Orient connaît trois fêtes de laVierge : l’une au temps de Noël, la seconde au mois de mai, la troisième en août (cf. M" Smith I.ewis, Sliidia Sinaillcii, t. XI, p. Sg ; voir Catlt. EiicycL, t. XV, p. l, (, i).

Au vi" siècle, la solennité de la Nativité paraît peut-être à Constantinople (Hollwkck, Fasii, p. 209). Vers cette époque, un peu plus tard cependant, l’Annonciation se détache du cycle de Nocl, et devient une fête proprement mariale (cf. Catli. Encycl., t. I, p. 542 ; Dict. arcli., t. I, 2, col. 2241 ; Hollwbck, 1. c. p. 45). En ce temps, on célèbre assez généralement la Dormition (cf. ci- dessus, Assomption). La Purilication est attestée à Antiocbe en 626 (cf. HollWECK, 1. c, p. 18).

La liturgie occidentale, elle aussi, a fait sa place à Marie : au v' siècle on signale en Gaule, en Espagne, à Rome peut-être, une Commémoraison delà Vierge dans le temps de Noël (cf. Ducuesne, Origines du culte chrétien, p. 268 ; Beissel, t. I. p. 12 sq, ). Au vil" siècle, paraît l’Annonciation fixée au 25 mars, sauf en Espagne où elle tombe le 18 décembre ; la Natiité célébrée à Reims, a-t-on dit (cf. P. /-., LXXX, 446). et à Rome, mais dont la diffusion est lente (Hollweck 1. c.) ; l’Assomption ; la Purilication, qui ne s'étendra que beaucoup plus tard (HOLLWECK, 1. c).

En somme, au début du viii" siècle, trois grandes fêtes mariales sont instituées généralement ; elles ne sont pas d’ailleurs les seules : en 626, par exemple, Byzance, délivrée des Avares par l’intercession de .Marie, décide de célébrer l’anniversaire de ce bienfait (cf. NiLLES, Kalendariiim, t. II, p. 154 ; Cath. encyrl., t. I, p. 92, au mol Acuthistus).

Ces solennités comportent parfois des processions (cf. /.ili. Pont., t. I, p. 371), souvent des sermons (cf. Cavallera, Po/ro/o^/æ Græcæ Indices, p.165 ; P.Z., CCXXI, 31, 46. et plus complètement, CCXIX, 496 et suiv.) ; une hyranologie qui s’enrichit déjà, v. g. les hymnes et homélies rythmées de Romanos (Cf. Batiffol, 1. c. p. 262 ; Guillaume, linmauos le Mélode, dans Mélanges Godejroid Kurlli, Paris, Champion, 1908 t. II, p. 83 ; Cath. Encycl., l. XIII, p. 163), du monophysite Jacques de Sarig (cf. Cath. Enc, t. VIII, p. 278 ; DuvAL, I. c, surtout p. 352 ; Abbeloob, De fita et scriptis S. Jacohi, p. 203-301).

.u VI* siècle, le nom de Marie est introduit au Communicantes du Canon (cf. Proust, Die Ahendlandische.Vesse, Munster, 18cj6, p. 153).

L'époque qui nous occupe marque un second stade dans la manifestation de la dévotion à Marie : on lui consacre des églises. On a attribué au Pape saint Sylvestre l'érection d’une église à Marie dans le voisinage d’un temple de Vesta (Gbisah, J/isf. de Home, t. I, p. 202, 309 ; et avant, dans la Ci ltn, XVI" série, t. VI, p. 458). Cette opinion a été combattue par Mgr Duchesne : le P. Grisar a maintenu sa thèse (cf. Anal. Boll., t. XVII, p. 239). Si on s’arrête

il une phrase assez oratoire de saint Cyrille, la pratique n'était pas toute jeune (/'. G., LXXVII, io34), et l’on sait que la basilique où se tint en 43 1 le concile d’Ephèse était peut-êtresousson vocable. (Sur cette question, voir : Tillemont, Mémoires, ,. 1. p. lidl ; — yKCX’SVKRO, Etudes d'/libtoire, t. III, p. 108, et un passage — assez obscur d’ailleurs — de Mgr Duchesne, Hist. ancienne de l’Eglise, t. III, p. 349) Quoi qu’il en soit, le v' siècle, en s’avançant, généralise cet usage. Constantinople, Pulchérie (-j- 45 i) construit l'église des Blachernes et celle de la Théotokos Hodigitria (cf. Nilles, Kalendarium, t. II. p. 200 ; Marin, Les moines de Constantinople, p. 16 ; P. G., t. XGVI, 748). Du temps de Juvénal de Jérusalem (425-458), un sanctuaire s'élève sur la roule de Bethléem (cf. Vacandard, I. c. p 116).

Mais l'âge d’or de ces constructions pieuses fut le temps de Justinien, du moins si l’on en croit son panégyriste Procope db Ci' : sARiiE(cf. Vacandard, /. c. p. 116 ; pour les éditions de Procope, voir Hurteb, Xomenclator, Œniponte, 1903, t. I, col. 483, n° 2). Citons entre autres la fondation du couvent et de l'église de la Théotokos de la Source (Marin, Moines de Const., p, 20 ; Nilles, Kalendarium, t. II, p. 335). A la lin du vi* siècle, sous l’empereur Maurice, se bâtit le Monastère de la Théotokos Aréobinde (cf. Marin, 1. c. p. 27).

A Rome, sur l’Esquilin, Sixte III (432-440) dédie à Marie la basilique libérienne reconstruite (Cf. /.il', pont., t. I, p. 235, note 2 ; et Duchesne, Hist. anc, t. III, p. 657 ; Michel, IJisl. de l’arl, t. I, i, p. 48 ; Marucchi, Eléments d’Archéologie, t. III, p. 247 ; Grisar, Hist. de Rome, t. I, i, p. 309 avec description des mosaïques, p. 311-314 ; — sur le miracle de Notre-Dame des Neiges, cf. ibid., 1. c., p. 160, n » i), et Boniface IV (6c8-615) l’ancien Panthéon (cf. Lib. Pont., t. I, p. 3 17) ; Jean VII (705-707) a fait construire à Saint-Pierre une chapelle de la Vierge, détruite à la Renaissance ; surl’ambon de Sancta Maria Antiijua il a fait graver une inscription où il s’intitule serviteur de Marie (cf. Lib. Pont., t. I, p. 386 ; Michel, 1. c, p. 76, 7g ; Marucchi, Eléments d’archéologie, t. III, p. 258) et l’image de la Vierge orne l’atrium de la basilique.

En Gaule, des temples païens purifiés deviennent des sanctuaires sous le vocable de la Sainte Vierge Marie. Sur les fondements d’un vieux temple d’Isis, Soissons élève au vie siècle une église (Kurth, Sainte Clolilde, p. 36, sans référence) ; i'évêque martyr saint Nicaise à Reims, I'évêque saint Fromond à Coutances ont consacré des basiliques à la Mère de Dieu (cf. Le Blant, Inscriptions clirétiennes de lu Gaule, t. I. p. 181 ; Beissel, t. I, p. 12, 19 et suiv) ; mcnie chose à Tours (Grég. Tur., Hist. Franc, VIII, XL, P. L., t. LXXI, 659, 477, et X, xii, 669), à Poitiers (il)., X, xlii, 524), à Toulouse (ib. VII, x, 4 22). Même chose aussi en Germanie, en Suisse, en Hollande (cf. Beisskl, t. I, p. 29, 30), en' Angleterre (BÉUE, Hist. Eccl., II. VI, P. L.. XCV, 93 ; Aldhelmk, Opéra, P. L., LXXXIX, 289).

Vers le vr siècle, l’iconographie mariale se fixe : la Sainte Vierge est représentée, comme jadis dans les Catacombes, assise en posture de reine ; autour de son front brille le nimbe (cf. Michel, 1. c, t. I. p. 261 ; Cath. Encycl., t. XV, p 469 et t. VIII, p. 743). Ces images reçoivent un culte dont il importe fort de ne point exagérer l’importance sur la foi d’une boutade (cf. MoscHUS, -j- 619, Pratum spiritimle, P. G.. LXXXVII, 3, 289g. Je crois que la Catholic Encyclcpædia, t. XV, p. 668 n’a pas évité l'éeueil que je signale).

Il y a plus ; alors que saint Augustin (De Trinitate, VIII, P. L., t. XLII, 962) estimait que les traits de la 307

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Mère de Dieu nous ct.iient inconnus, on prétend, au V et au VI" siècle, i>os8éd « r d’elle des portraits tracés par ses contemporains. Telle est la Madone dite de saint Lue, dont les copies se répandirent partout. (Sur l’histoire de ce tableau et la personnalité de son auteur, cf. ïillemont. Mémoires, t. XV, p. 181 ; BeisSEL, t. 1, p. 72 à 80 ; NiLLKs, Kalendarium, t. II, p. 163.) Telles, en général, les images dites achiropites (cf. Mautigny, Bict. nnl. chrci., art. Imag’s : DoBSOiiiiTZ, ChrisUisbilder, Leipzig, 1899, p. 79-89)Les traditions courantes sur ces images nous conduisent à envisager maintenant le côté plutôt populaire de la dévotion à Marie. Il n’est pas dillicile tout d’abord de constater la place que prend dans l’art l’inspiration des apocryphes (cf. Michkl, t. 1, i, p. 148).

Puis voici que circulent les récits relatifs aux reliques de la Sainte Vierge. On montre des lettres d’elle (Thombklli, Dissert, xlviii, Summa, t. II, col. 334). L’histoire euthymienne, citée par saint Jean Damascènk (Nom. Il in Dormit. li. K., P. G., XCVII, 7/18). raconte comment Marcien et Pulchéric sollicitèrent de Juvénal de Jérusalem le saint corps de la Vierge, et comment, sur le récit de l’Assomption que leur lit l'évêque, ils obtinrent au moins le sarcophage et les suaires. NicÉvHor.ii Calliste (j- iS/ii) — une autorité assez faible iiour les faits du v" siècle — raconte comment la robe de Marie fut donnée à Conslantiuople (('. G., GLVII, 70). L’Orient montre encore d’autres reliques (cf. VacanUAKD, Eludes de critique, l. c, p. 1 16).

En Occident, Gré< ; oike de Tours (-f 69^) parle des reliques de Marie qu’il a vues, qu’il possède et auxquelles on a dû une protection miraculeuse (De gloria Martyr., cap. ix.x, /'. /.., LXX.1, 716).

Persuadés en effet — comme le sont les théologien s — (voir textes dans Livius, p. 225, 269, etc.), de la bonté de Marie et de sa puissance d’intercession, les fidèles vont partout répétant des pi-odiges attribués à la Mère de Dieu. ?CuI, c’est clair, ne voudrait authentiquer tous les faits rapportés, mais une bonne critique se gardera bien de les nier en bloc. ConA’ersions dramati([ues (vg. l’histnire de Théophile), guérisons (cf. Sozo.mêne, llist. lîccl., VU, v ; P. G., LXVIl, 1425), visions, comme celle de la petite Musa (saint Griîgoire, Dialogues IV, xvii, P. L., LXXVIl, 716) ou ceUes dont était favorisé saint Martin (Si’lpice-Sévkhe, Dialogues, II, xiv, P. L, XX, 210, ou éd. Vienne, t. ii, xiii, p. igb). J’ai déjà parlé des miracles rapportés par Grégoire de Tours, j’ajoute qu’il nous raconte comment Mai-ic assista à la mort son illustre prédécesseur, saint Martin (De miraculis Sancti Martini, 1, v, P. L., LXXl, 919 ; Livius, p. Sig, sqq.). Aussi la conûance envers la Sainte Vierge est intense et universelle : par dévotion, on porte son nom (cf. Le Blant, Inscriptions chrétiennes, t. I, p. 102, 85C ; t. ii, p. 358, 461 ; RoHAULT DE Fleuhy, t. I, p. 315 ; Beissbl. t. I, p. 7 ; Tro.iiiei-li, De cultu puhlico ub Ecclesia Beatae Mariæ exhibito, Dissertatio xv, xxi ; voir BocRASsi’i, Summa aurea, t. IV, p. 355, k’i^'- les particuliers se recommandent à elle ; — les découvertes du P. DuLATTRE le démontrent (Le culte de la Sainte Vierge en Afrique, Paris iyo8) — et Justinien lui consacre l’empire (Cor ;) « s yn.sc ; i/î/. Grnec, n°86/|3). Son image domine les vaisseaux de Maurice luttant contre Pliocas (Bréhieu, Querelle des images, p. 8). Notons dès maintenant le rôle du monachisme dans la défense des prérogatives de la Vierge et dans l’extension de son culte. (Pour Conslantinople et les luttes nestoriennes, cf. Marin, les moines de Conslantinople, p. 182 et suiv.) III. La dévotion et le culte de Marie dans la

période iconoclaste. — L’iconoclasme, mouvement à la fois politique et religieux, fournit à l’Eglise l’occasion d’expliquer, de légitimer, de préciser aussi — car d’indéniables abus avaient dîi se glisser dans l’usage populaire (cf. Hefele-Leclkrcq, Hist. des Conciles, t. III, 2, p. Coi) — le culte rendu aux images saintes. Tout comme l’avaient déjà fait aux V et vi" siècles saint Augustin (Contra Faustum, XX, XXI, /'. L., XLII, 384, cf. Vacandard, l.c.p, 167), et saint Grégoire le Grand (Epist., IX, cv, P. 1.., LXXVII, 1027), saint Jean Dajiascène (/'. G., XCV, 309 ; XCIV, 1201 ; XCVIII, 147), le Pape Adrien ! « ' (j- 826), le second Concile de Nicée au viii « siècle, et au ix, saint Théodore db Stoudion (cf. Marin, Saint Théodore et P. G., t. XCIX, 827, 499) posèrent les principes d’où les scolastiques tireront la distinction des cultes de dulie et d’hyperdulie (cf. Cath. Encycl., t. VII, p. 670 ; Hayne, Ilyperdulia).

D’ailleurs, les chefs religieux de l’iconoclasme eux-mêmes n’entendirent aucunement i>roscrire en soi le culte rendu à la sainte Théolokos ; ils le défendirent même contre le radicalisme de Constantin Copronyme (cf. Brfmikr, la querelle des images, p. 18), ou de Léon l’Isaurien (ib., p. 44)- Quant à l’empereur Théophile (829-842), l’un des plus férooes persécuteurs des orthodoxes, il affichait publiquement sa dévotion à Marie (cf. BRiiiiiEU, ji. 35). Mais empereurs et évêques iconoclastes lirtiit la chasse aux représentations de la Vierge : l’image vénérable de la Tlicotokos Ilodigitria fut condamnée : le dévouement des moines la sauva (cf. Marin, Moines de Conslantinople, p. 17) ; les fresques, les mosaïques furent couvertes de chaux (cf. liuÉinER, p. iC). Pourtant, soutenus par les docteurs, encouragés même, dit-on, par dos miracles (saint Damascènk, P. G., XCIV, 49i). les fidèles tinrent bon ; plusieurs restaurations iconophiles s’ensuivirent et les constructions d'églises à Marie reprirent : Basile le Macédonien (867-886) bàlit le sanctuaire de la

« Thétokos du Phare », releva celui de la » Tliéotokos de la Source » et du « Sigma » (Marin, 1. c.

p. 31 ; Michel, 1. c, l. I, p. 189 ; Blissel, t. I, p. 81). De cette époque aussi datent les ]ioésies de l’hymnographe JosErn (cf. P. G., t. GV, 925).

En somme, si l’iconoclasme lit sentir son influence sur la technique de l’iconographie byzantine, il n’eut point d’action sérieuse sur le culte lui-même et sur la dévotion (cf. Micuul. l. c, t. 1, p. 188).

IV. La Dévotion et le Culte mariai jusqu'à, la Réforme. — Le Moyen-Age a précisé certains grands points de théologie mariale, en développant les idées scripturaires et traditionnelles sur la puissance, la pureté, la dignité de Marie ; il est aussi singulier rement riche en manifestations de dévotion ; théologie et culte se compénélraut, et plus que jamaisinfluent l’un sur l’autre. Hors les Albigeois (BouRASSÉ, Summa, t. VIII, col. igS), les Wyclcllistes et les Hussites (ib., col. 197 ; Lettre de Phocope dans Martène, Veterum Scriptorum Analecta, t. VIII, col. 22), on n’a guère attaqué la dévotion à Mai-ie. La liturgie continue à la consacrer. Du vui » au xii' siècle, le calendrier de l’Eglise universelle s’est peu à peu enrichi de la fête de la Nativité déjà célébrée par l’Orient (Cf. IIoLLWECii, /' « s<(, p. 210 ; BeisSBL, t. I. p. 43 et 304)- On notera qu’au tiers du xii' siècle, saint Bernard la considérait comme récente encore ; mais que, cent ans après. Innocent IV lui avait donné une octave. Dans les premiers siècles du Moyen-Age, les fêtes locales de la Sainte Vierge sont assez rares : on s’en tient aux fêtes anciennes (cf. Hollwbck, I. c, p. X).

Au xiii' siècle, l’influence française répand la Visitation ; en 126J, un chapitre franciscain la reçoit ; 309

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mais la date de sa célébration varie avec les diocèses. Au xiv" siècle, elle fut étendue à l’obédience romaine ; au Tv', à lEg-lise entière (cf. Bhoussollb, Etudes sur la Sainte Vierge, a" série, de la Visitation à la Passion, p. 12 ; Hollweck, 1. c, p. 127 ; Caih. Encrcl., t. XV, p. 481).

Au XIV* siècle, la cour d’Avignon adopte la fêle de la Prèsent, Ttion ; Paris l’imite en 13-3 ; puis Cologne et la Saxe (cf. Hollwhck, /. c, p. 2(3^). De la même époque dale aussi la fête des Epousailles de Marie (Bbissiîf., t. I, p. 306 ; Hollweck, /. c, p. 12). On sait que, p<iur en obtenir l'établissement, Gkbson écrivit un traité et composa une prière (Opéra, éd. Du Pin, 1706, t. III, col. 842 et 8C4).

Au xiv" siècle toujours, avec la dévotion aux sept joies de Marie, on rencontre celle à ses douleurs, résultat de ce mouvement de piété qui se fait vers Marie, mère souffrante (cf. Biïissel, t. I, p. 879, 897, 404 ; Calli. Eue, t. XIV, p, 151 ; Anal. BuV., t Xll, p. 333, rectifiés par Mâle, L’art… à la fin diiMoyenvge, p. iig, note 4, et nouvel article des Analecla, t. XXVIII, p. 488). C’est enfin entre le xii= et le xv' siècle que péniblement, au milieu de subtilités parfois déconcertantes, la fête de la Conception gagne son droit de cité (cf. ici même. Immaculée Conception).

Acôlé des fêtes signalons — dès le ix' siècle — l’usage de consacrera Marie le samedi et de célébrer en ce j ovula messe de Beata (cf. Hollweck, Fasli, p. XII ; Beissel, /. c, t. 1, p. 308 ; Bourassé, Summn. t. VII, col. 740). Quant aux motifs qui ont guidé le choix de ce jour, voir Beisskl. ib., p. 308, Bourassé, ib., t. III, col. 638 ; t. IV, 297-867 ; t. VIII, 301. Remarquons aussi l’usage de la « Messe dorée » (cf. Beisskl, l. c, p. 328).

Le petit oUice existe déjà au x' siècle. On le trouve en Angleterre avant la conquête normande ; saint Pierre Damien, l’ordre de Citeaux le remettent eu honneur ; Urbain II en avait fait une obligation (cf. Beissel, t. I, p. 310 ; Bourassé, Suinma, t. ÎV, p. 302 ; Vacandard, Saint Bernard, éd. 18g5, t. II, p. 96 : Cath. Encycl., t. XJI, p. lib ; HoLL-nECK, Fasti, p. Xll). Quant au petit office de l’Immaculée Conception, longtemps attribué à saint Alphonse Rodriguez (j- 1627), il paraît au xve siècle sous linfluence du franciscain Bernardin de BusTis(cf. Debucuy, Le petit office de V Immaculée Conception, Bruxelles, igo4 ; voir aussi, Etudes, igoS. t. CIII, p. 416).

L’hymnologie mariale s’enrichit ; dans ces chants, à côlé de subtilités qui nous paraissent bien froides, on trouve de purs chefs-d'œuvre. Signalons VAlma Redemptoris (cf. Cath. Ericrcl., t. I, p. 826), lvte Regina Cælorum (Cath. Encycl., t. II, p. 1 49 : t. X, p. 600, t. I, p. 576), l’Ave Maris Stella (Cath. Encycl., t. II, p 149, t. XV, p. 463 ; Beissel, t. I, p. 126), le.^uh-e Rcgina (cf. Hefuc du clergé français, ID juillet 191a, p. 187), et la merveilleuse prose de la Passion, le Stabat.Mater, œuvre du franciscain spirituel, Jacoponb DE ToDi (cf. Beissel, t. I, p. 206, 314 ; Cath enc, , t. XIV, p. 28g). Le Omni die, attribué à saint Anselme, paraît bien avoir pour auteur Bernard de MoRLAS (cf. MoniN, Etudes, textes et découi’ertes. p. 77 ; sur l’hymnologie, consulter les importants recueils de Dreves, de Ragey, de Mone, le Reperturium Hymnologicum de U. Chevallier, puis, avec contrôle, la Sunima aurea, t. III, col. 1627 et suiv ; t. XIII, col. 1088, au mot Ilymni ; col. 1089 au mot Laudes ; col. io4 1 au mot Psalterium : — Rohault de Fleury, l. c, p. 871, 409 ; — sur les cantiques en langue vulgaire, voir Tlie Month, 1878, t. XVIII, p. 471 ; Janssen, Histoire du peuple allemand, t. I, p. 223 ; Rousselot, La Sainte Vierge dans la poésie française du.Moyen-Age ; Revue du clergé Français, t. XLII, igoS, p. 51-91).

Voici maintenant de nouvelles formules de jjrières. Déjà connu et en usage en Orient depuis le vu' siècle au moins, l'^i’e se répand en Occident : il est encore très court au xu' siècle. U s’allonge au xiii' et forme un tlième de prédication. La clausule, Snncta Maria, etc., apparaît au xiii » siècle et se généralise au xv"^ (cf. Bici. Théol. cath., t. I, col. 1278 ; Dict. arch. chrét., t. l, col. 2068 ; Beissel, 1. 1, p. 228 et suiv.i t. II, p. 7 ; Ltevue du clergé français, i^' août 191a, J). 315 ; Month, nov. t. XGVIII, p. 162 ; Leclercij, dans Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétienne, 1.5 jan. 1911, p. 3). On récite parfois en l’honneur de.Marie cinq psaumes dont les initiales rapprochées composent son nom : Magnificat, Ad Dominum cum tribularer. Rétribue, In convertendo, Ad te levavi (cf. Beissel, t. I, p. 21 4, Sog).

Simple sonnerie du soir au xiv' siècle, ' Angélus actuel s’est formé par l’addition d’une sonnerie le matin au cours du.xiv' et du xv" siècle et à midi au XV' (cf. Beissel, t. U, p. 16 ; Cath. Enc., t. I, j). 48, et autres endroits, t. XVI, p. 117 à ce mot et Angélus ie// ; TRO.MiîELLi, dans la 5 ; « nma « (irea, t. IV, col. 278 ; Dict. théol. cath., t. I, col. 1278 ; Revue du clergé français, t. LXXI, p. 187 ; Thuhsion, Month, iQOi, t. XCVin, p. 483).

A coté des Litanies des Saints, et calquées sur elles, vers le xu' siècle paraissent celles delà Sainte Vierge. L’Irlande nous en donne les premiers vestiges. On distingue comme trois parties, des invocations, l'énumération de quelques titres de gloire de M.arie, des demandes de secours ; on voit que la forme diffère un peu de nos litanies modernes (cf. de Santi, Les litanies de la Sainte Vierge, trad. Boudinhon, Paris igoo ; Beissel, t. II, p. 466 ; Cath. Enc., t. XV, p. 468 ; RoiiviLT DE Fleury, t. I, p. 828).

Dès le xii' siècle, l’on constate l’usage de réciter 150 l’ater, et plus tard 150 Ave en l’honneur de Marie. Naturellement on avait été conduit, pour compter plus facilement ces prières, à se servir de chapelets, de « Patenôtres » de taille et de forme différentes. A une époque plus récente, on avait pris l’habitude de joindre à cette iirière toute vocale, les considérations sur la vie de la sainte Vierge. Au xv' siècle finissant, le dominicain Alain de la Roche généralisa cette dernière pratique. Telle serait — sauf meilleur avis — la véritable origine du Rosaire (cf. H. TiiuRSTox dans le Month, t. XCVI, igoo, p. 403, 518 ; t. XCVII, p. 67, 172, 286, 883 ; t. CI, p. 518, dio ; Anal. Boll., t. XXII, p 21g, t. XXVII, p. 119 ; Revue du clergé français, t. XXIX, p. 5 ; Cath. Enc, t. XIll, p. 166 ; Beissel, t. 1, p. 511, 540 ; ScHiJTz, Die Geschichte de Rosenkranzes… Paderbom, 1909, cf. Anal. Boll., t. XXX, p. 350 ; et dans le sens dit traditionnel. Mêzard, O. p.. Etudes sur l’origine du Rosaire, Coluirc (Rhône) ; voir Etudes, 20 mars ig13, p. 862). Faut-il faire remonter jusqu’au xiii" siècle les origines de la dévotion au saint scapulaire du Mont Carmel, oubienne peut-on l’authentiquer avant la fin duxv* siècle ou le début du xvi'" siècle ? A-t-on prouvé que la lettre de saint Simon Stock (-j- 1 266), général des Carmes, à son secrétaire Pierre Swanyngton soit un faux du xvii' siècle ? Autant de questions qu’il suffit de poser ici, qu’il importe d’envisager de sang-froid, en regrettant les polémiques qu’elles ont causées (cf. Catu. Enc, t. XIII, p. 51 i ; L. Saltet, Le prétendu Pierre S’vanynglon, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, Toulouse, igii, p. 24, 85, 120 ; P. Marie-Josefb du Sacrk-Cceur, Première réponse à M. l’abbé Saltet, dans Etudes historiques et critiques sur l’ordre de N.-D. du Mont Carmel, igii, p. i ; id. Quelques précisions sur la méthode critique de M. Saltet, id. p. g5 ; Th. Raynaud. Scapulare marianum, dans la Suntnia aurea, t. V, 311

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col. 30 ;  ; Launoy, Opéra, t. II, 2, p. 3 ; 9 ; B. ZimmkrMAN O. C. D., MonumeiHa historica carmelitana, vol.'r, p. 351, Lirinæ 1906, 1907 ; Beissel, t. I,

P- 266)…,

Au scapulaire se rattache la célèbre révélation ou Marie aurait promis à Jean XXII de délivrer à date iixe ses fidèles du purgatoire. L’Eglise n’a jamais allirmé l’authenticité de la bulle où le pape est censé proclamer ce privilège ; on a même de très fortes raisons d’en douter. L’autorité ecclésiastique n’interdit pas cependant — moyennant précautions — de prêcher cette pieuse croyance (cf., outre les livres cidessus, Tebbikn, La mère de Dieu et la mère des hommes, t. IV, p. 233, note).

Signalons, d’après un incunable de 1489, les prières destinées à devenir si célèbres : le Memorare et le O Domina mea, Sancta Maria (cf. Paulus, Das Aller des Gebeles Memorare, dans Zeilschrift fiir Katholisclie Théologie, 1902, t. XXVI, p. 604, et Anal. BolL, t. XXII, ' p. 220). Impossible de ne point parler aussi des livres de dévotions mis entre les mains du peuple à l’extrême lin du Moyen-Age : citons les <i Primers » anglais (cf. Thukston, The Mediæval primer, Month, t. CXVII, p. 150).

Au Moyen-Age, se fondent et se multiplient les confréries de la Sainte Vierge : elles sont nombreuses au xui', au xiv" siècles (Bkisskl, t. I, p. 176). Au xv siècle, l’ordre des Frères Prêcheurs crée un peu partout celles du Rosaire ; en ce temps-là aussi, se répandent les associations en l’honneur de l’Immaculée Conception. On en trouve à Paris (église SaintGervais), à Rouen, à Cæn, à Abbeville, à Dieppe (cf. Malk, L’art religieux à la fui du Moyen-Age, p. 171, 183 ; Le Mois, 1909, t. XXII, p. 663). Citons aussi les confréries vouées à honorer l’Assomption (Malb, il., p. 184).

Entre le ix' et le xvi' siècle, on vénère plus nombreuses en Occident les reliques de Marie. C’est ici un terrain où il y a lieu d'être prudent : les attestations sérieuses manquent souvent, le milieu où se sont transmises les traditions ne laisse pas d'être inquiétant. Sous cette réserve, disons que Marseille et Florence prétendaient avoir des lettres de Marie (Trombelli, Dissert. XLviir, Summn, t. II, col. 336), Pérouse une bague ; que Pralo croyait posséder sa robe et sa ceinture, Saint-Omer son gant, que du temps de Gerson, Paris montrait deux anneaux (Opéra, t. III, col. 68^), que Chartres est fière du voile qu’Irène donna à Charles le Chauve et auquel on faisait des offrandes (cf. Mâle, L’art religieuj an Xlfl’siècle, p. 359, citantdes passages du Cartulaire). On montrait des cheveux de Marie à Paris, à Rome, à Saint-Omer, à Chartres (Beissel, t. I, p. 293). Saint Anselme en reçut de Bohcmond (voir Ragey, Histoire de.Saint Anselme, t. II, p. 4 '6 et les réilexions qu’il ajoute à la citation d’Eadmer). L'évêque d’Astorga, Osmono, vers 1049, raconte comment son église s’enrichit d’un pareil trésor (Mabillon, Vetera analecta, t. I, p. 433), un moine reçut une révélation en ce point (Rouault de Flbury, t. I, 289). Au xii= siècle, Guibert de Nogent (P. L.. CLVI, 669) protestait fort contre les prétentions qu’avaient certaines églises de posséder du lait de la Sainte Vierge. Reims, Le Puy, Tongres, Saint-Omer étaient dans ce cas (cf. Rohault de Flel’RY, La.Sainte Vierge, t. I. p. 288 ; Beissel, t. I, p. 89, 298, 334) ; même on disait que Marie avait fait elle-même goûter ce lait virginal à quelques dévots serviteurs, tels au xn" siècle saint Bernard (Vacandard, éd. 1896, t. II, p. 78), au xv" siècle, Alain de la Roche (cf. notes à.dam de Perseigne, P. L., CCXI, 776 ; Beissel, t. I, p. 298). — (Sur toute cette question des reliques cf. RoHABi.T DK Fleuhy, t. I, p. 288 suiv. ; Riant,

Dépouilles religieuses enlevées à Constantinople au Xlll' s., dans Mémoires delà Société des Antiquaires de France, t. XXXVI, etE.zuiiæ sacræ Constantinopolitanae, Genève, 1878 ; Cahier, Mélanges d’Archéologie, t. I, p. 5, p. 60 ; Mâle, /.'art religieux au XJll' s., p. 358 ; Summa aurea, t. Xlll, col. 1189, une énumération au mot Reliquiæ ; Beissel, t. I, p. 293.)

Aux reliques, on peut assimiler certaines statues ou images miraculeuses, des églises objets de prodiges. C’est assez nommer la Santa Casa de Lorette (cf. ici l’article Lohette), Notre-Dame du Puy qu’on dit apportée par les Anges (cf. Mâle, L’art religieu.r à la fn du.M. A., p. 202), en Angleterre, Notre-Dame de Watsingham(Cf. Thurston, : 1/o’i//'., 1901, t. XCVllI, p. 236 ; Cath. Encycl., t. XV, p. 543) ; toute la série de tableaux ou de statues qu’on dit avoir répandu des larmes ou du sang ou bien qu’un miracle a fait trouver (cf. Beissel, t. I, p. 4 '7).

Des pèlerinages devaient tout naturellement aboutir aux endroits où ces prodiges s'étaient opérés ou bien encore à ceux où l’on vénérait une relique insigne : ces grands mouvements populaires ont été calomniés : on a voulu n’y voir que superstition ou recherche unique des intérêts temporels. Il y avait autre chose (Etudes, 1910, t. CXXV, p. 161, à propos de Chartres). Parmi ces sanctuaires célèbres, nous venons de citer Chartres ; nommons encore en France, Xotre-Dame-des-Ardilliers (cf. Cath. Enc, t. I, p. 700), Roc-Ainadour (cf. Rupin, lioc-Amadour, Paris, 1904, et Anal. Boll., t. XXIII, p. 488, 626) ; en Angleterre, Coventry, Our Lady Undercroft de Canterbury, Arundel, Walsingham surtout ; les divers pèlerinages écossais ; dans les Pays-Bas, Halle (cf. JusTE-LiPSK, 0/)ern, Lugduni, 1613, p. 805) ; en Suisse et en Allemagne, Mariabriinn, Hildesheim, Einsiedeln (O. Ringholz, O. S. B. : Wallfahrt Ceschirhte unserer Lieben Frau von Einsiedeln, Freiburg, 1896 ; et Anal. Boll., t. XIX, p. 42) ; en Italie, Sainte-MarieMajeure, où l’on vénérait la crèche de Notre-Seigneur ; Notrc-Dame-des-Anges (Beissel, 1. 1, p. 251), Lorette (cf. ici même, et Month., t. CXX, p. 49) ; en Espagne, Notre-Dame-du-Monserrat (Bi-.isSBL, t. I, p. 415).

(Voir sur cette question des pèlerinages, l’ouvrage important du P. Bkissel U’allfahrten : u unserer lieben L’rau in Légende und Geschichle, Fribourg, Herdrr, 1913, une riche bibliographie, p. 296, ou son Verehrung, t. I, p. 143 ; Cath. Enc, art. Pilgrimages, t. XII, p. 88 ; en outre, et avec contrôle, pour Rome, Rohault de Flelby, t. ii, p. 168 ; pour l’Italie, (7 ;., t. ii, p. 68-146 ; pour la France, ih., p. 1 46-324 ; DE BussiÈRES, Culte et pèlerinage de la y. S. Vierge en Alsace, Paris, 1862, et plus récemment, LÉVY', Die Wallfahrten der lieben Mu1ter Cottes im Elsass, Rixheim, 190g, cf. Anal., Boll., t. XXX, p. 199. Pour l’Espagne, Rohault, p. 324-36o ; pour l’Allemagne, ib., p. ^60-511 ; les Pays-Pas, 360-896 ; et Sanderus, Chorograptiia sacra Brahantiae, La Haye, 1727 ; pour l’Angleterre, Rouavlt, p. 896-460 ; les pays Scandinaves, p. 5 1 1-538 ; la Pologne et la Russie, p. 538-564 ; l’Orient, p. 564. Toutes ces indications dérivent plus ou moins de l’ouvrage du P. Gruppembebg, Atlas Marianus, Munich 1677, Summa, t. XI, col. 9 ; cf. Kirchenlexicon, t. VIH, col. 846.)

Etant donnée la place que tient la Sainte Vierge dans le cœur des fidèles, il n’est pas étonnant que la littérature mariale soit d’une abondance déconcertante. Nous devons nous borner à quelques indications. Voici d’abord les théologiens. En général, et à moins de traités spéciaux, les Sommistes et les Sententiaires l'éludient à propos de l’Incarnation,

dans le commentaire du 3* livre des Sentences (voir i un dépouillement des Pères et des théologiens dans la Sanima aurea, t. V, col. 50, avec index col. iSSg ; le tome VI entier avec index, col. 1503, et t. Vil, Sedelm.vykr, Schulaslica Mariaiui).

Les sermonnaires ont à mon sens une grande importance pour nous renseigner sur les progrès des croyances et des dévotions (cf. Boirgain, la Chaire française au XII° siècle, Paris, 1879 ; Lbcoy de la Marche, La Chaire française au XIII’siècle, Paris, 1886 ; NoYO.N, Notes pour servir au catalogue du fonds latin de la Bibliothèque nationale. Inventaire des écrits théologiques du XW siècle non insérés dans la Patrologie latine de Aligne, dans Revue des Bibliothèques, juillet-septembre 1912, p. 277 ; juillet-sept. 1910, p. 299 ; ocl.-déc. 1913, p. 385, et tirés à part).

J’en dirai autant des mystiques, très symbolistes dans le haut Moyen-Age, plus réalistes, plus tendres à partir du xive siècle (voir, par exemple outre les

« méditations » attribuées l’aussement à saint Bonaventurk,

les belles considérations de Gkrson, Opéra, t. III, col, 1153, 1154, 1158 ; les célèbres « Conlemplationes de Beata Virgine », de H. Jordan, dit î’ « Idiota », Summa aurea, t. IV, col. 851 ; le carme J. Thomas db Saint-Cyrille a édité toute une série d’extraits de Pères et de mystiques disposés en lectures quotidiennes, Summa, t. IV, col. 453 ; voir aussi Malk, l.’art religieux au XIII’s., p. 178, 2^5, 2^9, 2^4 ; L’art religieux à la fin duM.-A., p. 222 ; Beissel, t. I, p. 5^ ; p. 278. On trouvera des indications très étendues et précieuses, mallieureusement peu critiques dans l’ouvrage assez rare de Mgr Ros-KOVANY, Beata Virgo Maria in suo Coiiceptu Inimaculata, Nitriæ 1 881 ; on devra consulter les tables de la Summa aurea ou celles de la Patrologie).

Il y aurait beaucoup à dire sur les recueils de miracles, citons pour le xiie siècle celui de Hugues FarsiT (P.i.., CLXXIX, 1775 ; Hist. Lia., t. XII, p. 294), celui de Roc Amadour, publié par M. Albe (Paris, Champion, 1907, cf. Anal. BolL, t. XXVII, p. 213), de Hermann de Laon (/>. L., CLX.XX, 41 ; CLVI, 961 ; Hist. I.itt., t. XII, p. 289), celui de Chartres (Cf. Bibl. Ecole des Chartes, t. XLVII, p. 505, et Clerval, Les Ecoles de Chartres, p. 354), celui de Laon (P. L., CLVI, 961) ; un autre signalé par les Analecta Bollandiana, t. XXIX, p. 163 ; celui de Coutances ; pour le xiii’siècle, les recueils de Gautier de Coincy (MusSAFiA, Ueher die vom Gautier de Coincy beniltzen Quellen, Vienne 1894, ou Anal. Boll.jl. XIV, p. 116), de CiisviRE de IIeistbrbach (cf. Hist. Litt., t. XVIII, p, 194), de JACquns DE VoRAGiNE(voir yi « aL BolL, t. VIII, p. 188, t. X, p. 457, 465) ; pour le xv siècle, les bizarres sermons d’OswALD Pelbart de Temesvar, vers 1490 (cf. Hurter, Nomenclator, t. IV, éd. 1899, p. 832), et d’autres signalés par Malk (Art à la fin t/ « .1L-.4., p. 209). Ces miracles, dont la représentation se trouve un peu partout, dans les tableaux et les Livres d’heures par exemple (Mâle, ib., p. 209) sont des conversions, comme celle de Théophile, des apparitions (cf. Rohault de Flkury, t. I, p. 316 ; Beissel, t. I, p. 90, 106, 228, 470, 498 ; Summa aurea, t. iii, II 44 ; t. XI, II 10), des faveurs temporelles (Beissel, t. I, p. 99 ; Summa Aurea, t. XII, 918, 988, 1023 ; t. IV, 1456), des punitions de blasphémateurs {Summa aurea, t. III, 907 ; VI, 458, XII, 754). Voir MussAFiA, Studien zu den Miltelalterlichen Marienlegenden, Wien, 1887-1891 ; Poncelet, Miraculorum B. V. Mariæ quæ sæc. vi-xv, latine conscripta sunt Index, dans Anal. BolL, t. XXI, p. 241 ; V Index VII de la Summa aurea, t. XIII, loii, ou t. XIII, 1163, 1204 ; l’ouvrage de Cimarolo, Miranda Mariana, Summa aurea, t. XII, 543 ; Kirchenlexicon, t. Vlll, col. 831).

Mystiques, compilateurs de miracles ont inspiré le théâtre et ont aussi subi son influence ; certaines scènes de mystères sont d’une grandeur véritable (Mâle, Art à la fin du M.-A., p. 310 ; Petit de JulleviLLE, Les Mystères, t. I, p. 115 ; t. II, p. 226 ; Jans-SKN, Hist. du peuple allemand, t. I, p. 229). Gomme la littérature, plus qu’elle peut-être, les arts ont fait grande la place de Marie. On ne peut plus compter, à partir du xe siècle surtout, les églises qui lui sont consacrées : Londres en avait 18 au xve siècle ; en France, 30 cathédrales lui sont dédiées. A ces églises, tous ont contribué, par leurs aumônes, par leur travail au moins (cf. Mortet, Hecueil de te.vies relatifs à l’histoire de l’architecture et à la condition des architectes, Paris, Picard, 191 1, table, p. 448 ; Male, L’art religieux au XIII’s. p. 433 ; Beissel, t. I, p. 21, 29, ’32, 437 ; BoURABSÉ, Summa, t. XII, 1008). Et dans ces églises, sur les vitraux, dans les voussures des portails, sont représentées des scènes de la vie de la Vierge ; sa statue est à l’honneur sur les jiortails, sur les tours (Beissel, t. I, p. 450, 459). La peinture et la miniature ont popularisé l’enseignement de la théologie inariale, les traditions des apocryphes ou les contemplations des mystiques (Enumcration sommaire, pour la Russie et l’Orient, Michel, Hist. de l’art, t. I, p. 198-197 ; Diehl, Etudes byzantines, 1905, p. 391, 431 ; pour l’Occident, Buissel, t. I, p. 71, 132, 157, 175, 327, 430 ; Michel, 1. c). Ce qu’il importe de noter, c’est l’évolution de l’art en Occident : d’abord tout hiératique, symbolique, théologique, le type de Marie s’humanise à dater de la seconde moitié du xive siècle. La Vierge Reine, assise, portant le sceptre, devient peu à peu, sous l’influence des mystiques, plus femme, plus mère, plus pathétique ; peut-être même, ce seront ses souffrances qui inspireront à des sculpteurs ou à des peintres leurs plus saisissantes productions (cf., à propos de la Vie de Notre-Dame d’Albert Diirer, Janssen, Hist. du peuple allemand, t. I, p. 181 ; les deux ouvrages de Malk, souventeités, et en particulier : L’art à la fin du M. A., p. 118, 147 ; Chaîne, L’évolution de l’art mariai, Etudes, t. CVI, 1906, 1). 289, 454, 621 ; catalogue des principaux types de Madones connues avant le XIII" siècle, Rohault de Fleuhy, t. ii, p. C13 ; Clément, La Représentation de la Madone à travers les Ages, Paris, 1909).

.insi au Moyen-Age Marie est partout, dans la liturgie, dans la prière, la prédication, la littérature, l’art. Cette magnifique iloraison, les ordres religieux ont contribué plus que personne à la faire éelore. Tous ou presque tous placent la Sainte Vierge à leur berceau, tous — coinnie d’ailleurs le clergé séculier et même les fidèles — veulent être abrités sous son manteau (cf. Beissel, t. I, p. 209 ; Male, L’art religieux à la fin du M. A., p. 206). Son image paraît sur leurs sceaux (cf. Rohault de Fleury’, t. 1, p. 347). Tous s’attribuent sa spéciale protection (Beissbl, t. I, p. 214, 352 ; t. II, p. 407). C’est que les premières religieuses ont ^u en Marie leur modèle ; c’est que les Bénédictins lui ont consacré de nombreuses églises (Beissel, t. I, p. 27, 33), que les Cisterciens, les Prémontrés, saint Norbert et saint Bernard en tête (Vacandard, Saint llernard, I. c, p. 95) ont répandu son culte. Les Franciscains et les Carmes ont été les grands tenants de l’Immaculée Conception (cf. Holzapfel, Bibliotheca franciscana de Immaculala Conccptione B. M. V., Quaracchi, 1904 ; Eduardis Albn(, : oNiENSis, Bibliotheca Mariana, 0. F. M., Romae, 1910 ; et l’article Carmes dans le iJicl. Théol. cath., t. ii, col. 1788) ; les Dominicains ont propagé le Rosaire (cf. supra) ; tous ont travaillé pour ^iarie, y compris les ordres militaires (Beissel, t. I, p. 268, 278 ; Rohault de Fleury, t. I, p. 354 ; cf. la compilation

de Mabracci, FundiHores Mariant, Summa atiiea, t. XI, 35’;, et celle de FiînRBOL Locbius : Mariae Auiiiistae… ordiiies, th., 999).

V. La dévotion et le culte mariai depuia la Réforme. — Univei-sellement reconnues au moyen âge, la légilimilé et les pratiques du culte mariai ont été depuis le xvie siècle, à des degrés différenls, l’objet de continuelles attaques. Déjà Erasme et autres avaient raillé sans modération et sans tact ce qu’ils estimaient abusif dans la dévotion populaire (cf. Summa auiea, t. XII, 896 et Œinres d’Erasme, Bâle, 1540, t. I, p. 663 ; t. IX, p. gSa ; t. V, p. 2T, 1112 ; t. IV, p. 372 ; Trésax, Les origines du schisme anglican, p. 21 ; Gasquet, The eie u/ ihe Heformation, p. 365 ; Cath. Enc, t. XII, p. 87). Dans cette critique, ils avaient dépassé le but. Les protestants s’en prirent à la dévotion elle-même, et n’ont point épargné la personne même de Marie : tout a été insulté, son intelligence, sa foi, son humilité, sa prudence ; on a tourné son culte en ridicule, quitte, au prix d’une contradiction ou par modération naturelle, à reconnaître ailleui-s ses gloires, à admettre même son Assomption corporelle (textes de Luther, Bkissbl, t. U, p. 102 ; Summa aurea, I. X ; XUI, 901 ; Grisar, l.utlter, l. ii, p. /|84, 796 ; dcGALviN, Beisskl, t. II, p. 109 ; Summa aurea, t. XIII, 889-908, VInde.r dit Inimici Mariani).

Leurs attaques souvent lourdes (Summa aurea, t. VIII, 1087), parfois obscènes, comme celles de Th. DK Bkzb ( ; 7 ;., 882), eurent leur aboutissement naturel dans la destructioi des sanctuaires ou des usages les plus vénérés (cf. Wattbrton, J’ietas Mariana, t. II, p. 98 ; Janssen, llist. du peuple ail., t. IV, p. 205, 515 ; t. VI, p. 8 ; Bishop, Ednard the F/ and the Book of Commun Prayer, London, 189r, p. 20, 33, 56, 123, 24’, 264).

Respectueux des dogmes déjà Uxés de la théologie mariale, les jansénistes se sont montrés en somme adversaires du culte : personnages graves, hautains, trop peu fils de l’Eglise pour deviner les battements de son cœur, plus fanatiques de la lettre de la tradition que pénétrés de son esprit, hantés du désir d’un retour tout matériel à la vénérable antiquité, ils n’ont rien compris aux souples progrès de la dévotion. Cette mentalité a inspiré, à des degrés très divers d’ailleurs, Baillet, De la dérution à la Vierge et du culte qui lui est dû (cf. Hurter, Nomenclator, 1893, t. 111, col. 8go) ; Launoy, Præscripliunes de conceptu B. Mariæ (Hurter, ib., col. 214) ; Tillk-MONT lui-même en certaines pages de son œuvre (t. I, p. 4^5 ; t. XVI, p. 376) ; MuRATORi, De ingenioram moderatione in religiunis negotio (Hurter, I, p. 1414). de superstitione fitanda (ib., col. 1415), les chefs du synode dePistoie (cf. Denzinger-Bannwart, n. 1569-1571 [1432-1434I) ; l’auteur àeVAyis salutaire de la Bienheureuse Vierge à ses déi’Ots indiscrets (cf. Terrien, t. IV, p. 478) et ce Schurius Andréas qui corrigeait le bréviaire au mieux de ses idées {Summa aurea, t. IV, col. 807).

C’est pour défendre la théologie de Marie qu’ont écrit Canisius, De Maria Virgine incomparabili, Ingolstadt, 1577 (véritable traité d’apologétique reproduit dans UoURAssÉ, Summa aurea, t. VIII, IX, cf. Hurter, Nomenclator… 1892, p. 67, 68) ; Bellarmin, De controyersiis fidei (Hurter, t. c, p. 278) ; Théophile Raynaud (cf. Hurter, I. c, p. 405) ; P. Auelly, La tradition de l’Eglise touchant la dévotion à la Sainte Mère de Dieu, Paris, 1652 ; Bona, Summa aurea, t. V, col. 187 ; DE Cerf, l’i., 213 ; Spinelli, ib, 9. Dans son De Festis (Summa aurea, t. III, Sgg), Benoit XIV, dans son Mariæ sanctissimæ tita et gesta(ili., t. !, II), Tromuelli ont essayé d’élucider quelques points obscurs de la vie de Marie. On ne

peut songer à relever les auteurs qui, du xvi’au XYiiie siècle, ont contribué à nourrir la piété envers la sainte Vierge. Mais comment ne pas citer Suarez, {De Jncarnatione, Opéra, éd. IVici, t. XIX), certains sermons de saint François de Sales, de Bossuet (cf. éd. Lebarcq, t. VI, table, p. 226), de Bourdalouk et les opuscules classiques de saint Alphonse de LiGUORi : Les gloires de Marie ; du B^ Gbignion du MoNTi’ORT, du P. Grasset, La yérilable dévotion à Notre-Dame iVuTis 1689), du 1’. François d’Argentan, Conférences théulogiqucs sur les grandeurs de la Très sainte Vierge Marie, les Opéra parthenica du P. NlE-REMŒRG, Lyon, 1695. Voir un dépouillement de la littérature mariale daiis l’ouvrage posthume de Ch. Flaciiairk, La Dévotion h lu Vierge dans la littérature catholique au commencement du A’VII’siècle. Paris, Leroux, 1916, 176 p. in-8°.

Il sutlit de parcourir les tables du Nomenclator de Hurter (t. V, 2, 1918, p. CGXLV) ou l’article du P. DE LA Broise sur la Sainte Vierge dans la pensée et le culte catholique au.VIA’siècle (Etudes, t. LXXXllI, p. 289), ou enfin le Wegtveiser in die Marianische Litleratur du F. Kolb, pour se faire une idée de la masse d’écrits produits au xixe siècle. Il faut bien le dire, la ijualilé est inférieure à la quantité. Certains ouvrages resteront : on relira ceux d’Auguste Nicolas, La Vierge Marie dans le plan divin, 4 vol., Paris, 1869 ; La yière de Dieu et la Mère dès Hommes, par le Père Terrien (souvent cité) ; La Vierge Marie d’après la Théologie, du P. Pbtita-LOT, Paris, 1866, 2 vol. ; Lodiel, Marie notre mère, Paris, 1906 ; certains articles ou mémoires du P. Bainvel ; la Vie de la Sainte Vierge, du P. de la Broise (coll. Les Saints). Récemment, ont paru quelques travaux comme ceux de MM. Neuburt, Amann, du P. Uelattue, quelques mémoires destinés à faire sérieusement progresser Ihistoire du culte deMarie ; mais, eu g-énéral, la littérature mariale est douloureusement au-dessous de son objet : outre qu’elle n’a guère avancé notre connaissance de la vie de la Sainte Vierge, la mièvrerie et le rêve y remplacent trop l’histoire et la doctrine (cf. Terrien, la Mère de Dieu, t. I, p. xviii). C’est la rauc ; on regrettable d’une heureuse réaction contre une certaine éclipse de la dévotion due aux tendances jansénistes ou protestantes : il fut un temps oiï Fénelon n’osait pas faire réciter l’Ave au début de ses missions en Poitou (Revue du clergé français, i" mai 191 1, p. 299) et Mgr Baunard nous raconte sur son enfance des faits analogues (Un siècle de l’Eglise de France, p. 228). La grande poussée moderne de dévotion à Marie a été sanctionnée ofliciellement par des concessions de fêtes. Quelques-unes déjà existantes ont été étendues à l’Eglise universella : telles la fête du Saint Rosaire eu 1583 (Hollweck, Fasti, p, 183, Nilles, Kalendarium, t. II, p. 267), celle de la Présentation (HoLLwiîCk-, I. c, p. 267), celle de N.-D. de la Merci en 1683 (ib., p. 221)1 celle du Très saint Nom de Marie (li., p. 214). La fête de l’Immaculée Conception est maintenant une des plus grandes ; tout récemment la Gommémoraison de l’apparition de Lourdes est devenue obligatoire dans l’univers entier. Nombre de solennités locales telles que la translation de la Santa Casa (Hollweck, p. 286), la fête de la Médaille miraculeuse (ib., p. 10), de N.-D. du Perpétuel Secours (ib. p. 365), de N.-D. délia Strada (ib., p. 353), rappellent des miracles ou des souvenirs de l’histoire diocésaine, monastique et nationale. Jusqu’à ces derniers temps, il y avait une tendance marquée à demander à Rome des concessions de fêtes locales. La récente législation du Bréviaire y a mis un certain tempérament, elle a aussi rendu dillicile l’extension de diocèse à

diocèse des fêles concédées. A noter en passant que certaines loçons du Bréviaire de ces fêles, leçons fort belles d’ailleurs, ne sont pas des auteurs auxquels on les attribue (cf. MoniN, Etudes, textes…

p. 487-/, 9’, ).

Assez nouveau, puisqu’il date du xvne siècle, est l’usage de couronner des statues célèl>res de Marie. Clkmknt VIII inaugura cette coutume en faveur de la statue de Sainte-Marie-Majeure (cf. Cath. Enc, t. VII, p. 670).

En dehors de ces manifestations plus strictement liturgiques, la dévotion à la Sainte Vierge continue à s’exprimer par des pratiques depuis longtemps existantes mais désormais fixées ; c’est ainsi que la dévotion au saint scapulaire du Garniel n’a fait que progresser, (cf. Beiiikgeu, Les indulgences, t. II, p. 195, /149)- Pîir’les modilications importantes, Pie X en a facilité l’usage (Acta Apostol. Sedis, igi i, t. iii, p. 22, 24)- D’autres formes de scapulaires se sont introduites, par exemple, celui de Notre-Dame des Sept Douleurs (Beringek, t. ii, p. 233), de l’Immaculée Conception (Beringer, t. 1, p. 40^). Cf. Cath. Encycl.fi. XIII, p. 512, une énumération.

La dévotion au Rosaire, déjà encouragée par saint PiB V, Clément VII, Innocent XI et Pie 1X(Bbhinger, I. c. t. II, p. 183), l’a été surtout par Léon XIII. Depuis 1883, le grand Pape, en présence des maux de l’Eglise, lui a consacré plusieurs encycliques (cf. Be-HiNGER, t. 1, p. 294). Au xvi’siècle s’est élablile chal )elet de sainte Brigitte (cf. Montli, t. C. p. 189 ; Beringer, t, I, p. 360), le rosaire perpétuel (.Siiinma aureu, t.V, 383 ; Beissel, t. ii, p. 34 ; Beringer, t. ii, p. 189) ; au xvii’siècle, le « Rosaire des Douleurs » ISumma aurea, t. V, 341 ; Beissel, t. II, p. 40. 1^ Il Rosaii-e annuel >i (Bourassé, Summa, t. V, 383). Au xixe siècle. Maris Jaricot a institué le « Rosaire vivant » (cf. Cath. Enc, t. VIII, p. 323, t. XIII, p. 189 ; Summa aurea, t. V, col. 391 ; Beringer, I. c, t. II, p. 191).

Du XVII’siècle date, sous l’impulsion du bienheureux J. Eudes, la dévotion au Saint Cœur de Marie, parallèle à la dévotion au Sacré-Cœur (cf. J, Eudes, Le Cœur admirable de la Très Sacrée Mère de Dieu, Paris 1834, 2 vol.). Elle est répandue tout naturellement par la famille religieuse du bienheureux et donnait récemment sujet à de très fines et pieuses analyses (cf. Etudes, 1912, t. CXXXI, p. 289, 462). Saisissable çà et là dès la fin du moyen âge, l’usage d’offrir à la Sainte Vierge les premières fleurs du printemps ne se fixe dans la pratique courante ^u’au cours ilu xvme siècle, mais depuis, sa généralisation a été des plus rapides ; de là sont sortis les exercices divers du i< mois de Marie ».

Les litanies, que nous avons déjà vues en usage au moyen âge, se fondent dans le formulaire seul approuvé, ai)pelé a Litanies de Lorette ». Le bienheureux Canisius les introduisit vers 1 558 en Allemagne (cf. RoiiAULT DE t’LEnnv, t. I, p. 330 ; Santi, I. c. ; Paulus, Die Einfiihrung der laureianischen Litanei in Deutschland.., dans Zeitschrifi fur kathiilische rhéologie, l. XXVI, p. 574 ; Anal. BolL, t. XXU, p. 220). L’invocation Au.rilium Christianorum est antérieure à la bataille de Lépante (cf. Paulus, I. c). LÉON XIII y a ajouté l’invocation Hegina sacratissinii / ?osa/ii’(24 sept. 1883 ; Beringer, t. I, p. 186), et Pie X celle de Mater Boni Consilii ; durant la guerre, BenoIt XV a permis l’addition Regina Pacis.

Enfin on peut voir dans Beringer la quantité de prières indulgenciées adressées à la Sainte Mère de Dieu (cf. t. ii, table, p. 480).

Les diverses formes d’ASSooiATioNs en l’honneiu’de la Sainte Vierge se’sont multipliées. Citons les diverses confréries du Rosaire (Constitution de

LÉON XIII, 2 oct. 1898), du Scapulaire (Cath. Enc, t. XIII, p. 512 ; Summa aurea, t. V, p. 519), l’archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires, dont le siège est à Paris dans la pieuse église de M. Desgenelles et qui prie pour la conversion des pécheurs (cf. Beringer. t. II, p. 229), l’archiconfrérie de Notre-Dame de Compassion établie elle aussi à Paris, à Saint-Sulpice, pour obtenir le retour de l’Angleterre à l’unité romaine.

L’association d’écoliers formée pur le jeune jésuite Léo, sous le nom de congrégation, n’a fait que croître depuis le xvie siècle. Des indulgences lui ont été accordées par Grégoire XIH (Bulle Omnipotentis Vei, 5 déc. 1584) et Benoit XIV (Bulle d’or, Gloriosæ Dominae, 27 sept. 1748 ; cf. Beringer, t. II, p. 212). Son influence pour le bien a été immense en Allemagne (cf. Janssen, Hist. du peuple allemand, l., it. 210), en France, en Espagne (cf. Del^laue, Jlist, des Congrégations de la Sainte Vierge, Bruges, 1884 ; Terrien, l. c, t. IV, p. 121) ; en Angleterre, celle du collège de Stonyliurst n’a pas été interrompue depuis 1609 (cf. Month., t. CXIX, p. 306). La Congrégation reste — pourvu qu’on sache en user — un précieux instrument d’apostolat pour le bien.

Elle a d’ailleurs, dès le xvii’siècle, débordé l’enceinte des collèges. On connaît les congrégations dites « des Messieurs, des Artisans, des Servantes » sans oublier les petites réunions secrèies appelées

« Aa 1. (cf. Etudes, 20 mai 1914. p- 528) et la congrégation

militaire établie à Notre-Dame des Victoires au début du xix’siècle (cf. Baunard, Un siècle de l’Eglise de France, p. 228). Un moment même, on le sait, la terrible société fit trembler la France voltalrienne et libérale. (Cf. Geofi’hov de Grandmaison, La Congrégation, Paris, 1888 ; sur toute cette question des associations, voir l’énumération donnée par la Cath. Encycl., t. XIII, p. 123.)

La période qui nous occupe s’est — comme les précédentes — portée vers les sanctuaires de la Mère de Dieu : quelques pèlerinages assez célèbres avant le xvi » siècle ou bien ont disparu sous les coups des protestants ou des révolutionnaires, ou bien n’ont !  ; ardé qu’une renommée restreinte et locale (par exemple : Notre-Dame La Grande à Poitiers, N.-D. du Pilier, ou N.-D. sous terre à Chartres (voir : Actes du congrès mariai de Lyon, Lyon, 1900, 2 vol.) ; mais d’autres plus récents se sont constitués. Citons celui lie la chapelle de la rue du Bac (apparitions successives à Catherine Labouré et institution de la Médaille miraculeuse, 1830-1836, cf. Aladel, La .hédaille miraculeuse), celui de La Salette (apparitions de 1846), de Pontmain (apparition de 1871), de N.-D. des Victoires. Lourdes les domine tous. (Bibliographie dans la revue Notre-Dame, l" année, 191 1, p. 3 de la couverture. Sur tout cela, voir RouviER, Les Grands Sanctuaires de la T. S. Vierge en France, Tours, 1899 ; Goodard, La Sainte Vierge au Liban, Paris, Bonne Presse, 1908 ; Anal. Boit., t. XXV, p. 137 ; t. XXIX, p. 457 ; Rev’ue de l’Orient chrétien, t. XV, p. 125 ; Revue Notre-Dame, publiée par La Bonne Presse : Cath. Enc, t. XVI, table, p. 575, 593, 705 ; ainsi que les travaux cités plus haut, col. 3 12).

Dans ces grands pèlerinages, on s’est empressé d’élever des basiliques dont quelques-unes, Fourvières par exemple, sont des merveilles d’art et de décoration. Il y aurait ici à déterminer la place qu’a tenue Marie dans la peinture et la sculpture moderne. Pour bien des raisons je me borne à renvoyer aux divers ouvrages d’art, à faire remarquer d’abord le naturalisme de quelques écoles (cf. Janssen, l’Allemagne et la réforme, t. VI, p. 11), puis le symbolisme souvent abstrus de certaines gravures du 319

MARIOLATRIE

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XVII’et du xvin’siècle, ainsi que la médiocrité artistique et théologique de toute une imagerie contemporaine, médiocrité combattue heureusement (cf.BEissEL, t. II, p. 1 17-217 ; 2111-275 : 391 ; Lecoy ue laMarciib, La peinture religieuse, Paris 1892).

Ainsi les formes de la dévotion mariale, déjà mentionnées au Moyen-Age se sont enrichies et développées ; leur nombre s’est accru. Il importe ici. comme nous l’avons fait ailleurs, de rappeler le rôle des ordres réguliers. Les anciennes familles religieuses ont travaillé les Ulons de théologie ou de dévotion déjà exploités par leurs ancêtres ; à côté d’elles, la Compagnie de Jésus s’est faite une place : par ses docteurs elle a défendu l’Immaculée Conception ; par ses régents, ses prédicateurs elle a entretenu, développé dans les Congrégations de la Sainte Vierge la piété la plus solide, la pureté parfois la plus austère. Ses saints, les jeunes notamment, ont été de grands dévots à Marie (cf. Urive, Marie et la Compagnie de Jésus, Tournay, 1904 ; Sommkbvogel, Bihliulheca Mariana Socieialis Jesu. Paris, 1885 ; Martindalk, Chrisl’s Cadets. ot aussi deScoraille, Suarez, t. ii, p 209).

Signalons qu’un nombre considérable d’ordres religieux ont été fondés sous le vocable de la Sainte Vierge parmi eux : les Oblats de Marie Immaculée {Cath. Enc, t. XI, p. 184 ; Ortolan, Les Oblats de Marie Immaculée, Paris, 191 4), les Augustins de l’Assomption (Cath. Eue., t. 11, p. io4), la Visitation, l’Ordre de Notre-Dame des Sept Douleurs, les nombreuses congrégations de la Présentation (Cath. Enc, t. XII, p. 397 et suiv.), et l’œuvre admirable du P. Perret, les Petites sœurs de l’Assomption », servantes despauvres (fd^/i.^’Hc., t. II, p. 5 ; voir une liste dans le Kirchenlexicon, t. VIU, col. 727).

La première pirtie de notre étude est terminée : nous avons constaté, deviné les premiers linéaments du culte et de la dévotion sur les parois des catacombes ou sous le maquillage des apocryphes, puis les traits se sont accentués, la faible esquisse est devenue un grand tableau. Tel est le fait : il reste à l’expliquer et à le légitimer.

II. — Conclusions apologétiques

I. Le culte de Marie n’est pas sorti du Paganisme. — Quand, nous dit-on, les païens entraient en masse dans l’Eglise, ils y apportèrent leur mentalité païenne. C’était le prix, la rançon de leur soumission au Christ. Mais cette mentalité païenne restait attachée aux divinités féminines, imprégnée jusqu’au fond par ces cultes troublants, chargés de mysticisme, prête par conséquent à dériver de leur côté par toute pente qui s’ofïrirait. Or, cette pente, ils la trouvèrent en regardant Marie. Mal servies par l’austère monothéisme de l’Eglise ollicielle, ces aspirations se satislirent en exagérant sans cesse l’honneur, le culte, la prière à la femme mère de Jésus. Marie devint le succédané des déesses mères et, sans qu’on osât se l’avouer, une déesse elle-même. On en vint à l’honorer plus que la mystérieuse, philosophique, incompréhensible Trinité.

On lira cela — avec des nuances selon les auteurs

— dans le Dictionarr oftlie fliiZ » ; de Hastings (t. III, col. 289), dans le Dictionary of Christian BiograpUy de Smitu (t. H, p. 207), dans la Cyclopedia de New-York (t. V, p. 571), dans la Realencyktopiidie fiir proteslantische Théologie und Kirche (t. XII, p. 315), dans V Encyclopédie des Sciences religieuses de Lichtenbergbr (t. I, p. 83), dans le prétentieux livre d’Albert Marionan, La foi chrétienne au IV<’siècle. dans la plaquette plus lourde de perfidie que de science de S. Rbinach (Orj>heus, p. 4 18), dans une

foule de brochures de bas étage, et enûn, je le crains, dans l’enseignement de certaines écoles.

Quelles furent les déesses dont le culte subsista sous celui de Marie ? On vous cite Astarté (Roscn en voit la preuve dans la couleur noirâtre de certaines statues. Astarlé-Maria, dans Theologische Studien und kritiken, Gotha, 1888, p. 265), Artémis (la joie des fidèles après leconcile d’Ephèse le montre assez), la déesse Istar, la Tanit Egyptienne, Isis portant Horus dans ses bras. A un degré moindre, et compatible avec le dogme, certains catholiques n’ont pas su échappera la fascination un instant à la mode. Et pourtant on coainience à s’en lasser ; le fantôme s’évanouit à être regardé bien en face : pour quelques ressemblances portant ou bien sur ces gestes qui sont de tout temps parce que fondés sur l’humaine nature partout identique dans ses grandes lignes, ou bien sur des points de détails, que de dilTérences irréductibles ! et pour faire jaillir ces ressemblances mêmes, qu’il est parfois besoin de complications, d’hypothèses, de subtilités ! (Cf. Bbrgeh, dans Mélusine, t. VI, 1892, p. 126 ; Dbleuaye, Les légendes hagiographiques, p. 238 ; Analecta lloll. t. XXIV, p. 487, 488 ; Cliristus, p. 35, 36 ; Bbissel, t. I, p. 346.) Ensuite on ne fait pas assez clairement la distinction que voici : il se peut que, dans certains cas, le culte de Marie ait succédé à un culte local féminin (nous l’avons constaté à Soissons pour celui d’isis ; cf. sup., col. 306 et aussi Rohault de Fi.euhy, t. I, p. 12) ; mais d’une succession dans le temi>s et le lieu, on a tort, nous le verrons, de conclure à une succession d’origine. Il y a substitution, remplacement, élimination, non évolution. C’est ainsi que s’expliquerait fort bien la coïncidence entre la fête du Transitas Mariæ et les anciennes fêtes champêtres du mois d’août (cf. Anal. BolL, t. XXXI, p. io5, 106).

Enfin ces théories laissent incompréhensibles les faits suivants. Si le culte, si la dévotion envers la Sainte Vierge sont des produits païens, pourquoi cette dévotion et ce culte sont-ils si faibles, au moment précis où l’élément païen entrait en masses serrées dans l’Eglise, au m’, au iv’siècle ? A ce snomenl là même, la paganisation de l’Eglise eût dû se faire d’assaut : les pratiques mariâtes, le rituel devraient être chargés à l’excès. Or il n’en est rien. Marie, honorée sans doute, est encore et surtout vue par la spéculation et la théologie. Pourquoi, au contraire, la dévotion et le culte de Marie sont-ils le privilège exclusif, détesté ou béni, mais incontestable, des générations pures de toute tare païenne, des époques jalousement chrétiennes et catholiques ? Autre fait". Si le culte de Marie avait des origines païennes, il eût fatalement évolué vers les pratiques mystérieuses, ésotériques et finalement obscènes, et cela, non par les tendances morbides ou sensuelles de tel ou tel adepte, mais par sa nature même. Il porterait, à quelque degré, l’indélébile et infâme stigmate de tout paganisme. Je crois la chose évidente par la comparaison a" » ec les cultes féminins du paganisme (cf. DuFOURCQ, 1. c, p. xviii, et surtout abbé db Bbogue, Problèmes et conclusions de l’Histoire des Helig’ons, p 260, 292 ; sur le culte d’Astarté, Dufourccj, 1. c. p. 78 ; de Cybèle, ib., p. 130 ; d’Istar, Chrislus, p. 607 ; d’Arlémis d’Ephèse et d’Aphrodite, voir Daremberg et Saglio, Dict. des Antiquités, t. I, p. 807, 4’1 1, t. ii, p. 1 30, 1 4 1. 1 49)- Or s’il est un fait attesté, c’est que la théologie mariale n’a cessé de dégager la Vierge de toute attache charnelle, de tout contact avec les sens, avec la concupiscence, c’est que la dévotion à la Sainte Vierge est synonyme de chasteté ou préservée ou austèrement gardée ou retrouvée et chez les plus faibles ardemment désirée et demandée. Etre dévot à Marie, c’est être, vouloir être pur 321

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de corps, de paroles, de pensées, pour Marie et par Marie.

Nous voici loin d’Astarté (cf. Cyclopedia de New-York, t. V, p. 75 1, quelques lignes où l’auteur saisit la contradiction entre sa théorie et les faits ; D. Ca-BROL, àansXa. Rey. prai. d’ApoL, 15 nov. 1906 ; Pinard. Les infiltrations païennes dans le culte juif et chrétien, Bruxelles, 1909 ; Bbissel, t. 1, p. 52, 69, 153, 168 ;.Vontli, t. CXII, p. Saô ; et aussi une note importante du P. Jacquin dans la BeiHie des Sciences philos, et Ihéol., t. I, p. 090-594).

II. Le culte de Marie n’est pas le résultat d’une aveugle poussée mystique. — L’Ecriture, dira-t-on, ignore Marie, ou plutôt, mieux eût été pour la Vierge que l’Ecriture l’ignorât. Elle en parle, mais en quelle situation elle la met ! Fidèles à l’Ecriture, les premiers Pères ne voient en Marie qu’une femme que toute autre eût pu remplacer, une femme sujette aux lois de son sexe, inintelligente de son Fils, réprimandée plus d’une fois pai- lui. Ni les premiers Pères, ni les premiers fidèles ne songent beaucoup à l’honorer, moins encore à l’invoquer. Voilà, prétend-on, ce que disent les textes.

Mais cette iMarie de l’histoire fera pauvre (igure de Mère de Dieu, et donc ne peut sullire au peuple chrétien, aux moines, aux mystiques, aux dévotes qui supposent et se persuadent qu’une Mère de Dieu n’est pas, ne saurait être une femme ordinaire.

Qu’est-il arrivé ? Moines, dévotes, mystiques ont sans cesse grandi la Vierge. Emportés par ce flot, les docteurs, les chefs, après de vains efforts pour reprendre pied, ont dû s’aljandonner et céder au courant : ils ont retraité, cherché des formules à tout faire ; puis ils ont fini par se prendre à la piperie de leurs formules, ils sont devenus peuple, tant et si bien qu’après quelques siècles, les traces du combat se sont faites rares, la prescription a été passée, et la Vierge idéalisée des bonnes femmes et des théologiens leurs complices, la Madone toute-puissante qui écoule et exauce ses dévots, avait remplacé le personnage insignifiant de l’Evangile.

Partie des Réformateurs du xvi’siècle, adoptée en partie par les Jansénistes, cette opinion est devenue un lieu commun chez les protestants (cf. Lucius, Les origines du culte des saints, trad, Jeanmaire, surtout livre IV, p. 669), Tout récemment, Guillaume Hbrzog la reprenait avec fracas (_La Sainte Vierge et l’histoire, Paris 1908).

Moins grossière que la précédente, contenant quelques parts infimes de vérité, cette théorie pèche en deux points essentiels : tout d’abord, elle exagère jusqu’à la caricature la distance qui sépare la Vierge de l’Histoire et la Vierge de la théologie, la Vierge des savants et celle des simples. Qu’on se reporte à l’article Marie, qu’on se rappelle ce que nous avons décrit des étapes du culte, et l’on verra si l’écart est grand entre notre foi, notre dévotion et la foi et la dévotion de nos ancêtres chrétiens des premiers siècles, et si Newman avait tort quand il écrivait : … « The line cannot belogically drawn between Ihe teaching of the Fathers concerning the Blessed Virgin and our own. This view of thè matter seems to me true and important, Ido not think the line can be satisfactorily drawn… » Difficulties, p. 78.

En second lieu, la théorie méconnaît absolument les rapports entre le peuple et la hiérarchie, entre VEcclesia discens et VEcclesia docens. Tout ceci apparaîtra mieux au paragraphe suivant.

III. Le culte de Marie est l’épanouissement de la croyance chrétienne. — A étudier l’Iiisloire de ce développement cultuel, à considérer les progrès de cette dévotion, on peut voir que cuUe et dévotion sont la reconnaissance pratique d’un fait concret,

Tome III.

historique, et, quoi qu’on en ait dit, scripluraire ; c’est que Marie est la Mère, la vraie mère, et donc non seulement par le corps, mais aussi par le cœur, du Christ, Fils de Dieu, Sauveur du monde, et donc qu’elle n’est pas une femme ordinaire. Chez elle, cette qualité complexe de Mère de Dieu, suppose préparation spéciale, accommodation à sa fonction, postule des privilèges de choix, des droits singuliers. Ces privilèges, ces droits, ces qualités, on les pressent à fleur de texte dans l’Ecriture, et une fois admis ils donnent aux textes de l’Evangile leur sens plénier. Telle est la vraie source de la dévotion à Marie, la vraie et solide base de la théologie luariale, qu’on n’a pas consti-uile après coup (cf. Cath. Enc., t. XV, p. 4Ô9, 460), mais qui est un fait tout à la fois d’expérience et d’instinct, d’amour et de raison.

L’histoire de cette dogmatique, c’est l’histoire même du sens de l’Eglise, l’exercice de sa « divination », de son « instinct » ; de ses coups de sonde, de ses recherches, de ses hypothèses, parfois, si l’on veut, de ses audaces ; mais c’est aussi l’histoire du contrôle, de la surveillance de l’Eglise enseignante, qui saule a mission de Dieu pour dire le dernier mol, pour apaiser l’agitation, vérifier les hypothèses, modérer les audaces, et, s’il y a lieu, pour reconnaître, sans pouvoir s’y méprendre, dans le « sens » des fidèles, dans la voix du peuple, la voix divine de l’Kpoux.

Accordons qu’en tout cela le rôle des fidèles est grand, et même convenons qu’il doit l’être. Mais ce rôle est dirigé par le magistère. A lui, à lui seul il appartient de prononcer ; au peuple de s’incliner, au peuple de suivre.

Mais au peuple de se réjouir aussi, et voici le culte. Pourquoi en effet voudrait-on l’empêcher de faire fêle à sa manière à ces dogmes acquis, de leur souhaiter de tout cœur la bienvenue ? De quel droit lui interdire de célébrer, avec des formules nouvelles, des vérités désormais plus clairement possédées ? Pourquoi l’arrêter quand il donne à Marie un témoignage de sa joie ? Allons plus loin : l’Eglise reste logique, lorsque d’abord elle tolère à bon escient, et à mesure qu’une idée théologique progresse, lorsqu’elle encourage la célébration d’un privilège sur lequel le dernier mot n’est pas dit. Dans ce cas (ce fut celui de l’Immaculée Conception, c’est aujourd’hui celui de l’Assomption), la dévotion, le culte sont d’une certaine manière en avance sur la croyance, c’est vrai ; mais ne voit-on pas qu’il y a là excitation à plus de recherches, occasion de poser des problèmes, d’examiner, de contrôler des traditions ; de placer cette opinion désormais plus explicite dans le jour des dogmes déjà définis ou des croyances qui en découlent, de l’en éclairer, de l’en nuancer ? Ne voit-on pas que, les contrastes s’aecusant, les objections se présentant, il faudra travailler à réduire ces contrastes, à résoudre ces objections ? N’est-ce pas là enfin le magnifique spectacle de l’amour marchant vers la lumière et guidant lui-même la recherche ?


Pourvu enfin — et dans un ordre moins relevé, moins délicat aussi — que les faits paraissent assez prouvés, pourvu que des documents de valeur humaine sérieuse semblent les appuyer, l’Eglise — sans engager une infaillibilité qu’elle n’a reçue que pour conserver et développer le dépôt fermé à la mort des Apôtres — l’Eglise tolère, encourage même la commémoraison liturgique ou la publication de miracles, apparitions, etc. ; parce que ces miracles, ces apparitions vont, en fin de compte, à honorer la grandeur, la sainteté, la bonté de la Vierge, et par là rejoignent le dogme ; par delà la contingence des faits allégués, ils remontent jusqu’à la personne de

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Marie, en qui le Tout-Puissant a opéré de grandes clioses.

Ainsi inséparables en fait, dans une certaine mesure, — tliéorie et pratique, lumière et amour, dogme et culte mariai sortent en ligne légitime de l’Ecriture et de la Tradition (cf. Nuubert.I.c., p. -255 ; Monsabrk, Le Paradis de l’Incarnation : conférences de 1877, Cffc’Hi’res, t. VI, p. 289 ; Bainvel, Le dogme et la pensée catholique au -Yl-i' siècle, Etudes, 5 janv. 1900, p. 31 ; Mgr Pie, Œut’res, t. Vil, p. 1 13 et suiv. ; BelLAMY, La Théologie catholique au XIX' siècle, igoi^, p. 267 ; DE BnoGLiE, Conférences sur la vie surnaturelle, Carême, 1880, x » conf. ; Largent, La Mère des Hommes, p. 55 ; Terrien, Lc, t. IV, p. 167, 188).

IV. Les abus du culte de Marie. — i" Question préalable : Tous ces abus sont-ils prouvés ? Examinons quelques griefs de <c Mariolâtrie ».

A. Les catholiques adorent Marie. — Passe aux premiers réformateurs cités par Peta.v (De Incarnatione, XllI, viii), et Bourassk (Summa, t. V, 166) ou Canisius (.SHm/Hfl, VIII, 1071), d’avoir, à la suite de Nestorius (Loofs, Nestoriana, p. 887, 353), lancé pareille énorraité, qui d’ailleurs s’appuie sur un contresens (cf. Terrien, t. IV, p. 171). Mais on est douloureusement surpris de trouver cette fable chez PusBY, chez Hoi>GE (Systematic Theology, vol. 111, p. 284), chez Lea (Auricutar confession, t, I, p. 106,

107), chezGLADSTONE, HALLAM(cf. UoHAULT DE FlEUR Y,

t. I, p. xiii et XIV, note). On regrette de voir interpréter en ce sens grossier une lettre du Pape Martin I (P. L., t. LXXXVIl, 200) ; on déplore l’attitude et les puérils calculs de Littledale (Plaiii reasons… p. 51 ; voj’ez les durs articles du P. Clarke, Month, t. XLI. 1881, p. 219, 1882), non moins queles divagations auxquelles il se laisse aller (ib. p. 78). Heureusement que y Encyclopédie des sciences religieuses met la note gaie dans tout ce fatras, lorsque M. MoNOD y écrit que « Marie est l’objet d’une dévotion spécialeappeléeradorationperpéluelle » (éd. 1877, t. 1, p. 82).

Le plus élémentaire de nos catéchismes suffira à répondre. J’y renvoie nos docteurs. C’est ce que répondait Butler au xviip siècle (cf. Migne, Démonstrations cvangéliques, t. XII, col. 20). Je sais qu’on fait grand état de la démarche de saint Epipuane contre les Colhridiennes. On connaît l’incident : des femmes arabes rendaient à Marie un culte excessif, et lui présentaient, comme à une déesse, l’olfiande de gâteaux. Saint Epipuane les en blâma. Donc, concluent la Kealencyklopiidie (l. XII, p. 313), le nictionnry of the Bible de Hastings (t. 111, p. 289), le saint a condamné par avance les pratiques du culte de Marie, et — bien en vain d’ailleurs — a essayé d’arrêter l’idolâtrie.

Mais qu’a donc dit saint Epiphane que l’Eglise n’ait répété? Il a parlé tout simplement comme un bon catholique, et voir dans ses paroles la condamnation de la dévotion à la Sainte Vierge, c’est supposer ce qui est en question, à savoir que les catholiques actuelSj comme les Colhridiennes rie jadis, aient tentation d’adorer Marie (cf. P. G., XLII, 786, 7/(0 ; Tillejiont, Mémoires, éd. Paris 170 : 2, t. XU p. 83, 8^).

B. Les catholiques soutiennent que la prière à Marie est nécessaire au salut. — Dès lors, le Christ, l’unique et divin Médiateur proclamé par la Bible, ne sufllt plus aux catholiques. Et pêle-mêle on cite saint Laurent Justinikn, Vega, Skgneri, saint LiGUORi (qui a pourtant fondé l’ordre du Très Saint Rédempteur), et l’on confond ce qu’il importait de distinguer : l’intercession de Marie pour nous ; — l’invocation et la prière que nous pouvons adresser à Marie.

C’est une doctrine qui prend corps dans l’Eglise et qui est fondée en tradition, que les grâces méritées par le Christ médiateur et seul rédempteur, nous sont distribuées par l’intermédiaire de la Sainte Vierge (Voir art. Marie, 111, 6°), et voilà en quel sens

« toute grâce nous vient par Marie », et en quel sens

aussi la Sainte Mère de Dieu joue auprès de son Fils son rôle d’intercesseur nécessaire en fait et par la volonté de ce Fils qui, après avoir associé sa Mère à sa vie et à sa Passion, l’associe encore comme trésoriêre à sa glorieuse générosité.

Mais la Sainte Vierge peut fort bien être l’intermédiaire de la grâce, prier pour nous, sans que pour autant il faille logiquement conclure que nous sommes tenus de la prier sous peine de damnation. L’intercession de Marie auprès de Dieu est une chose, l’invocation du lidèle à la Vierge en est une autre.

Cette distinction nous permet de réfuter l’accusation : jamais dans l’Eglise on n’a enseigné que l’invocation à Marie fut nécessaire au salut. Mais d’autre part, on doit reconnaître que la dévotion, la prière à la Vierge, toujours associée à l'œuvre rédemptrice d’une façon secondaire mais réelle, est un sérieux motif d’espérance, et donc que cette invocation, cette dévotion est utile, qu’elle l’est même plus que la prière aux Saints. C’est la doctrine même du Concile de Trente, Denzingkr n" 984, 986 (860, 862) rappelée par Pie VI dans la bulle Auctorem Fidei (ib., n" 1531 (1894) ; Terrien, t. IV, p. 280, 288, 297.)

C. La Vierge retire ses dévots de l’enfer. — Encore une accusation bien vague : veut-on dire que Dieu peut — en vue de Marie et â sa prière — accorder à un pécheur la grâce in extremis d’un repentir sauveur, et par là arracher cette âme à l’enfer déjà prêt à l’engloutir ? Alors, oui, dans ce sens, l’on peut soutenir que Marie a arraché au démon sa victime, et ainsi comprise, la doctrine est admise de tous : elle est même parfois l’unique planche où se réfugie la suprême espérance pour le salut d'âmes très chères. Mais Ilerzog et ses pareils ont tout autre chose en tête quand ils disent : « Chaque année… le jour de l’Assomption, elle (la Sainte Vierge) délivrait de l’enfer un certain nombre d'âmes » (/. c, p. 81) : on entend bien qu'à ces âmes a été accordée une véritable amnistie, un véritable pardon, la délivrance de supplices auxquels elles avaient été préalablement condamnées et qu’elles avaient déjà commencé de subir. Mais nulle école catholique n’a soutenu impunément pareille énormité ; nul n’a prétendu que la prière de Marie put soulager ces maudits ; elle ne s'étend pas jusqu'à eux (Summa aurea, t. IV, p. 126, 149). Je sais pourtant que des histoires ont couru dont on a pu tirer cette conclusion.

Mais d’abord c’est souvent Jésus lui-même et non Marie qui aurait gracié ces âmes ; on attribue lès mêmes miracles à sainte Agnès, à sainte Thècle, à saint Grégoire ; d’absurdes légendes ont circulé en Irlande ; à ces contes, on peut trouver quelque parenté avec certains passages d’Origcne, de Prudence, etc. (Cf. BoUHASsÉ, Summa aurea, t. IV, p. 78, 86 ; GoUQAUD : Les I.oricæ celtiques, dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétienne, avril 1912, p. io4, et dans le sens qu’on peut en attendre ; Lba, Auricular confession, t. 111, p. 829). Des théologiens ont cru devoir s’en occuper. Tout d’abord ils ont discuté leur valeur et pesé les témoignages qui prétendaient les autoriser. Ils ont constaté ou bien que ces témoignages étaient dénués de sérieux, qu’ils n'étaient pas authentiques, ou bien que les textes allégués ne présentaient qu’une mise en scène, bizarre parfois mais théologiquement irréprochable, puisqu’il n’y est nullement question d’une 325

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délivrance réelle de l’enfer. Je cite à titre d’exemple les récits de jugements retracés par sainte Bhigiïtb {Révélations, lib. VI, cap. xxxix, et surtout, lib. VII, cap. xiii). Us ont ensuite admis la possibilité théorique d’une suspension de jugement : l'àme séparée de son corps n’a subi aucune sentence, aucnne condamnation, et à la prière de Marie, elle ranime quelque temps le corps, alin que soit donné au ressuscité le temps de la pénitence. L’explication satisfait à la fois la justice de Dieu et sa miséricorde ; elle concilie sa haine du péché et son amour pour le pécheur.

D’autres hypothèses moins heureuses ont été rejetées : elles supposaient une condamnation déjà prononcée mais provisoire.

De tout cela, que reste-t-il ? La possibilité théorique pour des causes supérieures, dont la Sagesse de Dieu reste juge, d’une suspension de jugement. Or pareille doctrine peut être enseignée en l’Ecole, ou prêchée pour montrer l’exlrème charité de Marie, l’extrême bonté de Dieu, quia pu aller jusqu'à accorder ces répits suprêmes ; mais ses partisans même ont toujours soin d’ajouter : « Ne comptez pas qu’il en soit ainsi pour vous. » Le P. Cras9Bt(/. cp. mi et suiv.), qui a cru devoir insister sur tout cela, écrit : C’est une vérité de foi que, pour être sauvé, il ne sullit pas de servir la Sainte Vierge… : Il faut encore faire pénitence… Je dis même à ces faux dévots… : Si vous ne gardez pas les commandements… vous serez infailliblement damné… Elle (la Sainte Vierge) se moquera d’eux au jour du jugement. Les dévots présomptueux ne peuvent i)rétendre à ces grâces (ci-dessus) parce qu’ils ne sont pas véritables serviteurs de la Vierge. » (Voir aussi p. 117. De fait, quel chrétien, pour lâche qu’on le suppose, mettra ces interventions d’outre-tombe parmi ses motifs d’espérance ? (Cf. BounASSB, Summa, l. c, t. V, col. 1^5 ; Beissel, 1. 1, p. 36^ ; Terrien, /. c, t. IV, p. 353, note).

2" Disposition pour juger de bonne foi la- dévotion catholique à la Sainte Vierge. — On devrait :

A. — Tenir compte du tempérament, de la nationalité, du style, du genre littéraire des écrivains.

Peut-on exiger qu’un Italien du xviii' siècle, écrivant en italien, pour des Italiens, s’exprime comme un Anglais, écrivant au xx" siècle pour des Anglais ? Il emploiera, surtout s’il est quelque peu orateur ou poète, des comparaisons, des métaphores qui pourront choquer notre goût, qu’il nous est loisible de trouver fâcheuses, mais que nous n’avons pas le droit de condamner comme des blasphèmes.

Qu’on note d’ailleurs que ces écrivains sont préoccupés de ne jamais blesser le dogme et qu’ils prennent soin eux-mêmes de préciser leur pensée (voir par exemple comment Cajetan explique lui-même sa formule : Marie aux conlins de la divinité ; cf. Terrien, t. I, p. iCi ; Largent, /. c, p. 83 ; certains exemples apportés par Trombelli, Z)e cultu publico…, Summa auiea, t. IV, p. I12).

B. — Remarquer que ces auteurs catholiques écrivent pour des catholiques, et donc sont sûrs d'être entendus à demi-mot. Entre gens de la même maison, de la même famille, on n'éprouve pas le besoin de veiller sur chaque parole ou de préciser la portée de chaque terme. Tous parlent la même langue, et la comprennent avec le même cœur. Quand donc nos auteurs catholiques appellent la Sainte Vierge « Espoir du monde », quand nos lidèles, dans le Salve Segino, crient vers elle, soupirent vers elle, l’appellent avocate, mère de miséricorde, leur espérance ; quand dans VAlma, ils la prient d’avoir pitié des pécheurs, nul ne s’y trompe. Ils savent leur catéchisme. Le plus petit de nos enfants, la plus humble de nos bonnes femmes se révolteraient à la

seule idée de mettre sur le même pied le culte divin de la Sainte Eucharistie, « où est le bon Dieu », avec celui de la ci Bonne Vierge u (Nkwman, /. c, p. 96). Faute de connaître cette psychologie, pourtant élémentaire chez nous, on arrive, comme les premiers prolestants, à errer misérablement (Summa aurea, t. IX, col. 155 ; voir Cuemnitz : Exaininis concilii Trideniini opus integrum, Francfort, 1586, III » pars, p. 134). L’indignation de Littlkuale contre les « blasphèmes)j de saint Liguori, les passages de la Healencyclopudie (t. XU, p. 326) sont parfois douloureusement comiques. Littledale en vient à souhaiter que nos pauvres enfants s’examinent, avant la confession, sur le culte exagéré qu’ils ont pu rendre aux images 1 Quand pareil scrupule sera la seule matière des aveux, nous pourrons utilement, nous autres prêtres, chercher occupation plus utile que des séances de confessionnal.

C. — Ensuite, et cette remarque de Newman est profonde, nos critiques oublient que, dans l’expression de l’amour, il est un certain langage que la raison seule et sèche n’entend pas, mais qui cesse de paraître extravagant, mais qui devient logique et sublime, si on lereplace dans son cadre d’amour, langage d’amour qui ne sera intelligible qu'à ceux qui aiment. Quand donc Herzog raille le « bon moine Bernon qui s’intitulait le vil esclave de la Mère de Dieu », ou le a frère de Pierre Damien qui s’enchaînait au service de Marie » (/. c, p. 81), il se croit évidemment très fort au-dessus de ces « bons moines », mais il montre aussi combien courte, combien vulgaire est sa psychologie (cf. Newman, 1. c. p. 80).

D. — Enfin, et pour juger nos dévotions catholiques, les dévotions de l’Eglise, c’est dans les livres, dans les ouvrages approuvés par l’Eglise, je dis plus, devenus presque banalement classiques dans l’Eglise, qu’il faut se documenter, et non dans je ne sais quelle littérature dévote et souvent niaise, fûtelle parfois — surtout à certaines époques — revêtue d’un imprimatur isolé. Par conséquent, est-il sérieux, comme le font, malheureusement, le Dictionary 0/ the Bible de IIastings, la Healencylupàdie

et tant d’autres, de collectionner des racontars

ou de très authentiques faits de superstition — et de voir, dans ces folies, la doctrine ou la pratique de l’Eglise ?

Qu’on veuille bien consulter l’admirable Livre du chrétien ou le Garden of the Soûl, la Key of lîeaven et l’on y cherchera vainement les erreurs ou les pratiques incriminées.

Est-il raisonnable encore de condamner en bloc certaines manifestations de piété où s’agitent des milliers de personnes, parce qu’un geste incorrect ou inesthétique a été esquissé par l’un des assistants, et réprimé souvent ? Ne devrait-on pas plutôt admirer l’ordre, le calme, la dignité de l’immense majorité de nos pèlerinages, des « foules de Lourdes » en particulier ?

Sur tout cela, voir les réflexions si sages et si modérées de Canisius (Summa aurea, t. IX, col. 334 ; aussi Newman, l. c, p. loi).

3° Constatation d’abus.

Ces remarques faites, constatons les abus : il en a existé (rappelez-vous les Collyridiennes), il en existe sans doute, et il en existera, nous n’avons pas besoin des hautaines déclamations des protestants ou des incrédules pour nous l’apprendre. Des saints et des meilleurs, des théologiens et des plus marquants les ont stigmatisés dès qu’ils les ont constatés, et même dès qu’ils les ont redoutés. Le très pieux Canisius l’accordait (Ve Maria Deipara, dans BouRAssÉ, l. c, t. VIII, 518), Petau n’en faisait pas mystère (Dogmata, éd. Vives, t. VII, p. 85),

nonplusque Th. Raynaud, cité par Terrien, t. IV, p. 227.

Contre ces abus, un admirable sermon de BouhDALOŒ nous a mis en gaide (œuvres, éd. Aivès, t. Ul, p. 534). l^a"s sa polémique contre Pusey, Newman en signale sévèrement — injustement presque — queqnes-ms (Certain dificulties, -p. 108). Le P. Terbien ne parle pas autrement (Introduction, p. x, xviii) ; j’ai relevé pour ma part dans les sermons du Moyen-Ag-e d’intolérables anecdotes. C’est entendu ; mais

A. — Ces abus ne doivent pas surprendre :

a) Etant donné le caractère des dogmes et du culte mariai. Les dogmes inûniment riches, mais tout mystérieux, tout intellectuels, comme celui de la Très Sainte Trinité, pourront être déformés par la spéculation intellectuelle des savants, rabaissés, humanisés, dépouillés de leur mystère ; ils seront victimes du raisennement ; mais le sentiment les respectera : ils en sont ordinairement trop loin. Tout au contraire, le dogme de la maternité divine de Marie, la croyance à sa maternité de grâce, à sa puissance, à sa sainteté, à sa bonté sont aussitôt saisis par tout l’homme : l’intelligence en conçoit les termes sans effort, la réflexion s’en empare vite ; le cœur et la sensibilité s’y reposent aussitôt. Quoi d'étonnant dès lors, que dans l’une ou l’autre de leurs conséquences éloignées ils échappent assez facilement au contrôle rationnel, soient la proie d’une sensibilité malade ou d’une imagination sans frein et abandonnés à leurs caprices ? C’est alors que devra intervenir l’autorité dirigeante de l’Eglise.

h) Etant donné le caractère en partie humain de l’Eglise. Il n’y a pas, grâce à Dieu, dans l’Eglise, ffue l'élément savant, intellectuel : les petits, et c’est là sa gloire, y seront toujours la masse, avec leur foi, leur simplicité, mais aussi leur tendance instinctive à matérialiser, à dramatiser, à enjoliver, à déformer (cf. les réflexions des Analecta Bollandiana, t. XVll, p. 2a5, à propos du livre de Zockleh, Askese und Mbnclitum) ; dès lors, il faudra s’attendre à trouver à côté de la prière liturgique approuvée, flxée, codiflée, mesurée, toujours correcte et digne, la manifestation collective, tiuuullueuse souvent, presque désordonnée parfois, faite de l’addition de sentiments vifs déjà chez l’individu, et qui se compliquent, s’excitent par les contacts ; il faudra s’attendre à trouver, en substructure de l’enseignement ofliciel, des couches profondes, mal explorées, de croyances. Or de ces liions d’origine plus ou moins humaine, les uns seront merveilleusement féconds en pur métal, d’autres utilisables, d’autres enlin tout engagés dans une gangue superstitieuse. S’en scandaliser, c’est vouloir fermer l’Eglise aux petits, aux humbles, qu’avant tous les autres y a convoqués le Maître.

B. — Ces abus sont combattus :

a) En théorie, par la précision des limites du culte mariai : il est plaisant de dire que Luther a ramené Marie à son rôle de simple créature (Healencyclopàdie, t. XII, p. 32")). Il y avait, au xvie siècle, bien longtemps que l’Eglise et les docteurs, les prédicateurs et les lidèles avaient distingué la Sainte Vierge de Dieu : je me borne à signaler cette comparaison entre Marie et la lune qui remplit les sermons au Moyen-Age : comme la lune reçoit toute sa clarté du soleil, ainsi Marie reçoit de Jésus, son Fils et son Dieu, toute sa grandeur (cf. Bourassé, Sunima aarea, table, au mot l.itna, t. XIII, col. ou aussi le passage de saint Bonaventuhe, /n III Seul., 3, art. 3, q. 8). Et dans nos temps plus modernes, les docteurs les plus « mariolâtres » insistent sur ce qu’a d’emprunté

la gloire de Marie, à mesure même qu’ils l’exaltent (voir Thomassin, Dogmata, éd. Vives, t. lll, p. 345, 'i ! (), 688). C’est ainsi que Suarez note sévèrement ceux qui croyaient la Sainte Vierge exempte de tout dâhitum du péché originel (cf. de Scorajlle, I. c, t. II, p. 240 i c’est ainsi que s’expriment tous nos auteurs classiques, et nos catéchismes diocésains.

Traités savants et livres élémentaires font très nette la différence entre le culte souverain dii à Dieu (latrie), le culte dû aux saints (rfi/Zie), et ce culte qui ne participe en rien de la lâti’ie, qui n’est qu’une dulie éminente, l’hyperdulie rendue à la plus grande des saintes, à la Vierge intiniment inférieui-e à Dieu, très au-dossus de ce qui n’est pas Dieu. Ce sont distinctions classiques empruntées à saint Damascène par saint Thomas (U ll^e, q. 103, art. 4, ad 2 ; 3, q. 5, art. 25), parSuvnEz (/>eyH< : a ; /ia(iorie, Disp. xxii, sect. 3), par tous, et qu’il est impardonnable d’ignorer (cf. IIayne, De liyperdulia), n’en déplaise aux protestants (cf. Canisius, Summa aurea, t. IX, col. 176, 181-186).

b) En pratique, par le blâme des docteurs ou des condamnations. L’Eglise officielle, ou même les théologiens, ne peuvent intervenir sans cesse : il est des abus qu’on peut laisser mourir d’eux-mêmes, ils s’usent en circulant. Il en est d’autres au contraire qui — vu les circonstances — ont tendance à se généraliser, ou bien qui paraissent impliquer un culte faux. Les docteurs alors interviennent : au ix » siècle, saint TuiioDORE » k Stoudion corrige le moine Théoctislos qui aurait dit : « La Vierge a existé avant tous les siècles » (cf. Marin, Saint Théodore, p. 150) ; nous avons vu l’attitude de Suarez, de Petau, de Th. Raynaud, de nos écrivains contemporains.

D’autres fois, l’Eglise intervient elle-même. Au hasard, voici la condamnation par le concile in Triillo — bien inspiré en cela — d’une fête assez choquante (canon 7g, voir Hefble-Lbclbrcq, t. III, I, p. 572 et note) tant par rapport au gotit, qu’eu égard à la doctrine ; la condamnation des rêveries vaudoises (Guihaud, Cartulaire de N.-J). de Prouille, t. I, p. Lv) ; les condamnations rapportées par TromBELLi (Summa aurea, t. IV, 4^7 et Index de 1758, p. 23, 35, n" 10) ; en 1667, la condamnation des vieilles erreurs qui faisaient naître Marie en dehors des lois ordinaires : l’histoire de sainte Anne concevant en respirant une rose (Robi.nson, Coptic apocryphal Gospels, p. 3, 5 ; Mâle, L’art religieux au XIIIe siècle, p. 278 ; Summa aurea, t. I, p. 19) ; plus récemment, l’Eglise a proscrit l’extravagante doctrine de la présence réelle de Marie dans l’Eucharistie (Newman, Difficulties, p. 165 ; Terrien, t. I, p. 166, note. Sur les tal/ulæ granatenses et les images des Schiai’i delta Madré di Dio, cf. Beringer, t. I, p. 107 ; Beissbl, t. II, p. 107 ; des faits analogties dans BBNoir XIV, De Servoruni Dei beatificatione, lib. IV, pars 11, cap. xxx, n" 24). Citons encore la condamnation du livre sur le Précieux Sang de Marie (Acta S. Sedis, t. Vill, p. 269), de la formule Reine du Sacré Cœur parce qu’elle implique ou paraît impliquer une situation inférieure du Christ ressuscité envers sa Mère (cf. New.man, I. c, p. 169), de la nouvelle médaille cruciforme dite Croix de l’Immaculée Conception(Décreide l’Inquisition, 15 mars 1901). Il est interdit, dans les images, de placer Jésus à côté de Marie, il doit être entre ses bras (cf. Ami du clergé, 1895, p. 108 ; 1910, p. Sij2 ; Analect. ecctes., juin. 1895, p. 284). Et avant d’approuver, quelle lenteur ! Faut-il rappeler sa réserve au sujet de La Salette, de Lourdes à ses débuts ? Plus récemment, cette réserve se nuance de défiance au sujet des faits de Tilly (cf. l’ordonnance de Mgr l'évêque de Bayeux,

24 juin 191 1). Ce n’est qu’avec toutes sortes de restrictions et de précautions qu’on tolère le titre de Viergeprotre, appliqué à Marie (cf. IIugon, O. P., La Vierge-prêtre, V-àTÏs, 191 1) ; — ou encore celui de co-rédemptrice, qui rencontre une assez forte opposition, vu sa nouveauté (voir une note du P. Martin dans la Revue des Sciences philosophiques et théologiques, t. I, p. 798).

Tout cela paraîtra nettement au lecteur dans une instruction du Saint-Siège commentant la nouvelle constitution de l’Index, Officiorum et munerum (Jeta Sanctæ Sedis, 1897-1898, t. XXX, p. 290), et dans une lettre où Son Eminence le cardinal Merry del Val se refusait à appuyer une requête ayant pour objet d’introduire dans lh’e Maria le mot Immaculée {Vuix de Marie, 12 mars 1904).

c) Us n’ont jamais nui au culte de Dieu. — Ici les faits sautent aux yeux. Ce ne sont pas les nations

« mariolàtres » qui ont alTadi le sel de la révélation.

Ce n’est ni la France, ni l’Italie, ni l’Espagne qui a perdu la foi au Christ Fils de Dieu. Et pour laisser de eùté les nations et ne parler que des individus, ou ne voit pas que la dévotion envers Marie ait distrait les catholiques de Notre-Seigneur. Comme les mystiques du moj’en âge, ses dévots contemporains

« joignent l’amour du Fils à l’amour de la Mère ; c’est

un même mouvement d’ànie qui les éprend de lui et les rend familiers avec elle » (cf. Christus, p. 8/) 7 et la note 3).

Ce sont les Congrégations de la Sainte-Vierge dans les collèges, d’Enfants de Marie dans les paroisses, qui fournissent le contingent de communiants les plus nombreux, surtout les plus sérieusement préparés. On notera aussi la merveilleuse alliance qui se fait chaque jour plus intime à Lourdes entre la piété mariale et le culte eucharistique (cf. DE ToNQuÉDBC, L’Euckuristie à Lourdes, Etudes, 1909, t. CX., p. 449 ; et Paul AucLBR, Etudes, 20 septembre 1912, t. CXXXIII, loi). Combien par conséquent tombent à faux les récriminations de l’évêque anglican Dr GoRiî (Bumpton Lectures fur 1891, p. 2, 3, 333). A l’inverse, il est de douloureuse expérience, cfue les communautés chrétiennes, qui ont laissé affaiblir le culte de Marie ou l’ont proscrit, ont aussi laissé péricliter la foi au Christ-Dieu ; Newman le notait, il y a cinquante ans, et depuis, cette constatation n’a pas été démentie, loin de là. Xous assistons dans ces communions séparées à la dissection toujours plus hardie de la personne divine de Jésus, et à l’inverse à un retour vers Marie chez ceux qui veulent garder quelque chose de la foi des Pères. Il se vcrilie donc, ce vieux proverbe catholique qu’on va à Jésus par Marie, et cette parole d’un Allemand contemporain, qu’on cesse vite de réciter le Pater, là où il ne s’accompagne plus de Y Ave (Bartmann, Christus ein Gegner des Marienkaltus, p. 10).

Conclusion. — Ainsi, loin d’être une corruption, une dégénérescence, le culte de Marie n’est que la merveilleuse fleur du dogme : il en rend tangible, sensible la vitalité ; il le traduit et en même temps il invite à le pénétrer encore. L’extension du culte de Marie est aussi une admirable illustration de la robuste souplesse de l’Eglise, de son autorité, et de la liberté de ses enfants. Toute différente des communions séparées, où l’individualisme est ballotté entre le scepticisme et l’illuminisme superstitieux, où la iixité dogmatique n’est plus qu’inerte stagnation, l’Eglise catholique est ouverteà toute initiative, parce qu’elle est sûre de les guider toutes. Dans ce levain qu’est la pensée des fidèles, des germes funestes ont pu se glisser ; ils ne corrompent pas la pâte. Notre Eglise est assez forte, sa constitution assez divine pour les éliminer avant éclosion. Par la cohésion de

ses formules dogmatiques, par ses cliarismes d’infaillibilité, elle est immunisée contre toute erreur, et toujours féconde elle développe son dogme et son culte dans l’harmonie et l’unité.

Bibliographie. — Actes des divers congrès mariaux ;

— Aniann, Le L’rotévangile de Jacques et ses remaniements latins, Paris, 191 1 ; — Analecta Bollandiana, Bruxelles, depuis 1880 ; table après le t. XX ; — Batiffol, La littérature ^’reci/He, Paris, 1898 ;

— Baiimer, Histoire du Bréviaire romain, trad. franc., Paris. — Beissel, Gcscitichte der Verehrung Marias in Deutschland niikrend des Miitelalteri, Fribourg, 1909 ; je désigne cet ouvrage par Beissel I ; — id., Gescluchte der Verehruiig Marias im 46 und 17 Jahrhundert, Frihoir^, iijio, }e le désigne par Beissel, II ; cf. Anal. Boll., t. XXIX, p. 199, t. XXX, p. Ilh — Benrath, Zur Gescliichte der Marienverehrung (Theologische Studien und Kritiken, 1886, p. 7-94 ; 106-266) (protestant) ; — Bridgett, Our Lady’s boiTy, London ; — Bourassé, Summa aurea de Laudihus Beatue Virginis Mariæ 1866 ;

— Broussolle, Eludes sur la Sainte Vierge, 2 vol. parus, Paris, 1908 ; — Catholic Encyclopædia, New-York, 16 vol. surtout t. XV, p. 459-^72 et la table, t. XVI ; — Clugnet, Bibliographie du culte local de la Vierge Marie, Paris, 1899, cf. Anal. Boll., t. XVIII, p. 423 ; XIX, p. 353 ; XXll p. 349 ; — l’elattre, Le culte de la Sainte Vierge en Afrique, Lille, 1907(cf. Anal. Boll., t. XXVII, p. 445) ; —Dictionnaire de Théologie catholique : — Duchesne, Liber ponti/icalis, Paris, 1892, 2 vol., voir table ; — Duval, La littérature syriaque, Paris, 1899 ; — Grisar, Histoire de Rome et des Papes, trad. Ledos, Lille, 1906 ;

— Herzog, La Sainte Vierge dans l’histoire, Paris, librairie critique, 1908(à l’index) ; — IIastings, />ictionary of the Bible, surtout t. 111, p. 286-293 ; — Hauck, Realencyclopùdie fur protestantische Théologie und Kirche, surtout vol. Xll, p. 309 ; — ILisioire littéraire de la France, voir au mot Marie, t. XV, p. 478 ; — Holweck, Fasti Mariani, VThouTg, 1892 ; — Kronenburg, Marias heerlijUcid in Nederland. .., Amsterdam, iqoS et suiv. (cï.Anal. Boll., t. XXV, p. 193 ; t. XXVI, p. 327) ; — Lehner, Die Marienverehrung, Stuttgart, 1886 ; — Largent, La Mère des hommes : — Livius, The blessed Virgin Mary in the Fathers of the first six centuries, LoDdonji 893 ; — Liell, Die DarsieUungMaria, Fiihourg, 1887 ; — Lucius, Les origines du culte des saints, trad. Jeanmaire, Paris, 1908 (prolestanf) ; — Mâle, L’art religieux au XILI’siècle, Paris, 1902 ; id., L’art religieux à la fin du Moyen-Age, Paris, 1908 ;

— Marucchi, Eléments d’archéologie chrétienne, Paris, 1900, 3 vol. ; — Michel, ///s /o/re de l’art, 5 vol., Paris, 1906 et suiv. ; — Me Clintock, Cyclopædia of… theologjcal littérature, New-York, 1894, t. V, p. 833 (protestant) ; — Neubert, Marie dans l’Eglise aniénicéenne, Paris, 1908 ; — Newman, Certain difficulties fell by Anglicans in catholic teaching, t. II, London, 1876 ; trad. franc., avec préface de Dom Cabrol, 1908 ; je renvoie à l’édition anglaise ; — Nilles, Kalendarium manuale utriusque Ecclesiae, Œniponle, 1896, 2 vol. ; — Poiré, La Triple couronne de la B. V. Mère de Dieu, Paris, 1609 ; vaste répertoire qu’il importe de contrôler ; — Rohault de Fleury, La Sainte Vierge, Paris, 1878, 2 vol. ; — Roskovany (litre donné dans le texte) ; — Ryder, Catholic c071troversy, London. 1882 ; — Stanford, A llandbook ofthe Romish ton/roi’ersj, Dublin, 1862 (protestant) ; — Terrien, La Mère de Dieu et la mère des hommes, Paris, 1902, 4 vol., surtout t. IV, où lable analytique ; — Trombelli, Mariae sanctissimæ vita et gesta, Bononiæ 1761, cf. 331

MARTYRE

332

Samma aurea, I, II ; — id. De lieliquih B. V., Summa, t. II, p. 708 ; — De cultu piiblico ah Ecclesia B.M. exhihito, Summa aurea, t. IV, col. 9-425 ;

— Vncandard, Etudes de critique et d’histoire religieuse, 3= série, Paris, surtout p. io3 ; — Watterton, Pietasmarianaanglicana, hondon, 1878, 2 vol. ;

— Weltzer, Kirchenlexikon, t. VIII ; — Wllpert, Die Malereien der Katakomben, Fribourg, 1908.

A. NoYON, s. J.