Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Mystère païens (Les) et Saint Paul

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique

MYSTÈRES païens (LES) ET SAINT PAUL. — I. Exposé des systèmes : histoire de la question. — II. Les mystères païens : 1. Les sources ; 2. Les mystères de Cybèle et d’Attis ; 3. Les mystères de Dionysos et d’Orphée : i. Les mystères d’Osiris-Isis : 5. Les mystères d’Eleusis ; G. Les cultes syriens, les mystères de Mithra et les écrits hermétiques ; 7. L’extension des cultes de mystères : la connaissance qu’a pu en avoir saint l’aul. — III. Terminologie et doctrine pauliniennes : leur comparaison avec la terminologie et les doctrines des reliifions de mystères. — IV. Les conceptions centrales des religions de mystères.

— V. Les rites du baptême. — VI. /^es rites de l’eucharistie. — VII. Conclusions. — Bibliographie.

I. Exposé des systèmes : Histoire de la question. — Sous l’appellation : Die Religiongeschichtliche Méthode, « la méthode historique religieuse », s’est formé en Allemagne un système, soutenant que le christianisme est le développement normal des religions qui l’ont précédé ; en d’autres termes^ qu’il est sorti du mélange des doctrines religieuses de l’époque où il est né. Ce point de vue est loin d’être absolument nouveau. Déjà Herdeu, i^^o, Dupuis, 1794, J. A. RiCHTEK, 181g, avaient prétendu retrouver dans les religions des Perses et des Hindous, l’origine de plusieurs dogmes chrétiens. Baur, Hase et d’autres encore avaient émis des idées analogues. Renan avait soutenu que le christianisme grec était sorti du gnoslicisme, issu lui-même de courants multiples, dont les principaux sont le dualisme persan et l’idéalisme alexandrin. Pour Havbt, il pro iendrait tout entier de l’hellénisme, et surtout du platonisme. Hatch admet l’influence des mystères sur le développement du baptême et de l’eucharistie. D’après Uksener, le culte de Dionysos aurait exercé une certaine influence sur quelques rites chrétiens. Kroll l’admet pour la liturgie du baptême. Ainsi que Havet, B. Baukr (Christus und die Cùsaren, Berlin) avait soutenu que les documents évangéliques étaient apocryphes, que Jésus était un personnage mythologique et que tout, dans la religion chrétienne, dérivait de la philosophie gréco-romaine. Pfleiderer ( Vorbereitung des Christentums in der griechischen Philosophie, Halle, 1904 ; Das Urchristenium, Berlin), affirme aussi que 965

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la philosophie grecque a été une préparation positive au cliristianisme. Dans son ouvra^’e sur le christianisme primitif, il essaye de montrer toutes les inlluences : prophétie juive, doctrine ralibinique, gnose orientale, philoso|)hie grecque, qui ont contribué à former le portrait du Clirist dans les évangiles. Faisons observer qu’ANRioii (/Jas aiilike Mysterieiiwesen iitseinem Einfluss auf das Cliristeiitum), de ses études sur les mystères anciens et leur iniluence sur le christianisme, avait conclu qu’on ne peut discerner celle-ci quant au christianisme primitif. WonKERiuy(l ! eligioiigescliichtliclie Studieit ziir Frage der lieein/liissuiig des Urcliristentums durcit das J>Ijsterieiii esen), n’est pas de cet avis ; il trouve des ressemblances avec les mystères païens dans l’emploi qui a été fait par le christianisme primitif de certains termes, Stii carr, p, ©si ; /jo’joyevr ; ^, afpxyii,

^tt)Tl7[J.01.

j, usités dans la liturgie des mys tères. Soi.tau (/à/s Fortlehen des Heidentums in der altchristUchen Kirclie, Tiibingen, 1906), i>rétend aussi avoir découvert dans les récits évangéliques des traces de rites païens. Signalons encore sur le même sujet les travaux de Hutler (Tlie greeh Mysteries and the Gospel Narratis’es ; Nineleenili Century-, igo5, p. 490, London), Heinrici (Ilellenisniiis und Christentiim), Ad. Baukr (Voni Griechentum zum Christenliim, Leipzig, igio), Jacoby (Die antiken Mysterien und das Cliristenlum).

GuNKEL(/r » m religiongescli.)’ersitindnis des A’euen Tesiamenis, Leipzig, igoS), Zi.m.mern (Valer, Solin, und Fiirsprecher in der Gottesverelirung, Leipzig, 1896), Jeremias (Baliylonisclies im IVeiien 7’eslainent, Leipzig, igoS), Jensbn (Das Gilgnmescliepos in der Weltliteralur, Leipzig, 1906), ont cherché dans les mystères babyloniens l’origine de quelques récits de la vie de Notre-Seigneur. On a surtout essayé de retrouver dans Jésus, mort et ressuscité, les mythes d’Osiris et principalement la légende d’Adonis. D’après BniicKNKR (Der slerhende und aiifersleliende Gottlieiland in den orienlalisclien Religioiien und ihr Verhiiltnis zum Chrisienlum), on rencontre dans les religions orientales le concept d’un Dieu sauveur, mort et ressuscité ; l’image du Messie est d’origine mythologique. Reitzbnstein (Die Itelienistisclien Mysterienreligionen, ihre Grundgedanken und Wirkungen), s’est attaché à montrer surtout les emprunts du christianisme aux mystères grecs, et Wendland (Die hellenistich-romisclie Kultur in iliren /ieziehungen zu Jiidentum und Christentum), a prétendu signaler dans la philosophie grecque et dans les mystères grecs l’origine de certaines doctrines chrétiennes et de quelques rites sacramentels du christianisme. Dans une étude intitulée : Prechrislian Belief in the Résurrection (The American Journal of Tiieulogy, vol. XX, p. 1, Chicago, 1916), A.Berthollbt constate l’existence dans tout le bassin de la Méditerranée orientale de la croyance à des dieux morts et ressuscitants ; mais il fait remarquer que ces divinités symbolisent des phénomènes de la végétation ou sont des divinités astrales, ce qui explique la croyance à leur mort et à leur résurrection. Le croyant, s’identiliant à son dieu, en a conclu à sa propre résurrection.

On a soutenu aussi que les mystères de Mithra avaient inlUiencé les récits évangéliques et surtout qu’une partie de la liturgie chrétienne était empruntée à la liturgie mithriaque. Nous renvoyons pour les indications sur ce sujet à l’article Mithra de ce Dictionnaire. Signalons enQn les inlluences du Bouddhisme qu’on a prétendu exister dans les récits évangéliques. Voir article Inde.

J. Weiss (Die Aufgaben der neutestamentUchen U’issenschaft in der Gegemvart, p. ^9, ss. Gultingen,

1908), a relevé toutes les influences qui, d’après certains critiques, se seraient exercées sur le christianisme, et dont on trouverait des traces dans le Nouveau Testament : « Gomment peut-on expliquer historiquement la naissance de ce nouveau mouvement religieux (le christianisme) qui est né du sein maternel du judaïsme et qui a grandi rai)idemcnt au souffle religieux de l’hellénisme ? L’histoire des religions s’olfreà nous ici comme un guide, et en vérité surtout l’histoire générale comparée des religions et l’histoire spéciale du judaïsme tardif, de l’hellénisme et des religions de l’empire romain. Elle incline en particulier nos regards vers le grand mélange des religions qui, sur le sol de l’empire des Perses, puis dans les territoires de l’empire grec des Diadoques, impose à l’historien un étonnement toujours nouveau. Des fragments des religions babylonienne et égyptienne, phénicienne, perse, syrienne, juive, hellénique, des noms de divinités, des usages cultuels tourbillonnent ici l’un autour de l’autre, et engendrent d’eux-mêmes une religion syncrétiste universelle du genre le plus varié et le plus compliqué. Sur ce terrain nait ce quenousappelons la religion du judaïsme tardif, religion indiscutablement syncrétiste. Le tronc ancien-testamentaire paraît ici comidètement submergé par des éléments étrangers… Sur ce sol a grandi le christianisme, qui est certainement dans (fuelques-unes de ses parties un développement de la religion des anciens prophètes, mais qui, dès le commencement, s’est enrichi de conceptions eschatologiques, apocalyptiques, dualistes, démonologiques qui trahissent ouvertement leur origine tirée du sj’ncrétisme des siècles précédents. Et à peine est-il entré dans la sphère de l’hellénisme, qu’il est enlace et fortifié des milliers de fois par les conceptions et les idées de son nouveau milieu : les spéculations du Logos, la morale stoïcienne, le dualisme psychologique, les spéculations des Grecs sur la vie d’au-delà, les tendances sacramentelles des religions de mystères. C’est pourquoi on a nommé d’une façon jjrovocante le christianisme lui-même une religion sjncrétiste. Pour nous se pose donc la f|uestion. Est-il possible d’expliquer historiquement le christianisme comme un produit du syncrétisme babylonien-perse-égyptien-hellénique ? » J. Weiss passe en revue les diverses conceptions chrétiennes qui seraient résultées de ces religions. Nous n’avons pas à le suivre dans cet exposé ; nous retrouverons ailleurs ce qui concerne notre étude : l’influence des religions de mystères sur les doctrines et sur le culte du christianisme.

En ces dernières années, l’attention s’est portée spécialement vers l’influence qu’auraient exercée sur l’apôtre Paul les religions de mystères. G. Anrich (Das antike Mysteriemvesen, in seinem Einfluss auf das Christentum), avait déjà examiné la question et conclu que l’influence grecque avait été à peu près nulle sur la théologie de Paul. Fr. CvMofn(/.es religions orientales dans le paganisme romain, Préface ; Paris, 2" éd. 1909), a cru aussi que l’Apôtre n’a eu aucun point de contact avec les religions de mystères, de Mithra par exemple.

En sens contraire, Martin BniicKNBn(/)er5<er/ ; ( ?nrfe und auferslehende Gotlheiland in der orientalischen lieligionen und ihr Verhaltnis zum Christentum), prétend retrouver le Dieu rédempteur, analogue au Dieu rédempteur de Paul, dans les religions orientales. K. Lake (The earlier Fpistles of Paul, p. 385 ; London, 191 1) soutient que, pour Paul et ses lecteurs, le baptême est toujours et sans conteste accepté comme « un mystère », un sacrement qui opère ex opère operaio. Heitmiiller (Taufe und Abendmahl bei Paul) étudie le baptême et la cène dans les cpîtres pauliniennes et en retrouve des analogies dans 967

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les festins anciens, où l’on dévorait des prisonniers de guerre. Albert Eichuorn (Das Abendmahl im A’eiten Testament), soutient que c’est dans la gnose orientale que Ion a l’origine du repas où l’on mangeait le corps du Seigneur et où l’on buvait son sang. Fabnell (The Evolution of Iteligiun, Loudon, 1909, p. 88-162), a rapproché le baptême des mystères païens et de la religion des Aztèques. Wendland (Die kellenisliche-rumische Kttltur in ihren Beziehungen

: u Judentum and Christentum), soutient que le baptême

et l’eucharistie ont leur origine dans les mystères païens.

Dans le Ilandbuch ztim.euen Testament, édité par Hans Libtzman^ (B. III, Tiibingen, 19 13), celui-ci, dans son commentaire sur les épîtres aux Romains, aux Corinthiens et aux Galates, et son collaborateur, Martin Dibblils pour les épîtres aux Thessaloniciens, aux Philippiens, aux Colossiens, aux Ephésiens et les épîtres pastorales, expliquent certains passages de ces épîtres en fonction des religions de mystères. J. Weiss, dans son commentaire sur la première épître aux Corinthiens (Der erste Korintherbrief, p. 289, n. 1, Gottingen, 1910), se réfère aussi aux rapports qui existeraient entre l’eucharistie et les raj’stères païens. En plusieurs passages de son ouvrage, Krrios Christos, W. Boussbt (Kyrios Christos ; Geacinchte des Cliristusglaubens ron den Anfàngen des Christeniums bis Irenæus, Gottingen, 1918), adopte l’hypollièse qu’avait émise Deissman.n (Liclil oni Osten, 11’Aull., p. a63 ss.’), à savoir que le titre de K^pi ;  ; , donné à Jésus-Christ, l’aurait été tout d’abord par la communauté d’Antioche, qui l’aurait emprunté au milieu religieux syrien. C’est par Paul qu’il se serait répandu ensuite dans toutes les communautés chrétiennes issues du paganisme. L’apport spécial de Paul dans la mj-stique chrétienne est sa théorie de l’opposition entre l’homme spirituel et l’homme charnel, ainsi que le pessimisme qui en résulta, du fait que la nature humaine est essentiellement <7zc ; ’. « Ce n est ni dans l’Ancien Testament, ni dans l’Evangile que saint Paul a puisé les principaux éléments de cette prétendue synthèse paulinienne ; il lésa reçus du milieu païen syncrétistequi l’enviionnait. C’était l’époque où se mêlaient hellénisme et orientalisme, philosophie et piété, spéculation et mystique. »

Cette fusion a dunné naissance en des cercles nombreux à un pessimisme anthropologique et à un it supranaturalisme » dualiste, fort semblable à celui de saint Paul. Sur le terrain païen nous avons le témoignage des traités hermétiques, dont les parties les plus anciennes remontent au premier siècle de l’ère chrétienne ; au second siècle, les ouvrages des grands hérétiques gnostiques, les Valkntin, les Basilide, les Ptolésiée, développeront les mêmes idées et les pousseront à leurs conséquences extrêmes. Mais on peut allirmer qu’avant de prendre corps dans ces écrits, ces tendances existaient à l’état diffus dans l’atmosphère intellectuelle ; elles s’étaient emparées de maint esprit et saint Paul a subi fortement leur inlluence. Son christianisme n’est pas encore un gnosticisme systématisé, mais il contient en geruie plusieurs des conceptions foncières de la gnose du second siècle. C’est à bon droit que les auteurs de ces systèmes hérétiques, prétendront se rattacher à saint Paul ; ils ne feront que tirer les conclusions logiques du pessimisme et du dualisme anthropologique de l’Apôtre. (Résumé du

1. A remarquer cependant que Deissmann reconnaît que la parole de Paul, cl- c-Jjv.iSs rpv.zi^r, ^ K’^ot’cj tj.t~iysvj, I Cor., X, 21. lui Tient plutôt de passades de l’Ancien Testament, italachie, i, 7, 12 ; Ezéchiel, ixxix ; xliv, 16.

système de Bousset par le P. J. IIuby : Le Christ Seigneur, d’après un livre récent ; Hecherches de science religieuse, t. V, p. 694. Paris, 1914.)

R. Reitzenstkin et A. Loisy ont présenté un ensemble du système, dont nous aurons à étudier les détails dans la suite de ce travail. Voici d’abord un exposé succinct des théories de Reitzenstein (Die liellenistisctien Mysterienreligionen, ilire Grundgedanken und Wirk uiigen). Xus. environs de l’ère chrétienne, l’hellénisme se transforma par le sentiment du péché et de la dette, qui s’éveilla dans les consciences par la croyance à la magie et par la recherche de l’extase. En opposition avec la doctrine platonicienne de Dieu transcendant, on adore des dieux faits hommes, qui meurent et qui ressuscitent, tels que.Osiris, Attis, Adonis ; on espère par la communion avec eux obtenir l’immortalité et même une sorte de déification. L’initié à ces nouveaux mystères, différents des anciens, éprouve lui-même ce qu’ont éprouvé Osiris ou Horus ; il devient Osiris ou Horus ; il est uni au dieu par la foi, 7 : 1 : 71 ; , il est dieu. D’après la littérature hermétique, lemysteest devenu le Logos, l’homme de Dieu, le Fils de Dieu et lui-même Dieu. Des communautés sont fondées et des missionnaires répandent la doctrine qui s’adresse à tous ; la religion est universaliste. Des le commencement du u^ siècle avant J.-C, on célèbre en Italie des orgies hellénistiques, qui doivent procurer le salut, ^a-zr.pia., aux initiés. La magie, elle aussi, garantit l’immortalité à ses adeptes. Outre la révélation primitive, transmise par la tradition, les croyants, dans l’extase, sont favorisés parDieu de révélationsparticulières. Celte union avec les dieux, qui communique au myste la science et l’immortalité, est spirituelle, mais quelquefois aussi matérielle et même sexuelle. On obtient le salut par la science, y^zii, communiquée par l’initiation, la vue, ii’j., de Dieu, qui est une grâce, ^cipis/xx, et qui consiste dans une vision et un sentiment immédiat du Tout de l’univers. Cette divinisation du myste lui confère le privilège d’avoir des visions, de faire des miracles et lui donne une sorte de sainteté personnelle, qui efface les souillures passées et lui assure le bonheur pour l’avenir.

Reitzenstein prétend que ces religions de mystères ont exercé leur influence sur la doctrine et la langue de saint Paul. Voici, en résumé, l’exposé de cette hypothèse, telle que l’a présentée et développée A. Loisy (lieiue d histoire et de littérature religieuses : nouvelle série, t. II, p. 585, Paris, 1911). Pour se répandre dans le monde gréco-romain l’Evangile devait se transformer en mystère oriental, et cela put s’effectuer parce que ses éléments primitifs pouvaient s’interpréter dans la langue et dans les idées des mystères païens. Dans son fond, l’Evangile de Jésus, c’était un honime inspiré, envoyé par Dieu pour être le Sauveur des justes d’Israël, lequel était mort pour son œuvre, que l’on croyait ressuscité et dont on attendait l’avènement glorieux. Qes idées pouvaient être adaptées à celles des mystères, où un être divin, mourant et ressuscitant, devenait un tjrpe et un principe d’immortalité pour tous ceux qui participaient à son culte, qui étaient initiés, associés au mystère de sa mort et de sa résurrection. Adonis, Attis et Osiris étaient des dieux sauveurs. Autant que nous sommes informés, les rites des mystères comportaient une mort symbolique ou Active du néophyte, à l’instar du dieu, et une résurrection, une régénération, une participation à l’esprit de ce dieu, participation qui garantissait le partage de son immortalité. C’est ainsi que Paul a conçu le Christ comme un homme divin, préexistant à la mission terrestre de Jésus et qui se manifeste sur la terre, non pas précisément pour 969

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y faire ce qu’a lait réellement Jésus, annoncer la venue prnchaine du royaume de Dieu, mais pour y mourir, lui juste et saint, pour les hommes injustes et pécheurs, alin de tuer, en mourant lui-même, le pcclié qu’il avait amené sur lui. Le Christ divin avait bien pu mourir, mais il n’avait pas dû rester dans la mort ; il était ressuscité, il avait pris la forme de Dieu et c’est maintenant selon cette forme de vie immortelle que, nouvel Attis, nouvel Osiris, nouveau Millira, il donnait de ressusciter bientôt avec lui dans la (gloire à tous ceux qui le suivaient par la foi dans la mort. C’était là le mythe du salut, le mystère à croire, tout à fait analogue aux mythes des mystères, à l’immolation d’Attis et d’Osiris, à celle du taureau divin dans les mystères de Mithra. Le mystère que l’on pratiquait était le même de part et d’autre. Dans les rites des mystères, le myste était assimilé au dieu mourant et ressuscitant : ainsi, les rites de l’initiation chrétienne, le baptême et la cène eucharistique, devinrent des symboles de la mort salutaire. Par le baptême, le chrétien était assimilé au Christ morl ; il était enseveli avec lui, mais pour ressusciter. Le baptême, en le purifiant de ses péchés, le réfrénerait dans l’esprit du Christ immortel, faisait de lui un autre Christ. La cène devenait aussi la commémoration mystique de la mort du Christ ; le pain rompu était pour la foi son corps, le vin son sang. Les fidèles, en mangeant ce corps et en buvant ce sang, étaient unis au Christ pour ne faire qu’un avec lui.

Ce mystère comprenait donc une mort mystique et une union spirituelle au Sauveur divin, comme les rites d’initiation aux mystères païens. Ce n’est plus moi qui vis, disait l’Apùtre, Gui., ii, 20, c’est le Christ qui vit en moi. El il entendait cela à la lettre. Ceci nous explique que Paul n’attachait aucune importance à la vie terrestre de Jésus, qu’il dit même ne pas vouloir connaître le Christ selon la chair. Ce qui lui importait, c’était la mort du Christ, indépendamment de ce qui l’avait amenée et accompagnée. Paul ayant transformé la passion de Jésus en mythe de salut, le Christ de l’histoire n’avait aucune place dans sa religion.

Dans une suite d’articles de la / ?. //. /,. B., Loisy a repris ces idées, les a développées et a essayé de les prouver en s’appuyant sur les épîtres de saint Paul, interprétées dans le sens’de la mystique et de la liturgie des mystères païens (N. S., t. IV, Les mystères païens et le mystère chrétien, p. 1-19 ; Dionysos et Orphée, p. 130-154 ; fes mystères d’Eleusis, p. ig3aaS ; Cybèle et Attis, p. 289-326 ; /sis et Osiris, p. 385^21 ; Mithra, p. 49 ; -53g ; Paris, igiS ; — t. V, L’Evangile de Jésus et le Christ ressuscité, p. 1-26 ; 1, ’Et’angile de Paul, p. 138-174 ; L’initiation chrétienne, p. 193-226 ; La conversion de saint Paul et la naissance du christianisme, p. 289-332, 191 4) Ces hypothèses n’ont pas été acceptées par tous les critiques. A. Schweitzku (Geschichle der paulinischen Forschung, Tiibingen, 1912), les a discutées et par des arguments, que nous ne pouvons pas, il est vrai, tons accepter, il a établi qu’elles n’étaient pas fondées sur les documents bien interprétés. Et d’abord, ce n’est qu’ausecond siècle que l’on constata l’extension dans le monde gréco-romain des cultes orientaux ; saint Paul n’a donc pu les connaître sous la forme qu’ils prirent à cette époque, grâce à l’influence de la pensée grecque. De plus, le syncrétisme religieux qu’on rapproche du christianisme est une abstraction, plus qu’une réalité ; c’est une construction artificielle faite d’éléments empruntés à diverses religions, et qui n’a jamais existé telle quelle, surtout à l’époque de saint Paul. Les analogies qu’on signale sont donc des analogies de détail, non d’en semble, (]ui paraissent moins frappantes quand on les examine de près. Tout ce qu’on peut accorder, c’est l’emploi de mêmes termes, en petit nombre d’ailleurs, par r.pôtre et par les religions de mystères. Schweitzcr met enfin eu parallèle la doctrine sacramentaire de Paul avec la signification qu’on attribuait aux rites analogues dans les religions de mystères, et aboutit à cette conclusion qvie la doctrine sacramentaire de l’Apôlre ai)partient à un tout autre monde d’idées que celles des religions de mystères.

E. Manghnot (A.a Doctrine de saint Paul et les mystères païens ; Revue du clergé français, t. LXXXIV, p. 1-32 et 267-289. la langue de saint Paul et celle des mystères païens ; ib., t. LXXV, p. 129-161. Paris, 1913), a étudié aussi les théories de Reitzenstein et a conclu qu’un examen attentif des textes suflit à montrer que les prétendus emprunts faits par saint Paul aux doctrines des mystères païens sont imaginaires. Partout il a trouvé des pensées différentes et, chez saint Paul, des doctrines essentiellement juives ou chrétiennes. Si les termes employés pour les exprimer étaient communs à l’Apôtre et à la mystique païenne, ils rendaient un son différent. Reitzenstein a été dupe de rapprochements purement verbaux. Il s’est trompé en donnant partout aux mêmes expressions un sens hellénistique qu’elles n’ont pas sous la plume de l’Apôtre. On voit donc que saint Paul, s’il a connu les mystères païens, ne leur doit rien, ne leur a rien emprunté et n’a pas altéré le christianisme primitif en l’enrichissant de doctrines païennes. Dans une autre suite d’articles (Saint Paul et les mystères païens : Revue pratique d’apologétique, t. XVI, Paris, 1913), Mangknot aboutit à des conclusions identiques. La thèse de Reitzenstein, que saint Paul s’est considéré lui-même comme un mystique païen et a agi à la manière des initiés aux mystères païens, n’est pas prouvée. Elle ne repose que sur de fausses analogies, fondées pour la plupart sur une connaissance inniarfaite de la doctrine et de la langue de l’Apôtre. Nous recommandons l’étude de ces articles de IL Mangenot. Le lecteur y trouvera un clair exposé des théories de Reitzenstein et une réfutation, solide et bien appuyée sur les textes, de ces théories du critique allemand.

Dans un premier ouvrage (Religinngeschichtliche Erhlârung des Neuen Testaments : Die Abhéingigkeit des lillesten Christentums von nichtiiîdischeii Peligionen und philosophischen Syslemen), C. Clkmen avait étudié les emprunts que le christianisme naissant aurait faits aux sources non juives, religieuses et philosophiques et avait conclu à sa profonde originalité ; dans un second (Der Einfluss der Mysterienreligionen auf das ûlteste Christenlum), il examine l’influence qu’auraient exercée les religions de mystères sur le christianisme le plus ancien. Il mesure le champ d’action des religions de mystères, et détermine le sens des termes, soit dans les mystères, soit dans la langue commune. D’après Clemen, les religions de mystères n’ont eu sur le christianisme qu’une influence très restreinte ; elle s’est tout au plus exercée à la périphérie. Elles ne lui ont apporté aucun usage nouveau ; beaucoup de cérémonies, que l’on trouve chez elles, n’ont rien d’analogue dans le christianisme. Par contre, le christianisme se distingue des religions de mystères par son caractère historique et par l’importance spéciale qu’il donne à la mort du Sauveur et par l’attente de son prochain retour.

K. A. Kennedy (St. Paul and ihe Mystery Religions), a examiné les rapports qui pouvaient exister entre saint Paul et les religions de mystères. L’Apôtre 971

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a employé des termes qu’on trouve dans les reliijions d « mystères, mais dans un autre sens que celles-ci. Les conceptions centrales de ces religions appartiennent à une atmosphère différente de celle dans laquelle se meut l’Apôtre. Il est vain d’essayer de trouver des points de contact entre Paul et les religions de mystères au point de vue du culte. Les idées fondamentales de la doctrine de Paul n’ont aucune idée correspondante dans les religions de mystères.

H. BôHLio (Die Geisteskultur yon Tarsos im augusteiscken Zeitalter mit Beriicksichligung der paidinischen Schriften), croit aune influence du syncrétisme cilicien, mélange de doctrines babyloniennes, perses et cappadociennes, et principalement du culte de Mithra sur Paul, né à Tarse, ville où ce culte était très développé, mais il restreint cette influence beaucoup plus que Reitzenstein, Il la retrouve surtout dans son mysticisme et sa « piété extatique ». Paul aurait employé les termes xJ/sn ; , twt/^o dans le sens qu’ils avaient dans la religion anatolienne. C’est de la religion persane que lui seraient venues les idées qu’exprimaient les termes Soîv., ffli et 17 « Vjç, r.fiipv. et vjç, ix/.r, 0 ; ty. et iei/ôo ;. Le dualisme qui, d’après l’Apôtre, se révèle dans l’âme humaine, Wom., viii, i/| ss., aurait des analogies avec celui de l’école stoïcienne, représentée par Poseidonios et surtout Athenodoros de Tarse. C’est à ceux-ci qu’il aurait emprunté ses idées sur la conscience. Son universalisme lui viendrait aussi des stoïciens.

Résumant les travaux faits en ces dernières années sur saint Paul et les religions de mystères, M. JoiNES (St. Paul and tite Mystery Iteligions, dans The ie »’Testament in the twentieth Centiiry, p. laoiGi ; London, i gi 4), conclut : Les conceptions centrales de Paul, sa doctrine de la rédemption et son enseignement sur les sacrements chrétiens, son mysticisme ne sont pas purement le résultat de son contact avec les religions de mystères hellénistiques et orientales. Il s’est servi de termes dérivés de la langue des mystères, mais cela ne prouve pas qu’ils signifiaient pour lui la même chose que pour les religions de mystères. En définitive, la place que tient la croix du Christ dans le champ de la pensée et de l’expérience de Paul n’a rien d’analogue dans les religions de mystères, ce qui rend impossilile toute comparaison entre ces deux systèmes de doctrines ou d’idées.

D’après Burton Scott Easton (Theologv and Ilellenism, Amer. Journal of Theology, vol. XXI, p. 358), la doctrine du baptême, comme purification, venait à Paul du judaïsme ; celle de l’union mystique du chrétien avec le Christ, de son expérience religieuse. La conception du baptême comme ensevelissement avec la mort du Christ, lui viendrait des mystères ; mais le baptême du prosélyte comme un ensevelissement se retrouve chez les Juifs (cf. J. Wbiss, Das l’rchristenlum, p. a5). Les religions de mystères n’ont jamais enseigné que leurs déités, Osiris, Attis, aient une valeur rédemptrice. La conception du pardon n’est pas hellénique (cf. Reitzenstein, Poimandrès, p. 180). Les religions de mystères n’avaient aucune valeur morale : l’idée de salut était automatique chez elles. Chez Paul, au contraire, le baptême purilie et ouvre la voie à une vie nouvelle qui dépend de la liberté du chrétien (Rom., vi, 4). Pour W. H. Pai.ve ïI/lTch (The pautine idea of failli in ils relation to jeuish and hellenistic religion), le christianisme de Paul n’est pas une religion de mystères : c’est une religion basée sur la foi et évoluant dans la sphère de la psj’chologie et de la morale et non dans celle du mystère ou de la magie. Le P. Lagrange (Le sens du christianisme d’après l’exégèse allemande,

p. 269 ss.) a démontré les points suivants : La doctrine de l’esprit n’a pas été empruntée par saint Paul au Corpus hermeticum : elle est chez lui la coïncidence des prophéties anciennes et du fait historique de la manifestation de Jésus et de lEsprit. Le baptême chrétien dilTère profondément des purifications païennes. Ce qui opère dans le baptême, ce n’est pas une force naturelle, mais une vertu divine. Il n’y a aucun rapport réel entre les dieux souffrants, morts et ressuscites du paganisme et Jésus-Christ, mort et ressuscité pour nous racheter du péché. En fait, aucun des personnages plus ou moins divins qu’on a mis en avant, Atlis, Osiris, n’était proprement, du moins nu temps du Christ, un dieu mort et ressuscité. De plus, jamais les souffrances ou la mort du dieu n’ont été acceptées en vue du salut des hommes ni même regardées comme utiles à ce salut. Les ressemblances de rite entre la communion chrétienne et la manducation des victimes immolées aux idoles existent, mais elles sont très éloignées et ne permettent pas de mettre sur la même ligne les fondements des deux initiations.

Nous allons à notre tour comparer la terminologie, ainsi que les doctrines de saint Paul avec la terminologie et les doctrines des religions de mystères, mais auparavant il est nécessaire d’exposer ces religions de mystères et leurs principales doctrines.

II. Les mystères païens. — i. Les sources. — Avant d’étudier les rapports qu’il pourrait y avoir entre les enseignements de saint Paul et ceux des religions de mystères, il est nécessaire de décrire succinctement ces mystères et, tout d’abord, de rechercher à quelles sources nous en puisons la connaissance. Il est bon aussi de fixer exactement la date de ces sources, alin de savoir si Paul a pu connaître les doctrines qu’elles nous transmettent.

Nous sommes très peu renseignés sur les rites et les doctrines des niystères, au i= siècle de l’ère chrétienne, et cela s’explique par le secret imposé aux initiés. Le secret a été bien gardé. Nous en sommes réduits, sur la plupart des points, à des conjectures, et nous n’avons de renseij ; neinents étendus que pour les mystères de Déméter à Eleusis, des Cabires à Samothrace et d’Isis en Egypte. En dehors de cela, les seuls documents que nous ayons sur les mystères soet quelques formules mystiques, citées incidemment par les écrivains païens ou chrétiens, un petit nombre de prières et d’hymnes aux dieux, la plupart mutilés, des incantations magiques que nous ont conservées les papyrus, le récit des initiations, ainsi que la description de la liturgie qui les accompagne. Les rites des cultes exotiques ont excité la verve des satiriques, et la pompe de leurs fêtes a fourni aux romanciers la matière de descriptions brillantes. Juvénalraille les mortifications des dévotes d’Isis ; Lucien dans sa « Nécj’omancie j> parodie les purifications interminables des mages, et Apulée dans les « Métamorphoses » nous a retracé les scènes d’une initiation isiaque. Mais, en général, on ne retrouve chez les littérateurs que des remarques incidentes, des observations superficielles. Même le précieux traité « Sur la déesse syrienne », oïi Lucien nous raconte une visite au temple d’Hiérapolis et rapporte les récits que lui ont faits les prêtres, n’a rien de profond : il relate ce (pi’a vu en passant un voyageur intelligent, curieux et surtout ironique (Cumont, op. cit., p. 20).

On a aussi quelques informations isolées chez les écrivains du temps, surtout chez les philosophes. Le traité de Plutarque <r Sur Isis et Osiris » est une source très importante pour reconstruire la légende de ces divinités. Mais les philosophes n’exposent 973

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presque jamais les doctrines étrangères objectivement et pour elles-mêmes. Ils les font rentrer clans leurs systèmes, auxquels elles doivent servir de preuves et d’illustration ; ils les entourent d’une exégèse personnelle ou les noient dans des commentaires transcendants (Gl-mont, op. cit., p. 21) On trouve aussi chez les Pères de l’Eglise quelques renseignements infiniment utiles, mais auxquels nous ne pouvons nous lier entièrement. Les écrivains ecclésiastiques, saint Justin, Clément d’.Vlexandrie, surtout TertuUien, nous ont rapporté des rites des cultes de mystères dans lesquels ils avaient trouvé des analogies avec les rites chrétiens, mais il est possible qu’ils aient forcé ces analogies pour mieux établir leur thèse, à savoir que les démons avaient singé le christianisme dans ces cultes des mystères.

Pour la plupart des documents, formules mystiques, incantations magiques, hymnes aux dieux, il est impossible de Uxer leur date d’origine ; celle même de leur transmission est souvent incertaine. Ce qui nous est rapporté par les poètes satiriques, les philosophes, les Pères de l’Eglise, est peut-être plus ancien qu’eux ou peut ne dater que de leur temps. Le recueil des écrits hermétiques contient des pièces d’époque très différente et relativement récente. La liturgie mithriaque, qui remonte peut-être assez haut, ne nous est connue que par des textes des 11’et m" siècles après J.-C. On a essayé de la reconstruire (Dibterich, Eine Mithraslilurgie), d’après un papyrus, mais, au jugement de Cumont, ce morceau n’est ni liturgique ni mithriaque (cf. article MiTURA, col. 580 ss.).

Nous avons cependant quelques données chronologiques. La description de l’initiation de Lucius aux mystères d’Isis à Cenchrées a été écrite au II* siècle par Apulée, mais le rituel minutieux et les pièces qui l’accompagnaient sont certainement de date beaucoup plus ancienne. Il en est de même de queUiues formules mystiques, qui offrent tous les caractères de l’antiquité. Un peu partout et à différentes époques nous rencontrons les idées de communion avec la divinité et de régénération, ce qui nous oblige à conclure à leur ancienneté.

Reste à savoir si saint Paul a connu les doctrines des mystères telles que nous les connaissons maintenant. C’est seulement au commencement du II’siècle après J.-C. que les cultes des mystères, sur lesquels nous avons des renseignements précis, se sont répandus dans l’empire romain, et à ce moment ils avaient subi l’intluence de la philosophie grecque et surtout des cultes orientaux. Il s’exerça à cette époque sur ces cultes des mystères une façon de syncrétisme. Saint Paul n’a pu connaître ces cultes des mystères dans cette forme développée, puisque, de son temps, elle n’existait pas. En supposant qu’il ail connu les religions de mystères, il les a connues dans un état simple et non tels qu’ils furent lorsqu’ils se développèrent sous l’influence du <lésir grec de rédemption que manifestait l’esprit hellène, au 11= siècle après J.-C. Il y a donc toujours lieu de se demander à quelle époque remonte un document, ([ui nous transmet une doctrine ou un rite. Et sur ce point nous n’arrivons pas toujours à la certitude.

Observons que, sur les données inconsistantes que nous venons de signaler, on a élaboré des constructions qui ont donné aux religions de mystères une consistance et un développement qu’elles ne possédaient pas.

2. Les mystèrbs db Cybèlk et d’Attis. — Bibliographie : G. Showerman, The Great Mother of the

Gods : llulletin of the University of Wisconsin, n’43, 1901 ; Attis : Encyclop. of Iteligion and Ethics, vol. II ; Kybele, Ib.", vol. IV. llm-imm, Attis, seine Mythen undsein huit, Gies-sen, igo^ ; Frazer, Adonis, Attis, Osiris, London, 1907 ; F. Cumont, /.es religions orientales dans le paganisme romain, 2’éd. Paris, 1909 ; Id., Attis, Healencyklopâdie de Paulv-Wissowa ; Ka.pv, Attis, Kybele, Lerikon der griech. and roni. Mythologie de Roscuer ; TouTAiN, La légende de la déesse phrygienne Cybèle ." Kevue de l’histoire des religions, t. LX, p. 299, Paris, 1909.

Le culte de Cybèle, la grande déesse de Phrygie, adorée à Pessinonle et sur l’Ida, que les Romains appelèrent Magna Deum Mater, Mater Deuni Magna Idæa, est très ancien et se répandit de bonne heure en Occident. Nous reviendrons plus loin sur l’extension de ce culte. Nous n’avons pas à rechercher comment s’opéra la fusion de Ma ou Cybèle, la Grande Mère, et de son Dis et époux Attis, divinités anatoliques, et du dieu phrygien Dionysos-Sabazios, mais seulement à marquer ce qui en fut le résultat. Comme Vénus et Adonis, Isis et Osiris, Cybèle et Attis étaient ordinairement associés dans la célébration du culte, et formaient une dualité qui symbolisait les relations de la Mère Terre avec ses produits. La naissance, la croissance, la castration volontaire, la mort d’Attis symbolisaient la naissance, la croissance et la mort de la végétation. Les Phrygiens pleuraient la mort de la végétation, et célébraient sa renaissance par des orgies sauvages mais « ces mutilations volontaires, ces souffrances, qu’ils s’imposaient, témoignent d’une aspiration ardente à s’affranchir de la sujétion des instincts charnels, à délivrer les âmes des liens de la matière. Ces tendances ascétiques étaient d’accord avec certaines idées de renoncement, prêchées par la morale philosophique des Grecs » (Cumont, op. cit., p. 57).

Les sectateurs de Cybèle prali([uaient très anciennement des mystères où l’on révélait par degrés aux initiés une sagesse considérée toujours comme divine, mais qui varia singulièrement dans le cours du temps. On célébrait la mort d’Attis et sa résurrection, symboles de celle de ses adeptes. De même qu’Attis mourait et ressuscitait chaque année, de même ses fidèles devaient après leur mort renaître à une vie nouvelle : Réjouissez-vous, ô mystes, disait le prêtre quand il oignait les lèvres de l’initié, car le dieu est sauvé et, pour vous aussi, de vos épreuves sortira le salut. Le trépas d’Attis (Reit/.enstein, Poimandres, p. 93) a fait de lui un dieu et pareillement ses fidèles seront par la mort égalés à la divinité. Il se célébrait des repas mystiques, dont Clément d’Alexandrie nous a transmis une formule d’initiation : a J’ai mangé au tambourin ; j’ai bu à la cymbale ; j’ai porté le kernos (vase sacré) ; je suis entré sous le rideau nuptial » (Protrept, 11, l5). Fihmicus Matbrnus (De errore profanarum religionum, éd. ZiEGLER, p. 57 ; n° xiv) nous a conservé la même formule avec une variante : a J’ai mangé au tambourin ; j’ai bu à la cymbale ; je suis devenu un myste d’Attis. » L’initié pouvait dire, comme dans une ancienne formule liturgique à laquelle fait allusion Démosthène (De Corona, 269) : « J’ai fui le mal, j’ai trouvé le meilleur. »

Voici la conclusion de LoiSY (C)bèle et Attis ; R.II.L.H., t. IV, N. S., p. 326) sur ce qui se dégage du culte et des mystères de Cybèle-Attis : « Originairement le rite sanglant (la castration et les mutilations ) n’avait pas pour objet de rendre immortels ceux qui y participaient, mais de les faire capables de coopérer aux œuvres de la Mère et d’Attis, c’est-à97 ;

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dire aux œuvres de la nature, tout comme l’initiation dionysiaque rendait les bacchants et bacchantes capables de coopérer à l'œuvre de Dionysos. Les cérémonies magieo-religieuses qui tendaient à régler la vie de la nature étaient aux mains des inities. Quand et comment l’idée d’immortalité bienbeureuse auprès des dieux se lit-elle jour dans ce culte barbare entre tous, on ne saurait le dire. On doit compter sans doute, pour les anciens temps, avec l’inlluence de la Tliraceetdes idées qui s’attachaient au culte de Dionysos-Sabazios, plus tard avec les iniluences helléniques et perses '. L'évolution de l’ancien culte de Pessinonte en économie de salut devait être réalisée, dans la mesure où elle s’est accomplie, avant le commencement de l'ère chrétienne. »

3. Les MYSTÈREi. OB DlONYSOS ET d’OrPHÉE. — Bi bliographie : P. Foucart, Le culte de Dionysos en Atiique, Mémoires de l’Académie des Inscrip., t. XXXVU, p. 22, Paris, 1904 ; Fahnell, Culte of the greek States, V, ch. iv-vii, London, 1907 ; HiiODE, Psyché, II ; S. Reixach, La mort d’Orphée, dans Cultes, Mythes et religions, t. II ; Perdrizut, Cultes et Mythes du Pangée, Paris ; Kern, Dionysos : rteal-Encyclopædie de Pauly-Wissowa ; VoiQT, Dionysos : Lexihon de Roscher, Bd. I ; YoiGT, Orpheus, Ib. Bd III ; P. Monceaux, Orpheus et Orphici ; Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Darbmbbrg et Saclio, Paris ; Dionysos, Ib’id. ; J. E. Harrison, Prolegomena to the Study of Greek Religion, pp. 455-659, London ; O. Habhrt, La religion de la Grèce antique : les 3Iystères et l’orphisme, pp. 509-550 ; A. Loisy, Dionysos et Orphée, Revue d’hist. et de litt. rel., t. V, N. S., p. 130 ; Orphica, éd. Adel ; Hauck, De hymnorum orphicorum aetale, 191 1 ; Dieterich, De hymnis orphicis, 1891.

Les mystères de Dionysos soutirés anciens, peutêtre du ix'-vm* siècle avant J.-C, mais ils sont assez peu connus. Le Dionysos hellénique serait, croit-on, identique au dieu thrace Sabazios. « Son culte, dit Loisy, paraît avoir été, dès les plus anciens temps, orgiàstique et mystérieux ; on s’y livre à un enthousiasme bruyant et délirant. En s’introduisant dans la religion des cités helléniques, ce culte s'était, jusqu'à un certain point, tempéré et assagi » (Dionysos et Orphée, R. II. L. R., t. V, p. 130). Il semble que la partie essentielle du rite consistait dans l’union de l’initié avec le dieu ; par celle union mystique et morale, se formait une sorte d’amitié religieuse entre le dieu et l’initié. La vertu divine est communiquée à ce dernier et elle est censée demeurer en lui.

Le rite essentiel des mystères dionysiaques était l’omopiiagie, la mauducation de la chair vive, par laquelle on entrait en communion avec le dieu, dont on recevait l’esprit et qui assurait à l’initié l’immortalité bienheureuse. On ne sait pas comment naquit et se développa cette croyance à l’immortalité ; elle semble avoir existé de bonne heure chez les Thraces.

A ces anciens mystères de Dionysos, se rattachent les doctrines orphiques, qui en synthétisent et en purllient les idées essentielles. Cependant, le rite fondamental des mystères orphiques est toujours l’omopbagie, la manducation de la victime vivante, et l’initiation était préparée par des rites puriCcatoires. Le culte comportait des purifications, des libations, des invocations aux dieux jjour toute

1. CvMONT, op. cit., p. 98, croit que l’influence du judaïsme s’est vraisemblablement exercée sur le culte de Cjbèle, bien qu on ne puisse la discerner aussi nellement que sur celui de Sabazios (N. du réd.) ;

l’assistance, la représentation des légendes sacrées. Quelques passages des hymnes orphiques font supposer que la manducation de la chair d’un taureau vivant était encore pratiquée au commencement de l'ère chrétienne. En mangeant les chairs crues du taureau, on s’identifiait avec le dieu (P. Monceaux, Orphici ; Dictionnaire des antiquités gr. et rom. de Daremberg et Saglio, p. 253).

Nous n’avons pas à nous demander si Orphée a été un personnage historique ; ce qui nous intéresse surtout, ce sont les doctrines qui lui ont été attribuées ou qui ont été mises sous son patronage.

Vers le vm'-vn= siècle avant J.-C, eut lieu une certaine rénovation religieuse qui porta les esprits vei’s des cultes moins sauvages que ceux de Dionysos ou de Cy bêle ; dans ces cultes, l’initié, spiritualisant les rites sanglants, aboutit aux idées d’union spirituelle avec la divinité. C’est à cette époque que doivent remonter les doctrines orphiques, bien que leur rédaction doive être placée beaucoup plus tard, probablement au vi' siècle. Ces doctrines peuvent provenir de sources différentes : d’abord des anciens mystères, peut-être d’influences orientales et égyptiennes, et enfin elles ont été produites par le besoin duitelligibililé qui caractérise l’esprit grec. En l’ait, l’orphisme est, à un certain degré, une doctrine philosophique, puisqu’on y relève une cosmogonie, une psj chologie et une théologie. Cette dernière seule nous intéresse. Voyons ce qui la caractérise.

« Le renouveau mystique, dit Habkrt (La religion

de la Grèce antique, p. 540, auquel répondait l’Orphisme, paraît avoir été dirigé par quatre pensées capitales : 1' La persuasion que l'àme est d’origine et dénature divines et qu’elle survit au corps ; 2° Un sentiment très douloureux des peines attachées à l’existence ; 3" La conviction que la divinité est juste, bonne et secourable ; 4° que le salut consiste à lui ressembler, à s’unir à elle par la purification, la compassion, l’amour et l’extase… Deux croyances fondamentales paraissent au conlluent de ces pensées : l'àme souffre dans son corps, en punition de fautes antérieures, mais avec des purifications appropriées et après un cycle de nouvelles naissances ou incarnations, elle pourra reprendre sa place auprès des dieux. » On retrouve ici la trace de la métempsyohose pythagoricienne et de la théosophie hindoue ; on croyait à la réincarnation des morts.

La légende de Dionysos-Zagreus expliquait le dualisme qui divise l’homme, la lutte qui se produit dans son cœur entre le vice et la vertu, entre le désir du bonheur et les peines de cette vie. L’homme a donc à briser par le renoncement, par l’ascétisme, les liens de la chair, et à se détacher de plus en plus des attraits du monde. « Les souffrances subies dans l’Hadès achèveront les expiations et les pénitences de ceux que les existences successives n’auraient pas entièrement délivrés. Dans cet effort, l'àme a la consolation de dégager de plus en plus l'élément éternel et divin qui la constitue et de préparer son retour avec les dieux immortels » (Habert, op. cit., p. 547). L’Orphisme subit un certain déclin, mais il ne disparut jamais complètement et il eut un renouveau au commencement de notre ère, en s’imprégnant toutefois des idées et des croyances des religions orientales, lesquelles en se répandant dans le monde occidental, lui ont emprunté aussi quelques idées.

Concluons avec Loisy (Art. cit., p. 154) : « La tradition particulière de l’orphisme ne donna point naissance à une secte organisée ; elle se perpétuait par des prêtres initiateurs, qui vantaient l’efficacité de leurs rites purificatoires ; elle aboutit spéculativeI ment à des théories panthéistes et à un symbolisme 1 subtil, pratiquement à une sorte de magie ; une 977

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littérature spéciale en perpétua l’inlluence. Celte influence, quia été considérable, est dillicile à reconnaître et à mesurer dans le détail et elle paraît s'èlrc exercée de diverses manières ; elle a pénétré plus ou moins de son esprit, sinon de ses doctrines et de ses rites, les mystères d’Eleusis. Et l’on sait ce que lui doit Platon, d L’action de l’orpliisme sur le syncrétisme gréco-romain et sur le christianisme aurait été, d’après Loisy, plutôt indirecte et dilfuse que directe, ce qui revient à dire qu’on ne peut la discerner et surtout la prouver.

4. Les mvstkkbs d’Osiris et d’Isis. — Bihliograpliie : PtUTABQUE, De Iside et Osiride : Apulûk, Métamorphoses, XI ; Frazsr, Adonis, Altis, Qsiris, London ; V. Cu.mo.nt, J.es religions orientales dans le paganisme romain, Paris, 1309 ; Lafaye, Isis : Dictionnaire des Ant. gr. et ront., t. III, Paris, 1899 ; Drexler, /sis : Lexikon der Mytltol. de RosouEn ; Grupi’e, Griechische Mythologie und Religiongesch., p. 1563- ! 581 ; A. Morbt, Mystères égyptiens, Varis, I913 ; Id., Rois et dieux d Egypte, Paris, i ; j09 ; A. LoisY, Isis et Osiris, li. //. L. R., t. IV, N. S., p. 385, Paris, 191 3 ; Lai-aye, Histoire du culte des dii’inités d’Alexandrie, Scrapis, Isis, Ilarpocrate et Anubis hors de l’Egypte, depuis les origines jusqu'à la naissance de l'école néo-platonioienne, Paris, j884.

Ainsi que nous le dirons plus loin, les mystères d’Isis eurent une très grande extension. On a cependant nié qu’il ait existé en Egypte des mystères au sens propre du mot, c’est-à-dire un ensemble défini de cérémonies et surtout de doctrines régulièrement réservées à un certain nombre de fidèles préalablement initiés (S0URDILLES, Hérodote et la religion de l’Egypte, p. 333, 887, Paris, 1910). Moret (Mystères égyptiens, p. 3, 19), d’autre part, affirme qu'à côté des rites où se formulait l’adoration quotidienne des dieux, les temples d’Egypte connaissaient des céj-émonies d’un caractère plus spécial, d une signiûoation réservée à une élite de prêtres et de spectateurs, célébrées dans des édifices isolés, à des dates déterminées ou à d’autres heures que celles du culte régulier. Les Grecs appelaient ces cérémonies des Mystères » ; en langue égyptienne, le mot qui les délinit le mieux semble être iuhou quia le sens vague de (I choses sacrées, glorieuses, proUlables »… Les monuments nous montrent que des rites secrets rappelaient chaque jour les péripéties de la passion et de la résurrection d’Osiris ». Il paraît certain qu’il y eut dans le culte d’Osiris des rites publics et des rites secrets, réservés au moins d’une certaine manière à des personnes initiées. Les rites secrets étaient comiilémentaires des rites publics et faisaient partie d’une même religion oilicielle : ce n'étaient pas des rites d’initiation privée, en dehors ou à côté de la religion commune. Les uns et les autres se rattachent au même ensemble rituel et cori’espondent aux divers moments des mythes osiriens. (Cf. Loisy, art. cit., p. 387)

Nous n’avons pas à décrire ces rites secrets ; cela nous entraînerait trop loin, et d’ailleurs n’importe pas à notre étude. Nous devons nous borner à l’interprétation qui a été donnée au mythe d’Osiris-Isis dans la transformation qui a été faite, au temps des Ptoléniées, m" siècle avant J.-C, de l’ancien culte d’Osiris-Isis, pour l’adapter aux idées grecques. C’est le culte qui s’est répandu plus tard dans le monde gréco-romain et qui nous est surtout connu par les écrits de Plularque et d’Apulée.

De toutes les solennités des mystères d’Isis, la plus suggestive était la commémoration de 1' « Invention I d’Osiris », le dieu mort et ressuscité, qui Gnit par

devenir le prototype de celui de tout être humain, qui observait les rites des funérailles. Le défunt, s’il a pieusement servi Osiris, sera assimilé à lui ; il partagera son éternité dans le royaume souterrain. Il vivra non seulement comme une ombre, mais en pleine possession de son corps comme de son âme. Par son initiation, le myste renaissait à une vie surhumaine et devenait l'égal des immortels.il jouira de la présence divine, et attachée étroitement à elle, son àme inassouvie s’abreuvera des délices de cette ineffable beauté. (Plutari^jub, de Iside, lxxviii ; ArULiÎE, Métam., XI)

L’initiation aux mystères d’Isis comportait d’un côté, ainsi que nous le voyons dans l’initiation de Lucius (Ai’ULÉc, Métam., XI, ch. xvni-xxv), des pratiques d’abstinence, un baptême solennel, la communication de formules mystiques ; de l’autre, il est parlé de la préparation du cœur, du symbole de la purification, de la régénération et de l’identilication avec la divinité. Grâce à cette description d’Apulée, les mystères d’Isis nous sont bien connus.

Signalons une analyse dans la Retue biblique (XIII" an., p. 292. Paris, 1916, N. S.), d’un texte grec publié dans les Oxyhynchiis Papyri, t. XI. Cette invocation à Isis rapporte les noms que porte Isis dans les divers lieux où elle est adorée, et mentionne ses hauts faits, qui sont surtout des bienfaits pour le genre humain. Parmi ces titres qui lui sont donnés, relevons ceux de t !.jtji/ ; k, i.Mp'^(p’jirsipv., aoi : ojt !  ! /., Hien n’indifjue cependant qu’elle sauve en donnant une vie immortelle. Isis est pour les hommes la bienfaitrice par excellence, mais il n’est pas fait mention des avantages de son culte pour une autre vie. Peutêtre ce point était-il réservé aux initiés.

5. Les mystèkb » d’Eleusis. — Bibliographie : HarRisON, Prolegoniena to the Study of Greek Religion, p. 478-671, London ; Farnhll, TIte Cnlts of the Greek States, lIl, ch. 11, p. 126-198, London, 1907 ; Bloch, Der Kull und die Mysterien von Eleusis, 1896 ; P. FoucART, Recherches sur l’origine et la nature des mystères d’Eleusis, Paris, 1896 ; Les grands mystères d’Eleusis : personnel, cérémonies, Paris, 1900 ; Les drames sacrés d’Eleusis, igia ; Les mystères d’Eleusis, 2" éd., igi^ ; Gruppe, Griechische Mythologie, p. 45-58 ; Aora dans Lexikon de RoscHER ; Denteler dans Real-Encyklopædie de Pauly-Wissowa ; F. Lenobmant, É. Pottier, Eleusinia, dans le Dictionnaire des antiquités : A. Loisy, Les mystères d’Eleusis, R. H. L. R., t. IV, N. S., p. ig3, Paris, ig13.

Les mystères d’Eleusis avaient conservé toute leur faveur aux temps contemporains du christianisme, et l’apôtre Paul a certainement rencontré à Athènes et à Corinthe des initiés à ces mystères, car ils étaient nombreux dans le monde grec. On ne lui a pas révélé ce qui en constituait le secret : les rites, les formules liturgiques, les cérémonies qui acconipagnaieul l’initiation ; il n’a pas vu les objets sacrés du culte, mais il a pu apprendre ce qui était connu de tous, à savoir le don de l’immortalité accordé aux initiés et la vertu de l’initiation. « La communion des initiés, dit Loisy (Art. cit. p. 211), à Déraéter, la déesse que l’on honorait à Eleusis, était signifiée et opérée par un double symbole, celui de la participation au kykéon', breuvage mystique, sacré, divin, nourriture d’immortels, et parle contact d’objets qui, simple figure du mariage sacré, ne

1. Le kykéon était un mélange d’eau, de farine d’orge, Pt de pouliot (sorte de menthe) et de pavot. Duns l’Iliade, le kykéon est composé d « farine d’orge, de fromage râpé et de vin de Pramnos (X. du R.). 979

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laissaient pas d’effectuer l’union spirituelle de l’initié à la déesse du mystère. La communion alimentaire et la communion sexuelle tendent à se résoudre en communion morale aux sentiments de la déesse et en gage de sa bienveillance. Les rites ne deviennent pas pour cela de purs signes ; ils restent les moyens sacramentels de l’union mystique à Déméter. »

Nous n’avons pas à décrire les rites de l’initiation. Ils comportaient quatre degrés : la purification, les rites et les sacriiices qui accompagnent l’initiation, l’initiation et enfin l'époptie, ou contemplation des mystères. A l’initié du plus haut degré, i-no-n-rni, étaient montrés les objets sacrés, et cette vue lui assurait le bonheur dans l’autre monde. Son âme ou son ombre après sa mort descendait aux enfers où elle était heureuse ; il n’y avait pas de résurrection des corps. Il n’est pas question de mérite ; c’est le fait de l’initiation qui assure l’immortalité bienheureuse. Peu à peu cependant on en vint à croire que l’amitié des dieux était le fruit d’une vie pieuse. L’initié menait une vie pieuse (cf. Aristophane, Les Grenouilles, v. 445 el 4-J6). Plus tard, au second siècle après J.-C, on en vint à parler des rémunérations futures, de sorte que la consécration de l’initié impliqua la pureté de sa vie comme condition de la vie future bienheureuse. Il est difficile de dire d’une façon précise quelles étaient les doctrines révélées aux initiés ; les savants ne s’accordent pas sur ce point. Cf. P. Lagbangb, Les mystères d’Eleusis et te christianisme, R. B., p. 167, 191g.

6. Lbs cultes syriens, les mystères db Mitiira et LES écrits hermétiques. — Lcs cultes syriens se répandirent de bonne heure en Occident, surtout par l’entremise des esclaves syriens, faits prisonniers pendant les guerres contre Antiochus le Grand, nie siècle avant J.-C. Au début de notre ère, des négociants syriens colonisèrent les provinces latines el l’on rencontre dans les comptoirs de la côte d’AsieMineure, au Pirée, dans l’Archipel, des associations qui adoraient les dieux syriens, Hadad et Atergatis. Cependant, « les religions syriennes, dit le P. L.aGRANGB(£es religions orientales, dans Mélanges d’histoire religieuse, p. 80), n’ont point eu de mystères, s’il faut entendre par là des initiations successives, associant les niystes du plus haut degré à des spectacles dont on leur révélait l'énigme ». Au milieu de pratiques révoltantes, on trouve dans ce culte syrien une doctrine élevée sur les destinées de l'ànie. Après la mort, ràme remonte au ciel pour y vivre au milieu des étoiles divines ; elle participe à l'éternité des dieux sidéraux qui l’environnent et auxquels elle est égalée (cf. CuMONT, op. cit., p. 186). Nous n’avons pas à relever cette théorie astrologique où il est parlé des âmes qui, débarrassées de tout vice et de toute sensualité, pénétraient dans le huitième ciel pour y jouir d’une béatitude sans lin (Cumont, op. cit., p. 187).

Les origines du culte de Mithra sont encore inconnues. Ce que nous constatons, c’est sa diffusion rapide en Occident au commencement de l'ère chrétienne. A cette époque, il était florissant à Tarse, la patrie de saint Paul, et y répandait les doctrines mazdéennes. Il resterait à savoir si, à cette époque, ses doctrines et surtout son culte avaient atteint le développement qu’ils reçurent plus tard ; cela nous paraît peu probable. Ainsi que nous le dirons, quoi qu’en pense Bôhlig (Die Geisteskultur von Tarsos im augusteischen Zeitalter, p. 9-), ce n’est pas aux spéculations milhraïques que Paul aurait emprunté le sens particulier qu’il a donné aux termes ôcifa, f&i, et nxoTo ; (cf. article MiTHRA, col. 5^8 ss.).

La littérature hermétique était très composite et

n’a dû être rédigée que tardivement, au n' siècle après J.-C, au plus tôt (L. Mknard, Hermès Trismégiste : traduction complète, précédée d’une étude sur l’origine des livres hermétiques. Nouvelle éd., Paris, 1910) comme nous l’expliquerons plus loin ; elle paraît être née d’un mélange de la religion égyptienne et de mystères grecs. Nous n’avons pas à faire un exposé détaillé de ses doctrines, puisqu’il est très peii probable que saint Paul les ait connues. Il sutPira de rappeler celles auxquelles se réfèrent les critiques qui prétendent trouver des rapprochements ou des analogies entre elles et les épîtres pauliniennes.

Les doctrines, que nous rapportent les écrits hermétiques, auraient été révélées : Hermès décrit ce qu’il a vu ou ce qui lui a été révélé par son père divin. Un prophète proclame la révélation qu’il a reçue d’un dieu qu’il a appelé par la prière et qui demeure en lui, ou qu’il a reçue en montant au ciel, avec l’aide de la divinité. Dans un dialogue, Hermès s’entretient avec son ûls Tat de la régénération. Tat rappelle à son père qu’il lui a appris que personne ne pouvait être sauvé sans la régénération, qui n'était possible qu'à celui qui ^'était détaché du monde. Tat a renoncé au monde et demande à son père de lui communiquer le secret. Hermès lui répond que cela doit être une révélation au cœur par la volonté de Dieu. Pendant qu’Hermès parle, Tat sent qu’il est transforme el déclare : « Mon esprit est illuminé. » C’est donc la révélation qui a produitla régénération, et le résultat est la vraie connaissance, /ï'iii : , de Dieu, et cette connaissance déifie le régénéré. « Ceci est la lin bienheureuse pour ceux qui ont atteint la connaissance d'être déifiés. » (Poimandres, llermetic Corpus, l, §a6)

Malgré les ressemblances qvie trouve Reitzenstein entre ces doctrines et celles de saint Paul, nous verrons plus loin qu’elles n’ont que des analogies apparentes et que d’ailleurs il est plutôt impossible que l’Apôtre ait connu la littérature hermétique.

7. L’extension DES cultes des mystiïrbs ; connaissance qu’a pu en avoir sai.nt Paul. — Il n’est pas nécessaire pour notre étude de détailler tous les lieux où l’on rencontre des cultes des mystères : quelques indications suffiront. Le culte de Dlonjsos a été très répandu en Grèce ; au Pirée, vers 180 avant J.-C, nous trouvons des associés à ce culte, appelés iiîvuTiKjTai ; à Philippes, en Macédoine, des yùTTKc Ais/ÙTîj. Les inscriptions d’Asie Mineure en signalent d’autres.

Le culte de Cybèle, la Grande Mère, a eu une extension encore plus considérable. On le retrouve partout dans le monde antique : en Asie Mineure, dans les îles de l’Archipel, à Byzance, à Olbia ; à Rome, il fut établi légalement en l’an 204 avant J.-C. ; lise répandit en Italie et dans les provinces sous la domination de Rome. Au i" siècle de l'ère chrétienne, il eut plus d’adeptes qu’aucune autre religion de mystères. Célébré avec pompe, il gagna de nombreux adhérents par la doctrine de la renaissance de ses initiés après la mort.

Nous n’avons pas de données sur l’extension des mystères d’Orphée. Nous devons constater cependant que l’orphisnie exerça une profonde influence sur l’esprit grec, et il est possible que ses doctrines se soient infiltrées dans certaines religions de mystères. Nous les retrouvons chez les poètes et les philosophes grecs.

Les mystères d’Osiris-Isis remontent probablement, très haut, dans leur forme égyptienne ; tels qu’ils furent transformés au 111" siècle avant J.-C., nous les retrouvons dans tout le monde grécoromain : à Athènes, au 111= siècle avant J.-C, nous 981

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982

trouvons le culte d’Isis, auquel se joint celui de Sérapis ; à Ponipei, à la lin du second ; à Home, dans le premier quart du i"’siècle après J.-C. Il est en Syrie et dans toute la Grèce, en Asie Mineure, en Thrace, dans les iles de l’Arcliipel, en Sicile et dans le sud de l’Italie, et dans les premiers siècles du christianisme nous en relevons l’existence dans tout l’Occident de l’empire romain.

Quant aux mj’stères d’Eleusis, comme tels ils restèrent locaux, bien que l’on retrouve ailleurs le culte des déesses éleusiniennes, Déméter et Coré : ils ont cependant pour notre étude un grand intérêt parce qu’ils sont de ceux qu’a pu connaître saint Paul. Examinons maintenant l’état religieux que suppose rintluence qu’eurent ces mystères les uns sur les autres. Aux environs de l’ère chrétienne, le mouvement syncrétique, où se mélangèrent les mystères licUéniques et les religions orientales, provoqué par l’extension de la Grèce en Asie à la suite des conquêtes d’.lexandre, grandit rapidement par la propagation qu’en tirent de zélés missionnaires. Us usèrent de tous les moyens de séduction : spectacles impressionnants au milieu de la nuit, musique séduisante, danses délirantes, communication de formules mystérieuses. « Les prêtres orientau.x, dit CuMONT (Op. cit., p, Gi) apportaient notamment en Italie deux choses nouvelles : des moyens mystérieux de purification, par lesquels ils prétendaient etracer les souillures de l’àme, et l’assurance que l’immortalité bienheureuse serait la récompense de la piété. »

Bientôt se répandirent desdoclrinesésotériquessur les démons, sur les sept archons planétairesquidéterminaientles destinées des hommes. Originairesde la Babylonie, elles ont pénétré dans les religions de la l’erse et de l’Egypte ; elles se retrouvent dans l’apocalyptique juive, dans la littérature orphique, dans les écrits hermétiques, dans les textes grecs astrologiques et dans le gnosticisme. Ne serait-ce pas de ces archons que parlerait saint Paul aux Epliésiens, II, 2, lorsqu’il leur dit qu’ils marchaient autrefois selon le prince, upx’jn, de la puissance de l’air ? Et ne ferait-il pas aussi allusion à ces esprits élémentaires qui, d’après les idées de cette époque, courbaient les hommes sous leur joug de fer, quand il écrit aux Galates, iv, g : « Comment retournerez-vous encore à ces faibles et pauvres éléments, : - : r, iyii%^ auxquels vous voulez être asservis encore de nouveau ? » Cette traduction de jtsi> ; £i"x par « esprits élémentaires u n’est pas acceptée par tous les exégèles (voir plus loin, col. 983, n. i).

C’est d’ailleurs à cette époque que naquirent et se développèrent les premiers systèmes gnostiques qui durent leur origine à un mélange de spéculations grecques et de doctrines orientales. IIippolyte l’avait déjà vu : parlant des Séthiens, secte gnostique, il remarque : Tout le système de leur doctrine est dérivé des anciens théologiens. Musée, Linus et Orphée, qui introduisirent spécialement les cérémonies de l’initiation et aussi les mjstères eux-mêmes. Il rattache une de leurs doctrines aux rites bacchiques d’Orphée.

Nous constatons des traces de ce syncrétisme religieux dans les papyrus magiques, récemment découverts en Egypte ; ils nous apportent des fragments d’hymnes et d’alphabets, où nous lisons des noms mystiques d’origine babylonienne, égyptienne, hellénique et même juive. Dans les textes rituels et liturgiques, sont mélangées des théogonies et des cosmologies dont quelques-uucs remontent à Hésiode et d’autres aux apocalypses juives. Que ces livres magiques aient été nombreux au i’"' siècle, cela ressort d’un passage des Actes des apùlres, xix, 19, où

il est rapporté que ceux qui, à Kphèse, avaient exercé des arts occultes apportèrent leurs livres qui furent brûlés ; ils valaient ôo. 000 pièces d’argent.

Un des facteurs les plus puissants de la diffusion de ces religions de mystères furent les associations tout à la fois fraternelles et religieuses, les thiases, (’<5’.7 ; i et les ipr/’.Mt ; , très répandues dans le inonde gréco-romain, au milieu des basses classes de la population. On en trouve surtout dans les ports de la Méditerranée, au Pirée, sur les côtes de l’Asie Mineure et dans les iles de l’ArchiiJcI. Smyrne, Ephèsc et Corinthe ont été des centres importants de ces fraternités mystiques. Chacune de ces associations avait ses dieux : Dionysos Sabazios, la Grande Mère,.donis, Sérapis, Osiris et Isis, les Cabires de Samothrace, dont elles célébraient les mystères et adoptaient les doctrines. Elles avaient pour caractères communs les purilications, les danses orgiastiques, les symboles d’un naturalisme grossier.

Paul, dont la prédication s’adressait à toutes les classes de la société, mais surtout aux classes inférieures des cités grecques, a dû être en contact avec ces associations, et c’est probablement parmi elles qu’il a recruté bon nombre de ses adhérents. Nous ne pensons pas que l’on puisse supposer, comme l’a fait Reitzenstein, que Paul se soit instruit des mystères païens en lisant les écrits magiques et les livres liturgiques des mystères. Il a dû apprendre ce qu’il en a su par le commerce qu’il a eu avec les gens qu’il a fréquentés. Il était né et avait grandi à Tarse, vieille cité païenne, centre de culture hellénique, où les mystères de Mithra s’étaient implantés de bonne heure ; il a donc pu apprendre à connaître les mystères en en entendant parler autour de lui. A Antioche, où il a vécu longtemps, il a pu rencontrer des adeptes des mystères syriens ; à Athènes et à Corinthe, il a dû être en rapport avec des initiés aux mystères d’Eleusis ; dans les ports de la Méditerranée il a été en contact avec les adhérents de toutes les divinités grecques et orientales. Il est évident que, désirant convertir à Jésus-Christ ces initiés aux mystères, il a cherché à s’instruire de leurs doctrines pour les discuter ou même pour se servir de ce qu’elles avaient de meilleur afin d’amener leurs adeptes au Dieu véritable. C’était sa façon de procéder dans son œuvre missionnaire, ainsi que le prouvent ses discours aux Juifs, Act., xiii, 16 ss. ; aux Grecs d’Athènes, xvii, 1% ss. Or, tous ces mystères parlaient d’un Dieu sauveur, de purification des fautes, d’initiations qui assuraient au fidèle la vie bienheureuse. Paul a dû partir de ces idées pour enseigner à ces initiés le véritable Dieu Sauveur, Jésus-Christ, les conditions nécessaires du salut, gage de la future vie bienheureuse.

Nous allons d’ailleurs voir que ce n’est pas dans les religions de mystères que l’Apôtre a puisé les termes par lesquels il exprimait ses doctrines, et qu’aucun de ses enseignements ne lui est venu de celles-ci, mais de l’Ancien Testament et de la révélalion qu’il en a reçue directement de Jésus-Christ et indirectement par la tradition apostolique.

III. Terminolcgie et doctrines pauliciennes : leur comparaison avec la terminologie et les idées des religions de mystères. — Saint Paul a emi)loyé dans ses épilres des termes qui avaient reçu dans les liturgies des mystères un sens plus ou moins technique. Il ne pouvait en être autrement puisque, des deux côtés, nous avons la même langue employée, le grec, et que, de plus, ces termes étaient connus de tous, que Paul a été en rapport avec des initiés aux mystères et enfin, que les épîtres pauliniennes et les religions de mystères ont 983

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subi, i^lus ou moins, dans leurs conceptions princijiales, l’influence du mysticisme inhérent à l’esprit humain.

La question est de savoir si Paul a donné à ces

vocables : /J.J7'r/ : piiVj -ysùy-a, 'io-/-/ ; , vsù ; , -/vwTt^, ô'^ça, le

sens qu’ils avaient dans les rituels ou dans la littérature magique et hermétique ; en d’autres termes, d’examiner si l’usage des mêmes expressions indiquerait une dépendance des doctrines pauliniennes à l'égard de celles des mystères.

Que saint Paul ait connu certains termes qui, à cette époque, avaient reçu un sens spécial, nous en avons, dit-on, pour preuve l’emploi répété qu’il fait du terme nT’uyvy., au sens d' « esprits élémentaires » qu’il déclare faibles et pauvres et auxquels le chrétien, qui a connu Dieu, ne peut retourner pour leur être asservis de nouveau. Gai. iv, 3, g. De même dans l'épître aux Colossiens, ii, 8, il adjure ses lecteurs de ne pas se laisser séduire par la philosophie et par une vaine tromperie, selon la tradition des bonimes, selon les éléments du monde, ri a-ror/ûy toO xiruîu, et non selon le Christ. Ici encore Paul fait allusion à ces pouvoirs cosmiques, des divinités astrales, que certains mettaient en opposition avec le Christ. Il aurait donc connu le sens qui était donné au terme uratyùm dans la religion du tem])S et dans la magie. On prêtait serment par les quatre éléments, -x rh^v.px azoïyt'"'- Dans le grec moderne les démons locaux sont appelés TTci ; i ; sr « '.

D’après des inscriptions, le terme rotosuiiy. était employé dans le sens de <t venue » du roi ou de l’empereur dans une province, mais il l'était aussi dans l’usage cultuel au sens de c, retour « d’un Dieu. Paul a pu connaître les deux sens de ce terme, que nous trouvons employé au second sens dans le Tesiament de Jtida, xxii, a : jw ; rv ;  ; nxpojiix-, 0toj (H. Charles, The greek Versions of tlie Teslaments of tlie hcelfe Patriurchs, p. 99. Oxford, 1908).etdans un écrit du 11" siècle, le Testament d’Abraham, xiu :

lJ-é)^ot T> ; ^ //r/a/y ;  ; xy.l évôl, ^Oij aùrsû (0£oO) 7T « ^0'j7(k ;. (^The 7'eà' tament of Abraham, by M. R. James ; Xexts and Studios, II, p. 92. Cambridge, 189a).

Mais doit-on croii-e, ainsi qu’on l’a soutenu, que saint Paul connaissait aussi certains termes employés dans les rituels liturgiques et quelques-unes des idées courantes chez les initiés aux mystères, et même qu’il y a fait allusion lorsqu’il écrivait aux Corinthiens dans sa première épître, ii, 6, ss. : « Mais nous prêchons une sagesse de Dieu parmi les parfaits, sagesse non de ce siècle, ni des princes de ce siècle qui ont été anéantis ; mais nous prêchons une sagesse mystérieuse de Dieu, sagesse cachée… Dieu nous l’a révélée par l’Esprit, car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. » Nous dirons plus loin quelle est la vraie interprétation de ce passage.

Enlin, la langue des religions de mystères a-t-elle donc influencé la terminologie de saint Paul, et par

1. Remarquons que cette traduction de ct51 ; < : <-x par

« esprits élémentaires », « divinités astrales », n’est pas

acceptée par de nombreux exégètes. Examinant Gal., iv, 3, 9, et Col., II, 8, 20, le P. Lvcraxge conclut : « Dans ces deux passages les éléments du monde sont les principes de conduite naturels, fort inférieurs à la vie dans le ChiisI, ce qui convient parfaitement à notre passage pour qualifier l'état du monde religieux avant lui… Cette solution, qui est celle de Jérôme, Gennadius pscudo-Primasius, Lightfoot, Sieffei-t, ScUæfer, paraît certaine.)> (L'épître aux Calâtes, p. 99.1 Le P. Pkat a discuté avec soin le sens de <tTOtysty. et conclut ; « Les éléments du monde sont des doctrines *l des coutumes opposées à l’enseignement du Christ ; et la Loi mosaïque elle-même, après son abrogation, peut être comprise sous cette appellation. " La Théologie de saint Paul, ii, p. 164, Paritf, 1912.

suite ses doctrines, au degré qu’a prétendu Reitzens tein ? C’est ce que nous ne pouvons admettre. Nou : avons donc à examiner les différents termes com muus à la liturgie des mystères et à saint Paul, alii de constater l’emploi qui a été fait par lune et pai l’autre, et de préciser le sens que tous les deux lu ont donné.

Et d’abord étudions le terme fxu^rr.otm. Mv7T^pi>y du verbe « ùw, fermer, se tenir la bouche close, si gnitie chose tenue secrète, chose non inconnaissabh de soi, mais qui a besoin d'être révélée, cérémoni. religieuse qui doit être tenue secrète, le sens cachi d’un passage, la signilication mystique d’un terme Reitzenstein, p. g5, fait remarquer que ni le mo y.j7T/ ; iiiv, ni T£/ir/} (célébration de mystères), ne com portent une idée stal)le. De la conception de secre on passe à celle d’une action cultuelle, rituelle 01 magique. Les deux termes désignent aussi un livr de révélations ou la prière révélée par Dieu et pro ductrice de miracle. Enlin, , u-j7zr, pt ! >'j était surtoH emploj'é au pluriel, rx fi.vTrr, pix, les mystères, c’esl à-dire des doctrines religieuses, secrètes, commun ! quées seulement aux initiés, d’où doctrines, dont i faut recevoir la communication et qui doivent ètr tenues cachées.

Avant d'étudier la signiQcation que le terme </v ; zr.pLO-.' a dans les épîtres pauliniennes, il faut s rendre compte du sens qu’il a reçu dans les Sep tante, car l’Apôtre a été fortement iuduencé pa ceux-ci. Deux fois, dans le livre de la Sagesse, //^ : Tï^, 115/ est employé au sens de rites ou cérémonies

« Un père allligé a institué des mystères et des ce

rémonies », xiv, 15 ;.< (Les idolâtres) célébraieu des cérémonies homicides de leurs enfants et de mystères cachés », xrv, a3. Partout ailleurs, dans le Septante, wjiT/, pfM signilie secrets, plans secrets d Dieu ou des hommes. Dans le livre de Daniel, 11, 18 19, 27, 30, 47 ; 'V, 6,.uvTT-/ ; , îi « signilie ce que Dieu ; mystérieusement annoncé et qui a besoin d’inler prétation.

Dans les évangiles, Jésus dit à ses apôtres qu’i leur a été donné de connaître les mj’stères di royaume de Dieu, rà uLu^-rripix zf, ; ^x’nj.ua.i rîO 6s ;  : Me., IV, II ; Lc, VIII, 10 ; Mt., xiii, 1 1 ; c’est-à-dir les doctrines cachées du royaume de Dieu, secret qi n’a pas été révélé aux hommes, ib., mais qui l’es par Jésus-Christ. Il s’agit ici probablement des des seins de Dieu pour le salut des hommes.

Pour saint Paul (Cf. la note : On the meaning ujcT/ioiw in the ; Veir Testament, dans St. Paul' Epistle ta the Ephesians by J. A. RoniNsoN, p. 234 London, 1908), lijr^zr.piov signihe les choses cachée qui ont besoin d’une communication spéciale 01 d’une révélation, Rom., xi, 25 : a Je ne veux pas frères, que vous ignoriez ce mystère,… c’est qu"un< partie d’Israël est tombée dans l’endurcissement jusqu'à ce que la plénitude des gentils soit entrée et ainsi tout Isracl sera sauvé. » C’est dans le mêm sens que Paul emploie le terme, u.'jurr.pi’y.i quand i apprend aux Corinthiens le mj’stère de la Iransfor mation des croyants, lors de la parousie du Seigneur I Cor., XV, 51. Il l’emploie aussi pour désigner le mys tère par excellence, le dessein secret de Dieu pour l salut des hommes, mystère qui lui a été révélée qu’il est chargé de faire connaître : « C’est par rêvé lation qu’il m’a été donné de connaître ce mystère., mystère qui n’a point été dévoilé aux (ils des hommes… comme il a été révélé maintenant dans l’Es prit à ses saints apôtres et prophètes, à savoir qm les païens sont cohéritiers et font partie du corpse sont participants à la promesse de Jésus-Christ pai l’Evangile. » Epk., iii, 3 ss. Paul appelle ce mystère B l'économie de la grâce de Dieu », 16., iii, i. Cf. 985

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pour le même sens du terme itiiTrr, pio->, Rom., xvi, 25, î6 ; Col., I, a6, 2-j ; et Epli., i, g, lo : « Le mystùre de la volonté de Uieu, qu’il avait résolu en luimême, était de réunir toutes clioses dans le Christ. » Pour saint Paul, le terme, </.jjt/, , c(o> désigne donc une vérité cachée, qui est révélée par l’Esprit. Enlin, jx : j^zf, pi.cj est employé quelquefois dans son sens ordinaire ; il désigne la vérité chrétienne cachée aux païens : ixjiTipioj rf, i ttittsw ; , I Tim., iii, g, 16. Le a.i^rr, ', i', j Tf, i à-jo/jLtxi, Il Tliess., Il, 7, c’est le dessein formé par l’inique en opposition avec le dessein sauveur de Dieu.

Nous devons examiner un passage de la première épître aux Corinthiens, 11, i-15, oùil semblerait que Paul a fait allusion aux mystères et s’est servi de leur terminologie. Il parle de la façon dont il a prêché Jésus-Christ, il n’a connu parmi eux que Jésus crucilié, qui est une folie pour les païens, atin que leur foi soit fondée non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. Et, ajoute-t-il, t 6, « nous prêchons une sagesse parmi les parfaits, h rôti TUsicii, sagesse non de ce siècle…, mais nous prêchons une sagesse de Dieu mystérieuse, £v ij.j'7Tr, piu, sagesse cachée, que Dieu a décrétée avant les siècles pour notre gloire et qu’aucun des princes de ce monde n’a connue ». Dieu a révélé par son Esprit les choses que l’homme ne connaissait pas, « lesquelles nous annonçons, non avec des discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, appropriant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels, mîjuxzixoîi TrvE^juaTizà ^j-jxptvyjrsi. Or, l’homme naturel, 'i-j/ix<ii, ne reçoit point les choses qui sont de l’Esprit de Dieu, car elles lui sont une folie et il ne peut les connaître, parce que c’est spirituellement, TOîj/ty.TixfO ; , qu’on en juge. Mais l’homme spirituel, ms^/iKTixcç, juge de toutes choses. »

Saint Paul se rappel ! e-t-il ici les mystères païens et veut-il dire qu’il va enseigner aux Corinthiens une sagesse sous forme de mystère, qui ne sera révélée qu’aux parfaits ? En d’autres termes, veut-il instituer des mystères chrétiens analogues aux mystères païens, ou identihe-t-il les doctrines chrétiennes, qui seraient en mystère, avec celles des cultes des mystères ? Pour se rendre compte de la pensée de l’Apôtre, il faut d’abord déterminer la signification exacte de la phrase : Ac/./cj//£v 0£5û Tî^tav èv //j7tï ; ^(î.j rr, v ùnoxî)rp-.., u/i ; v< ; v. A quel mot devons-nous rattacher £v ij.ouTnpiu' ! On ne peut grammaticalement le joindre à tv-, v ccnoxsxpu/).[i.ivr, v, ce qui signifierait la sagesse cachée sous forme de mystère, car, si telle était la pensée de Paul, il aurait dû écrire : Tr, > tj p : jf : Tr, ptu a ::o/.î/.p-ju.p.évr, v, ce qui d’ailleurs aurait été un pléonasme. Quelques exégètes rattachent j » ixjTzr, pit, > à 't.a.'/.'^jp.i/. ce qui ferait dire à Paul que la sagesse de Dieu qu’il enseignait était un mystère qui ne devait être révélée qu'à quelques-uns, aux initiés, ce qui est contraire à l’idée que Paul avait du salut qui était destiné à tous les croyants.

Il resterait à joindre è » p-juT-opia à tojpi’kv ; nous avons une phase analogue dans liom., v, 15 ; SupiUh /. « pm. Dans ce cas, il faudrait traduire : Nous prêchons la sagesse mystérieuse de Dieu, celle qui est cachée, que Dieu avait décrétée auparavant pour notre gloire : sens qui rentre dans la signification que Paul donne ordinairement au terme iJ-uarripim. Nous ne pensons donc pas que l’Apôtre ait voulu dire qu’il enseignait la sagesse de Dieu comme un mystère qui ne doit être révélé qu’aux initiés.

Paul dit cependant qu’il prêche une sagesse parmi les parfaits, h toTç, rùsioti. Ne semble-t-il pas qu’il identifie cette sagesse, prèchée aux parfaits, aux doctrines des mystères, qui n'étaient révélés qu’aux

initiés, T^eiei, ceux qui étaient complètement instruits par opposition aux novices ' ? Paul aurait donc emprunté, dit-on (Loisv, art. cit., p. 163), cette expression à la terminologie des mystères. Mais remarquons qu’il n’existe a-icun passage des auteurs grecs où T£/£io5, signifie initié aux mystères. Celui-ci était appelé T£Ti/t-Tui « ; , T£/=5 « ei ; , ^ùr, ùp.f.mi et surtout //mtï ;  ;. Nous savons seulement que, dans les livres hermétiques, de date irai)récise, ceux qui ont reçu le baptême du m^ ; divin, deviennent rs/ii^t (HkitzensTEiN, Myslerien-Religionen, p. 163).Ce n’est donc pas à la langue des mystères que Paul a emprunté le terme zùiioi. Le tiendrait-il de Pythagore, qui divisait ses disciples en rù.iwi et envïimoi ? Dans la même épître, I Cor., XIV, 20, l’Apôtre paraît en effet opposer les voT.ioi aux T£ ; £<o< : « Frères, dit-il, ne soyez pas des enfants en raison, mais, en fait de malice soyez des enfants, v/ ; 7rià^£T£, et pour ce qui est de la raison soyez des i)arfaits, TÙiM « c’est-à-ilire des hommes faits. L’opposition est ici entre l’enfant et l’homme arrivé à son plein développement. Cette opposition est très marquée dans l'épître aux Ephésiens.iv, 13s. : « Jusqu'à ce que nous soyons tous parvenus… à l'état d’homme fait, môpc/. té/eiw, afin que nous ne soyons plus des enfants, vy ; 77 « i. » Il est inutile de chercher l’origine de ces termes : Paul leur a donné le sens qu’ils avaient dans la langue courante.

L’idée est différente dans le passage que nous discutons : Tiiso ; y est l'équivalent de msvp.o.Ttxôi. Développant la pensée qu’il a émise, d’une sagesse enseignée aux parfaits, Paul dit, II Cor., 11, 13, qu’il annonce les choses de Dieu, non avec des discours qu’enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu’enseigne l’Esprit, appropriant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels, rv£u/A « T « îr ;. Et une autre preuve que tt^-j/^tizoî égale ri/uoi, c’est que dans la même épître, iii, i, au lieu d’opposer comme ailleurs ts/£io ; à "ttiî ; , il remplace te/siî ; par iTvsj/ic<71 « ç. Le sens que l’Apôtre donne à n-jij/i’y.rix-.i nous indiquera donc celui qu’il donne àré/ic^ :.

Pour saint Paul, le msu^y.rtxii est celui qui a reçu l’Esprit qui vient de Dieu, celui qui est doué de l’esprit, meùixx. Nous avons donc à rechercher la signification qu’a pour lui le terme msOp.v., le sens dans lequel il l’emploie, et cela d’autant plus que Keitzrnstkin (Ihid., p. 140) prétend que Paul s’est inspiré du sens qui était donné à miùa-A dans les papyrus magiques, dans la littérature, la philosophie, l'éloquence et la poésie païennes. Il en serait de même pour les termes 'i-j-/ix6 : et msjaxrix.oç, et vsO ; serait l'équivalent de r.yeûyc/. D’après lui, dans les papyrus magiques et les écrits mysthiues, comme dans Paul, r.veCfiy., au sens d’esprit de l’homme, d'àme humaine, est opposé à na/m et à ^c/.p-. Voici les citations qu’il donne des divers sens de ce terme : 'EmxKhOpxi as ri » x-isc/yza… 7r « T « v m.pxx x « i ttkv -veù^k. (Kenyon, Greeli Papyri,. p. 80. Cf. Pap. Berol., ', 179). Il est appelé saint : 'K-nixaicxtuM m Upi-j TJiûpM, (Wessely, Zauberpapyri, , p. 140). Dans d’autres papyrus (Ib. I, p. 68 ; Kbnyon, op. cit., I, p. 284), il est qualifié de Dieu,

1. LoiSY (L’Evangile de Paul, H. H. L. Vi., N. S., t. V, p. li').'i) reconnaît cependant que Paul n’instituait pas deux degrés d’initiation. La distinction est seulement analogue à celle des degrés d’initiation des mystères d’Eleusis. Paul n’entend pas dire qu’il ait un petit symbole secret, qu’il réserve aune catégorie spéciale de mystères, mais il n’en a pas moins l’idée et lu pratique de quelque chose qui y correspond et qu’il ne sait expiimer autrement que dans le langag-e des mystères. Loisy pense répondre ainsi à rohjeciion de Clomcn, qu’il n’y avait pas de doctiine secrète dans le christianisme piiniilif et que, lorsque Paul parle de mystère, ce n’est pas du tout dans le sens des cultes païens. 987

MYSTERES PAÏENS (LES) ET SAINT PAUL

988

To ôîfov r.vivfj. «. Dieu est l’homme Trvsv/^y.TcâoT » ;  ; (WesSELY, Op. cit., I, p. 7y) et l’homme l’invoque (DikteRicn, Abraxas, 196, 19). L’homme qui est gralilié de cette faveur est le temple ou la maison de Dieu ou de l’Esprit et il doit être pur corporellement ou spirituellement, ainsi qu’il appert d’un passage d’ApULKi ! (jipo/., XLiii) : Ut in eo… divina potestaa quasi bonis atdibus digne diversetur ; et de la « Déclamation d’Arcllius Fusciis » sur Galchas (M. A. Seneca, Siiasoriae, iii, 5) : Cuv iste in [/er] ejas ministerium placuit ? Car hoc os deus elegit ? Car Iwc sortitur pulissiinum pectus, quod tanto niimine impleal ?

Rkitzenstkin (Ibid., p. ^3-46), soutient que ces divers sens du terme cts^^c- se retrouvent dans saint Paul, lequel n’a pas une psychologie particulière et ne s’est pas fait une langue secrète qui l’exprime. Chez lui, 7 : » c0f/K désigne tantôt Dieu d’une manière générale, tantôt ce qui est intime dans la divinité, tantôt un don presque substantiel, un lluide que Dieu met dans notre cœur, une puissance, et à côté il est la partie spirituelle de l’homme, sans aucune sigiiitication surnaturelle ou extra-humaine, laquelle s’oppose à » û, " « et à ^z^^ijiS'égalant pleinement ou s'échangeant avec le terme 'i-jy.'i. Reitzenstein se demande comment Paul a pu désigner ce qui est sensible et matériel par 'iu ;  ; izo », si 'luyy, est conversif de TTïsûvc ; , qui désigne ce qui est suprasensible et spirituel. Il croit que l’explication se trouve dans la langue des mystères. Ainsi, dans la liturgie de Milhra, le Saint-Esprit respire et vit dans le myste, non plus sa I^jx^, , puisqu’il a laissé sa personne sur la terre (Hbitzenstein, Ibid., p. 45). Dans cette manière de voir, hellénistique et antérieure à Paul, -vijyx et tiu-x-f, sont en opposition directe ; où est la liu^, ne peut être le tivîù.uk ; où est le Tfjtûy.a, ne peut être la l'^'yj,. C’est de cette vue qu’antérieurement à Pciul sont nées ces idées de - » £v// « 71zo' ; et de 'J.uyjxii {Ibid., p. 45, 46)- Les preuves qu’en donne Reitzenstein nous paraissent faibles, car il ne trouve ces termes cités qu’une fois dans un papyrus (Wkssely, op. cil., 1, p. 89).

Examinons maintenant ces hypothèses. Nous ne nierons pas qu’il existe une certaine analogie entre le sens qu’a donné Paul au terme rvjû, ua et celui qui lui est donné dans la littérature du temps, mystique ou I^rofane. Il ne pouvait en être autrement, mais nous croyons que les ressemblances sont, à un certain degré, suj)erûcielles. Il y a donc lieu d'étudier les divers sens que Paul a donnés au terme H’i-jp-j., et de voir s’il a emprunté ces différentes signilicatious à la langue des mystères ou à l’Ancien Testament.

Faisons tout d’abord quelques observations. Les diverses signilicatious du terme vvsjijlx, que dégage Reitzenstein des papyrus magiques ou mystiques, nous paraissent un peu forcées ; elles ne ressortent pas aussi clairement qu’il le dit des textes cités. De plus, ces textes ne sont pas datés avec certitude. Sont-ils antérieurs ou postérieurs à l'ère chrétienne ? C’est ce qu’il faudrait établir exactement, et ce qui n’a pas été fait pour la plupart d’entre eux. N’ont-ils pas subi des iniluences étrangères à la mystique l>aïenne ? La plui)art sont d’origine égyptienne. Or, on a relevé dans un certain nombre de ces papyrus l’influence de conceptions juives, et cela s’explique par le rôle qu’ont joué les Juifs dans la littérature alexandrine. De plus, les gnostiques, à moitié chrétiens, ont bien pu exercer une influence sur les idées et la terminologie de la littérature mystique. En résumé, il y eut, au i"' siècle, un tel remuement d’idées qu’il est bien dillicile, sinon même impossible, de déterminer exactement l’origine et la liliation de chacune d’elles.

Nous ne pouvons entreprendre d’examiner dans

le détail les diverses signiûcations données par saint Paul au terme tzjiùu.o'. ; on le trouve 146 fois dans ses épilres. Nous devons nous borner aux sens principaux.

I. Uj-xj/jv. signifie le souflle de la bouche : « Alors se manifestera l’impie que le Seigneur détruira du souflle, -ôj r.jfJiiy.Ti, de sa bouche », Il Tliess., 11, 8.

a. Ujsiyy., employé au sens psychologique, désigne la vie intérieure de l’homme. « Car qui est-ce qui connaît les choses de l’homme, si ce n’est resi>rit de l’homme, qui est en lui », to 71 » êûu.K roù mOp’jnro’j x6 h aùzCi, 1 Cor, , II, II.

3. nv€JiJ.(/. est distinct de <P<jyr ;  ; « Que votre être entier, l’esprit et l'àme et le corps, to Trvsû/tK y.ai ri ^j'/y, y.xi To 7- : iy-a, soit Conservé irrépréhensible », I Thess., v, 23. Le m-i/ay. est ici la partie la plus élevée de l’homme, celle par laquelle il est mis en relation avec Dieu, même naturellement ; la 'i'^yr, est l'élément de la vie que l’homme a en commun avec tous les animaux.

4. Ihijyv. est surtout employé dans les rapports surnaturels de l’homme avec Dieu, dans sa vie religieuse : Dieu, que je sers cv zû n-jîù/uKri fio’j, llom., I, 9. Il est le j)rincipe divin de sa vie : « Mais vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans rEsi)rit, s’il est vrai que l’Esprit de Dieu habite en vous, zir.ip T.'jtiti.y. 0 ;  ; û cha h ùyl-j », Koin., viii, 9. Il est un principe actif dee dans l’homme : « Si nous vivons par l’Esprit », £i' iCiftij T.viùyy.Ti, marchons aussi selon l’Esprit, Gal., v, 20 ; il est le principe divin de vie nouvellement communiqué à l’homme : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’Esprit, TTvjuitKTi, vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez », llom., viii, 13. « Car, pour nous, c’est par l’Esprit de la foi, 7T » sii//>.Ti ix -ittôw ; , que nous attendons l’espérance de la justice », Gal., v, 5. Cet esprit reçoit des qualilicatifs divers : m-iiy.y. jt’jOiiiy.i, liom., VIII, l5 ; 7Tï=û//. « 7r(5 » T>)T^ ; , Gal., vi, I ; 7TvcO//. « 6jvà//.£W5 y.yl y.yv.nr, i y.y.t CTWÇ./50vtcr//50, Il Tint., I, '^.

5. L’esprit est en nous puissance et vie, principe de la vie et de la justice : « Car ceux qui vivent selon la chair pensent aux choses de la chair ; mais ceux qui sont selon l’esprit, aux choses de l’esprit. Car la pensée de la chair est mort, mais la pensée de l’esprit est vie et paix… Si le Christ est en vous, le corps est mort par le péché, mais l’esprit est vie par la justice », Rom., viii, 5-io.

G. L’esprit est une lumière et une force : « L’esprit scrute tout, même les profondeurs de Dieu… Nul ne connaît ce qui est de Dieu, sinon l’Esjjrit de Dieu. Mais nous, ce n’est pas l’esprit du monde que nous avons reçu, c’est l’Esprit envoyé de Dieu, afin que nous sachions les dons que Dieu nous a faits »,

I Cor..^ II, lo-ia. u Afin que vous abondiez en espérance par la puissance de l’Esprit », Rom., xv, 13 ; cf. £pl'., III, 16 ; I Tim., 1, 5.

7. L’esprit de l’honnne, uni à l’Esprit de Dieu, reçoit la révélation intime du mystère de la vocation du chrétien, Eph., i, 7. L’esprit est dans le chrétien le principe de la vie future ; c’est lui qui ressuscitera le corps et le viviliera : « Si donc l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité des morts le Christ Jésus vivifiera aussi vos corps mortels par son Esprit qui est en vous », Boni., viii, 11.

8. L’Esprit est un principe divin, personnel, distinct du Père et du Fils. L’Esprit habite en nous, Rom., VIII, 10 ; il produit et distribue les dons dans l’Eglise, I Cor., xii, 11. Saint Paul parle de l’Esprit de Dieu, Rom., viii, 9, 14 ; de l’Esprit du Seigneur,

II Cor., III, 17, 18 ; de l’Esprit du Fils, Gal., iv, 6 ; de l’Esprit de Jésus-Christ, Pliilip., i, 19.

En résumé, l’Esiirit peut être considéré dans les 989

MYSTÈRES PAÏENS (LES) ET SAINT PAUL

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épîtres de saint Paul sous trois aspects : i. L’esprit pensant dans l’iiomme ; a. L’activité de l’EspvitSaint en l’homme, ou l’homme sous l’inlluence de l’Esprit Saint ; 3. La personne du Saint-Esprit. C’est la division proposée par le P. Prat (Théologie de saint Paul, t. II, p. io8, Paris, igia).

On reconnaîtra qu’entre la doctrine de saint Paul sur l’Esprit, qu’il soil considéré dans l’homme ou qu’il le soit comme personne divine, et la littérature des mystères, il n’y a d’autre point de contact que l’emploi du même ternie et qu’il n’y a ressemblance que lorsque Paul et les mj stères s’en servent dans sa signiflcation générale de partie pensante de l’homme. Le terme ttvsOuv a reçu chez l’Apôtre une variété et une plénitude de sens inconnues à la littérature des mystères ; c’est à peine si, sur quelques points, que nous allons signaler, il y a une certaine analogie. Et encore celle-ci ne prouve nullement dépendance, car on ne voit pas comment, du sens donné à 7 : vsû/i « par la liturgie des mystères, Paul aurait pu dériver les magnifiques développements qu’il a donnés à ce terme.

L’analogie la plus proche est dans la description qui est faite de l’action de l’esprit, produisant l’extase dans l'âme de l’initié aux mystères, ou du délire prophétique de la Pythie et dans celle de l’action du Saint-Esprit dans l’homme qu’il régénère, qu’il vivifie, d’après saint Paul. Tout au plus pourrait-on rapprocher les premiers de l’action de l’Esprit dans l’homme qui ])rophétise ou qui parle en langues, I Cor., xiv, i-a5. Et encore ceux-ci ne sont pas en extase : le premier sait bien ce qu’il dit et il est compris de tous ; le second ne se comjjrend pas lui-même, mais ses jjarolos peuvent être interprétées par celui qui les comprend.

On trouve bien un papyrus où le -KxOfi’j. reçoit les épilhètes de Od'^v et de icp’yj, mais nulle part saint Paul ne qualifie ainsi l’Esprit-Saint. Chez lui, d’ailleurs, l’Esprit de Dieu, l’Esprit du Fils, l’Esprit du Christ n’est pas vine qualité de Dieu ou du Fils, c’est une personnalité distincte du Père et du Fils.

Quant aux passages d’ApuLRE et de Sénùque, cités par Reitzenslein pour établir que, d’après eux comme d’après Paul, l’homme est le temple de Dieu ou de l’Esprit, on fera remarquer qu’ils sont de date tardive et d’ailleurs assez oljscurs.

Reitzenslein afiirme que, dans la littérature hellénistique antérieure à Paul, -vaù/j-x et ^u ; ^ ; étaient en opposition directe, que l’un ne pouvait coexister avec l’autre. Il ne donne aucun texte établissant cette proposition. En tout cas, ce n’est pas l’enseignement de l’Apôtre. D’après lui, le - » £û//.k et la (j'/'i coexistent dans l’homme tant qu’il est vivant ; non pas en ce sens qu’ils sont substantiellement distincts, mais en ce sens qu’ils ne désignent pas exactement les mêmes qualités de l'àme.Le t : v=û//v, c’est la partie supérieure, intellectuelle de l’homme et la 'i-uy/, c’est, d’ordinaire, le principe de vie animale. Mais l’Apôtre n’emploie pas toujours ces termes avec cette précision : '{JX’i désigne quelquefois l'àme tout entière, comme distincte du corps. Dans la deuxième èpitre aux Corinthiens, i, 23, il prend Dieu à témoin sur son âme, êri t/, v èfir, » -^vy/,. !. Il semble même que pour lui les termes -n’jsii/jix et 'P'^'/. sont convertibles. Dans l'épître aux Philippiens, i, î'j.il veut apprendre que ceux-ci demeurent fermes dans un même esprit, h kvi Trjsù/j.y.Ti, combattant ensemble d’une même âme, //lâ 'puxj, pour la foi de l’Evangile. A diverses reprises, il exhorte ses lecteurs à faire de toute leur âme, U ij’y'.i, la volonté de Dieu, Eph., vi, 6 ; à accomplir leurs actions avec âme, u ^'>-/i, L, Col., iii, 28, ce qui prouve que Paul employait le terme iuyr, , pour désigner toute la partie de l’homme opposée à di/j-y. et

que, dans ce terme, était englobé le mvj ; j.y.. Nous avons dit que m^'j/j-v. et ^iv^ ; / ; coexistent dans l’homme tant qu’il est vivant ; ajoutons : avant la résurrection du corps, car à ce moment la '{jy.', disparaîtra pour être remplacée par le 7t » £J//K.

Remarquons cependant que, pour saint Paul, les adjectifs dérivés de 'piiyn et de 71 » =0//k, 'l-jx"-'k et 71v51///.KTi) ! o ; , sont employés dans un sens adversatif : e’pijy, mi est celui qui est en dehors de l’influence de l’Esprit de Dieu, et le m'.j/jv.zudiesl celui qui est sous l’infiuence de cet Esprit. L’opposition n’est donc pas au point de vue psychologique, mais au point de vue religieux. Quant à l’aflirmation que ces deux termes avaient été employés antérieurement à saint Paul dans le même sens que par lui, elle s’ai>puie sur des textes postérieurs au christianisme.

Reitzenslein a soutenu que la division qu'établit l’Apôtre entre îy^z-izo*', pvyu.oi, r.-Ji.>iJ.o~'./.oi^ I Cor., iii, I, 3, lui a été inspirée par les religions de mystères, qui distinguaient trois classes de personnes : les incroyants, les prosélytes, retigiosi, et les initiés. La seule ressemblance est la division tripartite. Remarquons seulement que les ïk/szizsi de Paul ne sont pas des incroyants, pas plus que les 'yjyixoi ne sont des religioti.

Le même auteur retrouve aussi dans les religions de mystères le même dédoublement de personne que l’on constate dans Paul, lorsqu’il dit : « Ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi », Gal., II, 20. Mais il n’y a pas désintégration réelle, puisque l’Apôlre ajoute : « Mais la vie que je mène maintenant dans la chair ». Il n’y a là aucune ressemblance avec ce passage de la ^ ision de l’alchimiste ZosiME (BiïHïiiELOT, Les alcIuDiisles grecs, p. 109, Paris) ; a Les hommes qui veulent atteindre la vertu entrent ici et deviennent des esprits T-^iJ/iv--/, fuyant le corps. » Il en serait de même pour la Pythie, d’après Lucain (Pltarsale, V, 1C7, sqq.) : ^piritiis iugessit vali… inriipii pæan menieinque priorem expulit alque hominem loto sibi cedere jussit pee^ore. Il n’y a en fait aucun rapport entre cet état et celui du m’j/ic/.Tiy.o’i de Paul, lequel n’est pas un extatique, mais un fidèle vivant de sa vie normale de chrétien, c’est-à-dire de fidèle uni au Christ ; son état n’est pas passager, mais permanent, et il vit réellement de sa vie propre, puisqu’il doit prendre garde à lui de peur d'être tenté. Gal., vi, 1.

Reitzenstein (Op. cit., p. 117) affirme que, dans les écrits hermétiques, voO ; est employé pour r.-ji’jii.v. et qu’il en est de même en saint Paul. Cela nous parait peu prouvé par les deux textes cités, de date incertaine ou tardive. Quant à l’emploi qu’a fait saint Paul du terme « ûî, il a pu être influencé par les Septante, où » iC/ ; a quelquefois le sens d’esprit. Mais d’ordinaire l’Apôtre paraît l’avoir employé dans son sens courant, et il distingue très bien icû ; et Kisûjj.x. Dans sa première épître aux Corinthiens, XIV, 14, il écrit : o Car si je prie en langues, mon esprit, ri -viùy-x (j-oj, prie, mais mon intelligence, iï M’jj%liM, est sans fruit. Quoi donc ? Je prierai en esprit, tottusi/z/kti, mais je prierai aussi par l’intelligence, y.rjX ni V5I, je chanterai en esprit, zù mi’ju-y-i, mais je chanterai aussi par l’intelligence, tû voi. » Par to=û/^.k, Paul désigne ici la vie intérieure de l’homme sous l’influence de l’Esprit, l’homme inspiré, et par vîj ; , la faculté de l'àme qui comprend et juge.

Nous pouvons déjà conclure de cet examen, que saint Paul n’a pas emprunté aux religions de mystères les doctrines qu’il exprime par les termes, TzvsOfiv., vcû ; , p’jyô 7Tv « u// « T(j<'J ; , i’jyiy.ài ; il s’est servi à la vérité des mêmes termes grecs que la littérature des mystères, mais le fond de sa doctrine sur ce point 1 lui venait de l’Ancien Testament. 991

MYSTÈRES PAÏENS (LES) ET SAINT PAUL

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Et d’abord, au point de vue naturel, it-u/^^, dans les épîtres pauUniennes, signiûe la personnalité humaine, composée de corps et d'àme, liom., ii, 9 ; XIII, I ; un être animé, doué de vie, I Cor., xv, 45, comme dans l’Ancien Testament, Geti., xiv, 21 : Le roi de Sodome dit à Abram : Donne-moi les âmes (les personnes) et prends pour toi les biens. Cf. Gen., XXXVI, 6 ; xlvi, 15, 18, 2a ; Ex., i, 5, etc. Il sio-nifie aussi, dans Paul, la vie : Saluez Prisca et Aqiiila… qui ont exposé leur vie, l-jy, ', ', Rom., XVI, 3, sens que l’on retrouve dans le troisième livre des Rois, xix, 10 : Ils cherchent à m'ôter la vie. Cf. Nomb., ixiii, 10 ; Job., xxxvi, i^ ; Ps., xl, 14, etc.

Rappelons que, comme l’Ancien Testament, Paul emploie le mot rvsû/ « f. pour signifier le souffle de la bouche : Ps., xxxiii, 6 ; haie, xi, 4 et II Thess., 11, 8, ou les pensées, les désirs, les alTeclions de l’homme : tous ceux dont l’esprit était bien disposé, Exod., XXXV, 21 ; Anne dit à Héli : Je suis une femme affligée dans son esprit, I liois, 1, 15. Cf. Nombres, v, 14 ; Ps., XXXIV, 8 ; ysflîe, LXi, 3, etc. et 1 Cor., iv, 21 ; vi, 20 ; II Cor., II, j3 ; Col., 11, 5, etc. U serait facile de multiplier les exemples ; on pourrait montrer aussi que Paul s’est inspiré de l’Ancien Testament dans l’emploi qu’il fait des termes /.xpSiy, voùi, Simaïa.

Mais c’est surtout au point de vue religieux que nous relevons de nombreuses ressemblances dans les signilications qui sont données au terme msi/jx, en saint Paul et dans r. cien Testament. Kt d’abord, il est souvent parlé dans celui-ci de l’Esprit de Dieu et de son action sur l’homuie. L’Esprit du Seigneur vint sur lui. Juges, iii, 10 : vi, 34 ; xi, 29, etc. L’Esprit du Seigneur Dieu est sur moi, Isaïe, lxi, i, l’Esprit du Seigneur tomba sur moi, Ezéelnel,-s.i, 5 ; à comparer avec liom., viii, 14 : Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont lils de Dieu, et ib., vni, 9 : Vous êtes dans l’Esprit s’il est vrai que l’Esprit de Dieu habite en vous. Cf. I Cor., II, 14 ; VII, 40 ; Il Cor., iii, 13 ; Epli., iv, 30, etc. Rappelons encore que cette idée de l’Esprit de Dieu habitant en nous, qu’a développée l’Apùtre, a pu lui être suggérée par la conception de l’Esprit de Dieu (roiiach) qui était la source de l’inspiration prophétique, Ezéchiel, 11, 3.

La doctrine de Paul, que l’Esprit est en nous puissance et vie, Rom., vi, 4 ; v », 6-11 ; xv, iS-ig, lumière et force, I Cor., 11, 10-16, lui vient aussi de IWncien Testament où, dans la Genèse, 1, 2, on voit l’Esprit se mouvant au-dessus des eaux pour les vivifier ; dans les Psaumes, civ, 30, l’Esprit crée et renouvelle la face de la terre. Cf. Isaie, xxxii, iS-i^ ; Ezéchiel, xxxvii, 8-10.

Cette doctrine a été très bien résumée par le P. Lebrbton (Les origines du dogme de la Trinité, p. 337, Paris, 1910) : « Cette rapide description de l’action de l’Esprit d’après saint Paul fait assez reconnaître l’origine de sa doctrine ; elle est sans doute en continuité avec la théologie de l’Ancien Testament : dans les livres prophétiques et dans les Psaumes, on peut retrouver la plupai’t des conceptions pauliniennes. L’Esprit est là aussi lumière, force, vie ; il est la source des dons extraordinaires et parfois, quoique plus rarement, il apparaît comme un principe de sainteté. Mais dans saint Paul toutes ces doctrines sont transformées ; elles sont beaucoup plus profondes, et, par suite, elles manifestent une unité jusque-là insoupçonnée. » Ch rôle personnel de l’Esprit siu" l’homme, que Paul a marqué si vigoureusement dans ses épîtres, ne lui a donc été suggéré ni par la littérature des mystères, ni par le judaïsme contemporain, mais par la révélation du Christ. U a tout au plus reçu du judaïsme quelques

formules : Esprit saint.Esprit de sainteté. (Lebrbton, op. cit., p. 137-139)

Passons à l’examen d’autres termes qu’emploie l’Apôtre pour exprimer ses doctrines principales. Parmi les dons spirituels, il range la parole de science, /îy^ç yMieui, l Cor., xii, 8. En quel sens a-t il employé ce terme /vûti ; , et a-t-il été influencé, dans la description qu’il a faite de la yvauti, par les religions de mystères ? En d’autres termes, l’emploi commun de ce mot chez Paul et dans les mystères païens implique-t-il la communauté des idées ou plutôt la dépendance de Paul à l'égard des religions de mystères ? Reitzenstbin a soutenu l’allirmative.

D’après les écrits hermétiques, dit-il (op. cit., p, 38), la vision de Dieu fait devenir Dieu et donne le salut, riiTypix-, cette vision supérieure s’appelle /ïûvai ©iiv. La -/vûn ; est une expérience immédiate, un don gracieux de Dieu, yxpt7/jiot, qui illumine, s&itÇîi, l’homme, et en même temps change sa substance ; elle l'élève par le moj’en du corps dans le monde suprasensible. C’est une sorte de vie nouvelle, la plus haute perfection de l'àme, la délivrance du corps, le chemin vers le ciel, la véritable adoration de Dieu et piété. Celui qui a la //Sijii ou qui est dans la /jûjiç, est déjà un homme divin.

Voici les textes sur lesquels Reitzenstein (op. cit., p. 1 1 3) appuie ses aflirmations. « Dieu est loué qui veut être connu, et qui est connu par les siens, /tvwTxcTKi toi ; l'ôi'îu » (Corpus Ilermeticum, I, 31). La signification de la /aim ; ressort assez nettement, d’après lui, de la prière finale du Aç/î ; té/eio ; du papyrus Mimant, dont le teste grec a été restitué par Reitzenstein à l’aide d’une traduction latine qui se trouve dans VAsclepius du pseudo-Apclke (Archiv. fiir die Religions-Wisserischaft, 1904, p. 3g3-39'7. Ce papyrus est probablement du in* siècle après J.-C, mais il provient d’un original beaucoup plus ancien).

« Par ta grâce, dit l’adorateur, nous avons reçu

cette lumière de la gnose,-c^izc ri fû ; t ?, : /vcicrîwç. Par grâce tu nous as donné… la gnose, afin que t’ayant reconnu, nous nous réjouissions. Ayant été sauvés par toi, nous nous réjouissons de ce que tu t’es montré à nous tout entier, nous nous réjouissons de ce que, étant dans nos corps, tu nous as déi ^és, àrîSEtuiTKç, par la vue de toi-même r ?, r=Kvrcû fri… T’ayant ainsi adoré, nous ne demandons rien de ta bonté, sinon qu’il te plaise de nous garder dans ta gnose, tj-rr, ! rr, /vwjEi ; entends notre supplication, que nous ne nous éloignions pas, ri fir, iça/^vyi, de ce genre de vie. »

Reitzenstein cite encore ce passage (Poimandres, T 26) : c( Cela est le bon résultat pour ceux qui possèdent la gnose, d'être déifiés, SiuBf.jcA, » La gnose est essentiellement un don surnaturel qui ne peut être atteint par le moyen de la réflexion intellectuelle. Ailleurs (Corpus Ilerm.. XIII, 18), la -/ « ûti ; y./i'-t est implorée comme source d’illumination.

S’appuyant sur ces textes et d’autres encore, Reitzenstein soutient que le sens de /vs-^'i, est identique dans la littérature des mystères et dans les épîtres pauUniennes. Paul emploie, dit-il, ce terme en des sens assez divers. Et d’abord, il regarde la yvâjeî comme un don surnaturel, /</.oi^ij.-x, I Cor., xii, 4. 8. Dans la même épître, xiii, 12, il dira, comme dans" les écrits hermétiques : « Maintenant, je connais en partie, mais alors je connaîtrai, comme j’ai été aussi connu. B La /aûc^i : consistait donc à avoir la vision de Dieu, à le voir face à face. Dans l'épître aux Fhilippiens, iii, 8-10, la /vûci ; et -/jùjct sont donnés comme la plus intime union entre le chrétien et Jésus-Christ. Même pour le passage de l’cpître aux Romains, ii, 20, où il est question du Juif qui prétend avoir dans la Loi la forme de la connaissance, yMaa ; , et do la 993

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vérité, Reitzenslein ne veut pas y voir le sens de connaissance intellectuelle en général, mais celui de vision. Il soutient que /vûîij n’a jamais dans les épîtres pauliniennes le sens de connaissance intellectuelle. C’est pourtant bien ainsi qu’il faut l’entendre dans la première épître aux Corinthiens, xiv, 6 : « Et maintenant, frères, si je venais à vous, parlant en langues, à quoi vous serais-je utile si je ne vous parlais pas ou par révélation, ou par connaissance, iv -/Mail, » Le sens est très clair : Paul prêchait aux Corinthiens ou ce qui lui avait été révélé par Dieu ou ce qu’il déduisait par son intelligence. Il ne s’agit pas ici de la vision de Dieu.

Examinons maintenant la valeur de l’hypothèse de Heilzenstein. Ses preuves sont presque toutes extraites des écrits hermétiques. Gomme nous rencontrerons encore des propositions appuyées sur ces écrits, il est nécessaire de se rendre compte de leur autorité par rapport aux épîtres pauliniennes. Et d’abord, à quelle époque remontent-ils ? Remarquons que le Corpus Uermeticiun est formé de livres divers et de fragments qui ne sont probablement pas de la même époque. Le plus complet : o Le Livre sacré » est un mélange de doctrines égyptiennes et d’idées grecques : « Il appartient, dit L. Ménard (Hermès Trismégistc, j). Lxxxiv), à cette période de rénovation religieuse produite par la rencontre de la philosophie grecque et des doctrines orientales et égyptiennes ; mais ce mouvement a duré plusieurs siècles… Il est probable que ce livre a dû être écrit après la naissance du christianisme. Pour le « Discours d’initiation », ordinairement appelé.-/sc/e/i/os, cela est certain, puisque, dans un passage, Hermès annonce, sous forme de prophéties, le triomphe du christianisme. On le croit écrit sous Constantin. » Ménard, qui a traduit en français les livres hermétiques, conclut qu’ils sont les derniers monuments du paganisme. W. Kroll (Hermès Trismegistus, dans Pauly-Wissowa, Uealencyklopddie), ne croit pas que le Corpus hermeticum renferme des pièces antérieures au i" siècle ou même du i siècle et regarde le m' siècle comme le terme moyen de la composition. Etant donnée cette date récente, est-il bien nécessaire de discuter les rapports qui pourraient exister entre eux et les épîtres pauliniennes ? On pense cju’ils ont peut-être rapporté quelques-unes des doctrines des mystères égyptiens ; c’est possible, mais comment distinguera-t-on entre ce qui est antérieur au christianisme et ce qui lui est postérieur ? Pour ne pas paraître fuir la discussion au moyen de cotte question préalable, examinons si vraiment il y a des rapports de dépendance de Paul à l'égard des écrits hermétiques.

Reitzenstein soutient que Paul, tout comme les mystères païens, emploie le terme //oj^i ; au sens de vision de Dieu. Or, il ressortira de l’examen des passages où se trouve ce terme, que jamais il ne signifie vision de Dieu. Son sens général est connaissance, II Cor., II, 14 ; X, 5, puis discernement, Rom., xi, 33 ; XV, il. Il est souvent joint à ctpiK ou à ùj.rfja-x, Rom., XI, 33 ; I Cor., xii, 8 ; Col., ii, 3 ; Rom., ii, 20. Lorsque Paul parle du /i/^ ; ac^ftv.i et du)o-/Ci yvcJKwî, il établit une distinction entre ces deux termes, mais quelle est-elle ? Il semble que c^fi-y. désigne l’objet de la science et /viTi ; sa connaissance.

Examinons les passages des épîtres pauliniennes où Reitzenslein soutient que /vSjtc ; a le sens de vision. La /vfjai ; était un don surnaturel et il était rangé par Paul parmi les autres charismes, I Cor., xii, 7, ss. : la parole de sagesse, de science, les guérisons, la prophétie, le discernement des esprits, tous dons transitoires qui sont accordés par le même Esprit, et cette manifestation de l’Esprit est pour

Tome III.

l’utilité (de tous). Et que l’on remarque que -/vaii ; ne peut signifier vision, puisque c’est un don de i>arole,

La -/jCiyti d’ailleurs passera, comme tous les autres charismes. I Cor., xiii, 8-ii ; et il ressort bien qu’elle n’est pas la vision de Dieu dont il est parlé au ^ 12 :

« Soit les prophéties, elles seront abolies ; soit les

langues, elles cesseront ; soit la gnose, elle sera abolie. Car maintenant nous voyons dans un miroir, en énigme, mais alors nous verrons face à face. » En d’autres termes, en cette vie nous connaissons Dieu dans un miroir, celui de ses œuvres, Rom., I, 20, tandis que dans la vie future nous le verrons directement. La vision de Dieu est donc réservée pour l’autre monde, et saint Paul ne dit pas qu’elle nous déifiera.

Même dans le passage de l'épîlre aux Romains, 11, 20, où il est question du Juif qui prétend a^oir la forme de la connaissance et de la vérité, Reitzenslein soutient que cette /vari ; a le sens de vision, tandis qu’il est évident qu’il faut l’entendre dans le sens de connaissance intellectuelle.

Dans un autre passage, II Cor., iv, 6, Paul dit à ses lecteurs : a Car le Dieu qui a dit que la lumière resplendit hors des ténèbres, celui-ci a resplendi dans nos cœurs pour l’illumination de la gloire de Dieu en la personne du Christ. » Nous trouvons réunis ici les termes ^uzi^jj-ci et yii^ii, mais du contexte il ressort seulement que Dieu a resplendi dans le cœur des apôtres, afin qu’ils répandent la lumière de la science de la gloire de Dieu sur la personne du Christ. Il n’est pas question, comme dans les mystères, d’une lumière de vision qui déifie l’initié et le rend immortel. Saint Paul a d’ailleurs déclaré que nul homme n’a vu ni ne peut voir le Seigneur des Seigneurs, ov etSiv ciB-'t^ ùvdpoinoiv cùèz iSUv èùw.TCf.i, 1 Tûn., VI, 16.

Nous pouvons conclure que ce n’est pas à la liturgie des mystères que Paul a emprunté ses idées sur la gnose, connaissance des mystères du royaume de Dieu, que Jésus-Christ avait enseignée à ses apôtres ; et cela d’autant plus que nous pouvons en trouver les premiers linéaments dans l’Ancien Testament et dans la prédication du Seigneur.

Des textes que nous allons citer, il ressort que, pour les prophètes, la vision de Dieu était, en quelque sorte, expérimentale ; c'était une révélation de Dieu dans leur être intérieur. i< Je te fiancerai à moi dans la fidélité et tu connaîtras Yahvé », Osée, 11, 20. <i L’Esprit du Seigneur rejiosera sur lui, l’Esprit de sagesse et d’intelligence… l’Esprit de science, /m :  ! îu ; », Isaie, XI, 2. Cf. l’row, II, 5. Dans le Sermon sur la montagne, le Seigneur donne les conditions pour voir Dieu : « Heureux les purs de cœur, car ils verront Dieu », M t., v, 8. Ce n’est donc j)as par la science, -fCiiii, mais par la pureté du cœur qu’on verra Dieu.

Pour compléter cette étude, examinons la question de l’ascension de l'àræ au ciel, dont il est parlé dans la liturgie mithraïque, laquelle avait emprunté cette croyance au parsisme (Dikteuich, Milliruslilurgie, p. 180. F. CuMONT, Les mystères de Mitlira, p. 120, Paris, 1902). Depuis Platon, l’ascension de l'àræ vers un monde supérieur paraît avoir été un élément important dans les couches profondes de la religion grecque (Dieterich, op. cit., p. 199). Poseidonios, 135-51 avant J.-C, paraît l’avoir connue. Roiide (Psrche., II, 91) en a donné des exemples anciens. On l’a retrouvée aussi dans les livres hermétiques. Faut-il voir un souvenir de cette croyance dans le récit que fait saint Paul dans sa seconde épilre aux Corinthiens, xir, 1-6? « Il faut se glorifier ; cela ne convient pas, à la vérité, mais j’en viendrai à des 995

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visions et à des révélations du Seigneur. Je connais un liomnie dans le Christ qui, il y a quatorze ans, fut enlevé jusqu’au troisième ciel — si ce fut dans son corps, je ne sais ; si ce fut hors de son corps, je ne sais ; Dieu le sait — et je sais que le même homme — si ce fut dans son corps ou hors de son corps, je ne sais ; Dieu le sait — fut enlevé au paradis et y entendit des paroles ineflabîes, qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer. »

Cet enlèvement de Paul au troisième ciel est un fait, et il faudrait douter de la véracité de l’Apôtre pour croire qu’il a été suggestionné dans son récit par les croyances anciennes à l’ascension de l’âme au ciel. Nous devons voir là un état extatique, auquel il fait encore allusion dans la même épître, V, 13, et dont nous avons de nombreux exemples dans la vie des saints. Saint Jean, lui aussi, fui ravi au ciel, Apoc, i, lo ; n’, 2 ; les prophètes, Isaïc, vi,

I ; Ezéchiel, 1, 1, le furent aussi. Il en a été de même d’Hénoch et d’Isaïe, d’après le livre d’Uénocli et l’Ascension d’Isaïe. Nous pourrions citer d’autres exemples dans La Vie d’Adam et d’Eve (Kautscu, Die Âpoliryphen, II, p. 626), le Talmud de Babylune, Chagiga, 16, dans les Oracula chaldaica (Kroll, p. 50). On trouverait aussi d’autres mentions de cette croyance, plus ou moins altérée, chez les gnosliques, dans Cklse, Porphyre, etc. Relevons en passant une singulière interprétation qu’a faite Ileitzenstein (Op. cit., p. 198) du passage déjà cité,

II Cor., v, 13. Réunissant £vflz ; v.oJvT£ ; et Uùr, u : jj-zti du ^ 9 à îi’TS’/KO £çâ'rr>7ur> 0£oj* âfTî îw ç ; ^2vsù/jiîv’^f^^’^t il traduit :

« Nos extases se sont faites ou se font pour Dieu ; 

elles sont ]>our lui un service, un culte qui rend l’homme agréable à Dieu, » Pour aboutir à cette interprétation, il sui)prime toutes les paroles de Paul entre les versets g et 13, dont la lecture prouve à l’évidence qu’il n’est nullement question d’un culte à rendre à Dieu.

Examinons maintenant les ressemblances que l’on prétend trouver entre la transformation de l’homme dont il est parlé dans la littérature mystique et magique, et celle dont parle saint Paul dans ses cpitres. Nous avons vu que, d’après Reitzenslein, la /vûTi^ était un chemin pour une transformation de l’homme, aboutissant à la déification. Cette idée est nettement exprimée dans un discours d’Hermès à son fils Tal : « Celui qui est parvenu à la gnose, ne peut plus penser à autre chose, ni rien regarder, ni entendre parler de rien, pas même mouvoir son corps. Il n’y a plus pour lui de sensation corporelle ni de mouvement : la splendeur qui inonde toute sa pensée et toute son àme l’arrache aux liens du corps et le transforme tout entier dans l’essence de Dieu. » (Hennés Trismégiste, traduction Miînard, p. 56). On retrouve la même doctrine dans la Liturgie Je Milhia, i ! i, i(> ss., et dans un papyrus magique : « J’ai été uni avec ta forme, iJ-’pffi, sacrée ; j’ai été fortitié par ton saint nom. » (Wessblv, Griecli. Zanberpap., I, p. 48 ; Rbitzenstkin, p. 69). Cette forme nouvelle paraît être le résultat de l’initiation. Dans la vision de Zosime, déjà citée, celui-ci parle aussi d’un changement de corps, /i£TK7w//. ! z-où</îv(3 ; , par lequel il devient esprit, rïsC’, ua.

En face de ces textes, on place divers passages des épîtres de saint Paul qui auraient avec eux des ressemblances. Ecrivant aux Romains, viii, 29, il leur dit : « Parce que ceux qu’il a connus à l’avance, il les a aussi prédestinés à être conformés, r ; jy ; iipy’yj : , à l’image de son Fils. » Il s’agit évidemment ici seulement d’une transformation spirituelle. Il en est de même du passage, /îom., xii, 2 : « Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, s

Dans la seconde épître aux Corinthiens, iii, 18, Paul leur dit : « Ainsi, nous tous qui, à visage découvert, contemplons la gloire du Seigneur comme dans un miroir, nous sommes transformés, , usT « //opf.o^/y » 5<z, de gloire en gloire jiar l’Esprit du Seigneur. » Le contexte indique qu’il n’est pas question ici d’une transformation réelle du corps pour devenir esprit. Dans les versets précédents, 13, 16, Paul parle de Moïse qui se couvrait la tête d’un voile, et ce voile restera sur les yeux des Juifs à la lecture de l’Ancien Testament, jusqu’à ce que leur cœur se soit converti. Moïse, au contraire, enlevait son voile pour parler au Seigneur, Exode, axxiv, 34 ; de même, le chrétien, pour qui le voile a été enlevé, contemple à visage découvert la gloire du Seigneur en un miroir qui, reflétant cette gloire, le transforme en la même image. Nous avons ici une suite de métaphores et non une description de réalités. « Les chrétiens, dit Mange-NOT, n’ont point de voile sur les yeux et ils reflètent comme dans un miroir la gloire du Seigneur… La gloire de Dieu nous transforme intérieurement et nous la réalisons. En reflétant cette gloire, qui reluit en nous par suite de notre foi et del’inhabitation du Saint-Esprit en nous, nous la réalisons toujours de plus en plus en nous. L’image que nous avons reçue ainsi en nous et que nous rellélons en dehors par notre vie, est capable d’être augmentée et perfectionnée. Elle s’accroit de plus en plus et elle sera parfaite à la résurrection, quand notre corps sera glorifié et, pour ainsi dire, spiritualisé. » (La doctrine de saint Paul et les mystères païens ; Revue du Clergé français, t. LXXIV, p. 388. Paris, 191 3)

Les autres passages des épîtres pauliniennes parlent, il est vrai, d’une transformation réelle de l’homme, mais qui s’effectuera dans l’autre vie. « Car pour nous, dit-il aux Pliilippiens, iii, 20, notre citoyenneté, noJ.i-e-jao : , est dans les cieux, d’où nous attendons aussi comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ qui transformera le corps de notre humiliation pour le rendre conforme au corps de sa gloire. » Paul fait certainement allusion ici à cette transformation du corps psychique, tj, u)rtxiv, en corps pneumatique, msjactnxi’j, qui aura lieu, lors de la résurrection, I Cor, , XV, 44. C’est cette même tr^insformation dont il parlait aux Romains, viii, 23, à laquelle il aspirait et dont il avait reçu les prémices par l’Esprit.

Mais quels que soient les points de contact que l’on découvrira entre la pensée de Paul et l’idée des mystères sur la transformation de l’honiiue par la vision de Dieu, observons avec ICe.nnedy (Op. cit., p. 183) qu’il y a entre elles une différence fondamentale. Dans les religions de mystères, on insiste surtout sur une transmutation presque magi<iue de la substance, tandis que, chez Paul, la conception du TTiîùyo’. place au premier rang le point de vue moral ; on ne peut y voir aucune spéculation métaphysique.

Mais peut-on soutenir que c’est de la littérature des mystères que Paul avait reçu cette idée du jû, « 3t svîu/À’xri/îiv et de la ôolc. qui est accordée à ce corps ? C’est ce que fait Rkitzenstein (Op. cit., p. 169-181) dans une suite de considérations qu’il n’est pas facile de tirer au clair : tenons nous-en à l’essentiel.

Reitzenstein met en rapport direct la conception du corps pneumatique avec la notion des vêtements célestes que, dans certaines religions orientales, les âmes purifiées recevaient à travers les sept sphères au séjour de la lumière infinie. Cumont nous apprend que c’est une vieille croyance orientale que les âmes, conçues comme matérielles, portent des vêlements… De là vient l’idée, qui se retrouve jusqu’à la fin du paganisme, que les âmes, en traversant les si>hères planétaires, se revêtent, comme de 997

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tuniquea successives, des qualités de ces astres ». Mais quel rapport peut-il y avoir entre cette idée et la conception du corps pneumatique chez Paul, dans laquelle le rvrjfirz n’est pas quelque chose d’extérieur, un vêtement sur le corps, mais un principe d’action qui anime le corps ?

Pour étayer son hypothèse, Reitzenstein cite les passages suivants des écrits hermétiques : Hermès (Corpus Hermelicum, VIII, 2) exhorte les hommes à chercher un pilote pour les conduire vers les portes de la Gnose, où brille l'éclatante lumière… et à déchirer la robe qu’ils portent, ce vêtement d’ignorance principe de la méchanceté. Constatons de nouveau que la conception paulinienne est tout autre. Dans un autre passage des mêmes écrits, XVIII, il est parlé du a^i/jot à7ùij.y.zm, mais le contexte indique (pie nous sommes là dans une spéculation métaphysique, qui ne peut être mise en rapi)ort avec la conception tout objective de Paul. Ailleurs encore, XIII, 14, Tat, qui vient d'être régénéré, demande à son père Hermès si ce corps, composé de puissances, se décompose jamais. Hermès lui répond : Le corps sensible de la nature est loin de la génération essentielle (du corps régénéré). L’un est décoinposable, l’autre ne l’est pas ; l’un est mortel et 1 autre inmiortel. Ignores-tu que tu es devenu Dieu et fils de l’Un, ainsi que moi ? Il est question dans ce passage d’une transformation essentielle de l’iiomme qui devient Dieu. Cette idée est tout à fait étrangère à saint Paul, pour qui, dans le passage du corps psychique au corps pneumatique, il n’y a pas un changement de substance, mais de principe d’action.

Quelle est donc chez lui la conception du - : >u.y-TvîvuaTixov ? Pour l’expliquer dans son entier, il fauilrait exposer toute la doctrine de l’Apôtre sur la résurrection des morts, travail qui a été fait ailleurs et auquel nous renvoyons le lecteur (Mangknot, OTi. cil. Ueiue du Clergé français, t. LXXXIV, p. 257-'289) : restreignons le sujet au nécessaire. Uemarquons que Paul met en opposition le corps psychique et le corps pneumatique : ^TreicsTai 7û/j.y. ^jyiv.iv, iysipzrvA aSi[j.v. "n-Jijij-v.Tt'/Av, I Cor.^ XV, /|/i. Or, le corps psychique, c’est le corps animé par la l’uyr :  ; le corps pneumatique sera donc le corps animé par le TTJsj/iv.. En cette vie, le corps humain est surtout sous l’influence de la ^'jz^, , principe de vie animale, siège des sensations, des instincts, des sentiments ; il est corps psychique, quoique l’action du r> ; -3// « s’exerce déjà en l’homme dès cette vie, soit au point de vue naturel, soit, chez le chrétien, an point de vue surnaturel. Mais le corps ressuscité sera dégagé de toute opération animale, et il aura pour principe de vie le TJij/j ! /.. Ce tosî/jioc n’est pas, comme on pourrait le conjecturer, le Saint-Esprit, c’est l’esprit, élément supérieur de la personnalité humaine, agissant en union avec le Saint-Esprit. L’homme ne sera donc pas divinisé, comme l’enseignent certains passages de la littérature des mystères, que nous avons cités.

Ce corps pneumatique sera semblable au corps glorifié de Notre-Seigneur, nous dit saint Paul, Philip., III, 21 : Celui-ci (Jésus-Christ) transformera le corps de notre humiliation pour le rendre semblable au corps de sa gloire, roi 70J// « Tt t^ç oo'çï ;  ; « ùtoj j cf. ( Cor., XV, liÇj. Ce corps du Christ a donc pour caractéristique spéciale d'être un corps de gloire, c’est-à-dire un corps glorieux. Devrons-nous admettre avec Reitzenstein que Paul a emprunté aux mystères cette idée de la ôo ? « , lumière brillante ?

Dans les écrits hermétiques, l'âme transformée est représentée comme joigTiant le choeur des dieux, et cela est la gloire la plus parfaite, r, zùnozdrr, ti-v., de l'âme. Dans un papyrus magique, un magicien prie Isis de la façon suivante : AiçKjov, « ; dj ; iSi^Kiy. t « iv5 « ot

wj jio’j 10-j 'Cipci’j. On peut établir un curieux rapprochement de cette prière avec celle de Jésus, s’adressant à son Père : ïlccr^p, od^txvjv q'/j riv jiivj îvk 6 uii^ ioidrr, 15. Joan., xvii, I, et un peu plus loin, ^ 4, ^/<^ » î

Dans un traité attribué à Koraarios il est parlé de ceux qui revêtiront la îciçK ix toO n-jpii. Mais ce sens est inconnu à la langue grecque courante. Or, Paul a employé le mot oà-v. très souvent, 77 fois, et d’ordinaire au sens qu’il reçoit dans les Septante. Dans son expression, aùiiy. ri-^ 150f>iç, on pourrait retrouver le sens donné à ôi|K dans Jsaie, lii, 14 : Mriuç y.Soïïjii àrrà vydptîiTTuv zà sië^i G-oy, xv.i yj ôo'çk co’j kttô tôiv v.vdpûnoiv. où il entre dans ce terme quelque chose de physique, comme dans plusieurs écrits apocryi>hes, Hénoch, XLv, 3 ; IV Esdras, vii, 78-91 ; Apoc. jiarucli, XLviii, 49, 50, dans lesquels la gloire est assimilée à une grande lumière.

Il nous semble que l’on devrait rattacher cette idée du corps de gloire de Jésus-Christ à la vision que Paul en eut sur le chemin de Damas, où le Seigneur lui apparut enveloppé de lumière ; il n’y voyait pas à cause de l'éclat de cette lumière, Jifa ^oZ j-wri^ ir.si-K’j, Jet., XXII, II. Il y a aussi dans cette expression un souvenir des théoj)hanies de l’Ancien Testament, où Dieu apparaissait à l’homme dans sa gloire, /.et'., IX, 23 ; Nombres, xir, 28, etc. et de laShekinah, gloire de Dieu, souvent mentionnée dans les Targums.

Dans sa première épître aux Corinthiens, Paul leur apprend que nous porterons l’image, rr.v sUiw.^ du Céleste, c’est-à-dire de Jésus-Christ, xv, ^9 ; nous devons être transformés à la même image, celle du Seigneur, H Cor., iii, 18. Pour lui, d’ailleurs, l’homme est l’image et la gloire de Dieu, ii/.ôrj xy.i ôi ; a &aoû,

I Cor., XI, 7 ; l’homme est renouvelé selon limage de son Créateur, H Cor., iii, 10 ss. Et, en effet, d’après l’Apôtre, le croyant est conforme à l’image du Fils de Dieu, ffoni, , viii, 29, lequel est l’image de Dieu,

II Cor., IV, 4 ; Col., I, 15. Le croyant est donc transformé à l’image de Dieu.

Paul aurait-il emprunté ce terme et l’idée qu’elle exprime aux liturgies des mystères qui enseignaient la déification de l’initié ? Nous ne le pensons pas, car l’idée et l’expression lui venaient directement de l’Ancien Testament. Dieu a fait l’homme : Il l’a fait suivant l’image de Dieu, tot m-j « @ : i-j, Gen., I, 27. Dieu a créé l’homme pour l’immortalité et il l’a fait image de sa propre nature, cixz-jv- if.c, iSiai iôc ; T » : Tî ; ,.Sagesse, 11, 28 ; le Seigneur a fait l’homme de la terre… il la fait à son image, xv.t ix6-j% « jtsû. Ecclésiastique, xvii, 3, L’enseignement de l’Ancien Testament est tellement précis sur ce point qu’il est parfaitement inutile d’aller chercher cette expression et cette idée dans les liturgies des mystères, qui d’ailleurs l’expriment beaucoup moins clairement.

De ces études de détail, passons maintenant à un examen portant sur les rapports qu’on a prétendu relever entre les conceptions centrales des mystères et les doctrines de saint Paul.

IV. Les conceptions centrales des religions de mystères et les doctrines de saint Paul. — Avant de traiter directement cette question, il est bon de nous demander si nous ne trouverons pas ailleurs que dans les religions de mystères quelques-unes des idées que l’on prétend que saint Paul leur aurait empruntées.

Parmi les idées que nous avons rencontrées dans plusieurs des religions de mystères, il 3' a celle de la déification de l’initié, lequel reçoit la communication directe de la vérité par la révélation divine. Or, 999

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dit-on, nous rencontrons cette même conception dans Paul. Il nous dit, en effet, que le Christ vit en lui, qu’il est dans le Christ, qu’il a été crucilié avec le Christ, qu’il a été baptisé en sa mort, et qu’il est ressuscité avec lui. Il nous parle de ses visions, de ses révélations, de son ascension au troisième ciel. De ces passages, il ressort qu’il vivait en intime union avec le Christ, c’est-à-dire avec Dieu, et que c’est de lui directement qu’il avait reçu la vérité.

Il n’est nullement nécessaire d’avoir recours à la littérature des religions de mystères pour comprendre cet état et cette mentalité mystiques del’Apôtre ; il suffît de nous reporter à l’Ancien Testament, où nous trouverons des idées et des états analogues. Les prophètes, eux aussi, étaient directement instruits par Dieu et avaient des visions extatiques ; Dieu vivait en eux et parlait par leur bouche : « Le Seigneur, Yahvé, a parlé », dit Amos, iii, 8. « l’useras comme ma bouche », dit le Seigneur à Jérémie, XV, ig. Isaïe donne ses prophéties comme la parole de Yahvé, ! , 2. « Dieu est avec nous, viii, lO, ii, car ainsi m’a parlé Yahvé, quand sa main me saisit. » Dieu promet à Osée de le liancer à lui pour toujours et il connaîtra Yahvé, ii, ig, 20. Le psalmisle, Li, 13, sentait en lui même la présence de Dieu, lorsqu’il s'écriait : « Ne me rejette pas loin de ta face, ne me retire pas ton Esprit saint », ou encore, lxxiii, 28, 24 : « Je serai à jamais avec toi : Tu m’as saisi la main droite ; par ton conseil tu me conduiras et lu me recevras ensuite dans ta gloire. » Mais c’est surtout dans un des derniers prophètes, EzécUiel, que nous allons retrouver des actes et des paroles qui nous rappelleront des passages des épîtres pauliniennes. Comme Paul, il a eu des visions. Pour lui, les cieux s’ouvrirent et il vit des visions de Dieu, I, I ; il aperçut l’image de la gloire de Yahvé. A cette vue, il tomba sur sa face et il entendit une voix qui lui parlait, et l’Esprit entra en lui et il entendit celui qui lui parlait, i, 28-n, 2. Yahvé lui dit : (( Fils de l’homme, toutes les paroles que je dirai, reçois-les dans ton cœur et écoute-les de tes oreilles », III, 10 et l’Esprit l’enleva, iii, 12. Et plus loin, il raconte qu’il vil encore la gloire de Yahvé et que l’Esprit entra en lui, iii, 28, 2^. La main du Seigneur, de Yahvé, tomba sur lui… l’Esprit l’enlera entre le ciel et la terre, viii, 1, 3 ; xi, i. Et l’Esprit l’enleva et l’emmena en vision auprès des captifs, en vision dans l’Esiirit de Dieu. De tous ces passages, que nous pourrions multiplier, il résulte qu’Ezéchiel reçut de l’Esprit de Yahvé la connaissance de tout ce qu’il devait enseigner au peuple d’Israël et qu'à diverses reprises il vil la gloire de Yahvé. Nous trouvons là, beaucoup mieux que dans les religions de mystères, les idées de Paul et l’idée d’un enseignement donné directement par Dieu. Observons cependant que, pour lui, c'était un fait d’expérience et qu’il n’avait pas à chercher ailleurs qu’en lui-même pour en être convaincu. Notre démonstration n’a donc de valeur que contre les critiiques qui soutiennent que, dans cette affirmation, l’Apôtre dépendait des doctrines helléniques de son temps. Reconnaissons néanmoins que son enseignement sur l’Esprit de Dieu a pu lui être suggéré par les nombreux passages où le prophète parle de l’Esprit de Y’alivé.

Et si ma.intenant nous étudions l’apocalyptique juive, de peu antérieure à Paul, et même contemporaine dans quelques-unes de ses parties, nous trouvons encore cette idée de l’Esprit de Dieu instruisant le voyant et parlant par sa bouche. Esdras prend une coupe, pleine d’une eau brillante comme du feu, et quand il eut bu cette eau (l’Esprit), la

connaissance coula dans son cœur ; sa poitrine se dilata de sagesse, son âme conserva le souvenir, IV Esdrcis, xiv, 89, ^0. Le voyant était préparé à cette extase mystique par les pratiques ascétiques. Le Seigneur dit à Baruch : « Va et purilie-toi pendant sept jours, ne mange pas de jiain et ne bois que de l’eau et ne parle à personne. Et ensuite viens à cette place et je me révélerai à toi et je t’instruirai du vrai et je te donnerai le commandementen ce qui regarde la méthode des temps. » Apocalypse de Baruch, xx, 5, 6. Cf. IV JCsdras, ix, 24, 26.

Nous trouvons aussi, dans la littérature apocalyptique, mentionnée à diverses reprises l’ascension au ciel de l'àme du voyant. « Et en ces jours, dit IIknoch, XXXIX, 3, des nuages m’enlevèrent et un tourbillon me transporta hors de la terre et me déposa à la lin des cieux. Et là je vis une autre vision : les demeures des saints et les lieux de repos des justes. » Dans le Livre des.S’ecre/5 (<'//énot/i, xxi, 5, Ilénoch est enlevé par l’ange Gabriel et placé devant la face du Seigneur ; il tomba aux pieds du Seigneur et l’adora et le Seigneur lui parla, x.xii, 4 ; sur l’ordre du Seigneur, Gabriel lui enleva son vêtement de la terre et l’oignit de l’huile sainte et le revêtit du vêtement de la gloire du Seigneur et il devint comme un des bienheureux.

On remarquera qu’en aucun de ces passages le prophète ou le voyant, admis en la présence de Dieu, n’est absorbé en Dieu ; il n’est jamais parlé d’une union mystique avec Dieu qui le déiŒ. C’est là une différence profonde avec les religions de mystères, dans lesquelles l’initié est, au sens strict, déilié ; différence que nous retrouverons dans les épîtres pauliniennes : l’union avec Dieu par la grâce n’implique pas la déilication du croyant.

Passons à un autre ordre d’idées. D’après LoiSY (L’Evangile de Paul, li. II. l..Ii., t. V, N. S., p. 187 ss. Paris, 1914), c’est dans la théologie et la pratique de certains mystères païens que Paul, rompant avec les idées nationales des Juifs et même avec celle de Jésus, pour lesquels le salut aurait été réservé aux seuls Israélites, avait trouvé son principe de la participation de tous les peuples, Juifs et Gentils, au salut par la foi au Christ rédempteur. Lorsque Paul, dit-il, écrit aux Koinains, iii, 29, 30 : Dieu n’est-il que (le dieu) des Juifs ? Ne l’est-il pas aussi des Gentils ? Oui, il l’est aussi des Gentils ; car il y a un seul Dieu, qui justiliera le circoncis parla foi et par la foi l’incirconcis », cf. Gal., iii, 26 ; Rom., i, 16, etc. Qu’il s’en soit ou non aperçu, ce point de vue est la négation même du judaïsme ; et ce n’est pas le point de vue de l’Evangile…, c’est le point de vue d’Isis, détaillant à Lucius ses titres et son pouvoir(^ ; 7. cit., p. 145).

En opposition à l’affirmation de Loisy, nous soutenons que cet universalisme du salut, cette réunion de tous les peuples en un seul devant Dieu, avait été entrevue par les prophètes d’Israël, et que, par conséquent, c’est dans l’Ancien Testament que Sdint Paul a puisé cette idée, dont il a développé ensuite toutes les conséquences. « L’Eternel, dit Isaïe, xx>', 6, prépare à tous les peuples un festin succulent » ; les peuples, II, 3, se rendront en foule à la montagne de l’Eternel. Enfln, Dieu dit à son Serviteur : « C’est peu que tu sois mon Serviteur, pour relever les tribus de Jacob et pour ramener les restes d’Israël ; je t'établis pour être la lumière des nations, pour porter mon salut jusqu’aux extrémités de la terre », Is., XLix, 6. Cf. LUI, 15. Pour Habacuc, 11, 14, la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de l’Eternel.

Mais c’est surtout dans les enseignements du Seigneur que l’Apôtre des nations a puisé sa doctrine lOOi

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de l’universalUé Ju salut pour tous les peuples, de l’appel de toutes les nations à faire partie du royaume de Dieu. Jésus est le salut que Dieu a préparc pour tous les peuples, la lumière qui doit éclairer les nations, Le. II, 30-32 ; par lui toute cliair vei-ra le Salut de Dieu’Le, iii, 6 ; Isaïe, ii, 30 ; il viendra des hommes de l’Orient et de l’Oceident s’asseoir à table dans le royaume de Dieu, Lc, xiii, 29 ; la pénitence et le pardon seront prêches au nom du Messie à toutes les nations. Lc, xxiv, 46, 47 i l’Evangile doit être prêché à toutes les nations. Mc, xiii, 10 ; Jésus ordonne à ses apôtres de faire toutes les nations ses disciples, Mt., xxvni, 19 ; la vocation des gentils au salut est clairement enseignée par la parabole des vignerons homicides, Mt., xxi, 33-46 ; Mc, xii, i-ia ; Le, XX, g-iQ-n serait facile de multiplier les textes ; ceux-là sullisent.

Comparons maintenant les conceptions centrales des religions de mystères à celles de saint Paul. Les conceptions que nous rencontrons dans presque toutes les religions de mystères se résument dans les suivantes : Les initiés obtiennent le salut, trwTvjpia ; ce salut les délivre de la tyrannie du destin, dont l’épreuve la plus cruelle est la mort. L’initié est donc assuré de l’immortalité, qui lui est conférée par la régénération, Kva/ewâTJai,-a’tv/-/s.Jîzia., Une vie divine est accordée à l’initié qui est déilié, Ot’J)r ;, ’j.i, à-5*£w « r.vai, ce qui lui procure l’union avec la divinité.

On a voulu trouver dans ces idées les origines de la conception chrétienne du salut et de l’immortalité bienheureuse : « Les mystères païens et le christianisme avec eux, dit LoisY (Les mystères païens et le mystère chrétien, II. IL. L. R., t. IV, N. S., p. lo), promettaient à leurs adeptes l’immortalité des dieux… C’est du Christ lui-même que le chrétien reçoit l’assurance de l’iinmorlalité ; il la tient donc de celui qui, ayant connu la mort, a connu le premier la résurrection et la gloire auprès de Dieu. C’est parce qu’il est uni, assimilé au Christ, mort et ressuscité, que le chrétien est assuré de ressusciter lui-même après sa mort. De même, dans les mystères païens, c’est dans une relation intime, une étroite union avec les divinités des mystères que les initiés puisent la garantie d’une vie heureuse dans le monde éternel. Ces divinités aussi sont spécialement qualiQces pour procurer aux hommes une telle grâce. » Et ailleurs encore il dira (The Christian Mystery, dans The Hibbeit Journal, vol. X, p. 51. London, 1911) : « Jésus-Christ fut un dieu sauveur d’après la fai, ^on d’un Osiris, un Attis, un Mithra. Comme eux, il appartenait par son origine au monde céleste ; comme eux il est apparu sur la terre ; comme eux il a accompli une œuvre de rédemption universelle, efficace et typique ; comme Adonis, Osiris et Attis, il est mort d’une mort violente et comme eux il a été rappelé à la vie ; comme eux il a préliguré dans sa destinée celle des êtres humains qui prendraient part à son culte et commémoreraient sa mystique aventure ; comme eux, il a prédestiné, préparé et assuré le salut de ceu.x qui deviennent participants de sa passion. r>

Examinons d’abord les données des textes sur ces conceptions des religions de mystères, et mettons-les en présence des enseignements de saint Paul sur ces mêmes points. On constatera que ces conceptions sont peu précises, plutôt obscures, et n’ont avec celles de l’Apôtre que certains rapports de termes. Observons encore que les idées que nous trouvons, en particulier dans les liturgies milhriaques ou les écrits hermétiques, sont quelques-unes peut-être anciennes, ce que nous ne pouvons savoir, mais en tout cas nous ont été transmises par des documents postérieurs aux épîtres pauliniennes.

Dans l’exposé que nous avons fait des différents mystères, nous avons relevé cette conception très ancienne de la communion avec la divinité, obtenue par la manducation d’une victime qui la représentait. Dans les rites qui se concrétisaient dans la figure mysti<iue de Dionysos Zagreus, le taureau, représentant le dieu lui-moine, était mis à mort et dévoré. Sa vie se transfusait dans ses adorateurs. Les initiés aux mystères de Dionysos, dit Clkment d’Alexan-DRiK {l’rutrej/t., 11, 12 ; cf. Scholion ancien sur i, 2), mangent de la chair crue ; cette initiation symbolise le dépècement de son corps que Dionysos a subi par les mains des Titans.

Une communication moins matérielle de la divinité est celle que la religion grecque nommait l’inspiration divine, ’i-jOmi « .^iA’Ji. La prière à Hermès (Kenyon, Greek l’apyri, I, s. 116) : « Viens en moi. Seigneur Hermès, comme l’enfant dans les entrailles des femmes », précise cette idée. A cette conception de l’inspiration, se i-elie celle de l’extase, ézttkti ;, état qui est produit par l’entrée d’un élément divin dans l’extatique, lequel devient i-^Oioi, animé par Us dieux. Du même ordre est la /vcûhî, ou la vision de la divinité, qui transforme l’àine en la divine essence. Dans la littérature hermétique, la communication de la révélation régénère. L’âme est rendue capable de s’élever dans la demeure divine et de devenir un avec la divinité. Cette sorte d’union mystique provient probablement en partie des anciennes spéculations physico religieuses et en partie de leur interprétation pythagoricienne ou stoïcienne, enseignant que les hommes atteignent la vision de Dieu par le moyen des éléments, dont les premiers principes existent dans la divinité. On a conçu quelquefois, et cela devait se produire, comme un mariage spirituel de l’âme avec Dieu (Undbkiiill, Mysticism, p. 496. London).

Dans les mystères d’Attis, l’initié est sauvé de ses tourments eomme le dieu a été sauvé. Par quel moyen était-il assuré de l’immortalité ? On l’ignore. Dans la description que fait Apulke de l’inilialion de Lucius aux mystères d’Isis, cette initiation est décrite par le grand prêtre comme une mort volontaire, suivie d’une nouvelle naissance. Sallustils parle des nouveaux initiés aux mystères d’Attis, recevant du lait en nourriture, comme étant nés de nouveau. Dans le culte d’Osiris, l’adorateur, uni au dieu qui vit, partageait sa vie divine.

D’après Sopater, dit Uamsay (Mysteries, dans VEncyclopædia Britannica, 9’éd., London), l’initiation établit une parenté de l’âme avec la nature divine et Tuéon de S.myrne affirme que le degré final de l’initiation est l’état de bonheur et de faveur divine qui en est le résultat. Mais quel est pour notre sujet la valeur du témoignage de Sopater, auteur du vi’siècle après Jésus-Christ ou même celui de Théon, qui est de l’an 1 17 après J.-C.’?

Examinons maintenant la doctrine de saint Paul sur le salut de l’homme par le Christ, afin de faire ressortir ce qui la différencie absolument des idées des liturgies mystiques que nous venons d’exposer sommairement.

Si nous comparons le personnage que fut Jésus à ce qu’étaient Osiris et Attis, une différence essentielle s’affirme iiumédialenient. Jésus est un personnage historique qui a vécu, qui a enseigné à ses disciples une doctrine de salut, qui a souffert et qui

1. Sur la communion de l’homme avec la divinité, on pourra consulter lea divers articles, publiés dans VEncyclopædia IIPReligion and Ethics, sur cette question, examinée chez divers peuples, en particulier chez les Babyloniens, le.s Chaldéens, les Egyptiens, les Giecs et les Romains, les Hébreux, etc. Vol. lil, p. 736. Edinburgh, 1910. 1003

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est mort réellement. Sa résurrection est un fait historique qui a été attesté par de nombreux témoins. Osiris et Attis, au contr ; iire, sont des personnages mythiques, représentant d’une façon symbolique les changements annuels de la végétation, qui s’arrête en hiver, qui meurt dans les conceptions populaires d’autrefois et qui reprend vie au printemps, qui renaît. Le meurtre d’Osiris et la mort d’Attis, opérée par lui-même, n’avaient rien de méritoire et n’ont jamais été considérés comme ayant une elVicacilé rédemptrice ; ils ne sont que la transformation mythologique de phénomènes naturels ou, comme dans le culte de Mithra, l’explication légendaire d’un mythe astral. La sotériologie des mystères ne comporte donc ni participation morale chez l’homme ni collaboration méritoire et etBcace chez les dieux. Il n’j' a aucune relation entre la mort des dieux et les péchés des hommes. Ces morts des dieux peuvent-elles donc être comparées à la mort du Christ donnant sa vie pour l’humanité ? Il n’y avait, en outre, aucun rapport entre les lamentations rituelles des femmes, pleurant à une époque déleriuinée la mort d’Osiris et d’Attis, et la participation du chrétien aux soutTrances du Christ qui le transforment et lui donnent une vie nouvelle, laquelle se poursuit dans toutes les actions de sa vie quotidienne ; il n’y arieJi là de rituel ou de momentané.

Dans les religions de mystères, le salut, ^orr.pix, n’impliquait pas la rémission du péché, mais était la délivrance de ces fardeaux, le destin, la nécessité, les maux physiques, et entin la mort qui oppriment l’homme ; la vie immortelle était analogue à la vie sur la terre. EnQn, ce salut était obtenii par l’accomplissement strict, mécanique des cérémonies sacrées ; la volonté de l’initié n’était pas nécessaire pour l’obtention des effets de l’initiation. En fait, le salut était tout extérieur, n’atteignait en rien l’intérieur de l’initié et n’inlluait en aucune façon sur sa conduite morale. L’initié n’assumait aucune obligation morale. C’est seulement au temps de l’empire, dit le P. L.GHANGE (Suint Paul, l’Epitre aux Homains, p. 19. Paris, 1916), que l’idée du salut prit corps dans les mystères. Encore est-il que le salut consiste à obtenir l’immortalité bienheureuse, à échapper aux périls de l’enfer ou aux embûches des démons, à se purifier par les rites et l’ascèse, non à être délivré du péché par le pardon (de même RBiTZEKSTBiN, i’oiniandres, p. 180, note i).

Chez saint Paul, l’idée du salut était toute différente ; elle procédait d’abord de l’Ancien Testament, /s., xLvi, 13 ; iii, 10, où le salut comportait la délivrance des maux matériels et spirituels. Pour l’Apôtre, les termes sci-zr.pix et o^’^ïm ont un sens strictement spirituel. Le salut est la justification du pécheur, une réconciliation avec Dieu, une participation à la vie du Christ, opérée par l’amour de Dieu. « Dieu, écrit-il aux Romains, v, 8-10, prouve son amour envers nous en ce que le Christ est mort pour nous quand nous étions encore des pécheurs ; à bien plus forte raison donc, étant maintenant justifiés par son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère, car si, lorsque nous étions ses ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à bien plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie. n II suit de là que la vie morale de l’homme justifié est transformée. Nous ne devons plus vivre selonla chair, llom., iii, 12. « L’amour du Christ nous presse… il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mortet ressuscité pour eux. « Il Cor., v, 14-15.

Nous sommes ici dans une atmosphère bien différente de celle des religions de mjstéres. On ne retrouve pas d’ailleui’s dans ces dernières cette idée

paulinienne du salut accordé par la foi an Fils de Dieu, dans laquelle vit le fidèle, Gal., 11, 20 : « Je vis, non plus moi-même, mais le Christ vit en moi. Et la vie que je vis maintenant dans la chair, c’est une vie dans la foi à Dieu et au Christ qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi. » Il y a donc entje le Christ et le fidèle une union qui produit dans celui-ci une lloraison de bonnes actions, et cela dès ici-bas. <i Ceux qui sont au Christ, dit saint Paul aux Galates, V, 2 : 5, ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs. » Les religions de mystères n’offrent rien de semblable.

Nous devons examiner ce que signifiaient chez r.pôtre la mort et la résui’rection du fidèle baptisé dans la mort du Christ et ressuscité avec lui. Observons d’abord que cette mort et cette résurrection ne ressemblent en rien à celles de l’initié aux mystères d’Osiris, qui participait à la renaissance du dieu au printemps. « Notre vieil homme, dit saint Paul aux Romains, vi, 6, a été crucifié avec le Christ, afin que le corps du péché fût détruit, pour que nous ne fussions pas assujettis au péché. » Dans la pensée de Paul, il s’agit de la mort au péché et de la résurrection à une vie de sainteté, conceptions morales, nous le répétons, que l’on ne trouve pas dans les mystères d’Osiris ou en d’autres, qui reproduisent dans un certain degré les idées mystiques inhérentes à la nature humaine.

Enfin, remarquons qu’on ne retrouve nulle paît dans les é|)itres pauliniennes cette conception de la déification de l’initié, que nous avons signalée ]ilusieurs fois dans les religions de mystères. Le fidèle est l’enfant, rexvo », le fils, ^’o ; , de Dieu : « Vous avez reçu, dit l’Apôtre aux Romains, vni, 15, 16, l’esprit d’adoption par lequel nous crions Abba, Père. L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, cohéritiers du Christ », ce qui ne veut pas dire que nous sommes déifiés ; car, ainsi que Paul l’affirme aux Corinthiens, dans sa seconde épîlre, iii, 18, nous sommes transformés en l’image du Christ. Or, être conforme à l’image de quelqu’un ne signifie pas être de même nature que lui. Le chrétien, cependant, participe à la nature de Dieu par le don de la gi-àce. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter tous les passages, où il est parlé de l’union du fidèle avec le Christ, de sa vie dans le Christ, par le Christ.

Nous compléterons cet exposé en établissant qu’il n’y a dans les doctrines de saint Paiil sur le baptême du fidèle et sa participation à la cène eucharistique aucune ressemblance, sauf peut-cire de termes, avec les liturgies des religions de mystères.

V. Les rites dn baptême. — Les Actes des Apôtres nous apprennent que, dès les premiers joujs du christianisme, les apôtres baptisèrent ceux qui crurent en Jésus-Christ, 11, 41 ; iv, 4- Us accomplissaient ainsi l’ordre de leur Maître, qui leur avait enjoint de baptiser toutes les nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, il//., xiviii, 19. Il est souvent ensuite parlé dans le courant du même livre, viii, 12, 16 ; x, 48 ; xvi, 15 ; xviii, 8, elc., de ceux qui furent baptisés. Saint Paul parla à diverses reprises, Rom., vi, 3 ; I Cor., i, 15, 16 ; xii, |3 ; Gui., iii, 27, de ceux qui ont été baptisés ; du baptême et de ses effets, Rom., vi, 4 ; Eph., iv, 5 ; Col., Il, 12. et de son enseignement, il ressort que le baptême est un bain de régénération et de renouvellement : Dieu nous a sauvés, i-w7£v, par l’abluliondc la régénération et du renouvellement de l’Esprit-Saint, qu’il a répandu abondamment sur nous par Jésus-Christ, notre Sauveur, Tiie, iii, 5. 1005

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Peul-on voir, ninsi que l’ont fait quelques criti<iues, en particulier LoisY (L’iniiiiition chrétienne, jR. H. L. H., t. V, p. 198 ss.) et P. Gardner*, dans le baptême chrétien et dans les enseignements de l’Apfitre à son sujet, une reproduction des rites de purilication des religions de mystères ? L’examen des documents prouvera que, s’il y a eu entre les deux une certaine analogie de ternies, il n’y a pas eu dépendance.

Il est inutile de rappeler les rites de lustration du culte d’EriJa en liabylonie, les purifications chez les Parsis, le baptême de la religion mandéenne (On trouvera une étude sur le baptême chez dilïérents peuples dans les articles Banlisrn, vol. II, et Initiation, vol. Vil de i’Encycloiiicrlia of Religion rt/irf i’fvfts, Eldinburgh, 1909 et 1914). Nous reconnaissons que des relig’ions anciennes ont eu des rites de purification : c’est une cérémonie qui ressort de la nature même des choses. Rappelons seulement le bain de purification dans la mer des futurs initiés aux mystères d’Eleusis, l’ablution des initiés dans les mystères d’Isis. Teutulmiîn (De baptismo, v) nous en a parlé : Nam et sacris qui bu s dam per lavacruni initiantur Isidis aUcujus aut Milkrae… cerle ludis Apallinaribus et Eleusiniis linguuntur, idque se in regenerationem et impunilatem perjurioruni suorum ugere præsuiniinl.

On a même voulu retrouver dans un papyrus {Papyrus de Paris, li")) du ii' siècle avant J.-G. l’idée de mort rattachée, comme dans saint Paul, à celle du baptême. Un novice du temple de Serapis,.'.pollonios, aurait écrit à son directeur spirituel Ptolemaios, qui différait son initiation sous prétexte que la mort serait la punition d’une initiation prématurée, qu’il ne pouvait mourir et que, s’il voyait qu’il devait être sauvé, qu’alors il soit baptisé, zai où Sw^/j-tSy. àrc9avstv, y.v.v (2/ ;  : on y.£^ii^a£v 7ù}0cvry.t, to’ts 13amiÇ'Siif.î6x. Telle est, du moins, l’interprétation de Reitzenstein (Die hellenistichen Mysterienreligionen, p. 7^) ; mais MiLLiGAN (Sélections from tlie greel : Papyri, p. 22. Cambridge, 1910) explique ce passage tout autrement. ApoUonios éci’it à Ptolemaios que toutes choses sont fausses, et ses dieiix semblablemenl, parce qu’ils nous ont jetés dans une grande forêt, où nous pouvons mourir, même si tu vois que nous sommes sur le point d'être sauvés, alors que nous sommes enfoncés dans l’embarras. Il n’y aui’ait donc dans cette lettre aucune allusion à la mort concomitante au baptême.

Signalons tout d’abord quelques-unes des idées qui différencient profondement le baptême chrétien des purifications des mystères. La plus capitale est que ces dernières purifiaient le candidat à 1 initiation des souillures physiques, matérielles, de son impureté cérémonielle, tandis que le baptême chrétien purifiait du péché le catéchumène. Celui-ci devait mener désormais une nouvelle vie morale, tandis que le myste continuait sa vie précédente ; ce n'était pas un converti. Au point de vue de l’efficacité morale, les ablutions des mystères païens sont nulles, ainsi que l’alfirme Tkrtullibn (De Baptismo, v) ; elles sont purement rituelles, mécaniques, inelUcaces, viduæ aquae, dit-il, Ib. Voici sur ce point le témoignage de ForcvnT (Op. cit., p. 403

1. The religious expérience of saint l’aul, p. 81. London, 19Î3. — D’après Gardneh, répétant le sommaire donné par Ankicii, Das antike Mysterienwescn, p. 37, les mystères uvuienl trois cariiclérisliques notables : 1. Tous avaient des rites de puriticution, cérémoniels ou moraux ; 2. Les initiés communiaient avec la divinité ; 3. Celte communion leur assurait une vie heureuse dans l’autre monde. Les enseignements de saint Paul sont, dit Gardner, conforutes à ces idées.

et 289) : « L’initiation était dans la vie des initiés un événement considérable, propre à exalter leur foi en Démêler et dans ses promesses, mais non le début d’une existence nouvelle. » (p. /io3) Et sur les purifications, il dit : « Cette pureté est toute matérielle. Que, plus tard, les philosophes aient voulu y voir une image, un symbole de la pureté de l'âme bien supérieure à celle du corps ; que, dans quelques inscriptions de l'époque gréco-romaine, le règlement prescrive aux visiteurs du dieu d’avoir l'âme pure aussi bien quc les mains, c’est possible. Mais parmi les témoignages qui nous sont parvenus sur la préparation aux iiij’stères, il n’y a pas trace d’instruction ou de purilication morale, pas de prescription pour réparer ou expier les fautes commises, pas d’exhortation à les éviter dans l’avenir. » (p. 2B9)

Il n’y a d ailleurs aucun rapport entre les rites de l’initiation aux mystères païens et le rite du baptême chrétien. Ces rites païens de purilication sont en outre des préparations à l’initiation. Dans les mystères d’Eleusis, il y avait d’abord la purification à la mer, puis, le surlendemain, des sacrifices, des processions, et alors commençait la célébration des grands mystères qui initiaient le candidat au grade de imT--r, i. Il n’en était pas de même dans le baptême chrétien, lecpiel était tout à la fois une purification du péché et une introduction du néophyte dans le corps de l’Eglise et une union mystique avec JésusChrist. « Car, dit saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens, xii, 12, comme le corps est un et que tous les membres de ce seul corps, quoiqu’ils soient plusieurs, ne forment qu’un seul corps, il en est de même du Christ. Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour n'être qu’un corps, soit Juifs, soit Grecs, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. » Cf. le passage de l'épître aux Romains, vi, 3, que nous citons plus loin.

Enfin, dans le baptême chrétien, l’effet n'était pas produit, comme dans l’ablution de l’initié païen, d’une façon mécanique, magicpie, mais d’une façon spirituelle. Pour nous convaincre de ce fait, il suffit de lire quelques passages des épîtres pauliniennes.

« Ignorez-vous, dit l’Apôtre aux Romains, vi, 3, que

nous tous qui avons été bajjtisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie, car si nous sommes devenus une même plante avec lui par la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi par la ressemblance de sa résurrection, sachant bien que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corjis du péché fût détruit pour que nous ne soyons jilus esclaves du péché, car celui qui est mort est liliéré du péché. » Et aux Galales, iii, 26, 27, il dira : « Tous vous êtes ûls de Dieu par la foi dans le Christ Jésus. Car vous tous qui fûtes baptisés dans le Christ, vous revêtîtes le Christ. » Et encore il écrira aux Colossiens, 11, 12 : « Ayant été ensevelis avec lui (le Christ) par le baptême dans lequel vous aussi vous êtes ressuscites avec lui par la foi de la puissance de Dieu qui l’a ressuscité des morts. Et vous, lorsque vous étiez dans vos oll’enses, dans l’iucirconcision de votre chair, il vous a vivifiés avec lui, nous ayant pardonné toutes nos offenses. »

Il ressort, d’une façpn claire, de ces divers passages que nous sommes ici dans la sphère des choses spirituelles et que, de même que la mort du Christ et sa résurrection n’ont rien eu de magique, le baptême qui unit le catéchumène à la mort et à la résurrection du Christ, qui es tune similitude de cellesci, n’est pas une opération mécanique ou magique. 1007

MYSTÈRES PAÏENS (LES) ET SAINT PAUL

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Commentant le passage de Gal., iii, aô-a’j, le P. Prat en fait ressortir les enseignements : « Baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ, vous avez la forme du Ghristet, par conséquent, la liliation adoptive, inhérente à cette forme. C’est, en effet, l’union au Christ qui nous fait enfants de Dieu, et cette union est opérée jiar la foi et par le baptême ; mais ni l’union effective du baptême ne peut se produire sans l’union affective de la foi, ni Punion affective de la foi sans quelque relation intrinsèque à l’union effective du baptême ; c’est parce que l’union affective de la foi tend essentiellement à l’union effective du baptême, qu’elle devient elle-même effective ; et les deux conceptions, loin d'être opposées, se rejoignent. » Donc, puisque saint Paul a étroitement uni pour la production de la justification du pécheur la foi et le baptême, celui-ci n’a aucun effet magique, il n’opère pas mécaniquement et, par conséquent, il est profondément différencié de l’ablution des cultes de mystères. Déjà, Notre-Seigneur, 3Ic., xvi, 16, avait uni la foi et le baptême comme conditions du salut.

Faisons une dernière observation. La plupart des religions de mystères, et en particulier les mystères d’Eleusis, assuraient à Pinitié l’immortalité de l'àme et la jouissance d’une vie heureuse après le trépas. Saint Paul aurait-il emprunté à ces religions ses enseignements sur le baptême, unissant le iidèle au Christ et lui assurant par cette union la possession de la vie éternelle ? Il n’en est rien. Sur ce point, l’Apôtre a développé l’enseignement du Seigneur, Me, XVI, 16 : Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé, et par conséquent aura la vie éternelle ; enseignement que nous trouvons mis en pratique dès les premiers temps chrétiens, Actes, ii, 38, Iti ; viii, 12. Il n’a jamais été soutenu que Jésus ou ses apôtres aient subi Pinfluence des religions de mystères. Et d’ailleurs cette doctrine de saint Paul se rattache à toute sa théologie et en est une conséquence. Le fidèle, uni à Jésus-Christ par la foi et le baptême, vit avec lui, ne fait qu’un avec lui et, par conséquent, participe à la vie du Christ. Or, le Christ ressuscité ne meurt plus, il vit éternellement auprès de son Père. De même, le chrétien, mort au péclié par le baptême, ressuscite comme le Christ et vivra un jour éternellement heureux avec lui.

Terminons cet exposé par les observations très justes que fait db Backer (Sacramenlum, p. 304) au sujet des emprunts qu’aurait faits le christianisme aux religions de mystères : « On reconnaît que ce serait une absurdité de prétendre que les premiers chrétiens auraient emprunté les plus anciens de leurs rites, particulièrement le baptême, qui déjà était pratiqué chez les Juifs avant la venue du Christ. (GoBLBT d’Alviell., Revue de V Histoire des relij^ions, igoS, p. 169. Sabatier, La Didaché, p. 85. Paris) D’après Harnack lui-même (Dos U’esen des Christentiims, p. 126, 187, 138, 1^8. Berlin, 1900), Loisv (L’Evangile et l’Eglise, p. 178, 179. Paris, 1902), les emprunts liturgiques n’ont pas été faits par l’Eglise avant le iv" siècle. Si l’Eglise n’a pu emprunter la forme, elle n’a pu davantage emprunter le fond, car la prédication du Christ n’a pas subi Pinffuence de l’hellénisme (Wendland, Die lielleJtistisclirumische Kultiir, p. 120). Or, dès le début du christianisme, le baptême apparaît avec ses attributs essentiels (renaissance, purification, illumination), Uébieux, V, 4, à une époque on la philosophie n’est pas encore entrée en contact avec le christianisme'.

1. Harnack, 1. c, rapporte la première introduction de la pensée et de la vie grecques dans le christianisme environ Ji l’an 130 après J.-C.

Les premiers docteurs chrétiens ont approfondi la signification du baptême dans toute son ampleur et sa profondeur (renaissance spirituelle à la vie surnaturelle de la grâce), alors que les idées à peu près semblables au sujet des rites païens correspondants ne se manifestent que plus tard ; en même temps, ils rapportent ces conceptions à la doctrine même du Christ » (Justin, I.iput., lxi ; Teutullien, de Ba/it., XII, xiii).

Rappelons que plusieurs Pères de PEglise ont accusé les païens d’avoir plagié le christianisme. D’après eux, si certaines doctrines des mystères sont très anciennes, celles qui se rapprochent le plus des idées chrétiennes, telles, par exemple, que l’etlicacilé morale attribuée aux purifications dans les mystères, sont une copie de la valeur attribuée au baptême chrétien. Il y a donc toujours lieu de chercher l'époque où sont nées les doctrines des mystères, recherche assez difficile pour ne pas dire impossible. Nous avons vu que plusieurs d’entre elles, celles que l’on peut dater avec certitude, n’ont que des attestations postérieures au christianisme et surtout à saint Paul. — Voir ci-dessus, article Initiation chrétienne.

VI. Les rites de l’Eucharistie. — On a soutenu, avons-nous déjà dit, que l’on retrouvait dans certaines religions de mystères des traces de festins analogues à la cène eucharistique. L’attestation documentaire de ces faits est assez faible. D’après un fragment du rituel des mystères d’Eleusis qu’a rapporté Clément d’ALEXANORiB (Protrepl., 11, 21), le néophyte disait : « J’ai jeûné, j’ai bu le kykéon, j’ai pris dans la ciste et, après avoir goûté, j’ai déposé dans le calathos et du calathos mis dans la ciste. » L’initié buvait et mangeait ; mais Folcart (op. cit., p. 382) rejette l’opinion de ceux qui supposent par là que le myste s’unissait à la substance des déesses : ces aliments n'étaient pas divins, mais sacrés. De plus, qu’on le remarque, il s’agissait ici de préliminaires à l’initiation. Le néophyte qui avait bu le cycéon n'était pas un initié, ce qui constitue déjà une différence fondamentale entre lui et le chrétien qui reçoit l’eucharistie.

Il n’y a rien non plus à tirer de concluant du texte de FiRMicus Maternus (De errore profiinarum religioniim, xviii), qu’on a appelé en témoignage. Le voici : In ijiiodiim templo, ut in interioiihus partihus, Itoino moriturus possit admitti, dicit : De tympano manducavi, de cynibalo bibi et teligionis sécréta perdidici. La même formule, avec des variantes, a été donnée par Clément d’Alexandrie (Protrept., 11, 15). Nous n’avons encore là que des cérémonies préparatoires à l’initiation.

On a essayé de trouver des rapports entre la manducation du corps eucharistique du Seigneur et les mystères dionysiens et orphiques, dans lesquels l’initié dévorait la chair crue d’un animal, qui était censé représenter le dieu, offert en sacrifice. Mais on ne voit pas que les mystes de Dionysos aient cru, en mangeant le taureau, symbole de Dionjsos, manger la divinité et s’en incorporer la force. En fait, cette omophagie du taureau symbolise probablement l'épisode de la destruction et de la manducation de Dionysos par les Titans ou les transports sauvages de Dionysos et des thiases ; tout au plus pourrait-on parler d’une union mystique avec le dieu. Cf. de Backer, op. cit., p. 326.

Cette conception de la manducation d’un animal, représentant la divinité, est très ancienne et se retrouve dans d’autres cultes, jus(iue chez les Aztèques du Mexique et chez d’autres peuples, où la manducation de l’animal conférait au participant la

force de celui-ci, bien iiu’il ne soit pas dit qu’il mangeait le dieu ; mais cette conception ne parait pas avoir passé dans les rituels liturg^iiiues contemporains de Paul. Les religions de mystères de son temps n’ont aucune aflinilé avec les conceptions anciennes de la manducation d’un animal, symbole de la divinité, et il ne semble pas que l’Apôtre ail pu avoir connaissance de ces conceptions anciennes. Dans les religions de mystères, la liturgie consistait essentiellement dans la reproduction des actions du dieu, laquelle devait être pour l’initié une participation à la divinité. Mais tout cela était symbolique et non réel. Ce n’était donc pas au moyen de repas sacrés que s’elfectuait l’union avec la divinité.

On a soutenu que primitivement le sacrilice avait pour but d’unir l’adorateur avec le dieu en le faisant participer à celui-ci par la manducation de l’animal sacrilié. Et d’abord, est-il certain qu’il s’agit ici d’autre chose que d’une participation malérielle à la cliair d’un animal qui représentait symboliquement le dieu’? Conception bien éloignée de celle de saint Paul, comme nous le dirons plus loin. El d’ailleurs, de son temps, personne n’adhérait plus à cette croyance. Témoin la question posée par le prêtre épicurien Cotta (Cicéron, De iiatitra dcuiutn, III, XVI, /)i) : t Quand nous appelons le blé Cérès et le vin Bacchus, nous employons une manière usuelle de))arler. Pensez-vous qu’il y ait quelqu’un d’assez insensé pour croire que ce qu’il mange est dieu ? Ecqueni tant amentem esse pillas qui iltiij, qito i escatiir, ileum credal esse.’»

On fait remarquer aussi qu’il y avait, au temps de saint Paul, des repas de confréries, analogues à ceux dont il parle dans sa première épître aux Corinthiens, XI, 17 ss. Ces repas servaient, en efl’et, à maintenir l’union entre les compagnons, mais on ne voit pas qu’ils aient comporté un acte de culte ou qu’ils aient eu une signilication religieuse.

Trouverons-nous dans les repas sacrés des mystères de Mitbra la preuve que le niyste aurait cherché, en mangeant la divinité, une union intime, même une union corporelle avec celle-ci ? Il n’y a aucun document établissant que les fêtes de Mithra aient exercé une influence quelconque sur le christianisme. Dans son plein développement, le mitliriacisme est postérieur à celui-ci. (Cf. l’article MiTiinA, col. 578 ss.)

« En fait, ainsi que l’a fait remarquer de Backkr

(op. cit., p. 827, 329), pas un auteur chrétien ne témoigne, d’une manière formelle, de la croyance à la manducation de la divinité dans les mystères païens… Les repas des mystères ne peuvent donc produire une union corporelle du myste avec la divinité. L’union qu’ils opèrent est tout au plus une union mystique : cette union est censée réalisée avec le dieu par l’union au mythe ou drame sacré dont le repas est la commémoraison, et à une époque plus tardive par lacollalion des vertus morales, symbolisées par les aliments que l’on consomme dans ces repas. »

Il en est tout autrement dans la cène eucharistique, telle que la présente saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens, xi, aS : « Car moi, j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai aussi transmis, que le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré, prit du pain et ajjrès avoir rendu grâces, il le rompit et dit : Ceci est mon corps lequel est’pour vous ; faites ceci en mon souvenir-. De même aussi, le calice, après avoir soupe, disant : Ce calice est la

1. Lequel est rompu, z/ci/zE/ov, d’aprts les mss. ËFGKLP, des minuscules ; ne l’ont pas les mss. NItAC

2. A-jû/rjr.zi^ signiiie action de rappeler au souvenir.

nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci, chaiiue fois que vous boirez en mon souvenir. Car cliaiiue fois que vous mangez ce pain et buvez ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. De sorte que celui qui mangera le pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Que (tout) homme donc s’éprouve soi-même et qu’ainsi il mange de ce pain et il boive de ce calice. Car celui qui mange et boit’(indignement), mange et boit sa propre condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur. » Auparavant, I Cor, , x, 16, Paul avait dit aux Corinthiens : « Le calice de bénédiction que nous bénissons n’est-il pas une communion au sang du Christ ? Et le pain que nous rompons n’est-il pas une communion au corps du Christ ? »

De ces textes il ressort clairement que le fidèle qui communiait participait au corps et au sang de Jésus-Christ ; en d’autres ternies, qu’il recevait en lui le corps et le sang de Jésus-Christ, corps et sang du Christ glorieux. La manducation du corps du Christ est donc réelle, mais elle n’est pas grossière et matérielle, comme l’était la manducation du corps des animaux pratiquée par les participants aux mystères de Dionysos ou d’Orphée. D’ailleurs le concept d’une communion à la fois réelle et spirituelle, qui est au centre du christianisme, ne se trouve pas dans les cultes des mystères.

Comment admettre d’ailleurs que l’Apôtre ait emprunté aux mystères païens ses enseignements sur la participation au corps du Christ et ses ordonnances sur lacélébralion de l’eucliarislie, lui qui a flétri si vivement les pratiques païennes et interdit avec tant d’énergie l’assistance aux repas sacrés des religions païennes ? « Ne formez pas avec les incroyants, dil-il aux Corinthiens, un attelage disparate. Qu’y a-t-il de commun entre la justice et l’iniquité ? Ou bien quelle union peut exister de la lumière avec les ténèlires ? Quel accord peut-il y avoir du Christ avec Bélial ? Ou bien quelle part le croyant peut-il avoir avec l’infidèle ? Quel rapport du temple de Dieu aux idoles ? » II Cor., vi, i/| ss. Paul avait déjà dit aux mêmes Corinthiens ; « Je ne veux pas que vous entriez en communion avec les démons. Vous ne pouvez boire en même temps la coupe du Seigneur et la coupe des démons. Vous ne pouvez participer en même temps à la table du Seigneur et à la table des démons. » I Cor., x, ao, 21.

VII. Conclusions. — Les conclusions de cette enquête peuvent être résumées en quelques lignes. L’apôtre Paul connaissait à fond les Saintes Ecritures, dont il s’était instruit dès sa jeunesse ; elles étaient, on doit l’affirmer, la base de sa mentalité religieuse. Il avait reçu les enseignements des rabbins qui l’avaient initié aux spéculations de la théologie juive. Enfin et surtout, Paul avait reçu directement de Noire-Seigneur la révélation de l’Evangile et, de plus, il avait été instruit de la vie et des enseignements du Seigneur par la tradition apostolique. N’oublions pas la puissante personnalité morale et religieuse de l’Apôtre, éclairé tout d’abord par les lumières qui lui venaient des Saintes Ecritures, puis par la révélation directe du Seigneur et par l’enseignement apostolique.

On peut donc allirmer a priori que l’esprit de Paul ne devait pas subir profondément des influences en dehors de celles-ci, sauf, pour ainsi dire, à la périphérie de son esprit. Des conceptions aussi étrangères aux conceptions juives et chrétiennes que

1. Les mss. NBAC n’ont pos « vkÏim. ;, 1011

MYSTERES PAÏENS (LES) ET SAINT PAUL

1012

celles des religions de mystères, ne pouvaient qu’être extérieures à celles qui formaient un tout bien uni dans son esprit.

Nous reconnaissons que l’Apôtre a connu certaines doctrines des religions de mystères, et même des rites de ces mystères ; il ne pouvait en être autrement, car ces idées étaient, on peut le dire, du domaine public, elles n’étaient pas secrètes. En outre, Paul, en fréquentes relations avec des convertis païens, dont quelques-uns avaient été initiés aux mystères, a dû apprendre de ceux-ci les conceptions et les rites des mystères : les premières pour les combattre et les secondes pour les juger. Que certains termes, tels que yvâsi ; , ôof^, zvt’ju.v., « jj, aient traduit dans les religions de mystères des conceptions analogues à celles que nous retrouvons dans les épîtres pauliniennes, cela ne prouve en aucune façon que Paul leur ait emprunté ces idées. Ressemblance n’implique pas dépendance. Les idées que représentaient ces termes venaient d’ailleurs à l’Apôtre, en très grande partie, de l’Ancien Testament.

Il peut y avoir eu aussi des analogies d’idées. « Des idées très générales, remarque L. Venard (Les oriifines clirdtiennes, dans : Où en est l’histoire des religions, t. II, p. 225. Paris, igi i), peuvent se retrouver à la base de beaucoup de religions dilïérentes, sans qu’il y ait lieu de supposer une influence réciproque, connue par exemple l’idée de la participation à la vie d’un Dieu Sauveur, idée qui peut naître spontanément des besoins religieux communs à l’humanité. Pour pouvoir affirmer que saint Paul l’a empruntée aux cultes d’Adonis onde Millira, il faudrait que la ressemblance s’étendit à la conception même du salut et au mode de sa réalisation. Or, tout le monde doit reconnaître qu’en dehors de l’idée générale commune, il y a plus de dilTérences que d’analogies entre le christianisme paulinien et les diverses formes du paganisme mystique. »

En délinitive, la théologie particulière de l’Apôtre était fondée sur des conceptions absolument étrangères aux conceptions païennes, à savoir sur la foi en Jésus-Christ crucitié, envoyé dans le monde par son Père pour sauver l’hiimanité par sa mort rédemptrice.

Quant aux rites sacramentels, tels que le baptême et l’eucharistie, il les avait reçus de la tradition apostolique ou de Jésus-Clirist lui-même, et il les conservait intégralement, tout eu les éclairant à la lumière de ses doctrines. L’explication qu’il en donne, représentant le sacrilice complété par la manducation de la victime comme une communion du lidèle avec la divinité, est une idée sémitique et juive, plutôt qu’hellénique.

u Quelles que soient d’ailleurs, alBrme VENAnD(o/). cit., p. 226), les analogies de surface qu’on peut relever, il y a une différence profonde, au point de vue moral et religieux, entre les cultes orientaux et le christianisme tel qu’il apparaît dans l’enseignement de saint Paul. Sans doute il y avait des âmes d’élite qui cherchaient dans la mystique païenne la satisfaction d aspirations élevées. Mais, sans parler même de l’immoralité de certains rites, il faut reconnaître que, en général, on attendait de l’initiation aux mystères une pureté rituelle, obtenue par des procédés presque magiques, et sans lien direct avec la pratique de la vertu, plutôt ([u’une vraie puritication morale. La mystique chrétienne au contraire vise à changer les âmes, elle tend à la réforme de tout l’homme, à la création d’un homme nouveau, en qui l’action de l’Esprit divin se manifeste par la sainteté de la vie et des œuvres. » Le P. Lagrange conclut ainsi son étude sur l’école du syncrétisme judéo-païen. « Les religions païennes — surtout

celles d’Osiris, d’Adonis et d’Attis, vieilles religions naturalistes — essayèrent en vain de dépouiller l^ur grossièreté native par un symbolisme transcendant. Le christianisme, religion de l’esprit, aurait plus d’une fois été contaminé par elles, si l’autorité ecclésiastique n’avait préservé les ûdèles. Le dieu souffrant qui lutta le plus énergiquement contre le Christ et qui vraiment lui disputa les àm^s, fut Attis, le plus méprisé de tous, avec ses tauroboles ou baptêmes de sang, qui se donnaient pour plus efficaces que le baptême par l’eau. Mais quelles spéculations philosophiques pouvaient réhaLiliter celle douche de sang, semblable, disait Cumont, op. cit., p. 88, à quelque orgie de cannibales. »

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E. Jacqi’ibh.