Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Nantes (Révocation de l'édit de)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique

NANTES (RÉVOCATION DE L’ÉDIT DE). — 1. En quelles circonstances avait été octroyé l’Ed ; t db Nantes(1597-1598). — II. La législation de l’Edit de Nantes (Avril iSgS). — 111. L’accueil rencontré par l’Edit de Nantes (1598-1600) : i" En France ; 2° A Rome. — IV. La disparition

des PRIVILÈGES POLITIQUES (lÔOO-ïGîg). — V. De LA

Paix de 1629A l’Edit de Révocation : 1° Au temps de la Fronde ; 2° Llole de la Compagnie du Saint Sac/-emenl ; 3° Vers la Révocation ; 4° Conversions et résistances. Premières « dragonnades » ; b" Le dénouement. — VI. L’Edit de Révocation (Octobre 168Ô). — VII. L’accueil rencontré par l’Edit DE RÉVOCATION : 1° En l’rance ; 2° A llome. — Vlll. Conséquences de l’Edit de Révocation : i° Gain pour le catholicisme ; 2" Le « Refuge » à l’étranger ; 3" Les vraies « dragonnades’ ; 4° Consultation et Ordonnance de 1698. — IX. Appréciation des responsabilités. — X. Bibliographie.

I. En quelles circonstances avait été octroyé l’Edit de Nantes (1897-1398). — L’Edit de Nantes, par lequel Henri IV organisa, pour les protestants français, un régime légal de liberté religieuse et d’égalité civile, fut essentiellementune œuvre de circonstance.

Loin de proclamer aucun principe universel et théorique d’égale liberté des cultes, loin de subir l’illumination mystique qui saisit, par exemple, Henri Martin lorsqu’il décrit leur œuvre, les auteurs de l’Edit de Nantes ne songeaient qu’à parer le moins mal possi !)le aux besoins des circonstances. Ils adoptèrent, faute de mieux, une solution transactionnelle dont personne ne fut pleinement satisfait, mais à laquelle chacun finit par se résigner comme à la fatalité des circonstances. Benoit, l’hislorien protestant de l’Edit de Nantes, caractérisait judicieusement la situation : « Il y avait des catholiques qui murmuraient de ce qu’on avait tant accordé. Il y avait des réformés qui se plaignaient d’avoir si peu obtenu. Il y avait enfin des uns et des autres qui trouvaient l’avantage égal des deux côtés et qui, ne désirant que la paix, estimaient tolérable tout ce qui pouvait la donner. »

Le dispositif de l’Edit ne fut nullement, de la

part de Henri IV et de ses conseillers, l’objet d’une libre et solennelle décision étudiée à loisir. Chacun des articles est littéralement arraché au roi par l’assemblée politique du j)arli calviniste, réunie successivement à Loudun, à Vendôme, à Saumur, à Chàtellerault, qui avait siégé en permanence durant plus de deux années, bénéliciant sans vergogne des effroyables périls extérieurs et intérieurs avec lesquels la Couronne était aux prises.

Converti du calvinisme au catholicisme, Henri IV dut, pour conquérir son royaume, vaincre ou désarmer la puissante Ligue catholique, repousser l’invasion espagnole qui menaça la Bourgogne, la Picardie et l’Ile de France, et subir en même temps les exigences comminatoires de ses anciens coreligionnaires protestants. Tel est le morne ;  ; / historique où apparaît l’Edit de Nantes.

Les plus considérables d’entre les avantages politiques et financiers reconnus aux huguenots par cet Edil, nous voulons parler du privilège exorbitant des places de sûreté avec les subventions correspondantes, furent même accordés en bloc, le 25 juillet 1697, par le commissaire royal Schomberg, à l’insude HenrilV, pour obtempérera un ultimatum del’assemblée protestante de Chàtellerault. Les Espagnols sont maîtres d’Amiens, Paris est menacé, le roi fait adjurer l’assemblée de surseoir aux querelles intérieures et d accorder le concours militaire indispensable au salut du royaume : et l’assemblée i^rolestante menace de reprendre immédiatement la guerre civile si l’on ne lui concède pas les garanties politiques qu’elle réclame. Pour éviter à tout prix la catastrophe, Schomberg prend sur lui de concéder l’inévitable. Et Henri IV, mis en présence du fait accompli, jugera nécessaire de ratifier ce qu’il ne se sent pas assez fort pour refuser ou pour révoquer. La mort dans l’ànie, il accordera ainsi aux huguenots ce qu’il avait dénié aux ligueurs : un véritable partage de la souveraineté politique.

D’ailleurs, les clauses religieuses de l’Edit de Nantes répondaient à une nécessité sociale plus forte que la volonté des hommes. A la fin du xvi’siècle, quarante années de luttes civiles avaient abondamment démontré : d’abord que la grande majorité des Français restait et resterait ardemment catholique ; mais 1025

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aussi que le calvinisme gardait pour lui une minolilc redoutable et impossible à réduire. Minorité que l’on estime à i.250.ooo protestants sur t/, millions de Français : soit un douzième de la population totale du royaume, mais avec une répartition fort inégale selon les provinces. L’unique moyen de sauver la paix publique était dès lors, ((u’on le voulût ou non, de reconnaître au protestantisme une liberté sérieusement garantie, tout en laissant au catholicisme le rang de religion dominante et nationale.

Cette transaction trouvera sa formule législative dans l’Edit de Nantes.

II. La législation de l’Edit de Nantes (avril iSqS). — Quatre documents législatifs : les (.jh articles généraux (13 avril iSgS), brevets relatifs aux jjlaces d » sûreté et à l’indemnité des pasteurs (30 avril), les 56 articles particuliers (2 mai).

Préambule : Henri IV veut que Dieu soit prié et honoré par tous les sujets du royaume. « Et s’il ne lui a plu (à Dieu] permettre que ce soit pour encore en une même forme et religion, que ce soit au moins d’une même intention et avec une telle règle qu’il n’y ait point pour cela de trouble et de tumulte entre eux… » Aussi > demeureront en possession des cent quarante-deux places fortes qu’ils occupent en 15g8, sauf Vcndùme, Pontorson, Aubenas et Chavigny.

On distingue, parmi les villes susdites, les places particulières, enlrelrnues aux frais des seigneurs à qui elles appartiennent. Telles : Rohan, Valognes, Domfront, Grenoble, Montélimar, Alais, Mauléon. D’autres places sont des i’iltes libres rinules. Par exemple : la Rochelle, Montauban, Nimes, Sainte-Foy, Uzés. D’autres encore, les pinces de mariaf^e, sont gardées par un détachementdela garnison d’une autre ville plus importante avec laquelle on les a mariées. Dans cette catégorie (igurent Vitré, Sancerre, Cardaillac. Enlin il y a les placer de sûreté proprement dites, appartenant au parti calviniste lui-même, considéré comme organisation politique. Telles : Saumur, Loudun, Chàtellerault, Figeac, Mont-de-Marsan, Tournon, Bergerac, Castres, Montpellier.

Les gouverneurs seront toujours des protestants, nommés par le roi, d’accord avec le " colloque 1. huguenot de la cité. Pour entretenir les garnisons protestantes des places de sûreté, la couronne versera une subvention annuelle de 180.000 écus, — plus une allocation spéciale pour le Dauphiné.

m. L’accueil rencontré par l’Edit de Nantes (15(j8-1600). — i En France. — Nous serions aujourd’hui portés à croire que les clauses religieuses de l’Edit de Nantes furent accueillies avec une résignation générale et que les clauses politiques et financières furent l’objet de protestations exaspérées. De fait, c’est le contraire qui arriva.

Les clauses politiques et linancières figurent dans deux brevets royaux, mais non pas dans les articles généraux et particuliers constituant l’Edit lui-même et soumis aux formalités parlementaires de la vérification et de l’enregistrement. Toutefois, sans connaître les textes secrets, chacun constate que les calvinistes restent en possession (et aux frais duroi) de leurs multiples villes d’otage et places de sûreté. Mais on ne se scandalise qu’à demi de ces privilèges exorbitants dont profite un parti factieux. Lesvilles et places de sûreté se trouvaient déjà au pouvoir des protestants depuis nombre d’années. La reconnaissance légale d’un tel état de choses ne détermine aucune innovation matérielle. Les textes contemporains ne font mention de nul émoi à ce sujet.

Aucontraire, dansplusieursprovinces catholiques, où les précédents édilsde tolérance(Poitiersen’S^^, Nérac en iS^g, Fleix en 1580. Mantes en iSgi, Saint-Germain en iSgi) sont restés lettre morte, l’exercice public du culte protestant est regardé comme une nouveauté inouïe et révoltante. Malgré le vo-u d’une majorité considérable de la population, l’hérésie recevra droit de cité, paraîtra au grand jour. Ce ne sera plus seulement dans des tiefs privés, mais en territoire public, dans deux localités par bailbage ou sénéchaussée, que pourront s’assembler consistoires, colloques et synodes, que s’élèveront des temples et des écoles calvinistes. Les commissaires royaux chargés d’appliquer l’Edit rencontreront toutes sortes d’hostilités et d’obstacles dans les régions les plus catholiques. En maint endroit, se réveillera quelque chose des vieilles passions ligueuses.

LadilDculté sera pire encore pour assurer, en vertu de l’Edit de Nantes, le libre et public exercice

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du culte callioliqiie Jans les contrées où dominent i les protestants : par exemple, à la Rochelle, en Bcarn, en de nombreux districts de la Guyenne et du Languedoc. Henri IV parviendra cependant à faire peu à peu ol)server l’Kdit deiôgS dans l’ensemble de ses dispositions essentielles. Lorsque le pays de Gex passera, en 1601, de la souveraineté elTeclive de Genèveàla souveraineté de la France, saint François de Sales demandera et obtiendra de Henri IV l’application immédiate de l’Edit de Nantes, qui. après une longue tyrannie calviniste, deviendra la cliarle d’affrancbissenient des catholiques du pays de Gex.

Les clauses religieuses de l’Edit de Nantes, imposant aux cultes rivaux une tolérance mutuelle, lurent donc subies plulùt qu’acceptées. Elles rencontrèrent, chez les catholiques et les protestants, — partout où elles imposaient aux uns ou aux autres de respecter laliberlé d’autrui, — une mauvaise humeur assez vive.

Henri IV aura besoin de toute son énergie et de toute sa diplomatie pour obtenir sans trop d’esclandre l’enregistrement des articles publics et particuliers de l’Edit de Nantes par les divers Parlements du royaume. Le Parlement de Paris ne s’exécuta (lue le 25 février 1699, *'P^s avoir opposé des remontrances au roi et avoir introduit quelques amendements dans le texte législatif : notamment sur la proportion de magistrats catholiques et protestants qui composeraient les Cliamlires de l’JiJit. Les Parlements de provineeflrent tarder plus encore la verilication légale : Dijon, Toulouse, Grenoble, Aix et Rennes en lOoo ; Rouen, pas avant 1609. Sous une forme ou sous une autre, tous opposèrent desremonIrances et attendirent des lettres de jussion. Les Universités maintinrent presque partout leur exclusive à rencontre des élèves protestants.

Les assemblées du clergé de France montrèrent peu d’enthousiasme, mais s’abstinrent de protester formellement. Elles jugèrent à bon droit plus opportun de requérir l’application intégrale des clauses qui devaient tourner à l’avantage de la religion catholique. Henri IV sut tenir l’engagement qu’il avait pris envers le clergé dç France, en répondant, le 28 septembre 1698, à la liarangue du président de l’assemblée François de la Guesle, archevêque de Tours : ( Mes prédécesseurs vous ont donné des paroles avec beaucoup d’apparat, et moi. avec ma jaquette grise, je vous donnerai des ell’ets. Je suis tout gris au dehors, mais je suis tout d’or au dedans. »

u' A Home. — Le silence résigné du Pape Clément VIII fut beaucoup plus dillicile à obtenir. Le droit canonique servait alors de règle fondamentale à la législation de tous les pays catholiques. Or, l’exercice (l’un culte dissident, l’ouverture d'écoles hérérodoxes, l’admission des hérétiques aux charges de l’Etat, la légalité des mariages protestants, étaient choses notoirement incompatibles avec les principes du droit canonique. Le pouvoir civil n'était donc pas regardé comme maître d’adopter en cette matière tel changement que bon lui semblerait. Si une dérogation s’imposait, elle ne devait se faire que d’accord avec la plus haute autorité spirituelle, arbitre suprême du droit canonique. C'était néanmoins sans l’aveu du Saint-Siège que Henri IV venait de régler toutes ces graves questions au profit des protestants. Les Edits de tolérance, promulgués en 1677, 1579, 1580, avaient été juridii|uement abrogés en 1585 au traité de Nemours L’Edit de Blois, en 1588, mis par les Etats généraux au nombre des

« lois fondamentales de la Monarchie », avait rétabli

en droit l’exercice exclusif de la religion catholique, rigoureusement prohibé l’exercice du culte protestant, ainsi que l’accès des hérétiques aux charges de

l’Etat. Henri IV, ceiiendant, adoptait tme législation toute contraire. A aucun moment, le Ponlifede Rome n’avait été fait juge des concessions accordées aux huguenots. Et tandis qu’il contrevenait ainsi, en faveur du protestantisme, aux régies du droit canon et du droit public alors admis dans l’Europe entière, le roi de France se déclarait impuissant à faire incorporer à la législation française des décrets disciplinaires du concile de Trente. Les apparences étaient, à vrai dire, contre Henri l. Clément VIII, apprenant la promulgation de l’Edit de Nantes, crut d’abord avoir été dupé par le roi.

La longue lettre du cardinal d’Ossat, en date du 28 mars 1699, rapporte en détail les audiences orageuses où les représentants de Henri IV à Rome, cardinaux de Joyeuse et d’Ossat, durent subir les doléances et les menaces indignées de Clément VIII : i( Que cet Edit que vous lui avez fait en son nez était une grande plaie à sa réputation et renommée, et qu’il lui semblait qu’il avait reçu une balafre en son visage. Et, sur ce propos, il se laissa transporter si avant qu’il ajouta que, comme il avait alors franchi le fossé pour venir à l’absolution, aussi ne se feindrait-il pas de le franchir une autre fois, s’il fallait retourner à faire acte contraire »… Rarement réponse de diplomates fut plus sincère, plus véridique, que celles des cardinaux de Joyeuse cl d’Ossat. Henri IV avait agi comme il avait agi parce qu’il lui aurait été rigoureusement inqiossible de prendre une autre décision, quelle qu’elle fût. Ou bien il aurait fallu (ce qui était inadmissible sans contredit) accepter la prolongation indétinie et sans issue des guerres civiles, aussi désastreuses pour la religion que pour le royaume ; ou bien il fallait se résigner à l’inévitable : c’est-à-dire à un régime légal de tolérance mutuelle, que les circonstances réclamaient avec une impérieuse clarté. Clément VIII finit par agréer, mais non sans tristesse, les explications réitérées des cardinaux français et de Henri IV lui-même. Le Pontife de Rome, à son tour, subit l'édit de Nantes avec résignation, comme on subit un mal nécessaire.

Clément VIII avait réprouvé la législation française d’avril 1598 par attachement aux droits exclusifs de l’Eglise catholique, mais non pas par prédisposition spéciale et personnelle à l’intolérance envers les dissidents. Pierre de l’Estoile, qui n’est pas suspect de complaisance ultramontaine, le regarde comme un Pape pnciji(]ue et bon Français. Il ajoute, en parlant de Clément VIII : les huguenots euxmêmes « ne le haïssaient pas, s'étant toujours comporté en leur endroit fort gracieusement et plus que pas un de ses prédécesseurs, jusques à leur octroyer des passeports pour aller et venir librement à Rome ».

Toujours est-il que l’Edit de Nantes n’eut pas une entrée Iriomphaledans l’histoire. Chacun s’y résigna de mauvaise grâce, comme à la fatalité des circonstances. Joseph de Maistre ajouterait sans doute que c'était une raison pour vaincre toutes les résistances et pour durer longtemps.

IV. La disparition des privilèges politiques (1600-1629). — Il est incontestable que. depuis l’Edit de Nantes jusqu'à la lin de son règne, Henri IV multiplia les témoignages de faveur à la religion catholique et encouragea le mouvement de conversions parmi les protestants. Mais il respecta en toute loyauté chacun des articles de l’Edit de tolérance. Les huguenots se plaignirent parfois du contraire : mais leurs plaintes n’avaient d’autre origine vérilableque leur perpétuelle hantise des persécutions d’antan. Pierre de l’Estoile caractérise finement leurs récriminations de 1609 : Il Ils parlaient en lermesasscz hauts. 1029

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selon leur coutume, el trop pour sujets qui se disent réformés. »

Malgré tout, par lassitude et nécessité, leslialiilutles (le tolérance mutuelle tendirent généralement à pénétrer dans les mii-urs. Lors de l’assassinat de Henri IV, les huguenots seront, pour la première fois, témoins d’un désastre national sans tenterdc recourir aux armes pour un mouvement insurrectionnel ; el le peuple catliolique ne marquera nulle velléité de menacer leurs vies ou de troubler le libre exercice de leur eulle. Il y eut, au contraire, dans le deuil publie de toute la France monarchique au mois de mai iGio, un authentique phénomène d’union sacrée enire catholiques et protestants.

Mais le privilège des places de siireté demeurait, pour le parti protestant, une trop redoutable tentation de troubler la paix du royaume, de rallumer les guerres civiles, de faire échec à l’autorité royale. trest précisément ce qui allait arriver durant la miuorilé de Louis XUI, quand les protestants eurent renoué la tradition de leurs assemblées politiques, non plus réunies avec l’autorisation préalable de la couronne, comme sous Henri IV, mais en dehors du roi et bientôt contre lui.

Concédé en lôgS pour huit ans, le privilège des [)laics de sûreté avait été renouvelé en 1605 pour liuit autres années, puis renouvelé encore, dès)611, par la régente Marie de Médicis pour une période igale. On en était là quand, le 27 novembre 16l4, sans pouvoir alléguer aucune violation de la liberté religieuse, sans aucun grief avouable, l’assemblée politique du parti huguenot, réunie à Nimes et dominée par le duc de Rohan, décida d’intervenir ians la guerre civile contre la reine régente et de prendre les armes en faveur du prince de Condé, -hef de la rébellion. Sur quoi, l’éminent historien iu cardinal de Richelieu, M. Gabriel Hanotaux, déclare sans ambages : « De ce jour, le parti protestant, reconstitué en parti d agression, rompt en visière à la royauté. C’est donc lui qui, pour la jiremière fois, léchire de ses propres mains l’Edit de Nantes et qui [ouvre la période desguerres de religion. « (Tahleau de tu France en I611, chapitre iv, paragraphe dernier )

Les révoltes protestantes qui se succédèrent entre 1614 et 1629, nous n’avons pas ici à en raconter les péripéties. Mais nous ne ferons que rappeler un fait listorique de notoriété certaine en disant que le parti huguenot se comporta purement et simplement somme un parti factieux, faisant une guerre civile jue n’excusait aucun dommage subi par le culte protestant, déchirant de gaieté de cœur l’unité fr.nnjaise, négociant des alliances avec tous les rebelles

; t même avec les ennemis extérieurs, avec la protesante

Angleterre, avec la protestante Hollande, avec a catholique Espagne. Paradoxe déconcertant ! Ce "ut, en 1620, l’application effective de l’Edit de Nantes en Béarn, où le protestantisme était religion doninante et refusait toute liberté au catholicisme, qui levint le prétexte de la grande assemblée de la Rojhelle, tenue en 162 1, où les huguenots eurent l’aulace de subdiviser la France en huit régions militaires et de se donner une organisation générale et permanente en vue de la guerre intérieure, prenantainsi l’attitude avouée de belligérants armés contre la Couronne.

A la Rochelle, à Montauban, à Nîmes, dans les Mvennes, le parti protestant contracta une lourde letle envers la Monarchie, envers la France. Une an-Lipathie profonde fut excitée contre lui dans beaulîoup d’âmes catholiques et françaises. Cette antipathie demeurera tenace et expliquera, pour une part, le puissant mouvement d’opinion qui, sous Louis XIV,

aboutira (inalement à la Révocation de l’Edit de Nantes. Le parti protestant restera suspect de vouloir, à la première occasion, s’insurger contre le j)ou voir royal, s’allier avec l’étranger contre la France. Il passera pour un élément réfractaire, inassimilable à la communauté française. La Bruyère traduiraplus tard cette impression, dans le cha[>itre /> » Souverain ou de la Hépul>lique, en appelant le protestantisme

« un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté

».

La capitulation des protestants français, alliés des Anglais, après le siège trop fameux de la Rochelle, eut lieu le 28 octobre 1628. Puis vint la dernière équipée du due de Rohan dans le Vivarais el le Languedoc, avec l’appui de la couronne d Espagne. Mais Privas, Alais, Nimes, Montauban, Castres, Millau furent bientôt réduites ou cernées par Louis XIII, Richelieu et les lieutenants du roi. Durant le mois de juin 1620, une dernière assemblée politique des huguenots fnttenue, avec autorisation royale, à Anduze, non plus pour négocier un contrat bilatéral, mais pour entendre notilication des volontés formelles de Louis XUI. Le duc de Rohan était frappé de la peine de bannissement. Le privilège des places de sûreté, qui avait été concédé naguère comme garantie politique des libertés protestantes, était à jamais révoqué. Plus de gouverneurs prolestants ni de garnisons, ni d’allocations royales pour l’entretien des forces protestantes. Les citadelles et fortifications (le toutes les villes qui avaient pris part à la rébellion seraient impitoyablement rasées ou démantelées. Le roi ne tolérerait plus aucune organisation ni assemblée politique du parti protestant.

C’est la lin des concessions exorbitantes arrachées à Henri IV par les huguenots à la faveur des désordres civils et de la guerre étrangère. Louis Xlll et Richelieu ont pu faire disparaître ces clauses politiques et linancières, adjointes à l’Edit de Nantes, qui constituaient un partage de la souveraineté, un Etat dans l’Etat.

Par ailleurs, les clauses religieuses et civiles de l’Edit de Nantes demeuraient intactes et recevaient une confirmation nouvelle. Assurément, l’Edit de Nantes aurait pour conséquence la restauration intégrale du cjilte catholique, la restitution pleine et entière des biens ecclésiastiques, à la Rochelle, en Béarn, en Languedoc, dans toutes les régions protestantes, sans parler des faveurs royales assurées à la propagation au catholicisme. Mais l’Edit de Nantes continuera d’assurer aux protestants la liberté de conscience, une très large liberté du culte publie, une complète égalité de droits civils avec les catholiques, l’admissibilité aux charges et fonctions publiques, el même une garantie spéciale devant la justice par le maintien des chambres de l’Edit.

Telle est la portée de l’Edit d’Alais, du 28 juin 1629, qui succédait à l’Edit de Montpellier (16a8) et à l’Edit de Paris (1626), et discernait judicieusement dans la législation de l’Edit de Nantes les articles abusifs et caducs, dont la disparition s’imposait au nom de l’intérêt majeur de l’Etat, el les articles de tolérance religieuse et civile, dont une sage politique semblait recommander la conservation permanente au nom de la pacification intérieure du royaume.

V. De la Paix de 1629 â l’Edit de Révocation. — 1° Au temps de la Fronde. — Pendant les troubles de la minorité de Louis XIV, c’est-à-dire pendant le désordre des deux Frondes conjuguées avec la guerre étrangère, vit-on une résurrection politique et militaire du parti protestant, prenant les armes comme allié des rebelles du de(ians ou 1031

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des ennemis du dehors ? — On ne peut di)nner à cette question une réponse péremptoire et sommaire. L’alUrmalive et la négativerépondraienlmal, si eiles se produisaient sans quelques nuances, aux amltiples complexités du réel.

Le regretté Augustin Cocliin a démontré, en i(jo4, dans la Réunie des Questions hisloriques, que des tractations existèrent, durant l’année 1651, entre Gromwell et un certain nombre de personnages notables du parti huguenot fiançais, tels que Caumont la Force : tractations tendant à créer une république protestante daas le midi de la France avec cession de ports et de villes aux Anglais. Le même auteur a signalé la participation decliefs protestants au soulèvement de iG43, dans les Gévennes, l’Angoumois, l’Aunis et le Poitou, contre la lourdeur des impôts nécessités par la guerre étrangère. Il y eut une révolte protestante àNimes en 1650 et une autre dans le Vivarais en lOâa et 1053. A la même époque fut organisée la « confédération des gentilshommes, conseils et conseillers, habitants des villes et communautés, capitaines, olficiers et soldats des Eglises du Bas-Languedoc, Cévennes et Dauphiné b. Pareillement, les pasteurs et gentilshommes protestants de Nîmes dirigèrent une importante concentration armée de forces protestantes au « Camp de l’Eternel ». Bref, il y eut des tentatives locales et partielles, des velléités d’insurrection politique et militaire des huguenots, prolitant des embarras du royaume et négociant avec l'étranger. De tels laits, connus du gouvernement royal, ne purent que prolonger la suspicion dont les protestants avaient été précédemment l’objet. Même privés de leurs places de sûreté, dépourvus de leur grande organisation politique, les huguenots conservaient la tendance à devenir un élément de trouble et de division, à s’unir aux factieux du dedans et aux ennemis du dehors, dès que les circonstances leur en fournissaient l’occasion. Concordant avec le souvenir des rébellions antérieures à 1629, ces diverses tentatives protestantes, durant la jeunesse de Louis XIV, contribueront à développer en France l'état d esprit qui dictera ou favorisei-a plus tard la Uévocation de l'Êdilde Nantes. Néanmoins, il est indispensable de reconnaître que les incidents dont nous avons parlé n’eurent qu’un caractère local ou ne consistèrent qu’en projets superliciels et lointains. Soit sentiment d’iral)uis3anee, soit même assagissemont sincère, les protestants français ne tirèrent pas parti des désordres de la Fronde pour une réorganisation générale cl permanente de leur ancienne force militaire et politique, moins encore pour une insurrection armée dans toutes les provinces où ils constituaient une minorité nombreuse. Les chefs prolestants qui voulurent préparer, dans le midi de la France, un mouvement sécessionniste, appuj'é par les Anglais, rencontrèrent une oppasition au moins passive de la part de beaucoup de leurs co-religiounaires et le projet ne put avoir aucun commencement de réalisation. Cette attitude des huguenots durant la Fronde marque un progrès (relatif) sur leur attitude factieuse des années antérieures à l’Edil de 16^9. Il y a quelque vérité dans la parole fameuse (et un peu llalteuse) attribuée au cardinal Mazarin : « Je n’ai pas à me plaindre du petit troupeau. S’il broute de mauvaises herbes, il ne s'écarte pas. »

Lestroublesde la minorité de Louis XIV n’auraient certainement pas suiU à déterminer un changement dans la législation royale au sujet des protestants. La suppression des privilèges politiques aurait été maintenue plus que jamais après la victoire du principe d’unité et d’autorité. Mais les articles garantissant la liberté religieuse cl civile des hu^'uenols

semblaient devoir être, eux aussi, maintenus en vigueur pour les mêmes raisons, toujours subsistantes, de sagesse politique et de pacilicalion intérieure qui. avaient été tenues [)our décisives sous Louis XIII comme sous Henri IV. (

L'élément nouveau dont il faut ici faire mention) est une f^ioussce grandissante de l’opinion catholique contre les franchises octroyées en France au protestantisme. A la formation de ce courant d’opinion, contribua puissamment la Compagnie du SaintSucrement, aujourd’hui célèbre, alors secrète, qui fut l’un des plus puissants foyers de Contre-Uéformalioncalholique durant le second tiers du dix-septième siècle. Iniluence qui concordait avec celle des grands évéques réformateurs de cette période, ainsi que des collèges de Jésuites, des maisons de l’Oratoire, des séminaires de Lazaristes, Sulpiciens cl Eudisles. Mais la Compagnie du Saint-Sacrement offrait cette particularité de constituer un centre d’action méthodique et positive sur la conduite générale des afTaireSv religieuses du pays. '

2" Hôle de la Compagnie du Saint-Sacrement. — Parlant de cette Compagnie du Saint-Sacrement (voir l’article Cabale des IJkvots, tome l"', colonnes 43 1 à 435), M. Mariéjol écrit avec justesse, dans l’Histoire de France dirigée par M. Lavisse : « C'était une sorte d’ollice central de bienfaisance et de propagande catholique… Elle a prodigieusement entrepris ; et c’est même à la grandeur de ses ambitions et de son action qu’on peut le mieux mesurer la force du niouvement catholique, n Or, parmi les buts que la Compagnie du Saint-Sacrement avait assignés à sa propre activilé, Ggurait une énergique propagande contre la religion protestante, adversaire déclarée du dogme de la présence réelle de Jésus-Christ dans la sainte Eucharistie. Par la douceur ou même par la force, on tenterait de mettre un terme au scandale de l’hérésie.

Non seulement la Compagnie du Saint-Sacremenl intervint à mainte reprise pour faire rc[)rimer les offenses commises par les huguenots ou leurs empiétements à rencontre de la religion catholique ; luais la puissante association intervint pareillement pour réduire en fait les avantages que garantissait aux protestants la législation en vigueur. Exemple : en 1633, la Compagnie, ayant eu connaissance de la candidature <ie vingt-cinq jeunes huguenots à l’oirice de procureurs au Parlement de Paris, fait agir ses membres auprès des conseillers chargés de l’enquête : tant et si bien que, sur les vingt-cinq 1 candidats, les conseillers « n’en trouvèrent pas un seul capable d'être reçu procureur ». Inl’raclion évidente à l’article 27 de l’Edit de Nantes, qui proclamait la pleine admissibilité des huguenots à tous les emplois publics.

La lactique habituelle de la Compagnie duSainlSacrement ne fut pourtant pas de rèclajner la Uévocation de l’Edit de Nantes. On le prit, au contraire, comme un texte légalement indiscuté. Mais on résolut de le faire interpréter à la rigueur : c’està-dire de faire supprimer toute liberté acquise peu à peu par les huguenots et qui ne serait pas mentionnée dans la formule primitive de l’Edit. Le champ d’action était immense : car le développement du culte protestant vers le milieu du XVII' siècle avait pris des proportions tout autres que celles décrites par les rédacteurs du texte de 1.598 : et ce développement, conforme aux lois de la vie, ne constituait pas, de tous points, une dérogation véritable au sens et à l’esprit de l’Edit de Nantes. La Compagnie du Saint-Sacrement procédera par enquêtes pour constituer un arsenal de jurisprudence contre les extensions de la liberté religieuse 1033

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des prolestants l’raiiçais. En 1638, les aUlxércnts de la Gornpa^ftiie sont invités à « recueillir tf-ms les édits, déclarations et arrêts donnés sur cette matière ». De multiples dcciiments sont hifiitôt rassemblés. La copie en est adressée à un confrère de Poitiers, l’avocat Jean Fillean, qui, durant vingt-cinq ans, continuera de préparer son volumineux recueil de décisions catlxiliques. En iG^|5, on recommande encore une fois de faire parvtnirà Poitiers « tous les arrèls donnés cunlre les hérétiques ».

La même métliode est ensuite employée par la (Jompas’nie du Saint-Sacrement, non plus pour con-Iribuer à la rédaction d’un recueil de jurisiirudence, mais pour déterminer, auprès du g^ouvernement royal, l’inlervenlion ellicace des Assemblées du Cierge de France « par le nioytii des évcques de sa conliance et zélés pour le bien de la religion ». Après consultation raétliodique de Ions les groupes de province, la Compagnie peut fournir de nombreux rapports sur les contravenlinns que les huguenots faisaient aux édits en plusieurs endroits du royaume v.

La Compagnie du Saint-Sacrement nomme, en itiS’i, plusieurscommissaires, charges de faire aboutir les conclusions de ces rapports. Grâce à la documentation ainsi préparée, l’Assemblée du Clergé de France, tenue en 1655, prend le parti de revendiquer auprès du jeune Louis XIV l’interprétation liUérale et restrictive de l’Edit de ^’antes. Tel sera le thème du discours adressé au roi j), ; r le prcsidcnl de l’Asseiublée, Gondrin, archevêque de Sens. Peu à peu, et malgré la tendance contraire de Mazarin, le gouvernement royal entrera dans cette voie. Par exemple, l’Edit de Nantes (après vérilication au Parlement ) avait subordonné à l’autorisation préalable du roi la réunion des synodes provinciaux et nationaux, qui étaient les asseml)lées. non pas politi((ues mais religieuses, de la communauté protestante. Eu 1654, à la clôture du synode national de Saumur, le commissaire royal signilie à l’assemblée que ce synode aura été le dernier de tous : car le roi, usant de la prérogative que lui réserve l’Edit de Nantes, refusera désormais l’aulorisalion nécessaire.

En 1660, nouvelle Assemblée du Clergé de France. Alors vient l’effort principal de la Compagnie du Saint-Sacrement au préjudice des protestants. Une commission executive est encore élue d’après le voeu de plusieurs prélats spécialement [)réoceupés de la destruction de l’hérésie. A la tête de la commission est placé un catholique de haute valeur, Christophe Leschassier. maître des comptes. Celui-ci adresse aux GoiMpagnics de province trente et un articles sur les intraclions commises par les huguenots à la teneur primitive de l’Edit de Nantes dans tous les domaines auxquels peut s’étendre l’activité des comniunaulés protestantes : culte, édifices, prédication, enseignement, assistance, librairie, fiscalité, professions manuelles, carrières libérales, délits et empiétements. Grâce aux réponses venues de toutes les provinces, Christophe Leschassier possède bientôt un dossier considérable. Le prince de Conti fait agréer par la Coinpa^nie du Saint-Sacrement le choix de l’évéque de Digne, Toussaint de Forbin-Janson, pour comluire l’alfaire avec vigueur dans l’Assemblée du GlergédeFrance.Forbin-.lanson obtiendra gain de cause auprès de l’Assemblée, et l’Assemblée obtiendra gain de cause auprès de Louis XIV. La déclaration royale de 1661 nommera des ci>mmis3aires chargés de visiter les provinceset de réduire les institutions protestantes, et notamment les centres d’exercice public du culte, aux limites prévues par le texte législatildc iSgS : toutes

les extensions ultérieures étant considérées comme des usurpations abusives et punissables.

A cette époque, la Compagnie du Saint-Sacrement va disparaître. Mais l’œuvre qu’elle a déployé tant d’elforts à promouvoir s’accomplira pourtant. Les commissaires du roi dans les provinces feront détruire des temples calvinistes, adopteront d’antres mesures restrictives ; bref, pratiqueront l’i/iterpréliiliortde l’Edil à la rigueur. Ei ils ignoreront la force invisible qui a su les mettre en mouvement.

Désormais, est créé, dans la France catholique du xvii » siècle, le courant d’idées qui, par antipathie et suspicion contre la minorité protestante, par zèle passionné pour l’unité religieuse et nationale, déterminera l’ajiplication de plus en plus limitative, puis la disparition totale du régime de tolérance religieuse établi [)ar Henri IV. Terminant, dans son mémoire de iGg’i, le récit des faits que nous venons de résumer, le comte Mené I ! de Voyer d’.Vrgcnson conclut non sans justesse ; « Et c’a été le commencement de la destruction de l’hérésie dans le royaume. »

3° Vers la Iléfocalion. — Les Assemblées du Clergé de France conlinueronl périodiquement de requérir des mesures nouvelles tendant à restreindre la liberté religieuse des protestants français. Et les déclarations rovales, — inspirées à la fois par cette sollicitation cnue de l’opinion catholique et par la suspicion politi(pie du péril que pourrait encore faire courir à l’unité nationale la minorité protestante, — accentuent de plus en plus la politique de rigueur.

La déclaration de lijù’i, conforméuienl à la requête du clergé, frappe des pénalités en vigueur contre les relaps tout catholique qui, ajant abjuré le protestantisme, retournerait ensuite à l’hérésie.

La déclaration de 1666 ramène, sur plusieurs points où l’interprétation tolérante avait prévalu jusqu’alors, la liberté des huguenots à la littéralité stricte et primitive de l’Edit de Nantes. Des facilités nouvelles sont accordées, en outre, aux prêtres catholiques pour pénétrer auprès des huguenots mourants, malgré l’opixisition des familles.

En 166(j, Louis XIV supprime les Chambres de /’/i « /j< dans tous les Parlements du royaume. Mais, la même année, il promulgue une déclarHlion en quaraute-nfuf articles, d’une inspiration qiu’lijuepeu différente, et « portant règlement des choses quidoivent être gardées et observées par ceux de la Religion prétendue réformée ». Ordonnance destinée à rassurer les protestants étrangers, que Colberl atti rail en France pour des raisons industrielles et commerciales. Quelques garanties légales sont accordées aux huguenots. Par exemple, les jeunes protestants qui marqueraient le désir d’embrasser lecathoUcisme ne pourront être soustraits à la puissance paternelle avant douze ans pour les filles et « luatorze pour les garçons.

L’Assemblée du Clergé de France, tenue en 1675, adressaau roi un mémoire en 68 articles indiquant des mesures à prendre contre les protestants par un retour à la stricte littéralité de l’Edit de Nantes. La plupart des propositions du Clergé allaient bienlùl se traduire en ordonnances royales.

Enumérons quelques-unes des mesures adoptées. Aggravation des peines contre les relaps (déclaration de nmrs 1679), interdiction des prêches aux jours où les évêques font leur visite pastorale dans le même endroit (arrêt dejuin 1679), défense à tout catholique de pa « ser en aucun cas au prolcstanlisme (édit de juin 1680), prohibition de tout mariage entre conjoint catholique et conjoint protestant (édit de novembre 1680), ordre aux juges ordinaires 1035

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d’interroger les protestants malades pour savoir s’ils ne désirent pas recourir au ministère d’un prêtre catholique (déclaration de novembre lOSo), liberté pour les enfants protestants de faire profession du catholicisme à partir de l’âge de sept ans (déclaration du fj juin 1681)i suppression pour les protestants de l’accès aux fonctions de notaires, procureurs, huissiers et sergents (déclaration de juin 1685), défense aux ministres de résider dans les localités oîi l’exercice du culte protestant aura été interdit (arrêt de juillet 168a), défense aux protestants de jamais s’assembler autrement que dans leurs temples et en présence des ministres (déclaration d’août 1682), défense aux protestants de tenir des écoles partout où l’exercice public de leur culte n’est pas autorise (arrêt de janvier 1 683), autorisation de soustraire à la puissance paternelle alin de les faire élever dans le catholicisme les jeunes huguenots qui auront abjuré le protestantisme (déclaration de juin 1683), translation aux hô|)itaux des fondations alTcrentes aux consistoires supprimés (déclaration d’août 1684), obligation imposée aux ministres de payer la taille (arrêt dejanvier 168î), défense aux prolestants de prendre des serviteurs catholiques (déclaration de juillet 168/|), interdiction à tout protestant d’exercer la profession de libraire ou d’imprimeur (arrêt de juillet 1685), interdiction aux prolestants d’avoir un cimetière là où ils n’ont pas un centre légal d’exercice de leur culte (arrêt de juillet 1685), défense aux juges et avocats d’avoir des clercs appartenant à la religion protestante déclarationde juillet 1685), éducation et tutelle catholique uniformément ordonnée pour tout enfant dont le père sera mort dans le protestantisme, mais dontlamère sera catholique (déclaration dejuillet1685), interdiction duculteprotestant et destruction des temples dans toutes les villes épiscopales (arrêt de juillet 1680).

/(J Conversions et résistiuice^. Premières « dragonnades ». — L’Assemblée du Clergé de France tenue en 1682, la même qui promulgua la déclaration fameuse lies Quatre Articles, promulgua pareillement trois documents d’une haute importance à proposdu protestantisme : une circulaire C’niiersis per Gallias Episcopis, recommandant le grand œuvre de la conversion des dissidents par les voies de la persuasion et de l’apostolat ; une circulaire Fratrihus Secessionis caUnnianae, adjurant en un très beau langage les protestants français de revenir à l’Unité catholique et donnant à entendre qu’ils attireront de grands malheurs sur leur propre tête s’ils s’obstinent dans l’hérésie ; un mémoire enlin, proposant aux controversistes catholiques seize arguments ou chefs de démonstration aptes à éclairer les dissidents au sujet de la vérité du catholicisme. Le 10 juillet 1682, une lettre de Louis XI’V aux évêques de France s’inspira du même esprit et recommanda la conversion des huguenots par les voies de douceur.

Une vive impulsion fut alors donnée à toutes les (Puvres d’apostolat auprès des hérétiques, notamment aux missions dans les villes et campagnes protestantes.

Il y eut, à cette époque, un nombre considérable de conversions au catholicisme. On ne peut méconnaître que, chez beaucoup de convertis, les considérations humaines se joignirent dans une proportion variable aux Aues surnaturelles et aux argunientsdesapologistes. D’année en année, demois en mois, les rigueurs législatives se multipliaient, rendant toujours plus précaire la situation du protestantisme et des protestants. Au contraire, la profession du catholicisme permettait d’échapper à des contraintes et ouvrait toutes grandes les avenues

des fonctions ou dignités interdites désormais aux huguenots. Pour les protestants auxquels leur conversion pouvait faire subir quelque dommage de fortune ou de situation, par suite de l’hostilité de leur famille, la caisse des com-ersioiis, fondée en lô-yô par Louis XIV et gérée par un converti de grand renom, l’illustre avocat Peilisson, garantissait les compensations nécessaires. L’exemple donné aux hommes de cette génération par Peilisson, par Dangeau, par ïurenne, accentuait d’ailleurs, chez les ])roleslants, le mouvement de conversions que travaillaient à promouvoir par leur apostolat religieux les membres les plus éminenis du Clergé de France : Bossuet, Fléchier, Bourdaloue, Fénelon, Mascaron.

Parmi les contraintes qui auraient multiplié abusivement le nombre des prolestants con’ertis au catholicisme pour de tout autres motifs que ceux de la persuasion intérieure, on cite fréquemment les premières dragonnades, antérieures à l’Ëdit de Révocation. Sous le nom de dragonnades, on désigne une vexation consistant à faire peser d’une manière exclusive et prolongée sur les protestants cette forme de redevance qui consiste dans le logement des troupes. Sachant qu’ils avaient affaire à des sujets tenus pour réfraclaires aux intentions du roi, les soldats (spécialementlesdragons, d’onlenom de dragonnades), hébergés durant de longs mois chez les prolestants se seraient livrés, avec plénière impunité, à toutes sortes de déprédations et de violences odieuses. La conversion au catholicisme aurait élé, pour les huguenots, un moyen de s’exonérer des dragonnades.

De fait, il y eut des dragonnades, répondant à cette description, d’abord dans la généralité de Poitiers en 1681. sur l’oi’dre de l’intendant Marillac ; puis dans leBéarn en |685, sur l’ordre del’intendant Foucault ; dans la généralité de Montauban, à la même époque, sur l’ordre de l’intendant La Berchère, et dans quelques autres régions. Mais on doit reconnaître que ces brimades odieuses et stupides eurent alors un caractère purement local et furent exécutées à l’insu de Louis XIV et de ses ministres. Quand le gouvernement royal en eut été averti, elles provoquèrent presque toujours des ordres en sens contraire, avec un désaveu et une réprimande pour les intendants responsables, et, finalement, déterminèrent la révocation de Marillac. Les dragonnades antérieures à l’Eilit de Révocation n’engagent donc pas la responsabilité du gouvernementde Louis XIV, moins encore de l’Eglise de France ; elles ne peuvent être comptées parmi les causes importantes du mouvement de conversions qui s’accentua, tantôt pour motifs religieux et tantôt pour motifs d’intérêt politique et humain, de 1682 à 1680.

L’Assemblée du Clergé de France, tenue du 25 mai au 28 juillet 1685, se montra impressionnée, beaucoup moins par la conversion d’un nombre apprécial )le de protestants que par la résistance opiniâtre de l’immense majorité d’entre eux : résistance quiavait trouvé sa formule dans un écrit retentissant du ministre Claude : Considérations sur les Lettres circulaires de l’Assemlilée du Clergé de France de l’année lôS’i. Par ailleurs, les protestants du Midi avaient répondu en maints endroits, par des attroupements séditieux, aux sollicitations de l’Eglise et aux rigueurs législatives de l’Etat. Dans une assemblée tenue à Chalençon en juillet 5683, ils avaient marqué la résolution de rouvrir par la force les temples interdits. Aussi, une commission fut-elle nommée, en 1685, par r.ssemblée du Clergé de France, pour « rechercher et ramasser les calomnies, les impostures et les injures que les prétendus

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réformés avaient inventées contre la religion calholiqne ». De la part de cette commission, une requête fut présentée au roi par Noailles, archevêque de l’aris. Il La très band)le prière qne le Clergé fait à Votre Majesté n’est pas pour la Révocation d’aucun Edit… Il n’y en a point et il ne peut y en avoir aucun qui permette aux prétendus réformés de dire des injures à l’Eglise catliolique. « Puis, sur treize pages in-folio, sont reproduites les principales allé : » ations récentes des docteurs du protestantisme français, allégations calomnieuses coutre les croyances de l’Eglise catholique et mises en regard des dé-Ijnitions dogmatiques du Concile de Trente sur la même matière. Celle énumération des hérésies proteslantes reflétait et excitait, en même temps, l’indignation des catlioliques français contre l’obstination des huguenots.

La réponse immédiate fut un édit de Louis XIV, interdisant « aux ministres et à toutes personnes de la Religion prétendue réformée de composer aucuns livres contre la foi et la doctrine de l’Eglise ».

3" Le dénouement. — Trois mois après la clôture de l’Assemblée duGlergé, allaitparaitre un document de toute autre importance : l’Edit de Révocation.

Le Clergé de France s’était défendu de solliciter cette mesure, mais on doit avouer qu’elle était l’aboutissement logique de la politique suivie depuis une trentaine d’années par le gouvernement royal, sous la poussée de l’opinion catholique et d’accord avec l’Eglise des Gaules : polilic|ue tendant à réduire toujours davantage les franchises légales du culte prulestanl.

Deux causes, en apparence opposées, contribuèrent à précipiter le dénouement.

D’une part, le nombre considérable des conversions, tel que le présentaient les statistiques complaisantes des intendants, suggérait l’impression que les huguenots ne seraient))lus désormais qu’une minorité insignifiante, et que les libertés reconnues au culte protestant par l’Edit de Nantes allaient perdre leur principale raison d’être.

D’autre part, la résistance un peu farouche du noyau obstinément réfraclaire à l’égard des tentatives de réconciliation religieuse raviva l’aigreur des querelles religieuses et des suspicions politiiiues. De vieilles et profondes antipathies suggéraient, pour en finir, le recours à la manière forte.

El, dans cette ambiance, le gouvernement de Louis XIV voulut trancher le nœud gordien.

VI. L’Edit de Révocation (octobre 1685). — Préambule : l’Edit de Nantes est devenu désormais inutile, parce que « la meilleure et la plus grande partie de nos sujets de la Religion prétendue réformée ont embrassé la catholique ».

Article premier : sont révoqués tous les Edits et arrêts favorables à la Religion prétendue réformée ; les temples hérétiques seront détruits.

Article 2 : aucun exercice du culte protestant ne sera permis en quelque lieu que ce soit.

Article 3 : le culte protestant est interdit même dans le domicile privé des seigneurs hauts-justiciers, sous peine de confiscation.

Vrlicle 4 : les ministres de la Religion prétendue réformée qui ne voudront pas faire profession du catholicisme devront passer hors des frontières du royaume dans les quinze jours.

Article 5 : les ministres de la Religion prétendue réformée qui feront profession du catholicisme garderont le bénéfice des immunités dont ils jouissaient, comme ministres du culte, [lar rapport aux impôts directs et au logement des troupes ; ils toucheront une pension dépassant d’un liersleurs appointements

ecclésiastiques. Pension dont la moitié’sera réversible sur levirs veuves.

Article 6 : une fois devenus catholiques, les ministres de la Religion prétendue réformée qui voudront devenir avocats ou docteurs ès-lois pourront passer les examens qui donnent accès aux susdites fonctions sans être astreints à subir le stage de trois années d’études préalables exigé des autres candidats. Ils ne payeront que la moitié des droits d’examens.

Article 7 : toute école protestante est interdite dans le royaume.

Article 8 : les enfants à naître de parents protestants seront baptisés, catéchisés, élevés dans le catholicisme, sous peine decinqcents livresd’amende pour les parents réfractaires.

Article 9 : les protestants français ayant quitté le royaume avant le présent Edit recouvreront tous leurs biens s’ils y rentrent avant quatre mois ; sinon, leurs biens seront confisqués définitivement.

Article 10 : défense absolue aux protestants français, autres que les ministres, de sortir du royaume sous peine de confiscation pour les femmes et des galères pour les hommes.

Article 11 : sont maintenues en vigueur les lois existantes contre les relaps, c’est-à-dire contre les hérétiques qui, après conversion, redeviendraient hérétiques.

Clause finale : les protestants qui refuseront de faire profession du catholicisme garderont la liberté de vivre, posséder et commercer dans le royaume, pourvu qu’ils ne tiennent aucun exercice ni aucune réunion de leur culte.

Signé : Louis. Contre-signe : Le Tellier, Colbert. Enregistré à la Chambre des vacations du Parlement de Paris : 22 octobre 1685.

(Léon Pilatte Edits, Déclarations et Arrêts, p. 289 3 2^5. Paris, 1880, in-12.)

VII. L’accueil rencontré par l’Edit de Révocation. — 1° En France. — Dans la France catholique du XVII* siècle, l’Edit de Révocation fut salué par une véritable explosion d’enthousiasme unanime. Les témoignages qui attestent ce fait sont trop catégoriques, trop nombreux, trop concordants malgré la diversité extrême de condition et de tendances des contemporains dont ils nous transmettent l’impression, pour que l’on puisse révoquer en doute la réalité et la sincérité de l’approbation publique. Les quelques témoignages allégués parfois en sens contraire, comme ceux de F’énelon et de Vauban, datent de plusieurs années après l’Edit de Révocation, se réfèrent toujours aux outrances malheureuses auxquelles donna lieu l’application de cet Edit, en face de résistances tenaces qu’on n’avait pas su prévoir, mais ne contestent à aucun degré l’Edit lui-même de Révocation, dont le principe essentiel est visiblement tenu pour supérieur à tout reproche. Les sentiments qui dictèrent, en iG85, l’approbation unanime de la France catholique furent le double zèle pour l’unité religieuse et l’unité nationale.

Le régime légal organisé par l’Edit de Nantes avait été subi par la France catholique comme une nécessité malheureuse : le vœu manifeste de la génération qui accomplitlaContre-Réforme étaitque l’exercice public du culte protestant cessât d’être autorisé dès que les circonstances cesseraient elles-mêmes d’imposer une tolérance tenue pour abusive. En outre, le mouvement national vers l’unité et l’autorité, qui trouvait son expression dans le gouvernement de Louis XIV, tendait à la destruction des franchises légales du culte huguenot, considérées comme prolongeant et protégeant l’existence organisée 1039

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d’une minorité dissidente qui avait causé tant de dommages à l’unité du royaume par ses rébellions coupables et ses alliances plus coupables encore avec l’étranger. La France catholique de 1 685 crut que la Révocation des articles subsistants de l’Edit de 1698 consacrerait la victoire religrieu^^edu catholicisme et la victoire politique de l’unité française sous l’égide de la Monarchie très chrétienne. En contresignant l’Edit de Révocation, le vieux chancelier Le Tellier récita le unc dimitlis.

Tel est le sentiment que traduisent avec un singulier relief tous les témoignages contemporains. Les plus notables de ces témoignages ont été reproduits, par exemple, dans l’ouvrage de Michel : l.ouvois et les PnUestants (p. 807 à 313). Qu’il sullise d’énumérer ici les contemporains de Louis XIV qui, chacun dans son langage, expriment l’approbation enthousiaste de la France catholique pour la Révocation de l’Edit de Nantes : Bossuet, Fléchier, Bourdaloue, l’abbé de Rancé, le grand Arnauld, l’abbé Fleury, Racine, Thomas Corneille, La Fontaine. La Bruyère, Dacier, Bussy-Rabutin, Mme de Sévigné, Mlle de Scudéry, Mme Deshoulières…

Nous citerons, du moins, le plus célèbre de ces témoignages, celui qni formule avec le plus d’éloquence et d’autorité l’impression moralement unanime de la France catholique du siècle de Louis XIV : c’est le témoignage de Bossuet dans l’oraison funèbre du chancelier Michel Le Tellier, prononcée à l’église Saint-Gervais, le 20 janvier 1686 :

Ne laissons pas cependant de publier ce miracle de nos jours ; faisons-en passer le récit aux siècles futurs. Prenez TUS plumes sacrées, vous qui composez les annales de l’Eglise. Agiles instruments rf’un prom ;)< écrivain et d’une main dilii ; ente, hâter-vons de mettre Louis avec les Conslanlins et les Théodoses. [Citation de Sozomcne sur la répressiiin légale de l’hérésie an temps des Césars chrétiens ) Ainsi tombait l’hérésie arec son venin, et la discorde rentrait dans les infers d’où elle était sortie Voilii, Messieurs, ce que nos pères ont admiré dans les premiers siècles de l’Eglise. Mais nos pères n’avaient pas vii, comme nous, une hérésie invétérée tomber tout à coup ; les troupeaux égarés revenir en foule et nos églises trop étroites pour les recevoir ; leurs faux pasteurs les abandonner, sans même en attendre l’ordre, et heureux d avoir à leur alléguer leur bannissement pour excuse ; tout calme dans un si çrond mouvement ; l’univers étonné de voir dans un événement si nouveau la marque la plus assurée comme le plus bel usage de l’autorité, et le mérite du prince plus reconnu, plus révéré que son autoîilé même.

Touchés de tant de merveilles, épanchons nos cœurs sur la piété de Louis. Poussons jusqu au ciel nos acclamulîoDS, et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, h ce nouveau Ctiarlemagne ce que les six cent trente Pères dirent autrefois dans le concile de Ghalcédoine : Vous arez alfertni ta foi, roKs avez exterminé les hérctit^ues. C’est le dl^ne ouvrage de votre rè^ne, c’en est le caractère. Par potts^ l*/iérésie n’est plus : Dieu seul a pu faire rrtie merveille. Bol du ciel, conservez le Roi de la terre. C’est le vœu de ::Eglises^ c’est le vœu des évéques.’L’Edit d’octobre 1685, pour parler la langue des constituants de 89, fut indubitablement « l’expression de ia volonté générale » : ce qui, à nos yeux, ne suffit d’ailleurs pasà le légitimer ou à le rendre digne d’éloges.

2" A Home. — L’altitude duPape Innocent XI nous est connue par les copieuses dépê lies diplomatiques du duc d’Estrées, ambassadeur de France, et de son frère le cardinal d’Estrées, protecteur des afTaires de Franco à la cour pontificale. (Etude de Ch. Gérin dans la Ueviie des questions historiques. ToiæWlV. Année 1878)

En 1685, il y a grave querelle entre Innocent XI et Louis XIV à cause de la trop fameuse Déclaration gallicane de ifiSî. Tant que cette Déclaration n’est

pas retirée par la couronne de France, Innocent XI, au grand dépit de Louis XIV, refuse d’accorder l’institution canonique à aucun des évéques nouvellement nommés par le roi aux sièges vacants depuis 168a. Cette situation tendue mettra quelque froideur dans les éloges du Pape pour le zèle de Louis XIV contre les huguenots.

Bien plus. Innocent XI avait, antérieurement à l’Edit de Révocation, marqué un certain déplaisir de voir Louis XIV s’engager plus avant dans une politique de rigueur à l’égard du protestantisme. Politique qui peut avoir pour contre-coup de rendre intenable la situation de Jacques II, roi catholique de la protestante.Vnglelerre. Louis XIV, jugeant la chose du point de vue français, estimait au contraire qu’une politique d’ailirmation catholique, toujours plus ferme, à Versailles et même à Londres, aurait l’avantage de contraindre Jacques II à se jeter sans réserve dans l’alliance avec la France. Nouveau motif de froideur de la part d’Innocent XI.

Néanmoins, quand parvient à Rome la nouvelle de l’Edit de Révocation, le Pape en est informé officiellement par le cardinal d’Estrées, puis par l’ambassadeur : et Innocent XI accueille avec de grands éloges ce témoignage éclatant du zèle de Louis XIV pour la cause de l’Eglise. Les éloges sont à présumer réels, car le eardin’il et le duc d’Estrées, qui nous relatent ce lait, ont pour tendance continuelle, dans leur courrier diplomatique, d’exciter Louis XIV contre Innocent XI, en accusant le Pontife de déliance injuste à l’égard des plus louables initiatives du roi, y coin|>ris la conversion des huguenots. En date du 13 novembre 1685, Innocent XI adresse à Louis XIV un bref élogieux où il loue « le zèle vraiment digne d’un roi très chrétien, qui a porté le monarque à révoquer toutes les ordonnances rendues en faveur des hérétiques de son royaume et à pourvoir, comme il l’a fait pardetrès sagesEdits, à la foicallioUque >. Le Pape assure le prince de la gratitude de l’Eglise et lui parle de la recompense à espérer de la bonté divine.

La réponse de Louis XIV est datée du 7 décembre 168.5. Aux formules courtoises de respectueuse reconnaissance pour le bref pontilîcal, le roi joint une invitation transparente à Innocent XI, afin que Sa Sainteté veuille bien contribuer au progrès de la religion en France par tous les moyens que Dieu lui a conl’és » : c’est-à-dire en conférant aux nouveaux évéques l’institution canonique. Dans ses lettresdes 7, i^et 27 décembre. Louis XIV manifeste aucardinal d’Estrées son mécontentement de la froideur du Pape, répondant à l’Edit de Révocation, non pas par l’institution canonique des ésêques, mais simplement par un bref de félicitations.

Au réveillon de Noël, 26 décembre 1 685, le cardinal d’Estrées communique aux cardinaux et autres dignitaires de la cour romaine une lettre du P. de la Chaise au P. Fabri. Des centaines de missionnaires travaillent en France à la réconciliation des hugue-" nots, deux cent cinquante églises nouvelles ont été ouvertes dans les contrées où abondaient les protestants. Louis XIV a dépensédeux millions de livres pour cette propagande, et, au dire.des intendants, il y aurait près de 700.000 huguenots convertis.

Le 18 mars 1686, Innocent XI. dans uneallocution consistoriale, décerne à Louis XIV, pour l’Edit de Révocation, des louanges publiques, « prémices de celles que lui donnera la postérité, tant que durera le souvenir de ce grand acte ». Le Pape décrit en ces termes la politique religieuse du roi de France :

« Notre cher fils, ayant abrogé les Edits que des

traîtres hérétiques avaient arrachés à ses ancêtres les rois très-chrétiens au milieu des ardeurs et des 141

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îngrers de la yiici-re, et les ayanl remplacés par des rdoniiances qui dct’endenl à ces sectaires l’usage e leurs temples et la liberté de leurs assemblées, ieu a manilesté sur eux sa puissance. »

Mnlin, le’jf) avril 1686, à la clôture des fêtes pasca : s, Sdleunitcs religieuses et profanes avec feux de lie, dans tous les établissements français de Koine, our la liévocation de l’Edit de Nantes. Le 30 mai, ponsede Louis XIV, qui approuve le zèle du cardial et du duc d’Estrées, mais ajoute qu’Innocent XI "accorde toujoirs pas aux nouveaux évéques les Mlles d’institution canonique.

.Vu total, il y eut quelque froideur dans l’altitude u Pape Innocent XI. en raison île la querelle tonmrs pendante du gallicanisme et des Ouatre Arcles. Mais le Pontife approuva cependant et loua irnielleiuent l’Edit de Révocation. Ce serait déligur la vérité historicjue que d’affirmer le contraire, )mnio l’ont fait, pour dégager la responsabilité du ège de lîome, certains apologistes maladroits.

VIII. Conséquences de l’Edit de Révocation. — > Gain pour le catholicisme. — Le premier rcsultde fait, qu’il importe de retenir et qu’on oublie

: esque toujours de signaler, est ([ue la propagande

iligieuse conduite avec méthode par l’Eglise de rance et le gouvernement de Louis XIV chez les uguenots, concurremment avec la politique royale

; rigueurs législatives contre le protestantisme, 

joutit au retour elVectif et durable d’un nombre iiportant de calvini-tcs français à la religion cathoqne. A e6lé des émigrés, à côté des réfractaires es derniers convertisuniquerænt par contrainte et 1 apparence), il y eut des convertis authentiques irmi les protestants de cette génération. Il y en eut îaucoup plus encore dans la génération suivante, li fut élevée par des éducateurs catholiques. Aujourd’hui encore, il y a des families très cathorjuesqui saventtjueleurs ancêtres furent protestants revinrent au catholicisme à l’époque de la Kévoition de l’Edit de Nantes. U y a telle province ançaise, par exemple le Béarn, où le protestansme était dominant au xvi" et avi xvii’siècle qui, de nos jours, ne compte presque plus de otestants. Le souvenir même du protestantisme y irait éteint dans la popvilation ; et les croyances 1 c itholieisme y conservent une indiscutable fa ! ur : le Béarn contemporain est beaucoup moins ivagé par l’indillerence religieuse que d’autres pvonces de la même région qui comptèrent une prn>rtion beaucoup moindre de protestants sous le gime de l’Edit de Nantes. Par ailleurs, dans un lys occupant la situation géographique du Béarn,

: n’est certainement pas par l’émigration en terre

rangère (en Espagne sans doute ?) que l’on peut

; pliquer la disparition de la ([uasi totalité des liulenots

durant les années qui précédèrent et suivi : rit l’Edit de Kévocalion. Force est donc de reconvitre qu’il y eut un nombre assez considérable de rotestants fr.ini, ’ais, en Béarn et ailleurs, qui, soit la première, soit à la seconde génération, furent aulentiquement réconciliés avec l’Eglise catholique, -àce à la politique religieuse de Louis XIV et aux uvres d’apostolat et de conversion, que, lors de Révocation de l’Edit de Nantes, le Clergé (leFrance ierça parmi les protestants.

Quand on fait le bilan des conséquences de l’Edit

: Révocation (et de l’ensemble dos mesures au mi !  ! u desquelles il prend place), la vérité historique

îlige iidire qu’il y eut un gain notable et certain >ur le catholicisme.

Mais il y eut, à tous égards, un dommage plus noble encore.

2’Le « Refuge » à L’élran^cr. — On avait cru sur paroleà Versailles les rapports, généralement optimistes à l’excès, des intendants royaux. Ou s’était ilonc exagéré l’ampleur et la rapidité du mouvement de conversions parmi les protestants. On s’était alors figuré qu’un acte éclatant, comme serait l’Edit de Révocation, porterait le coup de gr, ^ce au protestantisme et donnerait le signal décisif de la conversion en masse. Illusion désastreuse, à laquelle l’expérience apporta un démenti péremptoire.

En grande majorité, les liu-nenols français demeurèrent attachés au calvinisme, malgré les rigueurs légales et malgré l’apostolat des missionnaires catholiques, Les plus résolus d’entre les réfractaires, cojitinuant un mouvement d’émigration commencé depuis plusieurs années déjà, et contrevenant aux prohibitions de l’Edit de 1685, passèrent par groupes en Suisse, en.’VUemagne, en Angleterre ou en Hollande : les pays du « Refuge ». Les autres restèrent sur place et gardèrent leur tenace lidélité au protestantisme, tout en étant, presque partout, nominalement et légalement tenus pour convertis au catholicisme : on les appelait les nouveaux réunis : ce qui signiliail eu réalité les no « réiinis.

Quelle fut l’imporlancede i’émigration protestante dans les pays étrangers pendant les années qui précédèrent et suivirent l’Edit de Révocation ? Les éléments d’une statistique précise font défaut. On ne peut procéder que par évaluations conjecturales, qui, de fait, varient de 60.000 à 600.000. Vauban, dans un Mémoire fameux, parle de 100.000 protestants émigrés, parmi lesquels 9.000 matelots, 13.000 soldats et plus de 600 officiers. Cette approximation paraît la plus sérieuse de toutes.

Il n’est pas douteux que semblable mouvement d’émigration, accompli malgré l’Edit de Htvocation, mais résultant de cet Edit, représenta pour la France une perte importante d’hommes, de capitaux et de ressources économiques, qui profita notamment au Brandebourg, à la Hollande, à r.A.ngleterre. La Révocation de l’Edit de Nantes compte ainsi parmi les causes (mais comme cause très partielle, à vrai dire) de la crise économique (explicable avant tout pur une longue série de guerres ruineuses et acharnées) qui éprouva la France durant les vingt-cinq dernières années du règne de Louis XIV. En outre, la Révocation donna quelque allure de guerre religieuse à la grande guerre de la Ligue d’.Vugsbourg : Louis XIV faisant (igure de champion (très peu romain ) du catholicisme, et Guillaume d’Orange étant, sans aucun doute possible, malgré le nombre et la puissance de ses alliés catholiques, le champion du protestantisme en Europe. Nonobstant les circonstances atténuantes que les proscriptions subies par eux en France et la conception moins rigide que l’on avait.alors du patriotisme peuvent donner à leur conduite, il est difficile de ne pas llétrir comme une trahison l’altitude des protestants français du « Refuge » qui, dans la guerre de la Ligue d’Augsbourg, combattirent avec acharnement contre les armées de Louis XIV et de la France.

Quant aux protestants réfractaires à la conversion et demeurés en France, les nouveaux réunis, leur condition fut cruelle et devint, pour le gouvernement royal, l’occasion de terribles embarras,

3'> Les vraies « dragonnades ». — Ceux ((ui refusèrent formellement et persévéramment d’abjurer, comme l’Edit de Révocation leur en reconnaissait le droit, finirent par être conduits à la frontière manu militari en 1688 et bannis du royaume à perpétuité. .Mais la plupart des récalcitrants notoires avaient abjuré par contrainte, ou avaient été considérés 1043

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comme ayant abjuré. Ils demeuraient cependant aussi étrangers à chacun des actes <listinctifs du catholicisme qu’avant leur abjuration piélendue. A leur égard, le pouvoir royal se trouvait dans une situation paradoxale : l’état-civil étant alors constitué par les registres ecclésiastiques du baptême et du mariage, et l’Edit de Révocation ayant supprimé l’organisation légaleet publique duculte protestant, les itoiifeait.r réunis devraient se marier devant le prêtre catholique, faire baptiser leurs enfants par le prêtre catholique, se faire enterrer à l’église et au cimetière catholique, bref faire profession du catholicisme, ou bien devenir des sujets du royaume qui n’auraient pas d’étal-civil régulier et dont la puissance publique ne connaîtrait légalement ni la naissance, ni le mariage, ni la mort. Le paradoxe durera jusqu’au jour où, plus d’un siècle après l’Edit de Révocation, Louis XVI restituera l’état-civil aux protestants. La législation d’octobre i(’)S5 supposait prcsomptueusement que, désormais, il n’y aurait plus de huguenots en France (sauf les adultes de la génération présente qui refuseraient d’abjurer) et que, dans le royaume de France, on ne comjjlcrail plus que des sujets catholiques. Devant une réalité différente, le gouvernementde Louis XIV fut entraîné à des mesures violentes et absurdes.

On voulut résoudre le problème en décidaMl, [lar des mesures de coiilrainle, les nouveaux réunis à devenir des catholiques croyants et pratiquants. L’apostolat des missionnaires catholiques, fi’it-ce de Fénelon et de Bourdaloue, ne suflisait nullement à changer leur cœur. C’est alors que des dra-^onnades furent réellement ordonnées par Louvois comme méthode ollicielle de contrainte à l’égard des niinfeaux réunis. Lorsque ceux-ci refuseraient de participer aux cérémonies obligatoires du catholicisme, ou, du moins, de se laisser instruire dans le catholicisme, les intendantsauraienl le pouvoir de leur imposeren permanence le logement et l’entretien des gens de guerre. Ceux-ci étaient, d’ailleurs, avertis qu’on les verrait sans déplaisir faire sentir lourdement aux récalcitrants le désagrément de leur présence. Ils n’y manquèrent pas. Au nombre des colonels et des capitaines qui, en présidant à de tels logements de dragons ou d’autres soldats, se distinguèrent par leurs vexations chez les nouveaux réunis, on cite les noms de Tcssé, Boufders, La Trousse, Choiseullîeaupré, Saint-Ruth. C(unme on devait s’y attendre, il y eut pire que des brimades onéreuses, il y eut des cruautés, des obscénités, généralement imimnies. Bien qu’on ne doive pas exagérer la proportion où de pareils excès furent réels, et bien que Louis XIV les eût positivement interdits, — et, sans doute, les ignorât dans la plupart des cas, — c’est là une page douloureuse de notre histoire.

Malgré toutes les contraintes, les nouveaux réunis continuaient d’être réfractaires à la conversion au catholicisme. Us reconstituaient peu à peu, mais dans le secret, les assemblées de leur culte. Des pasteurs, revenus de l’émigration, y reprenaient l’exercice de leur ministère religieux. En diverses régions, d’importantes assemlilées s’organisaient au « Désert » et provoquaient, dans beaucoup d’âmes prolestantes, une exaltation mystique et passionnée. Il y eut des visions, des extases, de grands et de petits prophètes, et toute une littérature apocalytique où tombaient sur Louis XIV et sur la Papauté les formidables catastrophes prédites naguère à la grande prostituée par le voyant de Pathmos.

Devant cette effervescence mystique, les rigueurs légales demeuraient inopérantes, ou plutôt ne faisaient qu’exaspérer la résistance des huguenots. Et pourtant, le zèle des intendants ne connut aucune

relâche : ces loyaux fonctionnaires s’appliquèrent en toute conscience, par leurs brutalités incessantes, à répandre de l’huile sur le feu. Une mention particu-. Hère est due au célèbre et implacable intendant du Languedoc, Lamoignon de Hàvillc.

Dans les diocèses de Nîmes, Alais, Uzès, Mende, Viviers, on en viendra, de 1 702 à 1710, 4 l’insurrection atroce des « Camisards », qui dégénérera en une guerre civile aux péripéties de plus en pluseffroyables.

k° Consultations et ordonnance de lU’JS. — Avant même cette insurrection des Cévennes, le gouvernement royal eut le bon sens de comprendre qu’il lui était impossible de persévérer indélinimenl dans la même voie de rigueur. En 1698, Louis XIV institua une enquête auprès des évêques sur la conduite à tenir à l’égard des nouveaux réunis, qui étaient toujours, en réalité, des protestants. Devait-on tenir pour opportun de continuer à exercer une contrainte légale pour amener ceux-ci à la messe paroissiale du dimanche ? Ne vaudrait-il pas mieux renoncer à une exigence dont les résultats s’allirraaient plus nuisibles qu’utiles ?

Nous possédons les réponses motivées des dliférents évêques auxquels fut posée la question. La plupart se prononcèrent pour le maintien de la contrainte : une politique plus clémente aurait, à leurs yeux, le caractère d’unrecul pour la causecatholique et d’un encouragement pour les huguenots, à s’obstiner dans l’hérésie. Tel fut le sentiment de onze [irélals : Godet des Marais (Chartres), Fléchier (Nîmes), Mascaron (Agen), La Garde-Cliambonas (Viviers), Chevalier de Saulx (Alais), La Berchère (Albi), La Broue (Mirepoix), Le Camus (Grenoble), Colbert de Ooissy (Montpellier), Ncsmond (Montauban), Berthier (Rieux). Il y eut un hésitant : Fortin de la Hoguette (Sens). Mais six autres prélats conseillèrent l’abandon de la contrainte jiour l’assistance des nouveaux réunis aux offices catholiques : Bossuet (Meaux), Le Tellier (Reims), Noailles (Chàlons), Sillerj(Soissons), La Frézelière (la Rochelle), La Brunetière (Sens).

Louis XIV adopta, en fait, leur manière de voir par la déclaration du 13 décembre 1698 et le mémoire explicatif de janvier 1699. L’Edit de Révocation est maintenu et renouvelé dans son intégralité. Seulement, l’application pratique en est confiée, non plus aux intendants, mais aux évêques et auxcurés. Le roi recommande à tous ses sujets l’exacte obser vation des préceptes de l’Eglise catholique, sans aucune rigueur ni sanction particulière à l’égard des nouveaux réunis. « Sa Majesté, dit le mémoire explicatif, ne veut point qu’on use d’aucune contrainte contre eux pour les porter à recevoir les sacrements. Il n’y a pas de différence à faire à cet égard entre eux et les anciens catholiques. » On rentr : iit dans la voie de l’exhortation morale, substituée à la méthode péna

torité

servan

daleu

sur place à la fréquentation des catéchismes et des écoles catholiques : leur conscience serait juge delà rigueur avec laquelle ce contrôle devrait être exercé, l’ar contre, un certificat de catholicité serait exigé pour loblention de tout ollicc de judicature.

Dès lors, sauf dans les diocèses où la situation était sans remède et où l’exaspération farouche des nouveaux réunis allait aboutir à la guerre des Cl Camisards ». un régime de demi-tolérance tendit à s’établir (mais avec des flux et des reffux) pour les protestants français. On s’abstenait généralement de les inquiéter pour fait de conscience. On fermait les 1045

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yeux siu’les assemblées extra-légales où s’accomplissait la célébration de leur culte. Souvent nicine, on inscrivait le mariage sur le registre paroissial, sans aucune mention de céiénionie religieuse. A défaut de libre accès aux charges publiques, les protestants exerceront en paix les earrièi-es commerciales et industrielles. Malgré bien des heurts, qui tiendront à des circonstances particulières et qui résulteront de l’illégalité de cette situation, telle va être, en gros, la condition des protestants, — minorité dcsoruiais très réduite, — au xvin’siècle.

Les prolestants d’Alsace n’auront jamais été in((uié|os dans la jouissance du statut particulier ({ui les régissait depuis l’annexion de leur pi’ovincc à la France.

Le législateur de 1685 avait cru qu’au bout d’un petit nombre d’années, il n’existerait plus de huguenots français. Tout avait été calculé en conséquence. Mais une minorité protestante continua de subsister : et ce fait bouleversa l’application prévue de lEdit de lîévoeation. Après de douloureuses expériences. Il fallut en venir à s’accommoder, par manière de tolérance extra-légale, d’une partie des franchises religieuses et civiles qui avaient été autrefois sanctionnées légalement par l’Edit de Xanles.

Le dommage (pourtant énorme) causé au protestantisme français jtar la politique religieuse de Louis XIV fut beaucoup moins considérable encore que le dommage moral qui résultera de l’Edit de Révocation pour l’Eglise et la Monarchie. Dommage moral dont les conséquences durent toujours, après deux cents ans accomplis, et se sont même aggravées, depuis que la Révocation de l’Edit de Nantes, séparée des circonstances historiques qui aident à la comprendre, a reçu de la légende les surcharges fantastiques qui lui donnent le caractère d’un symbole et d’un épouvantait.

IX. Appréciation des responsabilités. — La Révocation de l’Edit de Nantes est un événement considérable et complexe qui ne saurait être l’objet d’une approbation ni d’une réprobation sommaire, l’anl du point de vue doctrinal que du point de vue historique, bon nombre de distinctions s’imposent, distinctions d’une nuance pyrf<’is délicate.

1° L’Edit de Nantes (même libéré de ses exorbitantes clauses politiques) constituait une dérogation au droit publicde toutes les nations catholiques ou protestantes de cette époque.

2’L’Edit de Xanles n’avait pas été, en iSgS, l’objet d’une libre et solennelle délibération, mais avait été arraché à Henri IV par une nécessité impérieuse de sagesse politique.

3" L’attitude séditieuse des protestants français, dans la plupart des circonstances où il leur avait été po’îsible de s’insurger ou de conspireravcc l’ennemi du dehors, eut pour effet de créer, chez beaucoup de Français d’alors, cette conviction que la minorité calviniste constituait un grave péril pour l’unité uationale.

4" Le mouvement de Contre-Réformalion catholique qui marcjua surtout le second tiers du dixseptième siècle détermina un grand elTort d’apostolat religieux auprès des protestants et un puissant courant d’opinion contre les franchises légales dont jouissait en France le protestantisme. Ici, intervinrent la Compagnie du Saint-Sacrement et les Assemblées périodiques du Clergé de France.

5* Subissant l’influence de ce courant d’opinion et gardant le souvenir des périls nationaux qu’avait précédemment (ait courir à la France et pourrait lui faire courir encore la minorité protestante, le gouvernement de Louis XIV commença par interpréter

l’Edit de Nantes à la rigueur (comme le lui demandaient avec insistance les Assemblées du Clergé), puis crut en linir avec le protestantisme par la lîévoeation totale de l’Edit de Henri IV.

6" L’api)laudissement chaleureux et unanime de la France catholique montra combien FF^dit de Révocation répondait exactement au.x tendances générales de l’époque. Il ne faisait, du reste, que réduire les prolestants français à une condilion semblable à celle des catholiques dans les FUats protestants de l’Europe du xvu" siècle.

7° Malgré le notable mouvement de conversions au catholicisme qui précéda et suivit l’Edit de Révocation, la majorité des huguenots conserva son attachement au protestantisme. Parmi les jjrotesta’.its obstinément lidèles à leur religion, beaucoup (peut-être 100.000) cherchèrent asile hors de France dans les paj’s protestants : et leur départ causa évidemment à la F’rance un dommage sérieux (bien que ce domraageait été exagéré). Les protestants demeurés en France furent, pour le gouvernement royal, l’occasion d’embarras plus graves encore.

H’L’Edit de Révocation n’ayant pas prévu qu’une minorité protestante subsisterait et voudrait demeurer lidèle au culte calviniste, l’existence tenace de cette minorité accula le gouvernement royal à l’a’oandon partiel d’une légalité abusive et maladroite : ce qui fut fait par la déclaration de 1698. Jlais, avant de battre en retraite, le pouvoir royal tenta de contraindre à la conversion les huguenots rél’ractaires. Pendant plusieurs années, il recourut donc contre eux à des mesures tracassières, violentes, ou même odieuses, qui furent généralement inellicaces et qui, par le souvenir qu’elles devaient laisser, causeraient plus de dommage encore au catliolicisuie qu’an protestaniisme.

9" Dans l’ordre des principes, l’Edit de Révocation s’inspirait de la doctrine catholique du droit exclusif de la vérité religieuse, doctrine qui ne reconnaît à l’erreur aucun droit d’èlre professée au grand jour. Mais le même Edit de 1685 méconnaissait un autre aspect des choses, dont le législateur catholique a le devoir de tenir compte : la grave considération de sagesse et d’équité politique qui, dans un pays divisé de croyances, exige d’accorder aux dissidents certaines libertés légales, sous peine d’un notable dommage pour l’ordre social et la paix publique.

10" Quant aux rigueurs qui suivirent l’Edit de 1685, non seulement le mode en fut excessif, mais l’objet même en était mal justilié. La doctrine qui donne au pouvoir chrétien le droit de mettre la force des lois humaines au service de la vraie religion, prétend arrêter ou punir ta diffusion de l’erreur, mais non pas imposer des actes religieux qui supposent la conversion intime du cœur et qui ne sauraient être exigés par voie de contrainte.

Il’Le Siège apostolique semble na()ir été nullement tenu au courant avec précision des violences abusives dont nous venons de parler. Innocent XI connut seulement l’Edit lui-même de Révocation et en loua le principe, conformément aux traditions du droit public de l’Eglise. Du reste, il y mit quelque froideur, en raison du dissentiment qui existait alors entre Louis XIV et la Papauté.

13" Dans toute la mesure où la Révocation de l’Edit de Nantes fut un acle malheureux et donna lieu à des mesures repréhensibles, on ne saurait trop redire que l’explication fondamentale en est fouruie par les conceptions politiques alors régnantes dans toute l’Europe, catholique et protestante. Le régime appliqué depuis l685 aux protestants français ne dilfère pas du régime que subissaient, à la même époque, les catholiques d’Angleterre, ou des Etats 1047

NATALITÉ

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luthériens d’Allemagne cl de Seandinavic. L’erreur commise en cette circonstance fut, sans aucun doute possible, l’erreur du temps.

X. — Bibliographie

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