Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Probabilisme (I.Historique)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 157-176).

PROBABILISME.

I

HISTORIQUE

Objet de cet article.

Il ne peut être question d'étudier ici en détail l'évolution de la doctrine du probabilisme moral. Nous nous proposons uniquement dans ces colonnes de

mettre en évidence quelques points de cette histoire et deredresser ainsi plusieurs idées fausses. D’après la thèse protestante et libre- penseuse, l’Eglise, après avoir dans son premier âge suivi rigoureusement les austères préceptes de l’Evangile, aurait peu à peu, pour s’accommoder à la faiblesse humaine et garder dans son sein la masse des médiocres, cédé aux tendances laxistes et élaboré une morale facile, dont la dernière forme serait le probabilisme. A l’opposé, les moralistes catholiques qui ont cru se démontrer l’illégitimité du probabilisme, pensent faire merveille en assurant que ce système, bien loin de pouvoir être mis au compte de l’Eglise, n’a cessé d'être réprouvé par elle. — Ni l’une ni l’autre de ces combinaisons n’est ratifiée par les faits. Il ressortira au contraire de notre exposé, que la théorie probabiliste des théologiens modernes, telle que la présente et l'établit la partie doctrinale de cet article, est bien, d’une part, en continuité avec la pratique des premiers siècles du christianisme, et doit être considérée, d’autre part, comme l’expression d’un enseignement toujours parfaitement reçu dans l’Eglise.

Sommaire : I. Les Pères de l’Eglise. — II. Saint Thomas et son temps. — III. Les Ecoles théologiques de Sr. Thomas à S. Alphonse. — IV. 5. Alphonse. — V. L’attitude du Saint-Siège. — VI. L'état actuel de la question.

I. — Les Pères de l’Eglise et le Probabilisme

i° Textes allégués à tort contre le Probabilisme. — Ce sera préciser la question que d'écarter d’abord de la controverse tout un lot de textes équivoques, sans lien réel avec le probabilisme, et allégués pour les besoins de la lutte par des adversaires faisant flèche de tout bois. C’est ainsi qu’on n’est pas fondé à faire valoir des passages visant seulement l’obligation : a) de suivre le parti le plus sûr dans l’option religieuse (Lactanck, De div. instit., III, xiii ; P. L., VI, 384 B ; Opus imperf. in Matthæum, faussement attribué à saint Jean Cbrysostome, Hom., xliv, P. G., LVI, 88a B) ; — 6) d'éviter tout risque d’invalidité ou de profanation dans l’usage des sacrements (S. Augustin, De bapt. contra Donat., 1.1, c. iii, b ; P. L., XLIII, ni D. n3A. Grégoire III, dans Ghatien, Decr., p. I, d. 68, c. a) ; — c) d’admettre en matière de foi la vérité intégrale (Clément d’Alex., Stromata, VII, xvi, P. G., IX, 540 A), sans aucun égard aux vaines opinions des hétérodoxes (S. Grégoire de Naz., Orat. xxxvi, 7, P. G., XXXVI, 373 B ; S. Jean Chrysostomb, In Ep. II™ ad Cor., Hom., xiii, 4, P. G., LXI, 496 D ;

5. Augustin, De util, cred., iii, P. L., XLII.83À) ; — d) de se diriger en toutes choses conformément à la loi divine (Tertullien, De spect., xx et xxi, P. L., I, 652 B-653 A) ; — e) de préférer le bien au mal (S. Basile, Hom. inps. lxi, P. G., XXIX, 480 A) ; — f) de faire effort pour chercher la vérité (S. Augustin, De civ. Dei, XXII, xxiii, P. L., XLI, 787 B), et de mériter la lumière par la pureté des mœurs (Ihid., De lib. arb., II, xix, P. L., XXXII, 1368 ; Sermo, iv,

6, P. L., XXXVIII, 36 ; Enarr in Ps.lxi, n. ai, P. L., XXXVI, 744).

Il n’y a pas davantage à tenir compte ici des raisonnements opposés par S. Augustin au probabilisme sceptique des néo-académiciens. Ceux-ci, après avoir établi leur principe : nulli quasi vero assentiri, ajoutaient, pressés par la nécessité de l’action : quisquis id 'egerit quod probabile videtur, non peccat. Mais, si le vrai est inaccessible, quel 3C3

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autre critère avait-on de la probabilité même, que la fantaisie de chacun ? Tout pouvait donc devenir probable, et l’on renouvelait ainsi, d’une manière déguisée, le subjectivisme absolu de Protagoras : l’homme mesure de toutes choses. C’est contre l’immoralité dece scepticisme raffiné, que proteste Augustin au IIIe livre du Contra Academicos, nn. xiivxxxvi, P. L., XXXII, 95a D (cf. Retract., 1. I, c. I, P. L., XXXII, 585 B, 58^ C).

A écarter également, l’axiome fameux prêté par le moyen âge à saint Augustin et destiné à aiguiser longtemps la subtilité des probabilisies : Tene certain et Jimittc incertnm (Serin., cccxciii, P. L., XXX IX, 1715 B). Il s’agit là de l’incertitude de la pénitence in extremis, et du danger de compter sur elle.

a° Indices de sévérité. — Le terrain ainsi déblayé, il ne suffit pas, pour trancher le problème qui nous occupe, d’en appeler à la sévérité des premiers temps du Christianisme, mais il convient d’examiner de près l’objet et la raison de cette sévérité.

C’est dans la discipline de la Pénitence qu’elle se manifeste surtout, en ce qui concerne l’application de la peine plus encore que l’admission à la réconciliation (cf. art. Pknitbncb, col. 1772 ss.). Tant que les communautés de fidèles ne formaient que des Ilots dans le paganisme, il était nécessaire de réprimer avec énergie des fautes auxquelles l’origine païenne d’un bon nombre et le contact de tous avec les vices païens constituaient un entraînement dangereux. On comprend facilement que cette nécessité se soit imposée aussi longtemps que la nouvelle civilisation n’eut pas profondément pénétré la société. On ne doit donc pas être étonné de ne voir se relâcher la rigueur des vieux pénitentiels, que dans la mesure où s’affinent les mœurs ; comme parallèlement ne se généralise la pratique du secret delà confession, que quand se sent plus vivement le droit de l’individu à sa réputation. Ce serait un contresens de juger en fonction de nos idées modernes l’extrême énergie du moyen âge dans la répression du mal. Toute législation, dans sa partie p’nale et jusqu’à un certain point dans ses éléments préceptifs, est solidaire de l’ordre social et de l’état des esprits contemporains.

Une seconde manifestation, souvent signalée, de la sévérité des Pères, c’est le peu de place que tient dans leurs œuvres la distinction, aujourd’hui si familière à tout chétien, du péché mortel et du péché véniel, d’une part ; du précepte et du conseil, de l’autre. Il semble qu’aux yeux de ces rudes chrétiens toute faute soit également grave, toute bonne action également obligatoire. Pareille. lacune pourrait surprendre dans une étude méthodique de la moralité : elle n’a rien au contraire que de naturel dans des homélies destinées à stimuler l’auditoire. Vienne la controverse pélagienne, Augustin n’hésitera pas un instant à entrer dans les distinctions nécessaires, et il aura conscience, en le faisant, de ne rien innover (cf. Portalik, dans Vacant, Dut. de théol. cnthol., I, a44") Beaucoup plus grave serait la théorie augustinienne de l’ignorance morale, si elle nous donnait non seulement l’opinion personnelle de l’évêque d’IIippone, mais l’écho de la tradition chrétienne. Il ne semble pas douteux, en effet, qu’à partir des controverses pélagiennes et en dépendance de sa conception du peccatum poena peccati, saint Augustin ait incliné de plus en plus à admettre que, pour qui méconnaît son devoir, le péché d’ignorance est oujours imputable. Ce n’est pas qu’il ait jamais

cru que l’erreur invincible n’excuse pas. Luther et Jansknius n’ont pu voir cela chez lui. Le contraire est nettement supposé dans De lib. arb., III, xix, 53 ; xxii, 64 ; P. L., XXXII, 1297 A, 130a C-1303 A ; Deduabus animabus, X, ia-14 ; P. L., XLII, io3-io4 ; Contra Faustum, XXII ; xlix, P. I.., XLII, 4*7 A ; Epist., xciii, 4, 15 ; />.£., XXXIII, 3a8 D. Mais il faut bien constater que, du jour où il se retourna du front manichéen pour faire face aupélagianisme, la distinction d’erreur volontaire etinvolontaire n’eut plus aucun rôle dans ses œuvres. Dès lors son unique thèse est celle-ci : l’ignorancedubien est toujours coupable, car elle est toujours volontaire, au moins dans sa cause première, le péché originel. Déjà naissante dans les écrits contre les Manichéens, où il importait de mettre la liberté à l’origine de tout mal, cette thèse va ens’accentuant à mesure que la polémique avec Julien oblige le grand Docteur à insister sur le péché originel et ses suites. C’est pour la souligner, en montrant la continuité de sa pensée, qu’Augustin reprend en 4’5, dans le De Nat. et Gr., Lxvir, 81 ; P. L, xliv, 387, ces mots du De lib. arb., « Non tibi deputatur ad culpamquod invitus ignoras, sed quod negligis quærere quod ignoras ». Entourée de son contexte, cette citation n’a pas le caractère d’indulgence qu’on lui attribue souvent (par exemple, Portalib, Dict. de théol. cath., I, a 4 06).

On trouvera la pensée de saint Augustin exposée sans ambages dans l’importante lettre cxciv, à Sixtus, c. 6 ; P. /.., XXXUI, 88a-883, et dans un grand nombre d’autres passages, faciles à trouver.

Reste que ce système, dontnous ne contestons pas l’excessive rigueur et qui est aujourd’hui parfaitement inassimilable, ne saurait être présenté comme l’opinion commune des Pères. Propre à saint Augustin, il n’a même pas pénétré si profondément sa pensée qu’on ne trouve chez lui, à côté des formules rigoureuses, des solutions pratiques annonçant déjà le probabilisme. C’est ce qui reste à montrer.

3° Solutions de sens probabiliste. — Comment d’abord ne pas rapprocher du principede la loi douteuse ces mots de Lactancb, traitant précisément de l’obligation à propos des moralistes païens : « Cum omnia conjecturis agantur, multa etiam diversa et varia proferantur, stullissimi est hominis præceptis eorum velle parère, quæ utrum’era sint an falsa dubitatur. » (De div. instit., III, xxvii, P. L., VI ; 434 A.) Soit dit uniquement pour mémoire, car nous ne songeons pas à attribuer à cet admirable styliste une ombre quelconque d’autorité doctrinale.

Dans l’entourage de saint Gkégoirb de Nazianzb, des rigoristes blâmaient l’admission à la pénitence après le baptême : « Pour quelles raisons ? demande le Saint. Qu’on prouve que nous avons tort, ou qu’on cesse de nous condamner. E « Se àjifi^o’/w, vixoctw tô ftloLv$ pu-nov. » (Orat., xxxix, 19 ; P. G, XXXVI, 357 B).

Plus significative encore est la solution adoptée et constamment maintenue par saint Jrrômh au sujet des ordinations de bigames. Le Pape Sihicb s’était expliqué là-dessus dans sa lettre du 3 février 385 à llimerius (P. F.., XIII, 11 4a A), et Innocent I y était revenu en 400 dans une décrétale destinée aux évêques du Concile de Tolède (P. L., XX, 4g3 A), pour y insister à nouveau en 404 dans sa réponse à saint Victrice (P. L., XX, 47$ A). Jérôme, selon son propre témoignage, connaissait ces documents. Mais les mots de saint Paul : « Unius uxoris vir » (I Tint., 111, 2 ; TH., 1, 6) lui semblaient n’exclure que la bigamie simultanée (Comment, in Ep. ad Titum (387), /’. /,., XXVI, 504 CD) ; et, s’en tenant à cette opi305

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nion. pourlant moins sûre et purement probable, il se défendit toujours d’imposer l’autre, pourtant plus sûre et plus commune, à ses correspondants. Pris à partie à l’occasion d’une consultation envoyée à Oceanus sur ce sujet vers îkfl (1-p-, Uiz ; /’. L.,

XXII, 653 ss), voici ce qu’il répondait en 40a. dans son Apologia aiUersus llufinum I, xxxn ; P. L.

XXIII, 4a’t D) : « Interrogati a fratribus, quid nobis videretur, respondimus, nulli præjudicantes sequi quod velit, nec alterius decrclum nostra sententia subvertentes. » Chh. Dr Wulf [Lurusj.qui cite ce trait au c. m de sa dissertation De opinionc probabili (Opéra, Venetiis 172g, T. XI, p. 5-7) montre que Tiikodorbt, cinquante ans après saint Jérôme, n’agissait pas diiréremment(cf. P. G., LXXXI11, 1306 BC).

Saint Augustin s’est expliqué aussi à plusieurs reprises sur lecas de la conscience douteuse. Vers 398, dans une lettre à Publicolo, il donne au sujet des idolothytes la direction suivante, où l’on notera qu’il s’iigit d’une probabilité de fait : « Aut cerlum est esse idolothytum, aut certum est non esse, aut ignoratur : si ergo certum est esse, melius christiana virtute respuitur ; si autem : el non esse scitur vel ignoratur, sine ullo conscientiæ scrupulo in usum necessitatis assumitur. » (Ep., xlvii, 6 ; P. T.., XXXIII, 187C). — Un peu après, vers 4 « o, Januarius lui ayant demandé s’il convenait, le jeudi-saint, de prendre le repas avant la Cène, comme avait fait le Seigneur, ou s’il fallait s’y préparer par le jeûne, Augustin, dont toute la lettre est empreinte de la plus large tolérance, laisse pleine liberté à son ami : t Neminem cogimus anle dominicain illam Coenam prandere, sed nulli etiam cont : adicere audemus. » (Ep., liv, 9 ; P.Z.., XXXII1, ao4 A) — Une solution analogue est fournie par le Contra Faustum, écrit aussi en ijoo. Là, réfutant les attaques de Faustus contre l’Ancien Testament et entre autres choses la critique des guerres entreprises par Moïse, Augustin s’élève bien au-dessus des objections de son adversaire et trace dans un chapitre admirable toute une théorie chrétienne de la guerre, où l’on trouve ce passage :

« Vir justus, si forte sub rege homine etiam sacrilego

militet, recte potest, illo jnbente, bellare, civicae pacis ordinem servans, cui quod jubelur vel non esse contra Dei præceptum certum est, ec/, u trum sit, certum non est, ita ut fortasse reum regem faciat iniquitas imperandi, innocentem autem militem ostendat ordo serviendi. » XXII, lxxv ; P. L., XLII, 448 B)

— Un cas passablement obscur alors, mais dont les applications étaient fréquentes, celui du mariage mixte, fournit par deux fois à saint Augustin l’occasion de montrer la réserve qu’il gardait dans le doute. « Quæ nostris temporibus jam non putanlttr esse peccata », dit-il en 4 13, « quoniam rêvera in Xovo Testamenlo nihil iiide præceptum est, et ideo aut lieere credilum est, aut velut dubium derelictum. » (De fïde et oper., xix, 35 ; P. A., XI, , 221 A) Et de nouveau en 4 19. donc au fort de la lutte pélagienne :

« Mulier…, mortuo viro suo, in potestate

habet cui vult nubere, t-intum in Domino (I Cor., vu. 39), quod duobus modis accipi potest : aut christiana permanens, aut christiano nubens. Non er-im tempore revelati Testamenti Novi… sine am-I guitate declaratum e-se recolo utrum Dominus prohibuerit fidèles inlidelibus jungi. » (De conj. adult. I. xxv, 31 ; P. A., XI-, 468 D) Conscient des difficul1é~ de la question (Ibid., n. 32 ; P. t., XL, 46g B ; cf. Hetract, II, lvii ; P. A., XXXII, 653 D), il n’ose pas, à l’exemple de S. Cyprirn (De lapsis, vi ; P. A., "1’17"), restreindre la liberté (les consciences, et il lui sullit de conclure : « Non tamen (iat, quia non expe lit. Non enim omnia expedire quæ licita sunt, apertissime docet Apostolus. » (lbid.)

Conclusion. — II est indéniable que l’on trouve chez saint Augustin, et après lui en général chez les écrivains latins, une théorie de l’ignorance de conscience, appelée à avoir une influence tulioriste sur la morale des premiers scolastiques, et aujourd’hui abandonnée de tous. On n’a pas, en effet, à cette époque une notion précise du péché matériel ; c’est là ce qui empêche de voir clair dans le cas de l’ignorance. Mais en pratique, quand surviennent des doutes sur la licéité de tel ou tel acte, c’est déjà par la méthode probabiliste qu’on les tranche.

II. — Saint Thomas (1225-1274) et son temps

i° Position du problème. — On ne rencontrait chez saint Augustin et ses contemporains que des solutions pratiques du problème de la conscience douteuse. Chez saint Thomas au contraire, nous allons en trouver l’étude théorique. C’est qu’entre le cinquième et le treizième siècles, après la longue nuit du haut moyen âge, s’est introduite dans la science religieuse une dialectique théologique, dont l’effet immédiat a été d’opposer les unes aux autres, aussi bien en morale qu’en dogmatique, les opinions divergentes des docteurs. En présence de cette diversité, les uns faisant une obligation grave de ce que les autres laissaientlibre, ilctaitnatureldese demander comment devait se comporter la conscience. C’est ce qui amena les théologiens, dès le douzième siècle, à traiter ex professo du doute moral.

Mais, circonstance à noter, tandis qu’on eût pu énoncer la question en termes abstraits, et rechercher si le caractère incertain d’un devoir est conciliable avec sa valeur d’obligation, on la conçut sous une forme concrète et tout à fait indéterminée, savoir : s’il est permis, dans le conflit des opinions, de suivre n’importe laquelle ; c’était prêter à de graves équivoques et rendre impossible, à moins de précisions nouvelles, une solution rigoureuse. Plusieurs siècles de tâtonnements et de controverses allaient bien le montrer.

Saint Thomas examina le problème vers ia65, dans une question quodlibetale où il avait à se prononcer sur la licéité du cumul des prébendes. A propos de ce cas, aussi pratique que litigieux alors,

— « Ambigua » dit ailleurs le saint Docteur, parce que « inveniuntur inea theologi theologis et jui istae juristis contrarie sentire » (Quodl., ix, 15), — la question est ainsi posée : « Utrum, quando sunt diversae opiniones de aliquo facto, ille qui sequitur minus ttttam, peccet, sicut de pluralitate præbendarum. » (Quodl. viii, q. 6, Deinde quærebatur, 3°.)Le sujet est traité à l’article 13.

a Solutions données au Quodl., VIII, 13. — Voici d’abord, dans une paraphrase aussi fidèle que possible, le texte de saint Thomas.

Deux hypothèses sont à considérer. Indépendamment des apparences faillible », ou bien l’opinion plus sure et plus commune est objectivement vraie ; ou bien elle est fausse.

a) Si elle est vraie, s’il ett vrai par exemple qu’il soit défendu de garder plusieurs prébendes, ulors, on a beau croire en toute bonne foi que cela est permis, agir selon cette certitude de conscience, n’en est pas moins un péché [non excutalur a peccato), attendu qu’en réalité c’est transgresser la loi. Illiid autem quod agitur contra Irgem, sem/>er est malum, nec excusalur per hoc quod est secundum conscienliam.

b) Si au contraire, elle est fausse, et si par suite c’est l’opinion en apparence moins sûre qui se trouve objectivement vraie, malgré cela, le bénéficier, possesseur de plusieurs prébendes, n’est pas nécessairement excusé. 307

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Potirètre en règle avec la loi objective, ne pèche-t-il pas contre sa conscience ? Ex con.scientia autan aliquis obligatur ad peccatum, sive habeat ce’lam fidem de contrario ejus quod agit, sive etiam habeat opinionem cum alirjua dubilalione. On doit donc examiner à son sujet trois cas distincts : — Il se peut en effet qu’il croie à part lui, comme les docteurs de 1 opinion plus sure, que le cumul des prébendes est chose illicite (habet conscientiam de contrario ) : agissant alors contre sa conscience, il commet un pechi, bien qu’en réalité il ne viole aucune loi. — Il se l’eut en second lieu, que, sans croire le moins du monde d’une manière ferme (non habet conscientiam seu certitudinem ) qu’il soit défendu de garder plusieurs prébendes, tamen in quamdam dubitationem inducitur ex contrarietile opinionum et lie, si, manente lali dubilatione, pluies præbendas habet, periculo se committit, et sic procul dubio peccat. — Il se peut enfin qu’après avoir bien examiné le pour et le contre, sans trouver du côté de l’opinion plus sivère aucune raison qui l’ébranlé (nec invenit aliquid quod cum moveat ad hoc quod sit illicitum, [dans le Sed contra)) en pleine assurance et sans le moindre doute (ex contrariis in nullam dubitationem adducilur), il croie licite la pluralité des prébendes : et lie non committit se discrimini nec peccat.

Ici s’arrête la réponse, sans qu’ait été expressément résolue la question de principe posée dans le Deinde quærebatur et touchée au Videtur quod : dans le conflit d’opinions morales opposées, a-t-on le droit de suivre la moins sûre ? » Ses distinctions établies, saint Thomas a jugé superflu d’exprimer une conclusion qu’il estimait obvie : < Et sic patet solutio ad objecta ». Le lecteur a cependant vii, sans aucun doute, qu’il se dégage en réalité de cet article non pas une mais deux conclusions, distinctes bien qu’assez voisines, selon que l’on s’en lient à l’un ou à l’autre des développements amenés par les deux hypothèses initiales.

En effet, puisque la vérité de l’opinion plus sûre peut coïncider avec ma persuasion de sa fausseté, et puisque, si elle est vraie, quelque persuadé que je sois qu’elle est fausse, c’est péché de ne pas la suivre, il est évident qu’en aucun cas je ne puis, sans m’exposerau péché, suivre l’opinion la moins sûre, et que, par le risque de ce péché toujours suspendu sur ma conscience, je me trouve pour toujours enfermé dans le plus absolu tutiorisme. C’est là la conséquence de ce principe : Illud quod agitur contra legem sernper est malum, nec excusatur per hoc quod est secundum conscientiam.

Mais, soit qu’il n’ait pas aperçu la portée absolue de cette première réponse, soit qu’il veuille en corriger l’extrême rigidité, saint Thomas poursuit, et, raisonnant dans l’hypothèse où l’opinion plus sûre est fausse, — comme elle peut l’être, quoi que nous pensions d’elle, — applique son second principe :

« Aliquis obligatur ad peccatum, sive habeat certain

fidem de contrario ejus quod agit, sive etiam habeat opinionem cum aliqua dubitalione » ; d’où il fait tirer au lecteur cette conclusion : on peut suivre l’opinion moins sûre, à condition d’en être certain.

Telle est, dans son exposé littéral, la double pensée de cet article. Elle semble si peu cohérente, et si peu d’accord au surplus avec nos idées actuelles, que la plupart des interprètes se sont demandé si elle nous livrait l’exacte opinion de saint Thomas. Il convient donc d’examiner, en les comparant à l’ensemble de son enseignement et aux idées de ses contemporains, les deux principes qui commandent tout le reste.

A) Premier principe : Illud quod agitur contra legem, semper est malum.

La doctrine de Vignorance était loin d’avoir au xm’siècle la même précision qu’aujourd’hui : pour peu que l’on soit familiarisé avec l’histoire des idées, l’on ne saurait s’en étonner. Tout en reconnaissant

que la négligence seule de s’instruire pouvait être coupable, on gardait les formules anciennes qui qualifiaient péché l’état même d’ignorance (S. Thomas, Sent., II, d. 22, q. 2, a. i ; De malo q. 111, 7 : Sum., 1" Il Ae, q. 76, 2), vestige, évidemment, de cette vieille opinion augustinienne, encore survivante au temps de Pibrrb dk Poitibhs, -j- I205(A(7>. sent., II, 18 ; / /.., CCXI, 10Il ss.), qui avait vu dans l’ignorance une portion du péché originel. L’ignorance était-elle coupable dans sa cause, tout acte mauvais, prévu ou non, qui en était la suite, devenait péché (S. Thomas, Sum., II » II a8, q. ibo, 4 ; In Ep. ad Rom., c. 1, 1.7). Il n’y avait pas dans l’ignorance dite concomitante une excuse valable pour la malice interprétative supposée dans le sujet (id., Sent., II, d. 22, q. 2, a. a ; In Arist. Eth., iii, 1. 3 ; Sum., la Hae^ q. 76, 1.3). Rectitude intentionnelle, autrement dit bonne foi et bien moral, n’étaient pas choses convertibles (De ver., q. xvii, 4 ; De malo, q. 11, 2, ad 8 ; Sum., I a II* », q. 19, 6). Mais surtout, c’était un axiome reçu, que l’ignorance de droit n’excuse pas. Il faut insister làdessus.

k) Lisant dans Gratibn (Decr., p. II, caus. 1, q. 4 » c. 12, concl.) : « Ignorantia juris naturalis omnibus adultis damnabilis est », les théologiens ne songeaient pas, semble-t-il, que, si les canonisles avaient pu emprunter ce principe au Droit romain (Digeste, 1. XXII, t. vi) pour leurs procédures juridiques, c’était tout autre chose de le transporter de ressort des tribunaux au domaine de la conscience, Abrlard autrefois avait bien deviné la distinction du for interne et du for externe, dans les pages géniales où il analysait la responsabilité (Scito teipsum, c. v-vii, P. L., CLXXVIII, 647-650), mais sur ce point-là, ses disciples même avaient marque un recul. Chez saint Thomas, la distinction des deux fors, mentionnée çà et là (elle l’était aussi dans Gratien, Decr., p. II, caus. xv, q. 1, c. 13), n’a qu’une place effacée. Elle n’intervient jamais, dans les passages où il s’agit de la conscience, pour corriger l’effet des formules générales. Comme ses contemporains, le saint Docteur applique sans transposition à l’ordre moral les principes du Droit (par exemple : De ver., q. xvii, 4, ad. 5).

/3) Dans le même sens travaillait l’influence d’ÂRistotr. Dès les premières années du treizième siècle, Aristote avait été admis à monter dans les chaires de morale. Or, l’ignorance involontaire ne pouvait porter, selon lui, que sur le fait particulier, jamais sur l’universel (Ethique A Nicomaque, iii, 1, 15-iq ; v, 8, 3). S’il admettait qu’on pût n’être pas coupable d’ignorer certains articles des lois, peu nécessaires à la fois et difficiles à connaître (id., iii, 5, 8), il restait intransigeant pour l’ignorance du droit naturel : il y voyait la notion même du vice et refusait de croire à la bonne foi en cette matière (id., ni, 1, 14-15 ; 3 ; 5, io). Il est hors de doute que la morale toute objective de l’Ethique a puissamment contribué à amoindrir dans l’esprit desScolastiques l’imporlance des facteurs subjectifs de la moralité.

y) De là la gêne qu’on éprouve en face de certaines formules : « Unicitique peccatum est ignorantia eorum quæ ad bonos mores et fidei virtutem pertinent (Sent., II, d. xxii, q. 2, a. 1). Si autem ex ignorantia juris, … ipsa ignorantia peccatum est (De ver., q. xvii, 4, ad, 5 ; cf. ibid., ad. 3) ; Ignorantia juris ad negligcntiam repulatur (De malo, q, ni, 8). Ignorantia juris non excusât a peccato (Quodl., ru, 37, ad. 2 ; cf. Quodl., ni, 10) : Ignorantia juris, quæ non excusât. » (Summ., II* II ne, q. 5a, a. 4 ad. i m.)

Il ne faudrait pourtant pas conclure de ces textes, très voisins, on le voit, de celui du Quodl., viii, 13, que S. Thomas n’a aucun égard au caractère volon309

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taire ou involontaire de l’ignorance. D’un commun accord, les seolastiques enseignent avec I’iehub Lombaiid {Sent., II, d. xxii, n. 8-105 /’. /.., CXCI1, 699) qu’on n’est jamais coupable de manquer à un devoir invinciblement ignoré. Mais, d’un commun accord aussi, ils enseignent que les préceptes du droit naturel au moins les principaux, ne sont jamais, ne peuvent pas être invinciblement ignorés. Saint Paul n’a-t-il pas dit : « Si quis ignorât, ignorabtiur » (I Cor., xi v, 38) ?

« Jgnorantia [secundum quod aliquis ignorât quid

oporteat facere vel vitare

on causât involuntarium,

quia ignorantia hujusmodi non potesthomini habenti iisum rationis provenire nisiex negligentia. » (S. Th., In Elh., iii, 1. 3.) « Dicitur ignorantia voluntaria ejus quod quis potest scire et débet, … et secundum hune modum ignorantia universalium juris quæ quis scire tenetur, voluntaria dicitur, quasi per negligenliam proveniens. » (Sum., I » II « ", q 6, 8 ; cf. I » II »  », q. 76, 2.) La raison en est simple : « Præceptajuris naturalis. .. secundum se sunt de necessitate salutis. » (Sum., II a II aa, q. 147. 4, ad’) Comment comprendre dès lorsqu’on puisse les méconnaître autrement que par sa faute ?

Une seule fois, saint Thomas invoque l’ignorance invincible du droit naturel, mais c’est pourindiquer qu’à son avis elle ne se rencontre pas cbez d’autres que chez les idiots. Au Quodl., ni, 27, ad 2, après les mots cités plus haut : « Ignorantia juris non excusât a peccato », il ajoute : « nisi forte sit ignorantia invincibilis.sicutest in (urinsis cl amentibns ». Comparer De malo, q. ii, 3, ad 9. Ailleurs, quand il est question d’ignorance invincihle du droit, c’est du droit positif qu’il s’agit (Quodl., 1, 19).

Logiquement, cette théorie de l’ignorance conduit à admettre dans certains cas une sorte de nécessité de pécher, puisque, si une conscience erronée se croit astreinte à un acte que réprouve en réalité la loi de Dieu, elle ne peut ni agir ni s’abstenir sans faute. Saint Thomas, comme tous les seolastiques, accepte cette conséquence (Sent., Il, d. xxxix. q. 4, a. 3 ; De ver., q. xvii, 4, ad3 ; xvn, 5 ; Sum., I » II » « , q. 19.6 ; Quodl., iii, 27, ad 2 ; In. Ep. ad. liom., c. xv, 1. 2). Mais, dit-il, la perplexité qui résulte de là n’est qu’accidentelle, puisqu’on peut toujours et que l’on doit même déposer la conscience erronée (Ibid.).

Telle est, redisons-le, la doctrine générale au treizième siècle. Le désaccord ne commence qu’avec l’extension qu’on donne aux formules.

Les uns, avec Guillaume d’Auxbrre (7 1 23a ?), estiment que chacun doit savoir « de quolibet mortali quod sit mortale » (Sum., 1. II, tr. xxix, c. 1, q. 3). Les autres, plus modérés, restreignent cette obligation aux préceptes les plus importants, ceux du décalogue, admettant que l’on puisse ignorer invinciblement tout le reste. Saint Thomas est de ces derniers (De main, iii, 7, aumilieu ; Quodl, , viii, 15 ; Sum., I » Ilae, q. 6, 8 ; q. 19, 6 ; q. 76, 2 ; q. y4, 2.4. 6 ; q. 100, i.3) :

Parallèlement à la théorie de l’ignorance morale, il faudrait étudier celle de l’ignorance religieuse. Nous ne pouvons ici que renvoyer à quelques textes où s’accuse la mentalité que nous essayons de décrire (Sent., III, d. xxv, q. 2, a. 1, sol. 4, ad 3 ; Quodl., ni, 10).

bref, on ne comprendrait pas les moralistes du treizième siècle, si l’on ne tenait compte de leur extrême objeclivisme. De là vient qu’ils voient plutôt dans le péché matériel un maleriale peccati qu’un materiale peccatum. Ils admettent, bien entendu, que la moralité découle de l’objet « non ut est, sed ut apparet u ; d’où ce corollaire. « Quicumque vult

aliquid sub quacumque ratione boni, kabet voluntatem conforment vnluntati divinæ quantum ad rationem voliti. » (Sum., I a II » " -, q. 19, 6, ad. 1) Et cependant ils ne croient pas que certains actes

« per se mali » puissent jamais se faire honnêtement

(De ver., q. xvii, 4, ad 3 ; De malo, q. ii, 3 ; Quodl., ix, 15). C’est pour cette raison qu’en pareille matière l’ignorance même leur paraît coupable. A qui fait l’effort convenable, Dieu ne refuse pas la grâce nécessaire pour éviter de tels péchés d’erreur. Jusqu’où Guillaume i>k Paris (-]- 1248) n’étend-il pas ce principe ? (De legibus, c. xxi) De là, la tendance générale de ce temps à associer hérésie et mauvaise foi, ignorance morale et aveuglement.

On s’explique ainsi que saint Thomas ait pu écrire dans l’article qui nous occupe : lllud quod agitur contra legem, semper est malum. Ailleurs il déclare que le cumul des prébendes n’est pas un acte » per se malus », et ici même il reconnaît qu’on en discute l’illioéité ; il n’en cède pas moins aux idées de son époque, et le tour absolu de la formule adoptée nous montre l’une des directions que suit volontiers son esprit.

B) Deuxième principe : Ex conscientia aliquis obligatur ad peccatum, sive habeat certam fidem de contrario ejus quod agit, sive etiamhabeai opinionem cum aliqua dubitatione.

Traduit en langage moderne, ce principe défend d’abord de suivre l’opinion moins sûre, quand l’autre est moralement certaine : aucune hésitation làdessus. Mais les derniers mots étendent-ils cette défense au cas d’une probabilité quelconque en faveur du parti le plus sûr, ou seulement au cas d’une plus grande probabilité dans ce sens ? Exigent-ils par suite, du côté de l’opinion suivie, une certitude morale ou seulement une plus grande probabilité ?


a) La réponse se doit chercher dans l’application que saint Thomas fait lui-même de son principe. Nous en avons rapporté plus haut les termes essentiels (col. 307). On y voit que seule est en règle la conscience parfaitement exempte de doute touchant le parti adopté par elle. Or, l’absence du doute, c’est là ce qui dislingue la certitude de tous les degrés de l’opinion. Celle-ci, selon saint Thomas, bien qu’elle marque une préférence de l’esprit, et résulte d’un choix qui la met au-dessus du doute proprement dit (In post. anal., I, I. 1. In Eth., vi, 1. 7), est cependant caractérisée par l’inclusion d’une formido alterius partis » (De ver., q. xiv, 9, ad 6 ; Sum., ' a > 9- 79- 9 » ad- 4 ; H a II ac, q. 2, 1 ; In Ep. ad liom., 1, 1. 6 ; etc.), d’une « dubitatio de opposito » (De ver., q. xiv, 1 ; In Ethic, vi, 1. 3 ; Sum., II a II » ", 1, 4), d’un

« motus ad contrariant » (Sent., III, d. xxiii, q. 2, 

a. 2, sol. 1) ; ce qui ne saurait étonner, puisque « de ratione opinionis est, quod id quod quis existimat, existimet possibile aliter se habere » (Sum., II a II æ, q. 1, 5, ad. 4)’.

Conséquemment, c’est bien la certitude qui est exigée de qui suit une opinion moins sûre, et il faut admettre, en dépit de l’interprétation reçue, que cette seconde partie du Quodl., viii, 13, tout en corrigeant la première, n’en va pas moins, elle aussi,

1. Nous ne pouvons que mentionner les pages originales où le R. P. Gakdeil [Revue des Se. philos, et théol., 1911, pp. 441 ss.), puis ! < R. P Richard [Le probabilisme moral et la philosophie, 1922, pp. 60 ss.) ont essayé de dégHffer le concept thomiste d’opinion de tout éléroentde doute. L’exégèse en est, à nos yeux, trop arbitraire pour pouvoir être utilement discutée ici. Voir Revue Thomiste. 1 » 12, p. 676 ; Etudes, 1918, T. CXXXV1I, p. 404 ss. ; Recherches de Se. relig., 1922, p. 352. 311

PH0BABIL18ME

312

dans le sens du tutiorisme’. Cette conclusion trouverait au besoin continuation dans plusieurs solutions de détail touillées de la plume du saint Docteur. Voir Sent., IV, d. xxi, q. 2, a. 3, ad 3 ; Sum., M a, q. 83, 6, ad. a ; Quodl. iv, « 4. Mais, disons-le tout de suite, le tutiorisme de saintThomas et de son temps diffère essentiellement du tutiorisme con «  damné par Albxandrb VIII (D. li., 1293), car, bien loin de proscrire, comme le feront les jansénisants, l’usage des principes réflexes dans la formation de la conscience, le seul tort des théologiens du treizième siècle est d’ignorer cette délicate notion, dont ne s’enrichira la morale que longtemps après eux.

, 3) D’accord avec saint Paul (Rom., xiv, 23) :

« Onine quod non est ex fide, peccutum est », — les

scolastiques avaient toujours enseigné qu’on ne peut sans péché agir contre sa conscience. Omne quod contra conscientiam aedificat ad gehennam », avait dit Gratikn (Décr., p. II, caus., xxviii, q. i, c. I/J, concl.). Combinées avec le mot de V Ecclésiastique m, 17 : « Qui aniat periculum, in ipso peribit », ces formules fournissaient une règle pour le cas du doute : « Qui agit in dubio, discrirnini (ou periculo) se committit. » D’où, en conséquence immédiate : < In dubio tutior pars est eligenda. »

Ce dernier principe est consacré par l’usage des canonistes. Il apparait pour la première fois dans une décrétale (TEugène III, 1145-1153 (Décrétai., 1. IV, 1. 1, c. 3 « Juvenis »), et se retrouve dans cinq autres documents pontificaux du même temps : Clément III, 1 187-1 191 (Ibid., 1. V, t. xii, c. 12 « Ad audientiam »), Innocent III, 1198-1216 (Ibid. 1. III, t. xliii, c. 3, « Veniens » [concerne l’usage des sacrements ] ; 1. V, t. xii, c. 18, « Significasti » ; 1. V, t. xxvii, c. 5, « Illud »), Honorius III, 12161227, (Ibid., 1. V, t. xii, c. 24, « Petilio tua »).

On sait que les évêques avaient pris l’habitude, depuis les réformes de Grégoire VII, de soumettre au Saint-Siège leurs cas de conscience embarrassants.

Très loin d’avoir valeur de décisions universelles, les réponses faites à ces consultations, vite répandues dans le monde des écoles, y jouissaient d’une grande autorité, surtout lorsqu’elles émanaient de canonistes tels qu’lNNocKNT III. Mais à partir de 1234, la compilation méthodique publiée par saint Raymond db Pennafort sur l’ordre de Griîgoirb IX

1. La plupr.rt dei moderne » avouent que le texte est

« difficile II. Quelques-uns croient pouvoir le passer sous

silence sans nuire au thomisme de leur exposé (A. Sertillange, 0. P., La philos, mor. de S. Th., 1916, pp. 547 ss.). — D’après des probabilités, saint Thomas n’aurait en vue que le doute vincibte (Fkins, S. J, De act. hum., t. III, 1911, pp. 56.259). Cette opinion ne supporte pas 1 i’ : i nu h. — Suivant d’autres théologiens, il s’exprimerait en piobïibilioriste ; ainsi, R. Bkaudouin, 0. P. (De conteientia, 1911, p. 77, cf. p. 94) : « Antiqui breviter h >nc difficullatem [du choix des opinions] solvebant, dicendo cum D. Thoma : Cum habens duas opiniones contrarias perplexus sit, periculose se determinaret, nisi, re diligenter inspecta, illarum probabiliorem eligeret. Et in lnijusmoili dubiis sol vendis, utebantur hoc axiomale juris : Id lequimur in obscuiis quod e>l veritimihuM. » — Nous avons dit ci-dessus pourquoi nous écartons cette explication. Quant a la rè^ls juridique înipicîmui [d non : id sequimur] in obsr.ui is… (Décrétâtes, I.VI, reg. juris 45), il et inexact que saint Thomas et ses contemporains en fassent un principe moral. Empruntée par les canonistes au droit romain (Digeile, I. L, t. xvii, ; 11">), elle n’est pas encore sortie au xin* siècle de sa signification originelle. Elle sert aux gens de justice a établir les présomptions dans les questions de fait. (Voir une édition glosée du Corput Jurit canonicî, par exemple : Lyon, 1671, III, Bî6). A peine Irouve-t-on dans saint Antonin (f 1459) une timide extension de cette règle aux doutes concernant la loi positive (Sum., p. I, t. xxl.

s’imposa à l’égal du Décret de Gratien et constitua avec lui le Corpus Juris canonici. C’est de là que devaient sortir les Sommes de cas de conscience. En attendant, les théologiens y puisaient largement, et y trouvaient, pour trancher les cas aiubigus, le principe de prudence cité plus haut. Ils y trouvaient même, dans une réponse (ITnnocknt III, un schème complet de la question du doute (Décrétai., 1. V, t. xxxix, c. 44 »’< Inquisitioni »), dont il n’y avait qu’à remplir le cadre, et qui, certainement connu de saint Thomas (De ver., q. xvii, 4, « d 4), semble avoir influencé son Quodl., viii, 13. Or en tout cela nulle distinction n’était faite entre doute spéculatif et doute pratique.

Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les auteurs de cette époque exigent pour agir une opinion certaine (spéculalivement), et condamnent, comme agissant dans le doute, celui qui se contente d’une opinion probable : l’idée de déposer la conscience probable est étrangère au treizième siècle. — Voir Guillaumk d’Auxkrrk, Sum., 1. II, tr. xxix, ci, q. 3 ; Guillaume db Paris, De coll. benef., a. 8 ; De legibus, c. xxi ; Alexat dre de Halès (7 1 1 45), Sum., p. II, q. 1 12, cas. 8 ; q. 121, m. 3, a.i, ad. 2 ; David d’Augsbourg (-j- 1271), De eaterioris et interioris hominis compositione, 1. III, proc. 5, c. 19 ; proc. 6, c. 43 ; Henri de Gand (1219-1295), Quodl., iv, 33 ; Scot (-j- 1308), Sent., prolog., q. 2, n. 15 ; 1. III, d. xxv, q. 1, ’£ « Dico tune ».

Très peu font exception. Albert le Grand (12061280) enseigne une sorte de probabiliorisme et déclare l’obligation de conscience incompatible avec le doute (Summa de creaturis, p. II, q. 70, a. 2). Ulric de Strasbourg (7 1277), son élève, s’exprime à peu près de même (cf. NiDKR, dans Tkrillus, Fund. totius theolmor., p. 356). Monaldus (-j- av. 1286) va plus loin. Annonçant, dans le prologue de sa Somme, qu’il relatera sur chaque question les opinions opposées, il conseille au lecteur de choisir celle qui paraîtra

« magis consona rationi », mais ajoute aussitôt qu’aucunene

lui semble dangereuse « cum quælibet sit a magistris et probatis doctoribus in scriptis authenticis studiosius annotata ».

3° Indices en faveur du probabilisme.

A. — Tout en résolvant par le tutiorisme le problème théorique de la conscience douteuse, il arrive plus d’une fois à saintTiio.vAS de se conduire en probabiliste. Déjà saint Antonin, au quinzième siècle (Sum., p. I, t. iii, c. 10, 5j 10), relevait cIipz lui quelques opinions jugées purement probables, admises pourtant de préférence à leurs contradictoires plus sûres, et proposées ainsi à l’usage des fidèles. On en a depuis signalé bien d’autres, par exemple sur la confession des circonstances simplement aggravantes (Sent., IV, d. xvi, q. 3, a. 2, sol. 5), sur le délai de la confession après une faute grave (Sent., IV, d. xvii, q. 3, a. 1, sol. 4 : « Etideo videtur probabilis illorum opinio qui dicunt… »), sur la réitération de la confession informe (Ibid., a. 4)- On trouvera dans Tkrillus (Fundamentum totius theol. mor., 1668, q. 22, nn. 174. 168, 170. 1 65. 166) des indications semblables concernantALBimT lb Grand, saint Bonaventure (1221-1274), Richard de Middleton (7 1307 ?) etc. De même Innocent 1 II avait souvent réservé dans ses décrétâtes les opinions contraires aux siennes (I. II, t. xiii, c. 13 « Litieras »).

B, — Saint Thomas n’examine pas le cas du pénitent qui suit sur un point de morale une autre opinion que celle de son confesseur. Mais d’autres se le posent et estiment que le confesseur doit alors respecter l’opinion probable de son pénitent. Ainsi Geoffroy de Fontaines, 7 1306 (Quodl., ix, 16), 313

PROBABILISMK

314

BbRNAJID db CleiiM’JNt (dans Nidbh, Consolalorium (imoraiæ conscientiae, p. 111, c. î _>), Piunnu un la Pau, v 13{a (Sent., IV, d. xvii, q. a, a. i, n. 5).

C. — Plusieurs autres jugent également, suivant l’esprit d’un texte de saint Augustin cité par Giiatien (Decr., p. II, cuus. xxiii, q. i, c. 4 : t Quid culpatur »), et d’après l’enseignement formel de saint Bbrnahd (De pruec. et disp., c. rx, n. ai ; P. I., CLXXXII, 8^3), que le religieux doit se conformer à l’ordre de son supérieur, même s’il vient à douter de la liccilé de cet ordre Ainsi Ai.rxandre db Haï is (Sum.. p. II, q. iai, m.3, a. a), saint Bonavbntorh (Sent., 11, d, xxxix, a. i, q. 3), Giillaume PBRAULT, ^vers ia ; o (Deerudit.’elig., p. I. c i), Pierre de la Palc (Sent., IV, d. xxxviii, q. a, a. 3).

Cette opinion peut, à vrai dire, comme la précédente, se justilier dans tous les systèmes ; néanmoins elle se comprend mieux dans le probabilisme et y conduit tout naturellement.

D. — Slais c’est surtout la théorie thomiste de /’oè/^afioN.qti’ilconvientde souligner ici, tellequ’elle se présente ex profess > dans De ver., q. xvii, 3.

Lli mine, son^e saint Thomas, n’est pas plus indépendant de Dieu dans son activité humaine que dans 1* fonctionnement de ses organes corporels. Rien en lui n’échappe au gouvernement divin (cf. Contra Gent., III, CXIV-CXV). Muis puisque, totalement soumis, d’une part, à la Cause première, il jouit, de l’autre, d’une nalure essentiellement libre en tant que raisonnable, la sujétion qui lui est imposée ne saurait être une contrainte comme celle qui régit le monde matériel, mais une nécessité compatible avec son libre arbitre, respectueuse en quelque sorte de son autonomie. Telle est la nécessité de passer par la condition « sine qua non » pour parvenir à la fin. Que vienne en effet à s’établir un lien absolu entra tel acte à poser el le Bien suprême, à l’acquisition duquel je suis déterminé par nature, et me voilà obligé de poser cet acte, de toute la nécessité qui me pousse vers mon Bien, sans que pourtant je perde le pouvoir de renoncer, si je li ! veux, à l’un et a l’autre : nécessité morale « ex suppositioie finis », en vertu de laquelle ma volonté sert, tout en restant libre’cf. Sum., I » II", q. 100, 9 ; 13, 6, ad I ; III, q. 46, 1).

Mais (obligation ainsi définie ne jouera qu’à deux conditions : moyennant un ordre du maître, d’abord, car sans lien, pas de -volonté liée (en Dieu, c’est la loi éternelle ; cf. Sum., I « II", q.91, 1) ; moyennant la perception de cet ordre par la conscience, ensuite, car un lien qui reste en l’air, ne saurait lier, et aucun précepte ne peut obliger du dehors. « Actio co poralis agentis numquam inducit necessitatem in rem aliam nisi per contactum coactionis ipsius ad rem in qua agit ; unde nec ex imperio alicuju* régis vel domini ligaturaliquis, nisi imperium attingat ipsum cui imperatur ; attingit autem ipsum per scientiaui. Unde nitllus ligatur per præceplum aliquod, nisi mediante scientia hujut præceptr. » De cette seconde condition, la seule qui nous intéresse ici, découlent deux importantes conséquences.

C’est, en premier lieu, l’impossibilité deconcevoir l’entrée en vigueur d’une loi sinon par sa promulgation : Leges instituuntur cum promulgantur », répète saint Thomas (Sum., I » 11", q. 90, 4) après Ghatien (Decr.,

f>. I. d. iv, c. 3, concl.) D’où la raison d’être, entre la oi éternelle et la volonté de 1 homme, de l’échelon loi naturelle,

« participatio le fit aeternæ in rationali creatura » 

[8mm., J » II", q 91. 2 ; cf. O’i, 1), « conceptio homini naturallier inilita, qua dirigitur ad convenienter agendum in actionibus propriis » (Sent, IV, d. XXX III, q. 1, a. li.et de la syn leresis on « habitui cointinens præcepta leçis naluralis »’Sum., I » II", q. 9’t, 1, ad 2).

C’est, en second lieu et surtout, l’impossibilité de concevoir l’obligation sans l’intervention de la conscience, ce vineulum snirituale int’insecum » (De ver., q. xvir, 5), en d’autres termes <ans la connaissance du devoir. — tille qui non est capax notitiue, præcepto non ligntur » ;

— il faut même dire : sans la connaissance certaine du devoir : la pensée de saint Thomas va logiquement et formellement jusque-là : « Nullus ligatur… nisi mediante scientia. n

En effet, s’il faut que ma conscience me transmette la nécessité d’obéir (conscienlia … petventio præcepti divini, De ver., q. xvii, 4, ad a), ce ne sera qu’en m’imposant, par sa certitude, l’aveu d’un lien objectivement nécessaire entre l’acte qui se présente et le Bien que je ne puis pas ne pas désirer. En deçà d’une telle certitude la nécessité objective du lien moral demeurant en question, l’obligation elle aussi reste normalement en suspens.

a) C’est ce qui ressort de la théorie du syllogisme moral. « Conscientia no minai applicationem quamdam legis naturalis ad aliquid faciendum, per modum conclusionis cujusdam » (Sent., II, d. xxiv, q. a, a. 4). ( « Homo prohibetur ab actu parricidii per hoc quod scit patrem non esse occidendum, et per hoc quod scit liunc esse patrem. » (Sum., I » II* 9, q. 76, 1 ; cf. De ver., q. xvii, a). Quelle fermeté peut avoir la conclusion quand l’une des prémisses manque de certitude ?


(3) C’est aussi ce que suggère le parallélisme des deux théories de la conscience el de la promulgation de la loi, nul ne doutant que celle-ci doive être certaine, t Nisi de mandata Sedis Apostolicæ certus exsiiteris, exequi non cogeris quod mandatur », avait écrit Innocent III (Décrétai., 1. I, t. xxix, c. 31 : Cum in jure).

y) C’est enfin ce qu’indique assez la terminologie de saint Thomas : comparaison avec le lien matériel, dont un contact mal assuré compromettrait la rigueur ; recours à des expressions telles que « dictamen conscientiæ » (De ver., q. xvii, ad. 4, a ; Sum., I a II æ, q. 19, 5), « conclusio sentenlians » (Sent., Il, d. xxxix, q. 3, a. a), « intimât io » (Sum., I a IIae, q. 17, 1. a), qui appellent l’idée de certitude ; usage respectif des mots scientia, notitia, cognilio, consideratio, aestimatio, pour désigner le jugement de conscience : les trois derniers, plus vagues, employés seulement une fois ou deux, tandis que les deux premiers, qui marquent mieux la fermeté de la perception, sont nettement privilégiés, surtout scientia. (Voir saint Alphonse, Theol. mor., l. I, nn. 50. 74 ss. R. Beaudouin, De conscientia, 1911, p. 101)

A cela, les probabilioristes objectent que les mots scientia et notitia désigneraient ici une science large, pouvant aller du certain au probable : la probabilité du devoir entraînerait alors obligation (St Mondino Studio stoi ico-critico sut sistema morale di S.Alf. de Lig., 191 1, p. u5 ; O. Rbnz, Die S)nthere*is nach dem kl. Thomas, 19 11, p. 1 35 ; M. Grabmann, dans Theologische Revue, 1917, p. 51 ; A. Sbrtillanges, La philos, mor. de S. Th., 1916, p. 548). — Mais si saint Thomas qualifie quelque part la conscience morale de scientia largo modo accepta, ce n’est pas pour en atténuer le caractère de ferme assurance, c’est seulement pour en souligner la faillibilité (De ver., q. xvii, a, ad 2 ; cf. Sent., II, d.xxxix, q. 3, a. a, ad. 4)- Et s’il parle ailleurs, sous l’influence d’Aristote (lith., 1, 3, 4), d’une certitude probable dont il faut se contenter dans l’appréciation des choses humaines (A. Gardbil, Rev. des se. ph. et th., tqu, pp. 237, 44’). ce n’est pas à propos du jugement de conscience, mais au sujet de la procédure judiciaire (Sum., II a II 1 ", q. 70, a. 3).

On invoque encore, à l’appui de l’interprétation probabilioriste, son homogénéité tant avec la doctrine exposée plus haut sur le choix des opinions morales, qu’avec les i lées de saint Thomas sur la vertu de prudence (E. Janssbns, Revue Néosco 1’astique, 19a ?, p. 286) et sur le conseil préalable à l’élection psychologique (A. Gardbil, dans Vacant, Dict. de théol. cath., IV, aa50). Mais en ce qui concerne le choix des opinions, le xm* siècle, nous l’avons dit, enseigne bien plutôt le tutiorisme que le proba315

PROBABILISME

316

biliorisme. De la prudence, on ne saurait dire sans contradiction — et saint Thomas ne dit nulle pari,

— qu’elle intervienne obligatoirement avant le sentiment de l’obligation. Et quant au conseil, il est distingué avec soin de la conscience dans Sent., II, d. xxiv, q. a, a. 4, ad a ; De ver., q. xvii, i, ad 4 ; Sttm, I a II", q. 17, 5, ad î ; q. 77, a, ad 4

Conclusion. — Dans la question du De veritate (q. xvii, 3) consacrée à l’étude de la conscience, saint Thomas fait bien reposer l’obligation, comme le veulent les probabilistes, sur une connaissance certaine du devoir ; et dans la Somme(l* Ilae.q.go, 4) il insiste dans le même sens sur la nécessaire promulgation delà loi. Par ailleurs, traitant au Quodl., vin, 13 du choix des opinions inorales, il estime qu’une simple probabilité en faveur de l’opinion plus sûre oblige à s’y conformer. L’antinomie est diflicile à réduire. Elle s’explique néanmoins, si l’on songe que le tutiorisme théorique du saint Docteur lui est un héritage de saint Augustin et d’Aristote, tous deux hostiles à la notion de péché matériel, tandis qu’il ne doit qu’à lui-même sa théorie de l’obligation.

III. — Les écoles théologiques de saint Thomas à saint Alphonse

Au point de vue qui nous intéresse, le xiv siècle, siècle augustinien, change peu à la doctrine du xm".

1° C’est entre 1400 et 1870 que se fait l’élaboration rationnelle du probabilisme.

A. — Il y avait toujours eu, nous l’avons dit, à côté du tutiorisme théorique, un probabilisme spontané (col. 304, 312). En face de l’action, chacun comprend qu’il ne peut y avoir d’obligation que certaine. Lac-TANCB l’avait deviné delongs siècles avant saintTuomas. Mais comment la conscience douteuse peut-elle rester libre, s’il est vrai, d’autre part, qu’on n’agit bien que certain de bien agir, etqu’à risquer le péché on le commet ? Entre ces deux principes : « dans le doute, pas de loi » — « dans le doute, pas d’excuse »,

— où se trouve la conciliation ? Telle est, au fond des esprits et derrière les formules malhabiles, l’antinomie que l’on cherche à réduire, et qui va se résoudre en trois temps.

« ) Il est bien vrai, observe-t-on d’abord, qu’il y a

toujours péché à agir dans le doute ; mais la règle ne vaut pas de ce doute atténué que comporte l’opinion. Pourvu donc qu’elle incline à croire son acte licite plutôt que coupable, la conscience est sans reproche : elle a toute la certitude qui se puisse obtenir dans l’ordre moral. Scrupule négligeable estla crainte qui subsiste en elle. Ainsi avaient pensé autrefois Albkrt le Guano et Ulrig de Strasbourg, puis Jban de Damdacb, -j-1372 (De consol.theol., l.XIV, c. 8). Ainsi parle maintenant avec sa grande autorité le chancelierGi’.RsoN, 1363-14a() (De consol.theol., I. IV, pr. a et 3 ; Opéra [éd. El lies du Pin], I, 173.175 ; De præpar. ad Missnm, consid. 3 ; Op., III, 325 ; De contractilms, p. 2, prop. 13 ; Op., III, ’80 ; Ilegulae mor., n. 8 ; Op., III, 79)- Et ainsi raisonnent après Gerson les célèbres moralistes dominicains de ce temps : Jkan Nidiir, -j- 1 /j 3 8 (Consolatorium timoratae couse, p. 111, c. 11-16 ; Expos, præceptorum decal., p. I, c. 5, litt. f ; c. aa, litt. e) ; Saint Antonin, 138(j-145(j (Sum., p. I, t. iii, c. 10, 5j 10, r. 4)i Sylvestrh du Phirro, ; iôa3 (Sum., au x mots Con/essio, Dubium, Opinio), Jisan Cagnaz/.o, -J- i F>a5 (Summa Tabiena, &u mut 0/)wi « ), comme les franciscains J.-B. Trovamaî.a, -j- vers i 4f)5, et Angk Cari.ktti db Ciiiavasso, } i Jg5 (dans leurs Sommes, au mot Opinio), comme aussi Gabriel Birl, y 1405 (Sent., IV, d.xv,

q. 8, a. 3, dub. a ; d. xvi, q. 3, a. 3, dub. 6), Conrad Su.mmrnuart, + 1507 (De contractibus, q. 100, concl. a), Jkan Mair. j 1540 (Sent. IV, prol., q. a). Chez tous ces auteurs, les premiers surtout, se manifeste une réaction formelle contre la dureté des vieilles formules rétrécissantes. C’est ce qu’il y a de durable dans leur doctrine encore si peu ferme, et ce qui permet de la délinir un probabiliorisme en marche vers le probabilisme*.

Mais d’autres esprits, de Dhnys lb Chartreux, -{- i 471 (Sent., M, d. xxu) au dominicain Barthélémy Fumo. -j- 1 545 (Summa Armilla, au mot Opinio), gardent toute sa rigueur au principe In dubio lutior pars. Adribn o’UTRRcnT, le futur Adrien VI, -{-15a3 (Quodl., II, [14qi], p.i ; Sent., IV, [151a], De restitut., § Quia jam dictum est), refuse de voir dans l’opinion même plus probable une sulfisante règle d’action. N’est-elle pas toujours cum formidine ? Comment peut-on, dès lors, en faire l’équivalent de la certitude, et comment appeler scrupule une crainte fondée en raison ? Adrien, par cette critique directe de Gerson, invite les moralistes à se tourner ailleurs.

[i) C’est Cajbtan (146g-1534) qui a le mérite d’ouvrir la voie nouvelle. Peu importe l’intensité du doute, écrit-il en 15aià Kôllin ; ce qu’il faut préciser, c’est sa relation à l’acte : pratique en effet, ou tombant directement sur l’action, il oblige au plus sûr ; mais purement spéculatif, il n’empêche pas d’agir, si le jugement de conscience est par ailleurs certain (Opuscula, Lyon 1541, Op., xxxi, resp. 13, dub. 7). Cette distinction marque un tournant décisif : au probabiliorisme direct, elle va permettre de substituer un probabilisme réflexe.

y) Désormais, en poussant l’analyse de la notion de probabilité, en comprenant mieux que, dans le domaine île l’incertain, de très grandes vraisemblances en faveur d’une alternative peuvent ne pas enlever leur valeur aux raisons du parti contraire, on inclinera de plus en plus à admettre qu’il ne saurait y avoir faute à user de la liberté que laisse une opinion probable, quand bien même cette opinion serait moins probable que sa contradictoire, si, dans le prononcé immédiat de la conscience, on est assuré de bien agir. C’est par cette voie que la célèbre école dominicaine de Salamanque parvient graduellement à la solution du problème.

Le grand initiateur Vitoria (1480 ?-1546) la voit déjà : « Vir literatus, [si] reputet duas opiniones probahiles, tune quameumque opinionem sequatur, non peccat » (In 1-11, 19, S’, Comment, ms. de 153g, Bibl. vat, 4630, fol. ia5 r. ; cf. Sum.Sacram., q. 177). Cano (150q-1560) ne se contente pas de souligner cette thèse ; il admet, ce qu’avait nié Adrien, qu’il est permis dans bien des cas, surtout au confessionnal, de suivre une opinion probable contraire à sa propre opinion spéculative (lnl-ll, 19. 6 : Comment. , ms. ("vers 1 548], Bibl. vat. Ottob. 289, fol. 79). Dominique Soto (14g4-l560) s’exprime dans les mêmes termes que Vitoria (De just. et jure, 1556, 1. VJ, q. 1, a. 6, li i), tout en spéciliant que le juge, le médecin, le théologien, etc. doivent suivre le plus probable

1, Comme toujours aux époques de transition, le » formule » île ce temps sont difficiles à interpréter. Quand Me lin » et les premiers probabilistes, Lopez, Vasquez, Lessius, Salas, Snnchez, etc., crurent y reconnaître la négation de leur thèse, ils s’arrétnient à lu lettre, qui est en effet probnbilioriste. Quand ensuite Terillui et d’autics se figurèrent y trouver le probabilisme, ils ne considéraient que l’esprit, qui est bien niiti-lutionste. En réalité nous avons affaire ici n un probabiliorisme, mais à un probabiliorisme qui s’éloigne du tutiorisme, et prépare déjà le probabilisme. 317

PROBABILISME

318

dans leurs décisions professionnelles (/. c 1. III, q.6, a. 5, ad 4 ; cf. Sent., IV, d. xviii, q. a, a. 5, ad 5). M. de Lbdbsma, -/ 1074 (d’aprèsA.M.GuiMBNius[Moya, Opusculitm. in Ir. de op. prob., 1, 7), Tu. Mbiicado, -j-1575 (Sumu de tratos y contratos, 156g, 1. II, c. 5), Mancio, -J- 1576 (d’après Salon, Dejust. et jure, 1581, q. 63, a. 4, contr. a) et J. Gallo, 7 1577 (d’après Salas, Disfiut.in I-II, D, Th., 1607.tr. viii, d. 1, s. ia, n. 118), pour nous en tenir aux thomistes de Salainanque, enseignent la moine doctrine.

Eulin, avec la hardiesse d une logique assurée, Barthélémy db Mkdima (15a7-1581) écrit : « Si est opinio probabilis, licitum est eam sequi, licet opposite probabittor sit. (k'.vpositiones in S. Th., 1677, I-II, q. 19, a. 6.) C’est i’expression définitive.

B. — Mais on ne pouvait s’assimiler cette thèse paradoxale sans avoir bien compris la distinction entre opinion spéculative et conscience pratique. D’autre part, nous avons fait observer, en parlant du xiii" siècle, que les termes mêmes de la question, telle qu’elle fut alors posée, prêtaient par leur généralité à de graves confusions. C’est là ce qui explique les longues hésitations des prédécesseurs de Médina, comme aussi l’opposition de ses contradicteurs.

Martin db Azpicublta (t4g3- 1086) apporte en ce problème de morale sa raideur juridique (De pænit., ib ! -i, dist. 7, c. « Si quis » ; Manuale confess., 1554, c 37, nn. 379 ss. ; Consiliorum II, V, 15gi, 1. III, de reliquiis, cons. a, n. a). Antoine de Cohdova, O.S. F., 7 1578 (Quæstionarium theologicum, 1678, 1. II, q. 3 ; cf. 1. III, q. 5, prop. 1, dubium) et le séculier Michel db Palacios (Disp. theol. in IV II. Sent., 1 5 7 r ». in II, d. xxtit, disp. a, dub. a) en sont encore au probabiliorisme de Gerson.

Cependant les idées se précisent peu à peu, les équivoques s'éliminent. Déjà, vers 1580, dans une intéressante fjuodlibétique, un partisan anonyme de Cordova reconnaît probable la thèse de Médina (Ms. Bibl. vat., Ottob. 999, fol. 2Ôo v) ; en 1584, cette thèse s’est si bien imposée dans les Universités d’Espagne, que Banez (15a8-1604) ne montre à son sujet aucune hésitation (Comment, in 11-Il S. Th., q. 1 o, a. 1, dub. 3, concl. 4). D’Espagne elle se répand très vite en Italie, puis en France et en Belgique, grâce surtout aux ouvrages et à l’enseignement des Frères Prêcheurs, chez qui Médina jouit d’une particulière autorité', et des Jésuites.

a" Durant les trois quarts de siècle qui suivent Médina (1580-1656), l’accord des théologiens est tel que nous pouvons nous dispenser d’y insister longuement, notre but n'étant pas de suivre dans le détail l’histoire interne du probabilisme.

A. — Hors lu zone d’influence du protestantisme et du jansénisme, toutes les écoles sont probabilistes. Précieux argument pour les uns, scandale pour les autres, cet accord n’a jamais été sérieusement mis en toute. Et. Dkchamps (Quæstio facii, 1659), Al. db Sarasa (Ars semper gaudendi, T. II, 1667, tr. iv, n. 4g), Tbhillus (Fundam. totius theol. mor., 1668, q. aa) ont aligné les noms, dont une quinzaine sont 'les noms d'évêques. Gonzalez (Fundam. theol. mor. t 1694, Introd., n. 5), Rassler (ÏS’orma recti, 1713, disp 3, n. 921 ss.), saint Alphonse de Liguoiu (De l’usage mnd. de l’op. prob., 1765, c. 6, n. 5 ; Œures, Paris, 1842, t. XXIX, p. a51) et d’autres constatent le fait.

Les seuls dissidents signalés sont les auteurs suivants, tous parfaitement obscurs, que nous citons

1. La publication de ses Expositions in S. Th. lui avait é demandée p » r le Maître Général de son Ordre.

dans l’ordre de production littéraire : A. Pehbz, O.S. B., 1604 ; F. Kbbkllo, S. J., 1608 ; P. Comitoli' S. J., 1609 ; Ph. Fabui.O. S. F., 1 6 1 3 ; P. Fraxinrlli ! O. S. A., 1626? ; A. Bianchi [Candidus Philalethesj, S. J., 164a ; L. db Pbyiunis, minime, 1648 ; A. Mbuenda, professeur de Droit à Bologne, 1655 ; les deux premiers sont équi-probabilistes, le dernier tutioriste, les autres probabilioristes. Pour qui connaît le développement prodigieux de la théologie morale au xvn* siècle, ces huit inconnus ne représentent qu’une minorité négligeable.

Si l’on en croyait, il est vrai, le P. Ter Haar, C. SS. II. (De syst. mor. antiq. probabilistarum, 1894, pp. ao ss.) et quelques moralistes de son école, ce n’est pas le probabilisme, mais bien l'équiprobabilisme qu’auraient enseigné les meilleurs des théologiens postérieurs à Médina. Mais une étude attentive des textes invoqués à l’appui de cette thèse, en montre la fragilité. Valbntia, Suarez, Bosso, Mastrius, Raynaud n’ont jamais songé au système de Rassler (cf. A. Schmitt, Zur Geschichte des Probabilismus, 1904, pp. 176 ss.).

On n’aurait pas moins tort de ranger parmi les adversaires du probabilisme, en cette période, les dominicains D. Gravina f (1643), F. db Araujo(f 1664), J. Mahtinbz db Prado (f 1668). Gravina est nettement probabiliste dans le Lapis hdius, 1638 (p. II, 1. ii, c. 9, pp. 157, 163 ss.), et son Cherubim paradisi, 1 64 1 (1. IV, c. 3, n. a) ne témoigne que du souci d'écarter le laxisme. Les Variæ et selectæ decisiones morales d’Araujo, où le probabilisme est en effet combattu, n’ont paru qu’en 1664, huit ans après la date en deçà de laquelle nous nous tenons ici. Quant à Marlinez de Prado, le seul dominicain qui, avant 1656, se prononce en faveur du probabiliorisme, il est très remarquable qu’il conserve en partie la thèse probabiliste (Theol. mor. quæstiones præcipuae, t. I[1654], c. 1, q. 4, § a-3, pp 17 ss. ; cf. c. 15, q. 18, p. 636). Mais en outre, on peut se demander si le rôle joué par cet auteur dans la polémique contre Caramuel, ne l’a pas amené à subir en quelque mesure l’influence des publications jansénistes.

B. — C’est en effet du camp janséniste que part vers ce temps-là la réaction contre le probabilisme. (Pour le cadre historique, voir l’art. Jansénisme, II, 1 159 ss.)

a) Comme avant lui Luther, 1483-1546 (In Gènes., c. xn) et Baïus, 1513-158g (Opéra, éd. 1696, t. II, p. 36), Jansénius, 1 585-1638 avait refusé de voir dans l’ignorance invincible une excuse au péché (Auguslinus, 1640, t. II, 1. ii, c. a ss.), celui-ci étant formellement constitué par la matérialité du désordre. C'était poser le principe du tutiorisme le plus absolu, et par là même s’engager dans une guerre sans merci contre la doctrine communément reçue depuis Médina. L’Augustinus contient en effet des pages violentes contre les opinions probables (t. II, lib. proœm., ce. 8.a8). Fruit d’un philosophisme pélagien, la probabilité ne peut que ruiner la morale chrétienne, comme les subtilités scolastiques ont évacué la grâce du Christ.

[i) Jansénius mort, Fromond, 1587-1 653, se fait à Louvain le propagandiste de ses idées, sous le patronage avoué de l'évêque Boonen, f 1665 (cf. Caramuel, Apologema, n. 116). Arnaulo. 161a-16g’i, à Paris, commence dès 1643, par sa Théologie morale des Jésuites (Œuvres, Lausanne, 177g, t. XXIX, PP- /4, 85), cette lutte contre la probabilité qui sera une des hantises de sa vie. C’est bientôt un partipris dans les milieux où se fait sentir l’influence de Port-Royal. On peut s’en rendre compte d’après le Cours de Théologie morale de R. Bonal, -j- 1652. écrit en 1651 à la demande de l'évêque de Toulouse 319

PROBABILISMË

320

Cli. de Montchal, et très probablement inspiré par Pavillon (T. II, tr. xxvi, leç. 10-12).

/) Tout n’est pas exagéré d’ailleurs dans ce mouvement. Par les excès injustifiables où aboutissent alors certains casuisles, faute d’avoir compris la vraie portée des principes enseignés par les maîtres, un certain laxisme tend à se constituer, qui, sous couleur de faciliter la confession, aurait vile émoussé, si l’on n’y prenait garde, le sens moral des confesseurs.

« La plus ténue probabilité, disent les uns, —

une probabilité même seulement probable, renchérissent les autres, — peut servir de règle d’action. » Nous retrouverons ces faux principes parmi les propositions condamnées sous Alkxandrb VII et Innocent XI. A ne critiquer que cela, Arnauld et ses amis n’eussent rien dit de plus que l’ensemble des moralistes de leur temps. Mais en réalité ce sont tous les théologiens opposés aux cinq propositions, les frères de Molina surtout, que, d’accord avec Jansénius, ils estiment relâchés.

S) Et voici que l’accusation prend un éclat inattendu avec la cinquième Provinciale, 20 mars 1656. Les Jésuites ont beau se défendre, l’opinion croira désormais, malgré le P. Dbchamps (Quæstio facti, 165q), que la probabilité est leur invention : argument péremptoire contre cette doctrine pour tous ceux qui, à divers titres, reprochent quoi que ce soit aux bons Pères.

Bien loin d’atténuer le coup, l’Apologie des Casuistes du P. Pihot, 1657, contribue indirectement à l’aggraver, par la campagne de pamphlets qu’elle déchaîne (Ecrits des curés de Paris [en réalité d’ARNAULD, Nicole, Pascal], 1658) et par les condamnations qu’elle provoque, 1658-1650, , de la part de 31 évêques plus ou moins acquis à Pokt-Boyal (Voir ces documents dans Annales de la soc. des soidisans Jésuites, tt. IV et V, 1769-1771) Bref, en assurant le succès de l’opposition janséniste, l’intervention de Pascal va marquer une coupure dans l’histoire du probabilisme (Bouquillon, Theol. mor. fund., éd. 1903, p. 587 ; A. Dbgbrt, Bull, delitt.eccl. de Toulouse, 1913, pp. 400, lli).

3° A partir do 1656 en effet, l’accord, unanime jusque-là, va se rompre. Tantôt sous l’influence directe du jansénisme, tantôt en vertu d’un préjugé créé par le jansénisme, on verra de nombreux théologiens s’écarter de cette doctrine de leurs devanciers, que l’on commence à désigner du nom désobligeant de probabilisme (cf. Arnauld, Cinquième dénonc. du péché phil., Avertiss. ; Œuvres, t. XXXI, p. 398).

C’esl ainsi qu’à côté du tutiorisme plus ou moins avoué dis oratoriens et deslovanisles, se formera une école probabilioriste, très voisine de la précédente (Revue théol., 185g, t. IV, pp. 5$5 ss.), dont l’Ordre de saint Dominique et la Sorbonne feront d’abord principalementla fortune, mais qui recrutera d’année en année un plus grand nombre de partisans.

Néanmoins le probabilisme continuera à vivre (Bouquillon, l. c, p. 589). Il restera longtemps en Italie, en Allemagne, en Autriche, toujours en Espagne (Doellingbr, T. I, p. 318 ss.), la doctrine la plus répandue. En France même, jusqu’à la censure que Bossuet fera porter à l’assemblée du Clergé de 1700, il sera enseigné dans beaucoup de séminaires par les Sulpiciens et les Lazaristes. (Sur cette assemblée, voir Collection des procès -verbaux…, VI, 473-503, et pièces justifie, 212 ss. ; sur son influence, A.. Dbgbrt, l. c.) Par ailleurs, l’école franciscaine attendra jusqu’en 1762 pour se l’interdire (H. Hoi.zapfbl, Monnaie historiæ 0. F. M., 1909, p. 503 ss.). Les Jésuites, à part quelques exceptions

et malgré les efforts personnels du P. Thyrsr Gonzalkz, y 1705, feront bloc jusqu’au bout pour maintenir leur droit à le professer, peu séduits dans l’ensemble par l’équiprobabilisme transactionnel de leur confrère Bassler, } 1713. (Cf. Vacant, Dict. de théol. ciilh., art. Jésuites)

Bref, on persistera à le défendre dans la mesure où l’on saura se protéger de toute atteinte janséniste.

Conclusion. — De l’époque de Gerson au temps de saint Alphonse, la pensée des théologiens sur le problème de la conscience douteuse passe par trois périodes : Après avoir longtemps cherché à se dégager d’un tutiorisme théorique hérité du passé, elle s’affirme probabiliste universellement et sans conteste durant l’espace de trois quarls de siècle, pour ne douter d’elle-même et ne se partager que sous une influence étrangère à son progrès normal. Bien, mieux que cette évolution, ne montre combien sont loin de la vérité historique ceux qui présentent le probabilisme comme un simple accident surveni au développement de la morale, fruit des ininimisations nominalistes(A.HARNACK, Lehrbuch der christl. Dogmengeschichte, 4e éd., 1910, III, ">oi. 7^8), ou conséquence des vues de Molina sur la liberté (Co.xtbnson, Theol. mentis et cordis, éd. 1687, 1. II, diss. n, c. 2, p. 76).

IV. — Saint Alphonse de Liguori (1696-1787)

Saint Alphonse de Liguori fut toujours considéré de son vivant comme un probabiliste. Mais pour des raisons sur lesquelles nous aurons à revenir, il fut amené, au cours de sa longue carrière, à présenter son système moral sous des jours assez différents. Delà une question liguorienne., posée surtout depuis A. B.vllkrini (™ 1881), et résolue en sens contradictoires parles deux écoles probabiliste et équiprobabiliste.

Pour l’histoire et la littérature de cette controverse, voir X. ht Bachelbt, La question liguorienne, 1*98, pp. 49, ss.

Nous nous reporterons souvent dans l’étudo qui va suivre, aux Lettres publiées par les Pères Rédemptoristes (TraJ. franc, 5 vol. Lille, 1888-1893 ; même numérotation que dans l’édition italienne), désignant la Correspondance spéciale par les lettres C. S., la Correspondance générale par C. G. — Sauf exception, nous citerons : « ) lo Morale systema et la Theologia moralis d’après l’édition Gaudé, Roraaï 1905, 4 vol. ; /3) les dissertations latines d’après l’édition Marietti des Opère del H. Alf. de L., Torino 1829, 1. XV ; y) les opuscules italiens d après leur » traductions dans les Œuvres complètrs du D. A’ph on se de L., Pans 18*2, tt- XXVIII et XXIX. - Pair les variantes dos éditions successives des ouvrages du Saint, nous recourrons aux Vindiciæ Alphonsianae, ’ ! ' éd. Bruxelles 1874, t. 1, pp. 5’» ss. 454 ss. — Pour les détails biographiques indispensables à l’intelligence du sujet, nous renverrons à Bbbtiie, C. SS. R., S. Alph. de L., 1900, 2 vol.

i » Adhésion ferme de saint Alphonse au probabilisme jusqu’en 1761. — Formé par ses maîtres au pr’babiliorisme, saint Alphonse a raconté lui-même, comment, dès ses premières expériences de missionnaire, vers 1732, il était passé au probabilisme. (Dissertation de 17/J9, éd. Marietti, t. XV,

P- °9).,

Ce changement radical ne devait jamais avoir de

réplique, et, en tous cas, tous les écrits moraux du Saint jusqu’en 1761 devaient porter l’empreinte de sa ferme conviction probabiliste.

On le voit en effet publier en 17^8 des Adnotationés à la Medulla theologiæ moralis de Busrnbaum, et, bien que, pour ne pas heurter de front les préventions du public, il s’abstienne, au traité de la 321

PROBABILISME

322

conscience, de donner son propre sentiment sur la question probabiliste, et s’en tienne à une simple réfutation du tutiorisme (Vindiciae, 1, 454), néanmoins le seul choix de Busbnbaum et les autorités significatives indiquées dans la prélace (C. S., 3) suffiraient à révéler sa pensée, s il ne se trahissait pas dans tout le livre par sa terminologie.

Il prend d’ailleurs franchement position dans deux Dissertations imprimées sans nom d’auteur en 17^9 et 1755, et dont la seconde est un véritable traité. Là, libre de toute contrainte, il aborde de front la question classique « an liceat usus opinionis probabilis in concursu probabilioris ? r> et répond dans le sens allirmatif avec une sûreté de raisonnement qui dénote une pensée parfaitement fixée. Ed. Marietti, t. XV, pp. 5, 7a.

Non moins significative est la correspond ance échangée enl756&vec l’imprimeur Remondini en vue d’une édition vénitienne de la Théologie morale. S’inquiétant du réviseur éventuel de son livre, le saint désire que ce ne soit pas un dominicain, mais un jésuite, car ces Pères, selon lui, sont « maîtres dans la science de la morale », C. S., 9.

« D’ordinaire, fai suivi le sentimtnt des Jésuites et non

eelui des Dominicains, car les opinions des Jésuites ne sont ni larges ni rigides, mais dans le juste milieu… C’est d’ailleurs d’eux, je l’avoue, que j’ai appris le peu que j’ai mis dans mes livres, car en fait de morale, je ne cesserai 4e le répéter, ils ont tté et ils sont encore les maîtres… Donnez la présente lettre à lire au réviseur, pour qu’il sache quel système j’ai embrassé, car j’ai suivi et je suis, non pas le système du probabiliorisme ou rigorisme, mais celui du probabilisme. » C. S., 10. Cf. C. S., II.

La même année, dans sa Réponse à un anonyme qui avait critiqué la Théologie morale, tout en se renfermant dans l’espèce de neutralité adoptée pour cet ouvrage, il défend en passant la thèse chère aux probabilistes, que l’opinion plus probable n’élide pas d’elle-même toute probabilité opposée. Œuvres, t. XXIX, p. 340.

Il va plus loin en 1708, dansVEpistolaresponsiva… super abusu mortuis maledicendi, publiée cependant sous son nom et destinée à passer entièrement dans la Théologie morale :

« Ut affirmetur absolute aliquam actionem esse peccatum

mortale, non suffieit opinio probabilis, nec etiam probabilior. Xam probabilior non excludit rationabilem timorem errandi, unde non efficit quod lex non remaneat dubia. » Theol. mor., éd. Gaudé, t. I, p. 456.

Enfin, dans la quatrième édition de la Théologie morale, édition revue avec soin jusque dans les premières semaines de 1760 (C. S., 48-62), il conserve intégralement la dissertation sur l’opinion probable, composée pour la troisième édition, 1757 (Vindiciae, p. 461), et où, malgré la réserve systématique signalée plus haut, se lisent des passagescomme celui-ci :

<Cum ad constituendam legem dubiam sufficiat veraprobabilitas in contrarium,… sequitur quod, etiamsi opinio pro lsg « ait probabilior, possum habere judicium certurn, sive probabihssimum, quod liceat mihi secundura probabilem operari, dato quod probabilissimum judicium habeam quod elx dubia non obligat. » N.3a ; éd. Marietti, t. XV, p. 2.-3. Cf. nn. 14, a3-a5, 87.

Et ainsi on est amené à conclure, qu’en 1760, à Tige de soixante-quatre ans, saint Alphonse n’a encore modifié en rien le probabilisme qu’il professe depuis environ trente ans. Cette première conclusion, contestée autrefois par les Vindiciæ Alphonsianat, t. I, p. 44, est aujourd’hui généralement admise. Voir St. Mondino, Studio storico-critico sul êistemamorale di S. Alf. de L., 1911, pp. aa-A6. 84 Tome IV.

g5. Elle est, pour la suite de notre démonstration, d’une extrême importance.

ao Abandon apparent à partir de 1761. — A, partir de 1761, une évolution paraît se produire dans les idées du Saint. Il énonce désormais son système en deux thèses, faut la première, assurément nouvelle sous sa plume, vient de lui être inspirée par la lecture d’AMORT :

« Il n’est pas permis de suivre l’opinion moins probable, 

quand celle qui tient pour la loi est certainement et notablement plus probable. — « Quand l’opinion moins sure est également [ou presque également] probable, on peut licitement la suivre » Courte dissertation, : 70a, t. XXVIII, pp. 347 s., 275, 297.

On serait porté à voir dans ee nouvel énoncé, dans ce système de l’opinion également probable, dira-t-il en 1765 (La loi incertaine, n. ai ; t. XXIX, p. 518. Cf. Apologie de 1769, n. 46 ; t. XXIX, p. 4a6), un changement décisif et l’abandon formel du probabilisme. A l’examen toutefois, il apparaît que ce changement, jusqu’en 1767 au moins, n’affecte pas le fond des choses, cet abandon n’est qu’apparent.

A. — Un premier indice à relever, c’est l’absence, durant cette période, de toute réfutation ou réprobation du probabilisme. Tandis que l’équiprobabilisme d’Amort était nettement antiprobabiliste, chez saint Alphonse au contraire, sous les formules empruntées au théologien allemand subsiste une pensée toute dirigée contre le probabiliorisme. Relativement à ses écrits antérieurs, il ne songe à aucun désaveu, à aucune rectification. Il avoue avoir été rigoriste, il ne se reproche pas d’avoir été probabiliste.

En second lieu, plusieurs textes donnent à entendre qu’il ne fait pas de différence entre son opinion d’aujourd’hui et celle d’autrefois. C’est ainsi qu’à partir de 176a il présente comme une conversion équiprobabiliste l’évolution doctrinale qui jadis l’avait amené en réalité du probabiliorisme au probabilisme (Comparer la Courte dissertation de 1763 ; t. XXVIII, p. 395, avec la Dissertation de 1749 ; éd. Marietti, 1829, t. XV, p. 69). C’est ainsi encore qu’il écrit en 1765 (Apologie… de la dissertation de 1762 ; t. XXVIII, p. 35g) : « J’ai toujours dit que celui qui juge que l’opinion favorableà la loi esteertainement plus probable, est tenu de l’observer. » Ce texte ne se comprendra bien que plus loin ; il permet cependant déjà de constater chez l’auteur une vraie continuité de pensée.

Mais voici à cet égard des affirmations expresses ;

« Malgré toutes vos insultes et vos vociférations contre le

probabilisme, lit-on dans une réponse à Patuzzi, l’Eglise n’a encore rien déterminé contre notre système… — Je n’ai point refusé de me rétracter publiquement sur beaucoup d’opinions [dans la seconde édition de la Théologie morale, 1753- 1755], aussi répugnerais-je beaucoup moins à me rétracter aujourd’hui sur le sentiment deVopinion probable, … mais malgré tout ce que j’ai pu lire dans les livres des adversaires, rien ne m’a convaincu… — Je ne crains point ni no puis craindre d’être damné pour suivre l’opinion probable, puisque je la tiens pour certaine. » Béponte apologétique, 1764 ; t XXIX, pp. 358, 366, 367 ; voir p. 3Û2 le passage sur les Jésuites.

« Pour mon système, je l’ai examiné et approfondi pendant

plus de trente ans… mais, ayant toujours trouvé le moyen de répondre aux objections, J’ai persisté dans mon système, n Appendice à V Apologie de 1765 ; t. XXVIII, p. 540. Comparez C. S. 11, 30 avril ^G : a Cette science [la morale] a été l’objet de mes études depuis plus de trente ans. »

Rien d’étonnant dès lors que les autorités invoquées après 1762 soient exactement les mêmes qu’auparavant.

11 323

PROBABILISME

324

a Je crois jusqu’à présent que la vérité est de mon côté, et c’est ainsi que le pensent non seulement le P. Skgneri et le P. Tniiius, mais encore une foule d’autres savants. » fbid„ t. XXVIII, p. 541.)

Quelle est cette foule de savants ? On trouvera leurs noms, noms de probabilistes notoires, aussi bien dans la Dissertation de 1^55, nn. 4 ss., que dans celle de 1765, c. 6, n. 5. De part et d’autre en effet la liste est identique, et identique aussi la conclusion :

Texte de 1^55 :

Naquit negari quod spatio centum annorum circiter, vel saltem usque ad medietatem sæculi xvii, benigna sententia ab omnibus doctoribus recepta est. Diss. scholastico-moralis, i ; 55, n. 9 ; éd. Marietti, Torino 1829, t. XV, p. 8a.

Texte de 1766 :

Ne possono negare che la nostra sentenza almeno per ottanta o novanta annie statu commune presso gli autori délia Teologia morale. Dell’uso moderato deW opinione probabiU, i ?65. c. 6, n. 5 ; éd. Marietti, t. XVII, p. 269.

Voir encore Réponse apologétique, 1764 : t. XXIX, p. 360.

Le confesseur dirigé, 1764, 0. 1, n. a6 ; t. XXVII, p. 160.

B. — En pleine convergence avec cette série d’indices extrinsèques, l’étude interne des écrits de cette période y révèle bien les éléments essentiels du probabilisme.

On ne peut en douter pour ce qui constitue l’armature de la théorie : distinctions d’opinion spéculative et de conscience pratique, de certitude directe et réflexe, nullité de l’obligation incertaine, antériorité de la liberté par rapport à la loi, assimilation du doute prudent à l’ignorance invincible même en matière de droit naturel, rejet, dans sa généralité, du principe * In dubio tutior pars ».

Mais, cela n’est pas moins certain, en dépit des apparences contraires, pour ce qui est de l’étendue et des limites du système.

a) « Il est permis de suivre une opinion probable même moins probable, disait Busenbaum, mais, dummodo… adhuc sit probabilis, c’est-à-dire gravi auctoritate a ut non levis momenti ralione nixa » (Medulla, tr. 1, 0. 2, dub. a). Pareillement les auteurs probabilistes invoqués tout à l’heure par saint Alphonse assignaient comme limite à leur thèse le cas où, l’opinion moins sûre n’étant que douteusement ou faiblement probable, c’est-à-dire incapable de retenir l’attention d’un esprit sincère et prudent, la loi se présente à la conscience comme moralement certaine. Or c’est précisément cela qu’en substance, bien qu’en termes un peu voilés, le saint Docteur cherche à exprimer dans les deux thèses reproduites plus haut.

/3)Pour le comprendre, il importe d’avoir présente à l’esprit sa terminologie relative aux notions logiques de probabilité et de certitude.

Se conformant en effet à l’usage probabilioriste de plus en plus répandu (Lu Baciiblbt, La question Liguorienne, p. 195), et à l’usage équiprobabiliste que lui a révélé Amort, il admet tout d’abord, depuis 1761, les équivalences suivantes :

(1) Opinio notabiliter probabilior = moraliter certa ; Opinio notab. minus probabilis = ténuité rprobabilit,

= improbabilis.

Du conflit de telles opinions ne résulte qu’un doute large.

Diss. de 176a ; t. XXVIII, p. a4 ?. De l’usage mod. de l’op. prob., 1765, c. 1, n. a ; t. XXIX, p. 31. Theol. moi., 6a ea., 1767, I, 53. C. S., 188, 217, aig.

De plus, en vertu de l’axiome connu : parum pro nikilo reputatur, il croit pouvoir négliger une modica præponderantia et identiGer pratiquement :

(2) Opinio probabilior ted non notabiliter = aeque vel jere aeque probabilis.

Dana ce cas, le doute est strict.

Dite, de 176a ; t. XXVIII, p. 375. Apologie de 1765 ; t. XXVIII, p. 3 1 4- De l’usage mod. de l’op. prob., 1765. C. 1, n. 3 ; t. XXIX, p. 3a. Theol. mor., 6a éd., 1-167, I, 55. C. S., 188, 2 : 7, 219.’'’'

Puis, se fondant sur une loi psychologique qui lui parait s’imposer, et selon laquelle la certitude subjective de la probabiliorité d’une opinion accuse toujours une probabiliorité notable, il arrive à cette autre assimilation :

(3) Opinio certb probabilior = notabiliter probabilior ; Op. cbrtk minus probabilis = notabiliter minus probabilis.

Apologie de 1765 ; t. XXVIII, p. 314. De l’usage mod. de l’op. prob., 1765, c. 1, n. 2 ; t. XXIX, p. 31. Théo, mor., 6a éd., 1767, I, 55, II. C. S., 188, 217, 219 : « Si l’excédant n’était pas notable, il ne pourrait faire pencher la balance. …Lorsque la probabilité est faible, elle ne fait pas pencher la balance. »

Enûn par la combinaison de (1) et (3) d’une part, de (2) et (3) de l’autre, il obtient sans autre intermédiaire ces dernières formules :

(4) « Opinio certe probabilior… est moraliter aut quasi moraliter certa » ; Theol. mor., 6a éd., 1767, I, 55, II.

« L’opinion reconnue moins probable n’est pas probable. » 

C. S., 185.

(5) « Lorsque l’opinion est douteusement moins [ou plus] probable, alors ou elle est également probable, ou presque également probable. »

Apologie de 1765 ; t. XXVIII, p. 314. C. S., 3, 217, 319.

y) Dès lors, quand il déclare que « celui qui juge que l’opinion favorable à la loi est certainement plus probable, est tenu de l’observer » (Apologie de 1765 ; t. XXVIII, p. 359), il a le droit d’affirmer : < J’ai toujours dit cela », car il se borne à transposer dans sa terminologie actuelle, en vertu de (4), ces expressions équivalentes des probabilistes : « On ne peut suivre l’opinion moins sûre, quand elle n’est pas vraiment probable, soit : quand la loi est moralement certaine » ; et cela, en effet, il l’a toujours dit.

De même, si l’on compare avec (1) et (2) l’autre thèse essentielle du système : « Cum opinio minus tuta est aeque vel fere aeque probabilis, potest quis eam licite sequi » (Theol. mor., 6 » éd., 1767, I, 55, ni), on apercevra sans peine que ce n’est là encore qu’une transposition dans la terminologie équiprobabiliste de la propre thèse de Busbnbaum rappelée plus haut (col. 3a3, a).

Aussi, jugeant en 1769 un de ses écrits antérieur à la Dissertation de 1762, Alphonse le qualifiait-il simplement de fait à l’ancienne manière et avec l’ancienne terminologie, tel que, réédité maintenant, il viendrait quasi à contredire les dissertations postérieures (C. S., 327) (.

1. S’il fallait apprécier la contribution de saint Alphonse à l’éclaircissement de la controverse probabiliste après 17C1, sans méconnaître le progrès accompli dans le choix etla présentation de* preuves, on aurait en revanche à constater l’imprécision croissante des limites imposées au système, imprécision due à l’ambiguïté de l’expression caractéristique notabiliter probabilior (BOVQVII.LON, R. des se. eccl., 1874, t. XXIX, p. g3).

Faites-vous, devrait-on dire, de l’opinion notabiliter probabilior une opinion dont la contradictoire ne donne lieu à aucune hésitation prudente ? Alors vous avez bien ie droit de poser l’équation (1), mais (2) ne vaut plus que grâce à un élargissement abusif de la notion du doute strict, et psychologiquement (3) ne se peut plus admettre. — Définissez-vous au contraire cette opinion : celle dont la probabiliorité, bien que considérable, est mêlée cependant d’une hésitation raisonnable et prudente.’Alors vous pouvez conserver 1 équation (2) et peut-être (3), mais (1) ne saurait subsister 325

PROBABILISME

326

l

S) Les adversaires du Saint ne pouvaient s’y tromper. Très instructive à cet égard est la critique du gazetier janséniste des Xouvelles ecclésiastiques (1766, p. 10) :

« Quiconque a de bons yeux, aperçoit aisément qu’il [le

système liguorien] renferme le probabilisme pur, puisque, ne rejetant l’opinion favorable à la liberté que lorsqu’elle est notablement moins probable, c’est l’admettre dans les eai oit, étant moins probable, elle ne le serait pas notablement ; el de même, permettant de la suivre lorsqu’elle est presque également probable, ce « presque » suppose encore un « moins- ». Tout ceci n’est par conséquent qu’un exposé frauduleux. »

Il y aura lieu de revenir plus loin sur la parade opposée par saint Alphonse à ce coup, quand d’impérieuses circonstances l’obligeront à écarter toute accusation de probabilisme ; l’embarras de la réponse sera alors un indice de plus que sur la question de fond le critique avait vu juste.

c) Quoi qu’il en soit, en i ; 65 au moins, le saint Docteur ne songe nullement à renier le probabilisme. C’est ce que garantit un texte capital où, répondant à une objection de Patuzzi, très voisine de celle qu’on vient de lire, il livre sans détours la clé de son système.

« Je n’ai point prétendu et je ne prétends pas faire des

systèmes nouveaux. Je sais bien qu’aucun probabiliste de doctrine siîre ne permet l’usage de l’opinion faiblement ou douleusement probable ; mais, parce que beaucoup de probabilistes disent indistinctement qu’on peut suivre l’opinion moins probable, quand elle a quelque fondement de raison ou d’autorité, j’ai voulu établir une distinction en disant u’on ne peut suivre l’opinion moins sure quand la préponérance pour la plus sûre est grande et certaine, … parce qu’alors l’opinion moins sure ne peut être regardée comme certainement probable. » Apologie de 1760, t. XXVIII, pp. 3 1 3-3 1 4 Même point de vue dans une lettre de la même année, où il s’agit précisément de l’ouvrage cité à l’instant :

« Beaucoup de savants qui ont lu mon Apologie, disent

que cette matière était autrefois fort embrouillée, mais qu’elle est aujourd’hui éclaircie. De fait, l’usage del’opinion probable, en la façon que le soutenaient autrefois les probabilittrs, ne me plaisait pas, et je n’étais pas moi-même tranquille sur ce point, car ils prenaient pour point d’appui certains principes et certains raisonnements qui n’étaient pas concluants. » C. S., 1 63, 19 sept. 1765.

Quelques lignes de l’année précédente, 1764, expriment déjà la même pensée :

Je ne nie point… que beaucoup de probabilistes ne soient tombés dans des opinions relâchées ; je ne nie pas non plus que, pour prouver l’usage licite de l’opinion probable, ils ne se soient servis de certains principes faibles. Par exemple, ils se prévalent de celui-ci : qui probabiliter agit, prudenter agit ; mais ce principe est mal fondé… C’est pourquoi je disque c’est le grand relâchement des opinions dans lequel sont tombés certains probabilistes du siècle passé, et l’insuffisance de ces principes faux par eux enseignés, qui ont fait que les probabilioristes se sont élevés

ans une perversion des notions de certitude et de probabilit é.

— Dans les deux cas, vous vous heurtez à l’expérience et fa’tes violence au langage. C’est le sentiment confus de ce dilemme crucial qui empêcha toujours saint Alphonse de s’expliquer nettement. Après 1767 surtout, dans ses réponses aux objections pressantes du P. Blasucci, sa pensée devait en venir à un degré de fluidité qui défie tout essai de détermination [C.S., 217, 219).

La raison profonde de cette inconsistance paraît être dans l’essai de conciliation qu il tenta entre deux conceptions opposées de la probabilité : la conception probabilioriste : 1 l’opinion reconnue moins probable n’est pas probable » {C.S., 185j ; — et la conception probabiliste : et opinio[probabilion ] contraria etiam probabilit censetur » (Tneol. mor., 1, 40).

avec tant do chalour et de fureur contre l’usage de l’opinion probable, et qu’ils ont trouvé tant do partisans. Mais tout homme aimant la vérité et parlant sans passion doit juger autrement, lorsque la probabilité de l’opinion est accompagnée d’uni raison certaine, et du principe réfléchi qui rend certain en pratique. » Réponse apologétique, 1764 : t. XXIX, pp. 370-371. Cf. De l’usage mod. de l’op. prob., 1765, c. 5, n. a5 ; c. 6, n. 6 ; t. XXIX, pp. a45, a56, C.S., 188.

Ces textes sont concluants. Ils ne traduisent pas seulement l’impression qu’a saint Alphonse d’être d’accord en substance avec le » probabilistes ; en nous révélant l’originalité de son propre système, ils montrent que son seul but a été de perfectionner le probabilisme, d’un côté par le triage et le renforcement des preuves, de l’autre par la recherche d’une formule de délimitation qui suffit d’elle-même à écarter le laxisme (Le Bachblbt, La question liguorienne, 1897, p. 199).

3° Opposition forcée à partir de 1767. — A. — L’attitude de saint Alphonse vis-à-vis du probabilisme, après 1767, est conditionnée par diverses circonstances historiques, dont la connaissance est indispensable. Nous ne pouvons, faute de place, que les mentionner ici. Berthe, C. SS. R., Saint Alph. de Lig., 1900, 2 vol., renseignera utilement.

Ce sont : les progrès du rigorisme janséniste en Italie ; la recrudescence de la campagne contre les Jésuites, aboutissant à leur expulsion de Portugal en 1759, de France en 1762, d’Espagne et de Naples en 1767, et à leur suppression totale en 1778 ; enfin la persécution essuyée par la Congrégation du Très Saint Rédempteur, que ses ennemis cherchent à confondre avec la Compagnie de Jésus, pour l’englober dans la ruine de celle-ci (C. S., a16, 219, a54, a84, 315. C. G., 5g6, 818, 8aa).

Sous la pression de ces événements et dans l’intérêt de l’œuvre que Dieu lui a confiée, le saint vieillard — il a soixante et onze ans en 1767 — cède peu à peu ((7. 5., 3g, 49, 51 » 60, 10a, aoi, aoa, 206, 2a4, a44, a°4, 307, 314). et cherche de plus en plus à séparer sa cause de celle des Jésuites, en atténuant la parenté de son système avec le leur (C. S., aog, au, 216, 317, 219, aa4, aa5, a30, a31, 249, a50, a54, a60, a84, 398, 305, 308, 309, 314)

« Certaines choses que l’on écrivait jadis, ne plaisent

plus aujourd’hui au public » (C. S., 31a) : cet aveu de 1777 peint la situation faite à Alphonse de Liguori durant la dernière période de sa vie ; à qui étudie son évolution doctrinale, il fait déjà conjecturer qu’ici encore le changement sera plus dans la forme que dansla pensée.

B. — C’est ainsi qu’à partir de 1767 on trouvera dans sa correspondance et ses ouvrages de morale bon nombre de déclarations dures au probabilisme (Vindiciæ Alphonsianae, éd. 1874, t. I, pp. 466 ss.). Mais, à y regarder de près, ces déclarations apparaissent comme le système de défense d’un plaidoyer, bien plus que comme la conclusion d’un raisonnement. La preuve en est dans :

ai) leur exagération même : le Saint va jusqu’à s’y qualifier de probabilioriste (C. 5., 185, 261, 315. C.G., 818, 822), — à réprouver l’équiprobabilisme (Déclaration du système, 1774. nn. 4, 7 ? t. XXIX, p. 431),

— et à admettre que l’opinion quasi communia des théologiens du xvu « siècle n’a été qu’un laxisme (Homo apost., 3e éd., 1770, n. 31. Comparer : De l’usage mod. de l’op. prob., 1765, c.6, n. 5 ; t. XXIX, p. a55, et les textes cités col. 3a3) ;

p) leur occasion caractéristique : elles coïncident presque toujours avec une aggravation de l’état de choses signalé plus haut (au § A) ;

-/) le genre de publicité auquel elles sont desti327

PROBABILISME

328

nées (C. S., 309, a30, a50, a54, 261, a84, 315. C. ff., 8a2) ;

S) l’ambiguïté des considérants sur lesquels elles s’appuient : usage fait par les probabilistes du principe : qui probabiliter… (comparer : De l’usage mod. de l’op. prob., 1765, c. 6, n. 6 ; t. XXIX, p. 256. Mor. syst., n. 79) ; — extension de leur système jusqu’à l’opinion certainement moins probable (comparer : De l’usage…, c. 5, n. a5 ; t. XXIX, p. a45. C. S., 188).

Ajoutons que des probabilistes avérés, tels que Suarez, Laymann, Lessius, Gastropalao, Lugo, sont jugés sans reproche (C. S., 309).

C. — Il est vrai que le Monitum joint à la septième édition de la Théologie morale, 1772, ajoute aux déclarations précédentes le principe même du probabiliorisme :

« Tenemur amplecti saltem opinionem

illam quæ propius ad veritatem accedit, qualis est opinio probabilior… » (7 « ed., t. III, p. aoi a. Cf. Déclaration du srst., 1774, n. a ; t. XXIX, p. 430. Mor. svst., nn. 54, 88).

Toutefois cette formule ne marquerait vraiment une révolution dans l’esprit de l’auteur, que s’il l’entendait, non pas de l’opinion certe et notabilité/probabilior, mais de l’opinion probabilior en tant que probabilipr, et pour un seul degré de probabiliorité.

Telle est bien la direction où le poussent les objections convergentes des Nouvelles ecclésiastiques (voir col. 325, S) et du P. Blasucci(C. S., 317, 219), et où il faudrait s’engager pour se distinguer parfaitement des Jésuites. Mais tel est justement le pas qu’il répugne à faire (C. S., 317), qu’il ne fait que contraint et d’une manière équivoque (C. S., 319. Monitum, l. c, p. 303 b.), pour revenir iinalement en arrière dans le Morale systema, n. 63 (Cf. La Bachblkt, La question Liguorienne, 1898, p. 168). Comment en effet accorder cela sans se contredire, puisque, toujours sourd aux mauvaises raisons de Patuzzi(3/or. syst., n. 86), il soutient plus que jamais la nécessité d’une loi promulganda ut certa et l’irréductibilité de l’opinion à la science (Monitum, l.c, pp. 301 b — 303 b. Mor. syst., nn. 58 ss.) ?

Lors donc qu’il paraît affirmer l’obligation de suivre toute opinion quæ propius ad veritatem accedit, il ne vise en fait, par cette expression vague, que l’opinion certe probabilior (Mor. syst., nn. 54, 6a, 66, 83), soit : celle qu’il a toujours considérée comme une suffisante promulgation de la loi, en vertu de l’équation (4) (col. 324).

Par suite, bien qu’il n’ait garde de mentionner comme autrefois ce corollaire, son système laisse encore intacte la liberté dans les nombreux cas où la prépondérance de l’opinion plus sûre n’est pas tout à fait certaine.

Conclusion. — A part des divergences secondaires et tardives, saint Alphonse est toujours resté d’accord pour le fond avec l’école probabiliste. Nul n’a soutenu plus inlassablement le principe essentiel que seule une loi certaine peut lier la conscience. Même à partir de 1761, s’il a cru nécessaire, pour mieux écarter le péril laxiste, d’admettre l’équivalence de la probabiliorité, quand elle est manifeste, avec la certitude, il n’en continuait pas moins à faire rentrer dans le doute strict toute probabiliorité qui ne s’imposerait pas manifestement. Il est très vrai, au surplus, queses derniers écrits changent souvent de ton. Mais il faut se garder d’attribuer à une conviction personnelle ce qui n’est dû qu’à la nécessité des circonstances, et se souvenir qu’un écrivain doit être jugé d’après l’ensemble de son œuvre, bien plus que sur les ouvrages de son extrême vieillesse 1.

1. Il est d’usago, dans les manæls é^uiprobabilistes, d’opposer une thoso spéciale au probabilisme sur la question du

V. — L’attitude du Saint-Siège

i° Antérieurement aux controverses soulevées par les Jansénistes, on ne cite pas de documents pontificaux hostiles au probabilisme. Nous avouons ne pas connaître « les actes de toute nature » qui concourent à prouver « le fait de la répulsion que l’Eglise romaine a toujours marquée à l’égard de cette doctrine » (P. Mandonnet, Revue thomiste, 1 902, p. 13). Bien au contraire, une réponse d’URBAiii VIII, (16a3-1644), relative à la législation du mariage dans la mission du Paraguay, lui serait plutôt favorable. Le pape jugeait inutile d’accorder le privilège demandé parles missionnaires, attendu qu’une opinion probable leur laissait déjà la liberté qu’ils souhaitaient (J. Cardenas, Crisis tlieologica, Diss. IV, c. 8, a. 4, n. 553 ; Venetiis, 1693, p. 183. Comparer T. Gonzalez, Fund. tlteol. mor. (Diss. xiv, nn. 47-80). On sait d’ailleurs quelle confiance témoignèrent Urbain VIII et ses successeurs au célèbre probabiliste Diana (1595-1663), qui fut durant de longues années examinateur des évêques.

Mais il y a plus. Un document publié par le cardinal Albizzi(x 1 684), dans son De inconstantia in /ide, p. I, c. xxxiii, n. 66, et signalé par le P. G. Ahbndt, S. J., De conciliationis teiUamine…, Romae, 1902, pp. 87-91, montre à quel pointle probabilisme était familier aux consulteurs du Saint-Office et régissait les décisions de ce haut tribunal vers le milieu du dix-septième siècle. C’est une liste de

« notes, 1 données par des qualificateurs à seize

propositions concernant la sollicitation au confessionnal, et sanctionnées en bloc par la Sacrée Congrégation le Il lévrier 1661. Pour marquer que les cas proposés donnent ou ne donnent pas lieu à l’obligation de dénoncer le solliciteur, ce document n’emploie d’autres formules que celles qui se lisent chez tous les moralistes du temps : « Opinio negativa non est probabilis », — ou par contre : « Opinio negativa est probabilis », — ou même : « Opinio negativa non caret sua probabilitate ». On ne pouvait s’exprimer d’une manière plus conforme au langage des probabilistes. Voir Scavini, Theol.mor. univ., tr. X, d. I, c. 4, a. 4- Ballbrini, Opus theol. mor., t. V, p. 58a. Buccbroni, Enchirid. mor., éd. 1905, n. 125a.

a" Ce serait Alexandre VII (1655-1667) 1 U * aurait le premier, à deux reprises, « réagi énergiqucment contre le probabilisme » (P. Mandonnet, l.c).

A. — On met en avant tout d’abord la direction donnée par lui au Général des Dominicains, lors du chapitre de juin 1 656. Transmises par de Marinis aux définitenrs de l’Ordre, ces paroles ne nous sont parvenues que par l’un de ceux-ci, Vincent Baron, peu suspect d’en avoir atténué la force. Les voici, d’après la préface de la Basis totius rnoralis theolo~

doute relatif à la cessation de l’obligation. Nous laissons de coté cette discussion secondaire, où saint Alphonse n’est entré qu’accidentellement. Signalons seulement deux série3 de textes de la Théologie morale difficiles & harmoniser, bien que tous restreints au cas le plus simple, où l’obligation dont la cessation est en cause, n intéresse pas le droit d’un autre. Dans I, 28-29 ; ’, 97, 4* ; VI. 477, la solution s’ins ne de ce principe difficile a justifier : « Possidet obligatio jam contracta, donec certe n.in fuerit impleta ». (Second Elenehus quæstionum [reformatarum] q. II.) Mais I 99, 4° ; Ul, 1 12, 3" ; Ill.ago donnent pleinement raison à l’axiome fondamental : « Possidet homo libet tatem ad agendum quidquid vult, quod non constct a lèse sibi velilum » I, 97). — Voir sur cette matière : Vindiciae Alphonsianae, éd. 1874. t. I. P- "o et BOUQOILLON, Theol. mor. fund., cd. 1890, p. 5 1 3 ; éd. igo3, p. 541. 329

PROBABILISME

330

de Mbrcori, O. P., dont Baron s’otait fait l’éditeur (1609).

lædere Peatissimum Patrem tôt norarum opinionum hoc sæmlo i" lhaologiam moralem inductxruin. quibus disciplina erangelica resolvitur, ac conscientiis, cum gravi animarum penculo, illnditur : et se maxime velle a theologis noatris, in Kcclesiæ hoc morbo occulto laborantis remedium, oput parariex severiori et tula sanctissiini Præceploris doctrina, quo hæc morum et opinionum licentia, quæ in dies grassatur, quasi cauîerio cohiberetur.

Peut-on croire que le pape ait signifié ainsi aux Frères Prêcheurs a sa volonté de voir l’Ordre combattre efficacement les doctrines probabilistes » ? (P. Mandonnbt, dans Vacant, Diet. de th. cath., VI, g19.)N"est-il pas invraisemblable qu’à cette date, trois mois à peine après la cinquième Provinciale, il ait seulement pensé à blâmer un système suivi par le Saint-Oflice clans sa jurisprudence, enseigné communément dans les écoles catholiques et mis par les thomistes au compte de leur saint Docteur ? A peser les mots soulignés par nous, ne semble-t-il pas beaucoup plus naturel qu’il ait voulu attirer Patte » tion des Maîtres dominicains sur les hardiesses d’une casuistique indulgente à l’excès, et inviter l’Ordre à réagir contre cette anarchie ?

B. — On invoque en second lieu les décrets du Saint-Ofhcb du 24 septembre 1665 et du 18 mars 1666 {Bull. rom., t. VI, p.vi, pp. 84-no). Le préambuledu premier de ces documents se serait exprimé de telle sorte, au sujet du probabilisme, qu’  « on ne pouvait, sans condamner formellement une doctrine, la désapprouver d’une façon plus expresse et plus sévère » (P. Mandonnbt, Bévue thomiste, 1903, p. 13-14 ; cf. 1914, p. 675).

Voici ce texte, que V Enchiridion de Denzinger-Ba.nn wakt a négligé de reproduire : « SS. D. N. audivit non sine magno animi sui dolore, complures opiniones christianae disciplinée relaxathas. et animarura perniciem inferentes. partim antiquatas iterum suscilari, partim noviter prodire ; summamque illam luxi.riantium ingeniorum licentiam in dies inagis excrescere, perquam, in rébus ad conscienliam pertinentibus, modut opinandi irrepsit alienus oranino ab evangelica simplicilaie Sanctorumque Patrum doctrina, et qnein si pro recta régula fidèles in praxi sequerentur, ingens irreptura easet vitæ christianæ corruptcla. »

Nous avons souligné à dessein les mots modus opinandi, sur lesquels repose à faux l’argument que nous discutons. Est-ce bien en effet le probabilisme qui est ici visé ? Non seulement rien ne l’indique dans le contexte immédiat, mais la teneur même du décret empêche de l’admettre, puisque parmi les propositions condamnées ne figure ni explicitement ni implicitement la thèse essentielle du probabilisme, qu’il eût cependant fallu proscrire la première, si l’on avait vu en elle la cause des maux à guérir.

Il faut en conclure que ce qui est dénoncé ici, c’est le laxisme moral, parfaitement caractérisé d’ailleurs par la proposition 27 (Saint Alphonse, De l’usage mod. de l’op. prob., 1765, c. 6. n.16 ; Œuvres. Paris, 184a, t. XXIX, p. 268). Le contraste des sévices répétés deV Index contre les publications laxistes, et de la liberté laissée aux sages probabilistes, achève de donner à cette censure sa sign141 cation.

C. — On en appelle, il est vrai, à nntextepeu clair de St. Gradi (f 1683), préfet de la Bil liothèque Vaticane et ardent probabilioriste, suivant lequel Alexandre VII aurait songé à traiter à fond dans nne bulle la qnestion du choix des opinions, et ne se serait contenté que sur l’avis du cardinal Pallavicini des décrets de 1665 et 1666. « Ceperat impetum gravia ac savera de hac retota slaluendi, et malum,

ut aiebat, in suo fonte ac radice fundilus exscindendi, diserta édita constitutione, ex qua finium hujusmodi regumlorum leges et actiones facile peterentur. » (I)isp. de op. prob., 1678, c. 37 ; cf. Dœllingkr, t. I, p. 38).

D’autre part, le même Pallavicini ({- 1667) aurait déclaré au Jésuite Elizai.db, avec qui il s’était expliqué sur la probabilité dès 1662, qu’un livre écrit contre cette doctrine remplirait les intentions du Saint-Siège (Ant. Crlladbi, [Elizaldo], De recta doctrina morum, 1670, 1. 8, q. 7, § 10 ; cf. Dojllingrr, t. I, p. 53). Mais, dut-on croire à ces témoignages tendancieux et incontrôlables, rien ne permet de conjecturer ce qu’eût été la bulle dont parle Gradi, ni quelles étaient au juste les intentions attestées par Elizalde.

Par contre, selon Tbrillus ({* 1676), l’hostilité d’Alexandre VII à l’égard du probabilisme n’aurait pu se comprendre, « cum notorium sit, zelant issimum Pontificem tenuisse communem opinionem reflexam, atque in moralibus eximium suarianae doctrinæ sectalorem fuisse » (Régula morum, 1677, p.I, q. 8, n. a3).

3° On ne peut nier qu’Innocent XI (1676-1689) ait été personnellement très défavorable au probabilisme. Avec sa raideur d’esprit et l’inflexibilité de son grand caractère, il y voyait un obstacle à la réforme des mœurs.

A. — Dèsson élection, les adversaires delà « morale relâchée » comprirent que jamais heure ne serait plus propice. Les éloges etles encouragements reçus par les plus considérables d’entre eux permettaient en effet de grands espoirs. En France, les évêques d’Arras et de Saint-Pons, Gui de Sève de Rochechouart, et Pierre de Percin de Montgaillard, contrecarrés par Louis XIV dans leur projet d’action collective, durent se contenter de faire parvenir au Pape, en juillet 1677, une série de thèses dont la septième portait : « Qui operatur ex opïnione probabili, bene operatur et sine peccato, tam in jure naturali quam positivo, etiam probabiliore et tutiore relicta » (Doellingbr, t. I, p. 36. Analecta juris ponlificii, 1874, t. XIII, p. g43).

Mais la faculté de théologie de Louvain fit mieux. Députés par elle, trois de ses docteurs : Van Vianbn, Steyabrt et l’augustin Christ, de Wulf (ou Lupus), se mirent en route pour Rome, porteurs d’une liste de cent propositions de morale, qu’ils devaient déférer au Saint-Office et combattre de tout leur pouvoir. De juin 1677 à mars 1679, ces personnages firent le siège de toutes les influences utiles à leur dessein. Ils obtinrent d’Innocent XI un bref plein de bienveillance, publié par eux à grand bruit (F. de Bojani, Innocent XI, t. II, pp. 46-49)- Finalement 65 des propositions qu’ils combattaient furent censurées par le décret du Saint-Office du 2 mars 1679. Toutefois, fait essentiel à noter, s’ils réussirent à faire entrer dans le document la condamnation de thèses spécifiquement laxistes (D.-B., 1151-1154), leurs efforts demeurèrent impuissants touchant le numéro 2 de leur liste, où en propres ternies s’énonçait le probabilisme : « Potes sequi opinionem practicam probabilem circa honestatem objecti, relicta quoque probabiliore et tutiore, quamvis tua, etiam in materia juris natnralis » (Opuscula eximii viri Hennebel, Lovanii, 1703, p. 19).

Nous ne nous attarderons pas à réfuter l’hypothèse suivant laquelle, en proscrivant le laxisme, les Cardinaux Inquisiteurs auraient voulu, en 1679 aussi bien qu’en 1665, atteindre le probabilisme lui-même, comme une prémisse dans sa conclusion (P. Mandonnbt, Revue thomiste, 1902, p. 14). Libre à 331

PKOBABILISMK

332

chacun de croire pour son compte à une connexion logique entre les deux doctrines. Mais prétendre au nom de ce raisonnement, que le Saint-Office n’a pu condamner l’une sans réprouver l’autre, c’est précisément supposer ce qui est en question ; et c’est de plus attribuer aux Cardinaux Inquisiteurs une ignorantia elenchi qui ne se peut admettre sans preuve.

Dès longtemps en effet la question classique des opinions probables se présentait avec une précision inconnue de saint Thomas et même de Médina ; depuis Suarbz au moins (De bonit. et mal//. acf., Disp.xn, s.6, nn. 8-10), tous les probabilistes sérieux exigeaient pour l’opinion moins sure une probabilité solide, et, par leur distinction entre l’honnêteté et l’efficacité de l’acte humain, posaient leur thèse de telle sorte qu’elle ne se pouvait étendre sans sophisme à l’exercice des fonctions judiciaires, à l’administration des sacrements, à l’option religieuse, et autres cas semblables, exclus nommément par eux (A. Schmitt, Zur Geschichte des Probabilismus, Innsbruck, 1904, pp. 119 ss.). On savait bien cela au Saint-Office ; et voilà pourquoi la censure des thèses laxistes ne pouvait viser par ricochet le probabilisme. La réserve observée à l’égard de ce système prenait plutôt, étant données les circonstances, le sens d’une approbation, suivant l’esprit du vieil axiome : « error cui non resistitur, approbatur » (Gratibn, Decr., p. I, d. 83, c. 3). Tel est du moins l’avis de saint Alphonse (La legge incerta, 1765, n. a4 ; t. XXIX, p. 5aa ; De V usage mod. de l’op. prob., 1765, c. 1, nn. 6 ss. ; ibid., p. 3a ss.).

B. — On peut croire qu’en son for intérieur Innocent XI jugea insuffisant le décret de 1679. L’intérêt qu’il prend dès ce temps-là aux idées et à la personne du jésuite espagnol Thyrsk Gonzalez (} 1705), auteur d’un ouvrage contre le probabilisme, dont la publication était arrêtée par les reviseurs de la Compagnie ; le cas qu’il fait des lettres et mémoires, où ce jésuite le conjure d’imposer le probabiliorisme aux universités ; les termes expressifs dans lesquels il lui fait répondre pour l’encourager à combattre vaillamment l’opinion moins probable ; on désir devoir paraître le livre arrêté, dont Brancati di Lauria, consulteur du Saint-Office, lui promet le plus grand bien : tout cela manifeste à l’évidence sa pensée personnelle. Et néanmoins, comme unique suite donnée à cette affaire, au lieu de se conformer aux suggestions de Gonzalez, il se contente d’exiger du Général des Jésuites que liberté soit laissée dans la Compagnie d’attaquer le probabilisme : « ut permittat Patribus Societatis scribere pro opinione inagis probabill » (D.-B., iaig ; A. Astrain, Historia de la Compahia de Jésus en la Asistencia de Espana, Madrid, igao, t. VI, pp. ao4 ss.). Tel est, dans son cadre historique et ses exactes proportions, ce qu’on a si improprement appelé le décret du 26 juin 1680 : simple décision du Saint-Office prise au nom du Pape en séance ordinaire de feria quarta, projet d’ordre à transmettre ultérieurement au Général Oliva, mesure d’objet extrêmement modeste, de caractère purement disciplinaire, de portée restreinte : l’observation est de saint Alphonse (La legge incerta, 1765, n. 19 ; t. XXIX, p. 516).

Sans entrer dans l’histoire des controverses auxquelles a donné lieu ce document (J. Bruckbr, Etudes, 1901, t. LXXXVI, pp. 778 ss ; 190a, t. XCI, pp. 831 ss. P. Mandonnbt, Revue thomiste, 1901-1902, sept articles), il suffit de rappeler qu’une version fautive, publiée en 1734 par Pierre Ballbrini, égara longtemps les polémistes en leur faisant croire aune interdiction formelle d’enseigner le probabilisme :

« ne permittat Patribus Societatis scribere pro opi

nione minus probabili » (Cf. J. Bruckbr, I. c, t. LXXXVI, p. 784). Grâce au P. Brucker, un grand progrès a été accompli dans l’éclaircissement de cette curieuse affaire par la publication du vrai texte, communiqué officiellement au P. Bucceroni par l’Assesseur du Saint-Office, Mgr Lugari, le 19 avril 190a. Ce texte n’est autre que celui dont Gonzalez eut lui-même connaissance en 1693, et que les Jésuites ont toujours tenu pour authentique (J. Bruckbr, /. c, t. XCI, p. 847).

C. — D’autres faits encore révèlent l’hostilité d’Innocent XI pour le probabilisme. C’est lui qui, dans un but facile à deviner, désigna Gonzalez au choix delà Congrégation générale de juillet 1687 (Dorllin-GER, t. I, pp. 131 ss. A. Astrain, /. c, pp. aa6 ss.). C’est à lui que remonte l’initiative du 18° décret de cette Congrégation touchant la liberté de suivre le probabiliorisme, — liberté qui d’ailleurs, comme le fit observer le nouveau Général avec une loyauté parfaite, avait toujours existé dans la Compagnie (A. Astrain, /. c, pp. 339 ss.). — C’est sur son ordre que Gonzalez confia au P. devlfaro, élève d’Elizalde, la chaire de morale du Collège romain (Dobllingbr, t. I, p. 133. A. Astrain, l. c, pp. 234 ss.). Il eût voulu imposer aux Jésuites d’autres mesures encore (Gonzalbz, Libellas supplex, n. 6).

Mais si tous ces faits renseignent avec certitude sur sa mentalité, pris en eux-mêmes et dans leur contexte historique, permettent-ils de conclure à une opposition entre le probabilisme et l’esprit de l’Eglise ? (Ainsi P. Mandonnbt, Revue thomiste, 190a, pp. 7-8, 14-15). On ne peut l’admettre sans confondre avec les actes du magistère ordinaire, — règle doctrinale plut obscure mais non moins certaine que la définition expresse, — cet ordre de pensée personnelle où les papes se meuvent au gré de leurs préférences, n’engageant d’autre autorité que celle d’un docteur privé. Aussi n’y a-t-il pasplus à s’émouvoir de la sévérité d’Innocent XI à l’égard des probabilistes, que de son indulgence pour les tutioristes deLouvain ; et, à tout prendre, on s’explique encore mieux son jugement sur le livre et la personne de Gonzalez, que la faveur accordée à VAmor poenitens de Neercassel (RBUscH, Z)er/wrfe.r, t. II, p. 536), et le chapeau île cardinal donné à Petrucci (P. Dudon, Le quiétiste espagnol Michel Molinos, igai, p. 176, cf. 13a, 138, aai-2a4). C’est assez dire qu’il n’y a pas dans toute la conduite de ce pape de quoi infliger au probabilisme l’ombre de la plus humble censure.

4° Sous Alexandre VIII (1689-1691), le Saint-Office eut de nouveau à toucher la question de la formation delà conscience (7 déc. 1690). Mais ce fut pour condamner le principe tutioriste : « Non licet sequi opinionem inter probabiles probabilissimam » (D.-B., 1293).

Si Innocent XII (1691-1700) avait partagé en morale les préférences de son sévère homonyme, il ne pouvait trouver, pour les manifester, une occasion meilleure que l’affaire du livre de Thyrsb Gonzalez. Or, quoiqu’on ait écrit là-dessus (P. Mandonnbt, Revue thomiste, 1901, pp. 47a. 656 ss.), c’est un fait certain qu’il ne prêta aucun appui à Gonzalez dans la lutte que celui-ci soutint deux ans durant (1 691-1693) pour la publication de son livre, mais qu’il écouta toujours plus volontiers les conseils tout opposés du P. Segneri, nommé par lui théologien de la Pénitencerie (Dobllingbr, t. I, p. 183). Vraisemblablement, le Fitndamenttim theologiae moralis n’eût jamais paru, sans l’intervention du roi d’Espagne, la bienveillance de quelques cardinaux, et les habiles manœuvres de l’assesseur Bernini (Patlzzi, Lettere.l. VI, app., pp. xl, xlvi, 333

l’HOBABILISMK

334

XLVI1I. DoBLLINGBB, t. I, p. 183 SS. A. AsTHAIN,

]. c, pp. a4> » i.| a60 as., 3 1 6 ss.).

Aussi, dans le Libellus supplex, 1702, où il révélait à Clément XI (1700-1731) l’urgence d’une condamnation du probabilisme, Gonzalez ne put-il unir le nom d’Innocent XII à ceux des papes qui, d’après lui, s'étaient déjà prononcés contre les mauvais principes (dans Concina, Apparatus ad theol. christ., t. II, 1. 3, Diss. 1, c. 8, n. ia ; Romae, 1773, p. 207). Il jugea sans doute, à l’accueil platonique fait à son mémoire (dans Concina, l. c, p. aoS), qu’il n’y avait rien à espérer du nouveau pontiûcat. Déjà en 1700 la tapageuse manifestation de l’Assemblée du clergé de France était restée sans écho à Rome ; et pareil insuccès attendait en 1706 une nouvelle supplique du probabilioriste Camargo (Dobllingbr, t. I, pp. 365-367). P* r contre, recevant au Vatican les jésuitesdélégués pour élire un successeur au P. Gonzalez (1706), Clément XI les rassura pleinement sur les attaques dont la doctrine de leur Ordre était l’objet (cf. Etudes, 1906, t. CIX, p. 79), et en 1713 la bulle Unigenitus devait prouver qu'à ses yeux le vrai danger de ce temps n'était pas ailleurs que dans la sévérité janséniste.

5° La grande autorité de Benoit XIV (1740-1758) est-elle invoquée avec plus de bonheur par les adversaires du probabilisme ?

A. — Concina,-f 1756 (Apparatus ad theol. christ., 1751, t. II, 1. 3, Diss. 3, c. 8), nous apporte un texte de l’encyclique Apostolica constitutio (36 juin 1749) sur le jubilé de 1750. Après avoir indiqué les exercices conseillés aux fidèles et insisté sur la confession, le pape s’adresse aux confesseurs : Que le prêtre sache bien sa morale, qu’il se garde d’apporter au tribunal de la pénitence ce « modus opinandi ahenus omnino ab evangelica simplicitate », justement flétri par Alexandre VII, et, — ce serait là le passage décisif, —e poi prenda quel partito, che vedra piu assistito délia ragione « dalV autorita (postea illani amplectatur sententiam cui magis suffragari rationem et auctoritatem favere cognoverit). C’est là, continue le pape, ce que nous disions déjà dans notre lettre sur l’usure (Vix pervertit, 1" nov. 1745) : « Suis privatis opinionibus ne nimis adhæreant ; sed prius quam responsum reddant, plures scriptores examinent, qui magis inter cæteros prædicantur, deinde eas partes suscipiant, quas tum ratione, tum auctoritate plane confirmai as intelligent. » Et voilà, conclut Concina, un coup mortel porté au probabilisme.

Ouvrons maintenant le Bullaire de Benoît XIV (Venise, 1778, t. 3, p. 70), nous y lisons ceci :

S si… Ut in re dubia propriæ opinioni non innitantur, sed, antequam causara dirimant, libros consulant quamplurimos, eos cum primis quorum doctrina solidior, ac deinde in eam descendant sententiam quam ratio suadet ac firmat auetorilas. Nec aliud sane docuimus in noatra Edcj clica super usuris, ubi ita scripsimus : « Suis opinionibus… >

Ces lignes ont bien en effet la même portée que celles de la lettre Vix pervenit citées plus haut, mais on n’y retrouve pas le « magis » dont triomphait tant Concina. Celui-ci n’en a pas moins pu citer comme originale une version italienne de l’Encyclique, car elle fut expédiée en italien aux évêques d’Italie, tandis que partout ailleurs on envoyait le texte lalin (Bull., p. a36) ; mais il est étrange qu’il ait donné au public une traduction latine de son cru, plutôt que de suivre le texte latin officiel. On comprend moins encore que les deux te. xt. ei ^ man é s des presses pontificales aient pu différer si nettement sur un point aussi litigieux.

Mais quel que soit celui, s’il y en a un, que Benoit XIV ait écrit de sa main ; que ce soit l’italien, comme l’affirme Concina, ou le latin comme pense saint Alphonse (Apologie de 1765, g 3 ; t. XXVIII, p. 41a). il reste que le seul ayant valeur de document ecclésiastique, et donc le seul qui théologiquement fasse foi, est le texte latin. C’est ce que saint Alphonse (/. c.) fit observer à Patuzzi, lorsqu’en 1764 celui-ci voulut encore bâtir une argumentation sur la version italienne.

B. — D’autre part on jugera, d’après le Correspondance de Benoit XIV (éd. E. db Hbbckbrbn, Paris, 1913, t. I, pp. 50, 244 ; t. II, pp. 167, 162, 482), s’il est possible de maintenir que, dans sa lutte contre le probabilisme, Concina fut « l’homme du SaintSiège » (R. Coulon, dans Vacant, Dict. de theol. cath.. III, 703 ss. ; cf. P. Mandonnbt, Revue thomiste, 1901, p. 47& ; 1914 » p. 675). Ne citons ici que les lignes écrites par Benoit XIV à la mort du grand polémiste : c II aurait pu n'être pas inutile par ce qu’il savait, mais il s'était laissé séduire par les ennemis des Jésuites, jusqu’au point de ne garder aucune mesure dans ses écrits, pleins de déclamations piquantes et quelquefois de propositions insoutenanables, de façon qu’il s’est attiré ajuste titre le mépris et le blâme des honnêtes gens *(l. c„ t. II, p. 48a). Quant à la faveur du cardinal Passionei, si durement apprécié lui-même par Benoit XIV, elle ne fait que soulignerlesattaches deConcina avec le petitgroupe romain projanséniste, dont l’unique objectif, en ces sombres heures, semblait être la ruine de la Compagnie de Jésus.

6° Non moins précaire est l’argument qu’on a voulu tirer du décret du Saint-Officb du 36 février 1761, sous le pontificat de Clément XIII (1758-1769).

Ce décret condamne un ensemble de thèses publiées à Avisio, diocèse deTrente, dans lesquelles, parmi d’autres exagérations, on qualifiait le probabilisme de « Christo Domino summe familiaris «.Vraisemblablement le rédacteur avait voulu faire entendre que son système lui semblait appartenir à la doctrine du Christ. Mais son langage pouvait signifier aussi que le Sauveur avait pratiqué le probabilisme pour son compte, et par suite avait eu à se former la conscience. C’est par cette conséquence blasphématoire que la thèse était « erronée et proche de l’hérésie ». En la censurant, le Saint-Office n’avait donc pas à se prononcer sur la doctrine probabiliste, puisque, quelle que soit la légitimité de cette doctrine au regard de la conscience humaine, en aucune hypothèse le Christ n’a pu s’y conformer. Nous croyons qu’aidé de cette remarque, le R. P. Mandonnet n’eût pas vu dans le décret de 1761 le « coup de grâce » porté à notre système (Revue thomiste, 1903, p. 16 ; 1914, p. 676). On trouvera dans saint Alphonsb (Thiol. mor., 1, 84-85) une étude approfondie de la question, avec le texte des thèses et de la censure.

Il est remarquable par ailleurs que Clément XIV, en cédant à la coalition formée contre les Jésuites, ne s’arma pas d’un blâme contre la doctrine qu’on leur reprochait le plus. Ce n’est pas lui, ce sont les Parlements de France, qui font entrer dans leurs considérants l’immoralité du probabilisme. (Comparer à ce point de vue le Bref Dominus ac Redemptor, 21 juin 1773, §§ 30, 33 ; Bull.rom. continuatio, t. IV, p. 613 ; avec les Extraits des Assertions, 1763, éd. in-4° pp. 9 ss., et V Arrêt du Parlement de Paris du 6 août 1763.)

Enfin, après ce que nous avons dit plus haut

(col. 337), il est clair que l’autorité reconnue à saint

1 Alphonsb db Liguori par les papes du XIX' siècle 335

PROBABILISME

336

ne favorise en aucune façon les adversaires du probabilisme. D’autant que les documents qui consacrent cette autorité, — Décrets de la Congr. des Rites du 18 mai 1803 (inihil censura dignum ») et du 9 mai 1807 (béatification), Réponses de la S. Pénitencerie du 5 juillet 1 83 1 (à l’abbé Gousset) et du 19 décembre 1855, Bulle de canonisation du 26 mai 1839, Décret des Rites du a3 mars et Bref du 7 juillet 1871 (pour le titre de Docteur), — ces documents, disons-nous, n’entendent montrer aucunepréférence de système : < Nullam opinionem damnare aut unam alteri præferre, sed solum factum designare ab omnibus admissum, quod videlicet S. Alpbonsus suosystematecuraverit sive laxiores, siverigidiores evitare sententias. » Telle est l’interprétation autorisée de la Congrégation des Rites elle-même, dans une réponse du ai juillet 1871 (Cf. St. Mondino, Studio storico-critico sul sistema morale di S. Alfonso de Lig., 191 1, p. 14q) Conclusion. — Ainsi, durant la période d’un peu plus de cent ans qui sépare la crise janséniste de la carrière littéraire de saint Alphonse de Liguori, alors que les théologiens, unis jusque-là pour enseigner le probabilisme, discutent àprement à son sujet, on ne trouve qu’un pape qui montre des répugnances personnelles à l’égard de cette doctrine, et celui-là même, quand l’occasion s’en offre, évite d’imposer on sentiment par un acte officiel. Peut-on croire qu’il en fût de la sorte, s’il s’agissait d’un système de morale en opposition avec l’esprit de l’Eglise ?

VI. — L’état actuel de la question

i° Les écoles en présence. — A. — En publiant, en 183a, sa Justification de laThéologie morale du B. Alphonse de Liguori, l’abbé Gousset, plus tard cardinal (1792-1885), avait fortement ébranlé le probabiliorisme du xvme siècle. Depuis qu’ont disparu les derniers vestiges du jansénisme, ce système n’a plus guère qu’un intérêt historique. Incapable, en vertu de son principe même, de se distinguer nettement du tutiorisme (Bouquillon, Theol. mor. fund., éd. 1903, pp. 546-550), sa position est devenue en effet singulièrement difficile.

L’Ecole thomiste y a généralement renoncé. Voir pourtant T. Pbgubs, Comment, de la Somme de S. Th., t. VI, pp. 57^-584 ; E. Janvier, La liberté, carême 1904, p. 297 ; A. Gardeil, dans Vacant, Dict. de théol. cath., IV, 2250 ; H. Noblb, dans Rev. des se. pli. et th., 1922, p. 436. Au surplus, dans la difficulté de s’assimiler aujourd’hui certaines formules de saint Thomas, les moralistes de cette école manifestent quelque hésitation : les uns, empruntant au Docteur angélique le principe victorieusement défendu par saint Alphonse contre Patuzzi, se rangent dans le camp équiprobabiliste (R. Bbaudoin, De conscientia, 1911, p. io4 ; A. Sbrtillanobs, La Philos, mor. de S. Th., 1916, p. 554) ; d’autres, abandonnant moins volontiers le tutiorisme médiéval, cherchent une transaction dans la théorie de Laloux, dont nous allons parler ; enfin, dans 60n livre récent, Le probabilisme moral et lu philosophie, 1922, p. 269, le R. P. T. Richard se sépare de tous les systèmes modernes, propose l’opinion comme « principe d’action immédiat », et revient ainsi au probabiliorisme direct de Gerson. Malgré ces divergences, la plupart se retrouvent unis dans une opposition de fond au probabilisme. Voir en particulier : P. Mandonnkt, liev. Thom., 1902, pp. 3 1 5. 503 : E. Hug-ubny, Rev. du Clergé fr., 1908, t. LUI,

:  ; A. Mortibr, Hist. des Maîtres gén. des

FF. I>1’., t. VII, ly14, 176.

B. — La théorie moyenne proposée par Laloux, S. S., 7 1853 (De act. hum., 186a, pp. 4a-148), Maniiîr, S. S., -j-1871 (Compendium philosophiae, éd. 1877, t. III, app. 1), Potton, O. P. (De theoria probabUitatis, i&-jli ; iouv. Rev. théol., 1875, p. 37a), et connue sous le nom de coinpensationisme, a généralement trouvé peu de faveur. On lui reproche de n’être qu’un tutiorisme mitigé. Cf. Montrouzibr, Rev. des se. eccl., 1870, t. XXI, p. aao ; X., ibid., 187a, t. XXV, p. 383 ; Bouquillon, Theol. mor. fund., éd. 1903, pp. 548, 574 ; V. Oblbt, dans Vacant, Dict. de théol. cath., III, 604- Dans ces dernières années, il n’y a guère eu à la soutenir ou à la juger plausible, que les dominicains M. -A. Boisdron (Théories et systèmes des probabilités), L. Lbhu (Philos, mor. et soc, 191 4 » p. 387), Prummbr (Man. theol. mor., t. I, n. 351), celui-ci d’ailleurs avec des réserves (Comparer son Vade-mecum theol. mor., 1931, nn. 15a-156).

Aussi est-ccentrel’équiprobabilisme et le probabilisme que se partagent la presque totalité des moralistes contemporains.

C. — Au premier se rallient, à la suite des auteurs Rédemptoristes, les théologiens soucieux de rester littéralement fidèles aux dernières formules de saint Alphonse. Mais ici encore les nuances sont assez diverses. Si, avec Marc, Konings, Abrtnys, on interprète le Systema morale en fonction de la Dissertation de 1763 jugée définitive, on est bien près de donner la main aux probabilistes (Cf. J. Abrtnys, j* 191 5, Theol. mor., éd. io a, 1919, t. I, n. 1 a5).Si au contraire on prend à la lettre les déclarations probabilioristes d’après 1767 et les formules rigides du Monitum de 1772, quitte à rejeter comme « œuvres de jeunesse » toutes les dissertations antérieures à cette date, on se voit fatalement entraîné sur le terrain même du tutiorisme. Ce glissement est très sensible dans les publications des PP. J.-L. Jansbn (spécialement Revue Thomiste, 1898, 1899, igo3)et L. Woutbrs (De minusprobabilismo). Voir G. Arbndt, X. Lb Bachblbt, A. Lbhmkuhl aux indications de notre Bibliographie.

D. — Pareil flottement ne se peut constater dans le groupe des probabilistes. Eux aussi, certes, se réclament de saint Alphonse, car c’est dans les écrits certainement probabilistes de sa pleine maturité qu’ils voient la pensée profonde et persistante du vénéré Docteur. Eux aussi se rattachent, par un côté du moins, à saint Thomas ; ils retrouvent, en effet, dans le De veritate leur argument de fond. Mais, au vrai, leur système doit bien plutôt sa cohésion au fait qu’il se relie, par une tradition théologique continue et homogène, au développement normal de la pensée chrétienne, qui, en dépit des tutiorismes théoriques, a toujours cru pratiquement à la nullité de l’obligation douteuse. De là vient que ce système, après le triomphe momentané du rigorisme, a vite retrouvé la faveur des théologiens. Actuellement, à en juger par la production littéraire, il est bien de nouveau le plus répandu, et l’autorité de noms tels que Gury, Ballrrini, Bouquillon, BuccKnoNi, Gknicot, Lbhmkuhl, Noldin, Fkrrbrbs, Tanqubrby, constitue pour lui, on doit le reconnaître, une garantie de parfait accord avec l’enseignement vivant de l’Eglise.

2° La position du probabilisme dans l’Eglise.

— Pas plus aujourd’hui qu’hier on n’est donc fondé à présenter le probabilisme comme « une opinion tolérée » que l’Eglise « cherche à faire disparaître » (P. Mandonnbt, Rev. thom., 1900, p. 746 ; 1902, p. 19 ; cf. R. Beaudouin, De conscientia, p. 119). Alors même que ces expressions n’impliqueraient pas une 337

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conception peu exacte du magistère ecclésiastique, elles seraient inapplicables au cas du probabilisuie.

A. — L’Eglise en effet tolère quelquefois par prudence des pratiques fâcheuses qu’elle cherche par ailleurs à faire disparaître ; mais elle ne peut tolérer l’enseignement d’opinions erronées, tonchant au vif la foi ou la morale, et elle n’a pas à tolérer à moins qu’on ne joue sur le mot, des opinions controversées, dont aucune discussion n’a juridiquement démontré l’erreur ou le danger. Dès qu’elle a reconnu la nocivité des premières, elle use, pour les faire disparaître, des actes extérieurs de son magistère, seul remède pour elle à nos erreurs, seul critère pour nous de sa pensée. C’est ainsi qu’elle a condamné jadis tutiorisme et laxisme. Vis-à-vis des secondes, assez sage pour se réserver, elle n’intervient que pour modérer l’ardeur des disputes et imposer silence aux censures des théologiens trop pressés (Cf. D.B., 1216). Tel est précisément le cas des de jx systèmes restés en présence, probabilisme et équiprobabilisme : aucun d’eux ne peut se flatter d’avoir les préférences de l’autorité ecclésiastique ; d’aucun on n’a le droit dédire que l’Eglise veuille le faire disparaître’,

B. — Mais, outre cette première indication négative, un renseignement positif sur la situation du probabilisme dans l’Eglise peut se tirer de l’attitude des théologiens, de ceux d’hier et de ceux d’aujourd’hui. Le rappeler en quelques mots sera résumer utilement tout notre exposé.

Si l’on remonte au delà des controverses agitées autour de cette doctrine, on constate que, de Médina à Pascal, 1577-1606, durant les trois quarts de siècle les plus brillants peut-être de l’histoire théologique, la thèse probabiliste est enseignée à peu près universellement, el cela malgré les profondes divergences qui tendent à opposer sur tous les terrains les écoles rivales. Bafiez, ici, fait chorus avec Molina.

Quplques-uns objectent que cet accord s’est fait ur une « invention » de Médina, qu’il marque donc une rupture avec le passé et « est issu d’un état d’esprit humaniste » (P. Mandonnet, dans Vacant, Dict. de théol. cath., VI, 910). — En regard d’une telle affirmation, il suffit de rappeler les longs tâtonnements des spéculations du moyen âge relativement au doute moral : l’évolution laborieuse du tutiorisme au probabiliorisme direct, les critiques soulevées par cette dernière doctrine, le progrès dans la précision des idées rendant possible une théorie nouvelle, le rôle des Dominicains de Salamanque dans cette élaboration, enfin l’apparition du probabilisme dans le pays le moins touché par la Renaissance, en plein foyer de restauration thomiste.

En revanche, c’e3t bien comme une déviation, et, de près ou de loin, comme un résultat incontestable du jansénisme, que se présente historiquement le probabiliorisme. L’échec final de ce système, incapable de survivre à la crise dont il était issu, démontre qu’il n’a pu avoir dans la théologie catholique qu’un développement parasitaire.

Quant à l’équiprobabilisme, né en Allemagne au xvin’siècle d’un essai de transaction entre le probabiliorisme et le probabilisme, séparé uniquement de ce dernier par une notion équivoque de la certitude morale, impuissant par suite à réfuter le probabiliorisme par d’autres raisons que les raisons probaiiilistes, et à exclure le probabilisme par d’autres arguments que les arguments probabilioristes, il n’a

1. Il est remarquable, pour le dire en passant, que les textes du nouveau Coder jurh canonici relatifs à des cas de doute s’adaptent parfaitement à la conception probabilité, sans la canoniser d’ailleurs pour autant. Voir les canons 15, 84 2, 2"’J, MU ï, 2245 g 4.

pu réunir durant longtemps qu’un petit nombre de suffrages. Des raisons d’ordre historique ont pu lui valoir en apparence l’adhésion de saint Alphonse, précieux appoint, qui a contribué à lui rallier d’assez nombreux moderne* ; mais de quelle consistance jouit cette probabilité extrinsèque, nous croyons l’avoir assez dit (col. 3ao sb).

Il n’est donc pas surprenant que les théologiens d’aujourd’hui reviennent de plus en plus au système moral qui était au xvn’siècle le système commun. Les controverses passées ont elles-mêmes préparé ce retour en amenant le probabilisme, au terme de sa longue évolution, à se formuler en une thèse parfaitement rationnelle.

3° Le terme présent de l’évolution du système. — On l’a vu plus haut (col. 306), le problème du doute de conscience avait, dès l’origine, été mal posé. « Est-il permis, s’était-on demandé, de suivre une opinion tenue par quelques docteurs ? — Peut-on se conformer à une opinion probable ? » Ce disant, faute de préciser l’ordre d’activité qu’on avait en vue, on englobait indistinctement dans une formule générale des espèces fort différentes malgré leur parité. Etait-ce seulement dans l’observation du devoir moral, que l’on pouvait suivre toute opinion probable ? Ou bien aussi dans l’assentiment de foi, dans l’exercice de la justice, dans l’administration des sacrements ? La plupart avaient mêlé ces choses, et e’avait été le tort de Médina d’appliquer un traitement unique à des cas aussi divers. « In omnibus negotiis, etiam magni momenti, et in maximam injuriam tertii, licitum est sequi opiniones probabiles ; er#o et in materiis sacramentorum » (Exposit. in S. Th., III, q. 19, a. 6, q. 5, concl. 3).

Un grand pas avait été fait, quand Suarez — « ) avait nettement posé la thèse sur le terrain de l’obligation de conscience : « Quotiescumque est opinio probabilis hanc actionem non esse prohibitam vel præceptam, potest aliquis formare conscientiam certam vel practicam conformem tali opinioni » (De bon. et mal. hum. act., D. xii, s. 6, nn. 8-10) ; — £) en avait apporté la raison profonde : e Lex non obligat nisi sit sufficienter promulgata ; quamdiu autem rationabiliter dubitatur an lata sit, non est sufficienter promulgata. .. In dubiis melior est conditio possidentis ; homo autem continet libertatem suam » (ibid., s. 5, n - 7) ; —’/) et en avait résolu une fois pour toutes la difficulté principale, affirmant, d’une part, la nécessité de la certitude de conscience, montrant, de l’autre, mieux encore que Cajetan, la compatibilité d’une certitude pratique réflexe avec un doute spéculatif ou direct (Ibid., s. 3, nn. a. 8).

Mais tandis que les meilleurs théologiens présentaient désormais la théorie de cette manière vraiment satisfaisante, beaucoup de casuistes continuaient à invoquer de préférence l’axiome équivoque : ’Qui probabiliter agit, prudenter agit. De là, l’apparence de raison des attaques jansénistes, et les controverses sans fin sur la prudence et la probabilité, et ce nom de probabilisme, habile trouvaille d’Arnauld, source de confusion pour le public non averti.

Ce fut le mérite de saint Alphonse d’abandonner cette formule trop vague pour faire porter tout son effort sur la démonstration du principefondamental : Lexincerta non obligat. Ainsi, il ne préparait pas seulement aux probabilistes futurs leur meilleur argument.il attirait d’avance leur attention sur le véritable problème auquel répond leur théorie : le problème de la valeur d’obligation d’un devoir incertain.

Grâce à l’autorité du saint Docteur, ce point de 339

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vue a pris de nos jours une importunée de mieux en mieux comprise. Il s’accuse fortement par exemple chez un Lbbmkchl (-j- 1918), qui rejette l’étude du probabilisme au traité de la loi et l’intitule : De necessaria legis certitudine (Tkeol. mor. f tr. II, s. a, c. a). Outre le gain de précision obtenu de la sorte, si l’accord doit jamais se faire entre les moralistes catholiques, ce ne sera que sur ce terrain, hors du verbalisme des discussions concernant la probabilité relative. « Luculentior profecto appareret consensus, écrivait Bouquillon (}- 1902), si, loco quæstionis : an licitum sitsequi opinionemprobabilem in concursu aeque probabilis vel probabihoris, i>roponeretur quæstio : an observanda sit obligatio quae, omnibus sincère consideratis, non apparetcerta certitudine morali late dicta. Hæc altéra quæstionis formula multo aptior videtur, quia rem de qua agitur sub oculis ponit, nullumque relinquit locum aequivocationibus

  • (Tkeol. mor. fund., éd. 1903, p. 591). On

retrouvera la même manière de voir dans A. Vbrmbbrscr, Theologiæ moralis principia, responta, consilia, 1922, t. I, n. 360.

Bibliographie. — a) Travaux généraux : Concina, O.P., Délia storia del probabilismo, 1743, a vol. ; T. Bouquillon, Theologia moralis fundamentalis, 3 a éd., 1903, pp. 575-61a.

b) Sur les origines du probabilisme (avant Médina), il n’existe pas d’étude critique. On en trouvera les éléments, mais à contrôler de près, chez les controversistes postérieurs.

c) Sur la période postérieure à Médina : F. Ter Haar, C. SS. R., De systemate morali antiquorum probabilistarum, 1894 ; A. Schmitt, S. J., Zur Geschichte des Probabilismus, 1904 (excellent).

d) Sur les controverses des xvne et xvni* siècles : A. de Meyer, Les premières controverses jansénistes, 1917 ; Dôllinger et Reusch, Geschichte der Moralstreitigkciten, 3 vol., 1889 (ouvrage indispensable, mais tendancieux) ; Reusch, Der Index, 3 vol., 1 883-1 885 (même observation) ; A. Degert, dans Bulletin de littér. eccl. de Toulouse, 1913, pp. 40°, 44 a > Al. Brou, dans ce Dictionnaire, II, 1282.

e) Sur l’affaire Gonzalez : Dôllinger (l. c) ; P. Mandonnet, O. P., dans Revue thomiste, 1901190s (7 articles passionnés) ; J. Brucker, S. J., dans Etudes religieuses, 1901, t. LXXXV1, p. 778 ; 1902, t. XCI, p. 83 1 ; G. Arendt, S. J., De conciliationis tentamine… diatriba, 1902, pp. 69 ss. ; F. Ter Haar, C.SS.R., Venerabilis Innocenta XI… decreti historia et vindiciae, 1934 ; A. Lehmkuhl, S. J., Probabilismus vindicatus, 1906 ; A. Astrain, S.J., Historia de la Compania de Jésus en la Asistencia de Espana, t. VI, 1930, pp. 119-373 (renouvelle la question).

f) Sur saint Alphonse de Liguori : Vindiciae Alphonsianae… cura… theologorume C.SS.R., 3 vol., Rome, 1873, Bruxelles, Î874 ; Huppert, dans Zeitschrift fur kath. Théologie, 1895, pp. 467 ss. ; Noldin, S.J., /& « <*., 1896, p. 73, 670 ; G. Arendt, S. J., Apologeticae… dissertalionis a R.P. J. db Caigny C.SS.R. exaratæ Crisis, 1897 ; X. Le Bachelet, S.J., La question Liguorienne, 1898 (abondante bibliographie) ; J.-L. Jansen, C.SS.R., dans Jahrbuch fixr Phil. und spek. Théologie, 1896, p. 483 ; Revue thomiste, 1898, 1899, igo3 ; A. Lehmkuhl, S.J., l.c. ; St. Mondino, Studio-critico storico sul sistema morale di St. Alf.de Liguori, 191 1.

g) Du point de vue protestant : Chr. Luthardt, Geschichte der christl. Ethik, 18g3 ; C. Lea, tlistory of auricular confession, 1896, II, 385-4" ; A.Harnack, Lehrbuch der christl. Dogmengeschichte, ^* ed, 1910,

III, 748-756 ; Zockler, dans Herzog, Realencylopadie , t. XVI, 1905, p. 66.

Jacques dk Blic.