Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Relique

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 461-471).

RELIQUES. — Le mot relique appartient à la plus ancienne langue latine ; il sert à désigner toute sorte de restes. Débris d’un naufrage, Plautb, Rud us, I, iii, 17 :

Isnavem atque omnia perdidit in mari ; Hæc bonorum cius surit reliquiae.

Reliefs d’un repas, Ciciaoïf, 4c/ Fam., XII, îv : Vellem idibus martiis me ad cænam invitasses : relimuiarum nihil fuisset. — Certains exemples mettent 6ur la voie de l’acception proprement chrétienne. Description de funérailles, chez Virgile, Aen., VI, 336-7 :

Poslquam collapsi cintres et /lamina quievit, Reliquias vino et Libulam lavere favillam.

Le grec disait : /sifoax (mot étranger aux Septante). — Platon, Phédon, 80 C : Ta Utyauix « 0 -.

Dans la langue chrétienne, le mot Reliques désigne les restes mortels des saints, et par extension des objets consacrés par le contact plus ou moins immédiat de leurs corps. L’Eglise a toujours honoré les reliques des saints ; mais le sentiment qui l’inspire a été souvent méconnu et travesti. Pour le justifier, il suffira d’exposer les faits.


I — Origines du culte des reliques.
II — Développement du culte.
III — Développement delà doctrine.
IV — Les ennemis des reliques.
V — Législation canonique moderne.
VI. — Conclusion.

I Origine du culte des reliques.

Les héros du christianisme n’ont point d'égaux dans l’histoire, soit pour l'élévation de l’idéal poursuivi, soit pour la générosité des efforts dépensés, soit pour la simple grandeur d’une vertu qui souvent s’ignore, et qui toujours trouve dans le don de soi-même à Dieu sa joie et sa récompense. Entre tous, les martyrs, par l’héroïsme de leur sacrifice, conquirent dans la pensée des premières généralions chrétiennes une place éminente. Devant le spectacle de ces immolations, consommées avec tant de simplicité, la nature lie impression des foules dut être faite de stupeur et d’angoisse : l’exaltation sainte d’un Etienne contemplant le ciel ouvert sur la tête et le Christ qui l’attend, ou d’un Ignace d’Antioche aspirant à être moulu par la dent des fauves pour devenir le pur pain duChrist, n'étaitpas immédiatement contagieuse. Mais déjà la lettre de l’Evangile béatifiait les victimes, et le voyant de Patmos avait salué dans le ciel leur troupe glorifiée (Ap., vii, 1 4)- L'âme des fidèles ne pouvait tarder à se ressaisir, devant cette leçon que les persécuteurs remettaient fréquemment sous leurs yeux, et ce fut souvent avec des trans ; orts de joie que des troupes de martyrs descendaient dans la prison ou dans l’arène. La mort pour le Christ était devenue la suprême ambition des élites ferventes. C’est que les témoins du Christ avaient conscience de ne pas souffrir seuls. La forte parole de Tbrtullibn, De Pudicitia, xxn : Chris tut in martyre est, traduit la conviction ardente qui soutenait ces héros et les désignait à la vénération de leurs frères. — Voir l’article Martyre.

Cette considération du Christ présent dans le martyr met en lumière la suprême originalité du culte chrétien des reliques. Le dogme de la communion des saints, qui montre dans tous les fidèles les membres d’un même corps mystique, marque la transcendance du point de vue chrétien, mais ne supprime pas le fonds commun à toute nature humaine. Platon, après Hésiode, voit dans les héros morts pour la patrie des génies tutélaires et toujours dignes d’hommage. Res public., V, xv, p. /|Gy. Ce fonds a une valeur universelle, et Eusèbb a le droit de s’appuyer sur Platon, Præp. £V., XI1I, xi, P. G., XXI, 1096. A l’exception de l’Inde brahmanique, tous les peuples, même les plus sauvages, se rencontrent dans le culte des reliques. Voir VEncyclo* pædia of Religion and Ethics (Hastings), vol. X, p. 650 A-G(J2 B (1918). Notamment p. 650 A : « The supernaturul virtues of relies, originating in such belicfs as hive been referred to, may be traced through a séries of examples in ail religions and in ail degrees of civilization, beginning vith the lowest savages ».

C’est donc un sentiment profondément humain qui inspira, de bonne heure, le culte rendu aux restes des corps sacrés par la vertu et par la mort endurée pour Dieu. Les origines de cette histoire ont été retracées naguère, avec une science à qui rien n'échappe, par le R. P. Delehaye, Bollandiste, Les Origine » du Culte des martyrs, Bruxelles, 1912. Nous ne saurions choisir un meilleur guide.

Une question préalable se pose, qu’on ne peut ici ni écarter simplement ni résoudre a priori : le culte des martyrs s’est-il constitué en dehors de toute influence des croyances et des mœurs païennes ? Avant tout, il faut faire deux parts dans les hommages que l’antiquité rendait à ses morts. A certains morts illustres, plus ou moins entrés dans la légende et mis par la poésie ou par l’adulation populaire dans un rang voisin des dieux de l’Olympe, allait un culte national, tout-à-fait païen, auquel la piété chrétienne ne pouvait demander aucune sorte d’inspiration. Aux ancêtres de la famille allait un culte domestique, beaucoup plus discret, sorte de prolongement des relations familiales, fait de pieux souvenirs et de rites souvent respectables. Si le devoir de la sépulture est partout tenu pour sacré ; si l’on continue de fêter le mort en son anniversaire de naissance (appelé dès lors genesia), si des lois rigoureuses protègent le tombeau contre toute profanation, la vraie religion n’en saurait prendre ombrage ; il suffira de purifier le rituel funéraire de certains 911

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éléments superstitieux, pour le lui rendre acceptable. Aussi les premiers chrétiens n’eurent-ils pas à créer de toutes pièces le code de leurs sépultures. Ils marquèrent assez la nouveauté des pensées qui les inspiraient, en substituant au rite vulgaire de la crémation celui de l’inhumation, et en isolant leurs tombes des tombes païennes. Ils s’accoutumèrent d’ailleurs à commémorer, non plus l’anniversaire de la naissance, mais celui de la mort, qui est une naissance au ciel. Les auteurs de ce changement avaient-ils tous conscience d’obéir à une raison mystique ? On peut en douter. Néanmoins la langue de 1 Eglise, dès le milieu du u c siècle, eonsacre le mot de naissance pour désigner le triomphe des martyrs. Les Actes de saint Polycarpe de Smyrne célèbrent déjà

tt ; ï T5Û UMprvpieu v.ùroii y, fiipa : j -/ïji&’/io-j.

Il y a lieu de croire que les premiers martyrs ne reçurent d’abord d’autre honneur que celui de la sépulture commune. Mais leur mort glorieuse les désignait aux regards de l’Eglise, et tout le monde prenait part au triomphe. Avec leurs proches, toute la fraternité chrétienne avait voulu les accompagner à leur dernière demeure ; après avoir été le but d’un cortège nombreux, le tombeau vénéré devenait, surtout aux jours d’anniversaire, un but de pèlerinage. On voit déjà les fidèles de Smyrne disputer aux haines juives et païennes les cendres de saint Polycarpe et leur donner une sépulture honorable. Ces démonstrations ne pouvaient échapper aux regards des persécuteurs, qui parfois surent les prévenir et frustrer l’espérance des lidèles. Mais souvent aussi le corps des suppliciés fut rendu à leurs proches, et l’on voyait se dérouler, en pleine persécution, des obsèques triomphales. Telles furent, sous Valérien, à Carthage, celles de saint Cyprien, décapité à la vue de son peuple ; et bien d’autres, où le deuil ht place à l’enthousiasme. Après la paix donnée à l’Eglise, au îv- siècle, le culte des martyrs s’épanouit magnifiquement. Aux anciennes réunions, plus ou moins clandestines, succédèrent des pompes religieuses où les foules accouraient de loin. Les grands évêques y prenaient la parole ; nous avons despanégyriques de saint Basile, de saint Jean Chrysostome et d’autres, à la gloire des martyrs d’Orient ; de saint Augustin à la gloire des martyrs d’Afrique. La poésie était de ces fêtes : saint Paulin de Noie nous montre des pèlerins innombrables prosternés devant le tombeau de saint Félix, et sa petite ville épiscopale devenant, pourun jour, l’émule de Rome. Bientôt il fallut agrandir les sanctuaires : aux cryptes et aux hypogées succédaient les npose-jxTrjpty. à ciel ouvert. Par tout le monde romain, des basiliques sortaient de terre, à côté de Pédicule où l’on avait enfermé le corps d’un martyr.

Le culte local ne devait pa r tarder à rayonner au dehors. Toute Eglise marquée par la persécution, gardait, comme un titre de noblesse, la liste de ses triomphateurs, avec celle de leurs anniveisaires. Une heure viendra où les martyrologes locaux fusionneront, et où l’unité catholique s’affirmera par l’unanimité des hommages rendus à certaines grandes mémoires.

A cet égard, une différence capitale sépare l’Occident de l’Orient. Tandis que l’Occident, pénétré de respect pour l’inviolabilité des tombeaux, veille sur l’intégrité des corps saints, l’Orient s’accoutume beaucoup plus vite à ouvrir les sarcophages et à distribuer des reliques.

A la base de cette diversité d’usage, on trouve une ancienne diversitéde législation. La loi romaine protégeait les sépultures : les martyrs devaient bénéficier de cette disposition jusque vers le début de vu" siècle. L’an 5rj/|, l’impératrice Constantine, épouse

de Maurice, avait écrit au pape saint Grégoire pour solliciter l’envoi de reliques destinées à la chapelle impériale ; et elle précisait : avant tout, quelque relique insigne de l’apôtre saint Paul : capul… saneti Pauli a ut aliud quid de corpore ipsius. Le pape refusa : la coutume ne permettait pas de porter la main sur le corps vénérable ; d’ailleurs certains exemplesrécents et terriblesétaienl faits pour décourager les profanateurs. L’impératrice dut se contenter de quelques parcellesde limaille prélevées sur les chaînes de l’Apôtre. Begistrum Epistolarum Gregoriil Papae, IV, xxx, M. G. //., t. I, p. 2 65-6. En 5 1 9, le pape Hormisdas n’avait pas mieuxaccueilli une requête de Justinien. Hormisdæ lip. s lxvi, ap. Thiel, r.pistulue Pontificum Iîomanorum, p. 8t3-5. Dès lors se répandait l’usage de ces reliques représentatives appelées à Rome sanctuaria, brandea, palliola : objets divers, notamment fleurs ou étoffes, déposés sur le tombeau des martyrs pour s’imprégner de la vertu qui s’en exhalait. Avec le temps, Rome devait se relâcher de cette rigueur ; et l’afflux des « saints cataconibaires », au moyen-àge, engendra plus d’une confusion regrettable.

Cependant les Grecs n’y regardaient pas de si près. Les législations municipales d’Asie rendirent bientôt possibles les translations, puis les divisions decorpssaints. La première en date des translations connuesest celledesaintBabylas, évêque d’Antioche déposé dans l’église neuve de Daphné par le césar Olallus (351-4) ; voir saint Grégoire ds Nazianzb, C. Iuiiunum, I, xxv, P. G., XXXV, 55a ; Sozo.mi : nb H E., V, xix, P. G., LXVIl, 1275. Diverses translations se firent, les années suivantes, au bénéfice de Constanlinople. Dans l’église des Apôlies, Constantin avait érigé des cénotaphes ; Constance voulut posséder de vrais tombeaux. Dès 356 on vit arriver les reliques de saint Tiniothée ; en 357, celles de saint André et de saint Luc ; beaucoup d’autres suivirent. Antioche revendiqua, en divers temps, les corps de ses grands évêques ; s’il faut en croire saint Jérôme, De vir. ili., xvi, on y vénérait, de son temps, le corps de saint Ignace, martyrisé à Rome sous Trajan. Saint Babylas, l’évêque martyr du m’siècle, fut plus d’une fois troublé dans son repos : de Daphné, où nous l’avons vu transféré sous Gallus, il fut éloigné par ordre de Julien, en 36a, au bénéfice d’Apollon : toute la population chrétienne d’Antioche lui fit cortège. Antioche récupéra ces restes précieux en 38 1, du temps de l’évêque Mélèce. Mélèce, mort à Constantinople, fit reiour à son Eglise et reposa près de saint Babylas ; il fut rejoint ; vers 482, par l’évêque Eustathe, autre confesseur de la foi, mort en exil à Trajanopolis. Dklkhayb, op. cit., p. 69-1.).">.

Un peu partout, en pays grec et syriaque, les corps sont dans un état d’instabilité qui contraste avec l’immobilité hiératique des tombes latines. La chronique d’Edesse signale, en date du 22 août 3^4* l’arrivée du sarcophage de saint Thomas apôtre, dans la grande basilique. Quand Nisibe tomba au pouvoir des Perses, les fidèles emportèrent dans leur exode le corps de saint Jacques, défenseur de la cité. Au commencement de son épiscopat, saint Cyrille d’Alexandrie déposait dans l’église des évfingélistes, à Menuthi, près Canope, les restes de saints Cyr et Jean.

Une fois le principe des translations accepté, on devait en venir au partage et à l’émiettement des restes sacrés, objet d’ardentes compétitions. Des sentiments divers entrent ici en jeu : empressemeiit à res-aNh, dans un gage matériel, la persenae disparue ; piété envers le martyr ; confiance dans la vertu du thaumaturge. Quand Saturus, en 913

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l’an ao3, tombant dans l’amphithéâtre de Carthage, trempait ua anneau dans son sang et le donnait au soldat Puleus, c’était un souvenir qu’il entendait lui laisser. Mais les iMèles de Cartilage, se partageant les linges imprégnés des sueurs ou du sang de leur évêque Cypriec, obéissaient à une pensée religieuse. Les annales du Donatisme nous montrent la trop fameuse LiK’illa en possession d’un os de martyr, qu’elle baisait avant la communion. Les dévotions indiscrètes ne manquaient pas, et de saints personnages se préoccupaient de les prévenir. Nous voyons que les quarante martyrs île Sébaste demandèrent à reposer ensemble et supplièrent les fidèles de ne rien distraire de leurs ossements. Mais l’acharnement des* persécuteurs rendit cette précaution inutile. Après que les corps eurent été livrés aux flammes et les cendres jetées dans le fleuve, on se disputa de rares débris, et ainsi nombre d’Eglises se trouvèrent pourvues. Ailleurs, le partage se lit plus simplement, comme dans le casde saintPhocas, le martyr de Sinope, dont Constantinople et Rome reçurent leur part. Les envois de reliques donnaient lieu à des manifestations enthousiastes, et les Eglises qui en étaient favorisées aimaient à se dire, avec saint Grégoire de Nazianzr, que quelques gouttes de sang d’un martyr renferment la môme vertu que son corps entier. C. lulianum, I, lxix, P. G. : XXXV, 58g. Comparer saint Paulin db Nolb, Carm., xxvii, 447, P. f-., LXI, 658 :

Magna et in exiguo sanctorum pulvere virtus.

Si l’Occident s’interdit, durant plusieurs siècles, les transferts de corps saints parvenus à leur dernière demeure, une période plus ou moins longue pouvait séparer la mort de la depositio définitive, et parfois des corps revenaient de loin. La législation romaine s’y prêtait, et des autorisations furent obtenues môme pour des proscrits : au m" siècle, le pape Pontien et le prêtre Hippolyte, morts exilés en Sardaigne, furent inhumés à Rome ; de même, le pape Corneille, mort en exil à Centumcellae. Au ive siècle, Milan recevait de Cappadoce les restes mortels de sou évêque Denys. Au reste, les Eglises les plus opposées au partage de leurs propres reliques, nelaissaient pas d’accueillir volontiers celles qui leur venaient d’Orient : Brescia, sous l’épiscopat de saint Gaudence, reçut de nombreux dons, qui valurent à sa basilique le nom de concilium sanctorum ; Noie, sous l’épiscopat de saint Paulin, s’enrichit pareillement.

Au ive siècle, de nombreuses inventions de corps saints donnèrent une impulsion nouvelle à la vénération des reliques. Tant que durèrent les persécutions, le fait éclatant du martyre, proclamé par la voix populaire, suffit à légitimer un culte, et nombre de saints en furent honorés dès la date lointaine de leur depositio. A Rome, la liste dite depositio marlyrum, contemporaine (lu pape Libère (voir le Chronographe de l’année 354), atteste des cultes établis de longue date. On sait que plusieurs corp3, tombés en oubli durant les dernières persécutions, furent recherchés et remis en honneur par les soins du pape Damasb. Tel le corps de saint Eutychius, Damn-ii Epigrammata, éd. Ihm.xxvii :

Ostendit lalebra insontis quæ membra leneret : Ou leritur, invent us colitur, (ovet, omnia præstat.

Tels encore ceux des saints Protus et Jacinthus, ibid., xlix :

1 i tremo tumulus latuit sub aggere montis. Hune Damasus monstrat, serval quod membra piorum.

Ailleurs, certains cultes surgissent inopinément, à la suite de découvertes où les narrations contemporaines l’ont intervenir des révélations célestes. Un exemple célèbre entre tous est l’invention, faite à Milan par saint Ambroisk en 386, des saints Gervais et Prolais. Guidé, comme il dit lui-même, par un pressentiment mystérieux ; au dire des contemporains saint Augustin, le diacre Paulin, saint Gaudence de Brescia, saint Paulin de Noie, par un avertissement positif du ciel, l’évêque de Milan mit au jour, non loin de l’enclos consacré aux saints Xabor et Félix, deux corps sanglants. Il prit sur lui de les transférer dans la basilique ambrosienne. Sur la route, la guérison d’un paralytique authentiqua les restes précieux. Cependant Ambroise n’était qu’à son coup d’essai. A quelque temps de là, il découvrit pareillement les corps des saints Nazaire et Celse. Quand on le voyait aller faire prière en un lieu inaccoutumé, on disait communément qu’il avait eu révélation d’un corps de martyr. Vie, par S. Paulin, xxxii, xxxiii, P. L., XIV, 38.

Cependant l’Eglise de Milan n’avait pas le monopole des inventions de reliques. A Bologne, en 3q3, eut lieu celle des saints Vital et Agricola : Ambroise y fut convié. En 30, o, invention des martyrs d’Agaune ; sur divers points de la Gaule et de l’Italie, autres inventions signalées par saintGrégoire de Tours : martyrs de Lyon, saint Bénigne de Dijon, saint Eutrope de Saintes, saint Amarand près d’Albi, saint Genesius près de Tigernense Castrum, saint Ferréol au diocèse de Vienne, saint Vital au diocèse de Spolète, saint Victor au diocèse d’Otricoli. L’Orient surtout abonde en inventions merveilleuses : à Jérusalem, en /|15, invention des reliques de saint Etienne ; à Sébaste, invention des reliques de saint Jean-Baptiste ; après la violation du tombeau, en divers lieux, multiples inventions du chef de saint Précurseur ; à Scepsis dans l’Hellespont, vers ^25, invention du centurion Corneille ; en Chypre, l’an 458, invention de saint Barnabe. L’Ancien Testament revendique sa part : les environs d’Eleuthéropolis rendaient successivement les corps des prophètes Abacuc et Michée, le corps du prophète Zacharie ; une grotte de Palestine se glorifie de posséder les restes de Job.

Pareille énumération n’est pas sans inspirer quelque inquiétude : aucune hagiographie ne saurait cautionner en bloc tant d’identifications, où la part de la supercherie et de la crédulité est aussi évidente qu’impossible à préciser. Les répliques d’un même corps en divers lieux ne sont pas seules à nous mettre en-garde.

Il suffisait parfois qu’une Eglise eut reçu quelques parcelles d’un corps saint, pour accréditer le bruit qu’elle le possédait tout entier. Dès l’année 401, un Concile d’Afrique jugeait opportun de légiférer contre des abus trop fréquents ; il prescrivait de faire disparaître toutes les memoriæ marlyrum qui ne pouvaient justifier d’uneorigine régulière, etréprouvait toutes les érections d’autels motivées par de prétendues révélations : quæ per somnia et per irtanes quasi revelationes quorumlibet hominum ubique constituantur allaria. Il est vrai que l’Afrique était la terre classique des aventuriers en habits de moines et du trafic de reliques fausses. Mais les inconvénientsauxquels on voulait obvieravaient dùsefaire sentir ailleurs encore. A la date du 26 février 386, un acte législatif des empereurs Gratien, Valentinien etThéodose avait prohibé les translations de corps et le commerce des reliques : Code Théodosien, IX, xvii, - : Humatum corpus nemo ad alium locum transférât ; n.’mo martyre m distrahat ; nemo mereetur . Les garanties minutieuses dont saint Basile, 915

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écrivant à saint Ambroise, accompagnait le corps de l'évêque Drnys, rendu par la Cappadoce à l’Eglise de Milan, prouvent qu’on avait conscience de ne pouvoir prendre, en pareille matière, trop de précautions. Ep., cxlvii, P.C., XXXII, 71a-3. Cf. Dklrhaye, op. cit., p, 108.

En dépit d’accidents inévitables, le culte des martyrs s’affermissait et débordait le cadre des Eglises particulières. La Depoàitio Martyrum témoigne que, dès le ive siècle. Home avait accueilli sur ses diptyques certains martyrs africains. On y lit, à la date du -j mars : Perpctuæ et Felicltatis, Africæ ; à la date du l septembre : C priant Africae. Le nom de saint Vincent, le martyr si populaire d’Espagne, avait rayonné loin de son tombeau, et saint Augustin, prêchant au jour de sa fête, pouvait s'écrier :

« Est-il une contrée dans toute l'étendue de l’empire

romain ou du nom chrétien, qui n’aime à célébrer l’Anniversaire de Vincent ? » Serm., cclxxvi, 4, P.L., XXXVIII, 1*57.

L’Eglise a du se préoccuper de séparer la cause de ses martyrs authentiques de celle des sectaires qui parfois usurpaient ce titre. Voir saint Optât, Scliism. Douât., III, viii, P. /.., XI, 1017-1019.

Dans les sépultures chrétiennes de l’Afrique latine, l’inscription Deo gratias suflit en général à discerner les tombes catholiques des tombes donatistes, où l’on retrouve le mot de ralliement « les Circoncellions : Deo laudes. Voir de Rossi, Rulletlino di archeologia cristiana, 1870, p. i~4 ; P. Monceaux, I.( pigraphie donatiste, Paris, 1909 ; toutefois, cf. Anal. Rolland., t. XXIX (1910), p. lÇ>~. Par ailleurs, il semble qu’on ait parfois exagéré la valeur de certains critères. La liole de sang a pu servir quelquefois à désigner les tombes de martyrs ; on en trouve la preuve dans une inscription recueillie à Milève et qui remonte à la persécution de Dioclétien :

TEnTIV IDVS IViMAS DKFOSITIO CRVOBIS SANCTORVM MAHl’YRVM QVI SVNT I’ASSI SVB PRESIDE FLORO IN CIVITATK MILF.VITANA IN DIKBVS TVRIFICATIONIS… Voir

de Rossi, ibid., p. 163. Mais on s’est beaucoup trop pressé de généraliser : ces ûoles funéraires ont dû contenir souvent des baumes ou divers parfums.

L’usage s'était répandu de commémorer, avec les martyrs, les anciens évêques : à la plus ancienne Depositiu martyrum, celle de l’Eglise romaine, fait pendant une Depositio episcoporum. A l’exception des noms publiquement llélris, toute la liste épiscopale, jusqu'à la fin du vi' siècle au moins, fut annexée au martyrologe. D’autres noms encore s’ajoutèrent à ceux-là : principaux saints du Nouveau Testament ; ascètes et thaumaturges. La vénération du peuple, en ces âges naïfs, n’attendait pas toujours qu’un saint fût descendu au tombeau pour en faire des reliques, et tel solitaire de Syrie dut s’armer de toute son humilité pour protester contre l'érection de chapelles en son honneur. Théodohet, Religiota Historia, iii, /G'., LXXXII, 1336.

La croyance au pouvoir miraculeux desmartyrs, accréditée par des faits nombreux, était commune dans l’Eglise. On racontait les délivrances de possédés, les guérisons de malades, accomplies sur leurs tombeaux. Saint Augustin prit une très heureuse initiative en provoquant la rédaction de libelli, où était consigné le récit des miracles obtenus : on en donnait lecture au peuple, et pour l’authentiquer on présentait la personne objet d, u miracle. Voir les faits rapportés De Civ. I>ei, XXII, viii, l'.l… XI. I, 7*iosqq ; particulièrement, n. 513, 769-771 la guérison d’un frère et d’une sœur : Paul et Paliadia, par la vertu des reliques de saint Etienne martyr, a Hippone, Pâques t^ih.

Une tendre vénération pour les martyrs portait

beaucoup de fidèles à vouloir dormir près d’eux leur dernier sommeil, et à se préparer d’avance une sépulture dans le voisinage de leurs tombeaux. Delrhayb, op. cit., p. 1Ô8 sqq. lien résultait même des compétitions fâcheuses. Le pape Damash a voulu, dans l'épitaphe de son propre tombeau, donner à cet égard une leçon de discrétion : il lui eût été doux de rejoindre la troupe des saints confesseurs ; mais il s’est fait scrupule de troubler leur repos. Carm., xxxiii, P.L., XIII, 408 (îhm, xii) :

Ilie fateor Damasus volai me a condere membra, Sed cineres timui sanctos vexare pioruin.

L'épitaphe du diacre Sabinus, à Saint Laurent hors les murs, exprime une pensée toute surnaturelle qu’importe, après tout, l’emplacement de la sépulture ? C’est par la direction de l'âme, parla sainteté de la vie, qu’il faut se rapprocher des saints : ainsi l’on sauveral'àme et le corps même. Dblkhayf. p. 16 ; J.

Nil iuvat, immo gravât tumulis liærere piorum : Sanctorum meritis optima vita prvpe est.

Corpore non opus est, anima tendamus ad illos, Quæ bene salva potest corporis esse sains.

Même inspiration dans le traité de saint Augustin De cura pro morttiis gerettda, P./.., XL, 591-Gio. Saint Paulin de Noie lui avait demandé son sentiment sur la sépulture avec les martyrs. L'évêque d’Hippone répond d’abord que cela importe fort peu. Tout au plus trouverat-on dans cette perspective un encouragement à mieux vivre. Mais les bienheureux martyrs, qui sont dans la gloire, s’inquiètent peu de leur dépouille terrestre.

On trouvera à l’article Catacombes, col. 472 sqq., quelques données sur les sépultures chrétiennes primitives, particulièrement sur les sépultures de martyrs.

Les instruments de la Passion, sacrés par le contact du corps du Seigneur, furent toujours singulièrement honorés dans l’Eglise. Furent ils toujours authentiqués avee certitude ? Il ne faut pas hésiter à répondre : non. Mais dès le iv c siècle, saint Cyrille de Jérusalem constate l’universelle diffusion des reliques de la vraie croix. Catech., x, 19, P. G.,

XXXIII, 685 B : ri fli/ov ri fc/ie » rej cru.^po’j paprupït, U-éypi eii/tspo » T.y.p r, y.lv taivoufviv, zai ô< « r&v xarù tti’tti* 4 ; oxircii ïauixvtvTWv, IvrsG&y ftp oixou/tfyvp t.0.tj : j sy-Siv rfir, rtir, p&aa.v. Saint Jean Ciirysostome constate que beaucoup d’hommes et de femmes font enchâsser dans l’or des parcelles et les portent au cou, comme un ornement, Ilom., Quocl Christus sii Drus, 10, P. G., XLVIII, 8aG ; Fortunat, Miscellaneorttm liber II, P./.., LXXXVI1I, 87 sqq. ; saint Grégoire de Tours, De gloria martyrum liber /, v, P. /.., LXXI, 709 sqq. — Ci-dessus, art. Lieux Saints.

II. Développement du culte des reliques. — Dans un sujet immense, tout au plus pouvons-nous poser quelques jalons.

1) Reliques romaines des Catacombes, — Voir Hor. Marucchi, Eléments d’archéologie chrétienne, trad. fr., t. I, p. 1 02 - 1 o/|, Paris, 1900 :

On sait avec certitude qu’aux v', vi', vu » siècles, les reliques étaient restée* dans les cimetières souterrains, et que seul le tombeau des SS. Jean et Paul se trouvait dans la ville : « InUrbe Roma beatorum martyrum corpora loannia et Pauli tantum quiescunt », disent les Itinéraires ; et S. Léon l ou l’auteur de la liturgie qui lui est attribuée : <. Ut non solum passionibus martyrum gloriosis Urbis istius ambitum coronares, se.l eliam inipsis isccribus civitatis sancn Ioannis et Pauli victricia membra recundores. » /'./-., IV, '18. Nous avons, il est vrai, le souvenir d’une translation faite au Panthéon sous Buniface IV ; en réalité, il ne s’agit 917

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pas d une translation de corps, mais seulement de petits objets. « mo : noriae, patroi inia Sanclorinn. pignora sanetuaria », qui avaient tjuchj les reliques ou les tombeaux des s.iints. « lu bien 1 auteur a fait une confusion et voulu parler duæ translation postérieure Les premières translations connues sonl celles des SS. Prime et Félicien, du cimetière suburbicaire de Nomentum, vers 61<S, et celle de Sle Béatrice ot S. Faustin, du cimetière ad sextum l’Uilippi », vers 68a. Paul 1", en -jô~, transporta une grande quantité de reliques, notamment le c >rps de S. Tarsicius. pour consa crer l’Église qu’il avait bâtie sur 1 emplacement de sa maison paternelle, S. Sylvestre in Capite. On voit encore dans 1j eslibule de cette église une « Notitia nalalkiorum sanctorum Martyrum » ; c’est le catalogue, rédigé à une épo que postérieure, des principaux martyrs qu’elle possédait et que l’on y honorait d’un culte spécial.

Le pape le plus illustre du vin’siècle, Hadrien I"’, ne voulant pas se résigner à enlever les corps des catacombes, lit un dernier effort pour conserver ces cimetières ; il les restaura et s’appliqua à maintenir l’usage d’y aller célébrer le s anniversaires de martyrs. La liste de ses travaux nous a été conservée à la fin de sa vie, dans le Liber Pitntificalis. L œuvre d Hadrien fut poursuivie par son successeur Léon III Mais le peuple romain avait déjà perdu l’habitude de fréquenter les cimetières souterrains : les elforts des papes n’aboutirent pas.

Aussi l’ascal I", vers 819, se trouva t-il dans la nécessité de reprendre les translations commencées par Paul Ie  ; aucun pape n’en a fait un plus grand nombre. Les chapelles, nié. ne les plus importantes, étaient déjà remplies de décombres. La campagne romaine était devenue déserte, insalubre, inhabitable, malgré les tentatives des papes Zacharie, Hadrien et Léon III, pour sauver, par la londation de « domus cultæ », la culture et les habitations. Cf. P. Fabke, l)e patrimotiiii sanctæ Romanac Ecclesiar, Paris, 1892 ; ot Les citons de l’Eglise romaine ou VI’siècle, dans RJI.L.R., 1896. On ne pouvait laisser dans ces lieux inhabités des reliques qui formeraient le plus bel ornement des églises. Puis un abus tendait à s’iatroJuire, celui de vendre des re1 ques. L’histoire a conservé les noms de plusieurs de ceux qui se livrèrent à ce trafic. Un des plus célèbres est le diarre DeusJona, qui semble avoir eu sous son administration le cimetière des SS. Pierre et Marcellin, et qui en profita pjur vendre en Allemagne les corps des martyrs de ce cimetière. C’est surtout au-delà des Alpes qu’il exerçait ce commerce : dans tous les pays francs, on manifestait un grand désir de po=>séJer des reliques de saints romains, surtout de S. Sébastien, de S. Alexandre.de Ste Agnès, de Ste Cécile, de S. Corneille, de S. Pierre et de S. Paul, etc. Cf. Monumenia Gei maniæ JJiùtorica, Sci iptorum, yi ; Guibuu, Le commerce des reliques, dans Mélanges G. R. de Rossi, 1892.

Pascal décida de transporter dans la ville les corps des papes déposés au Cimetière de S. Calixte ; il ne retrouva pas d abord le corps de Ste Cécile, que l’on croyait enlevé par les Lombards, mais ensuite la sai.iteluifit elle mime connaître, dans une vision, le lieu précis de sa sépulture, l’aschalis 1, £>., 1, l’.L.. Cil, io8â-8.

… Dans la seconde moitié du ix’siècle, les catacombes romaines étaient dépouillées de toutes leurs richesses.

a) Manifestations diverses ; expansion du culte. — Le culte des reliques avait, dès l’origine, revêtu un caractère triomphal (au 11e siècle, Caïus cité par EusÈbB, HE., 11, xxv, 7, P.C., XX, 209, sur les

« trophées » des apôtres Pierre et Paul au Vatican : 

E/’jj ci zv. zp-.vs.iy. xCr> à.r : c7ri’/oiv ï/w c : î(v.i…). Le discours ( ?) de Constantin, Ad sanctorum coetum, peut donner une idée des pompes qui se déroulaient, xii, P.O., XX, 1372 B : « On chante des hymnes, des psaumes, des bénédictions, à l’honneur de Celui qui voit tout. On célèbre en mémoire de ces hommes le sacrifice eucharistique, pur de sang, pur de toute violence ; on n’y recherche pas l’odeur de l’encens ni le bûcher, mais une lumière pure, suffisante à éclairer ceux qui prient. Souvent on y ajoute un repas frugal, pour le soulagement des nécessiteux et l’assistance des exilés… » La célébration de l’Eucharistie était, dès lors, un élément essentiel de ces fêtes et leur donnait leur vrai caractère. Il en fut

ainsi à plus forte raison, quand sur les tombes de martyrs l’Eglise put élevé : -, à ciel ouvert, de vastes basiliques. Fidèle à la même pensée, elle devaitplus tard sceller l’alliance du sacrifice eucharistique avec la commémoration des martyrs, en statuant que nulle consécration d autel ou d église n’aurait lieu, sinon en présence de reliques. Voir déjà saint Ambhoisb, Ep., xxii, /’. /.., XVI, ion).

Nous signalerons en passant quelques épisodes. Saint Martin de Tours, le thaumaturge très populaire, ouvre en quelque sorte une ère nouvelle dans l’histoire du culte des reliques. Du moins est-il un des premiers parmi ces grands évoques qui, sans avoir conquis la palme du martyre, incarnèrent pour des siècles la vertu miraculeuse de l’Evangile et attirèrent les générations chrétiennes à leur tombeau, comme à une source jaillissante de bienfaits divins. Nous sommes très copieusement documentés sur lui par des témoins dont quelques-uns l’ont connu, tels saint Sulfice Sévère, P.L., XX ; C.6.E.L.V.1 ; et saint Paulin db Nolb, / ».£., LX1, C.S.E.L.V.. XXIX-XXX ; d’autres sont les témoins indiscutables de son influence posthume, tels saint Paulin de Périgueux, P.L., LXI ; C.S.E.L.Y., XVI ; Saint Sidoine Apollinaire, P.L., LU ; M.G./J., Auct. Antiij. V11I ; saint Fortlnat, P.L., LXXXVM ; M. G.U., Auct. Antiq., IV ; surtout saint Grégoire de Tours, PL., LXXI ; M.G.tl., Script, rer. merov., 1.

De son vivant, Martin paraît avoir possédé largement le don des miracles ; le récit de Sulpice Sévère n’excepte même pas la résurrection des morts ; et bien que, d’après son propre témoignage, ce don ail diminué après son élévation à l’épiscopat, la vénération conûante des peuples lui demeura acquise. Il avait, pour la mémoire des anciens martyrs, une dévotion très réelle, mais très éclairée : Sulpice Sévère raconte (Vit. Mart., xi) l’histoire d’un sanctuaire où l’on invoquait un pseudomartyr. Martin s’enquit de l’origine du culte et acquit la certitude que le prétendu martyr était un brigand mis à mort pour ses crimes : il fit démolir l’autel et mit fin à la superstition populaire. Quand il mourut, en 397, à Candes, au confluent de la Vienne et de la Loire, une contestation s’éleva entre les moines Poitevins, auxquels il avait appartenu par sa vie monastique, et les moines Tourangeaux, qui le revendiquaient de par sa vie épiscopale. Profitant du sommeil des Poitevins, les Tourangeaux déposèrent le corps dans une barque et, remontant le cours de la Loire, parvinrent à Tours, lieu de la sépulture. La depositio eut lieu le Il novembre. Après soixante-quatre ans, l’un de ses successeurs sur le siège de Tours, J’évêque Perpetuus, s’occupa de substituer à l’humble sépulture une basilique, remarquable par son architecture, mais plus encore par la foi des pèlerins qui affluaient et obtenaient des grâces extraordinaires. Gbégoirb de Tours, Hist. Franc, I, xliii, PL., LXXI, 185-6 et De Sancti Martini episcopi miraculis libri IV.

Le tombeau n’était que le centre du culte de saint Martin ; nous constatons par ailleurs ce culte en divers lieux : à Ligugé, près de Poitiers, lieu où il avait fondé son premier monastère, Grégoire dk T., M trac, IV, xx ; à Candes, où il était mort, ii>., I, xxii ; II, xix, xlv ; xlviii ; III, xxii ; IV, x ; par toute la Gaule et hors de Gaule, surtout dans les lieux qui avaient reçu quelqu’unede ses reliques : à Cambrai, I, x ; en Gallice, I, xm ; en Italie, I, xm-xvi ; en Espagne, III, vm ; à Reims, III, xvn ; dans le Maine, III, xxxv ; dans le Soissonnais, III, xlvii ; en Saintonge, III, li ; IV, viii, à Bordeaux, IV, il.

Les pratiques de dévotion étaient fort varices : quelques-unes matérielles, comme des onctions 919

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d’huile, I, il ; III, xxiv ; IV, xxxvi ; l’absorption d’un breuvage où l’on avait mêlé de la poussière du tombeau, II, li lu ; III, i.ix-lx ; IV, ix. xxxii. xxxvii. xlvii. Quant aux grâces de guérison ou autres, il y en a de toute sorte. Et l’on nous avertit que le catalogue dressé n’a aucune prétention à être complet : beaucoup de ceux qui voyaient leur, prière exaucée ne songeaient qu’à s’en retourner pleins de joie, et nullement à publier la faveur reçue, III, xlv. Au reste, le grand nombre de grâces temporelles énumérées ne doit pas donner le change sur l’activité du thaumaturge : cette activité s’exerçait beaucoup plus dans le domaine spirituel, et, à travers les corps, atteignait les âmes. Grégoire de Tours le dit expressément, Mirac, 1. IV. prolog. … Cuni sæpe videamus virtutum insignia prodire de tumulis beatorum, non immerito commoncmiir débitant eis honoris reverentiam impendere a quitus non desislimus infirmitatum remédia flagitare. Quorum precibus et ipsam peccaminum remissionem nom dubitamus adipisci ; et non modo hanc mereri, verum ab infernalibus suppliciis eorum interventu salvar.

L’atmosphère des sanctuaires miraculeux était une atmosphère de foi, de pénitence et de prière, non une atmosphère de superstition. Et sans doute Sulpice Sévère et Grégoire de Tours font preuve d’une crédulité souvent excessive ; mais ils n’ont pu inventer tous les faits matériels qu’ils rapportent et beaucoup moins les faits spirituels. Le saint Martin dont ils nous ont conservé l’image est bien un ami de Dieu et un thaumaturge. On regrette de voir cette image si peu comprise dans l’étude, d’ailleurs laborieuse et érudite, de E. C. Babut, Saint Martin de Tours, Paris, 191 1. Voir la juste mise au point du R. P. Delhhayb, Analecta Bollandiana, t. XXXVIII, p. 5-136 (1920). — Sur les Recueils antiques des Miracles des Saints, publication du P. Deleiiayh dans Analecta Bollandiana, t. XLIII, 1926 ; invite à manier avec prudence une littérature aussi spéciale.

C’est une émouvante histoire que celle des Romains de Norique, fuyant, l’an 488, devant l’invasion alamane, et emportant dans leur exode, comme leur plus précieux trésor, le corps de saint Séverin, leur apôtre et leur père. Citons André Baudrili.art, Saint Séverin (collection : les Saints), 1908, p. 191 :

Quand le jour du départ fut proche, toute la communauté se réunit un soir autour du sépulcre. L’abbé l.ucillus… entonne un psaume. Puis, lorsque le chant fut terminé, il donna l’ordre d’ouvrir le tombeau. Dès qu’il le lut, une odeur si suave se répandit que le cœur d s assistants fut pénétré de joie, et plusieurs, incapables de maîtriser leur émotion, se prosternèrent le front cjntro terre. Puis l’on découvrit le corps, et, à la grande surprise des assistants (car on ne l’avait pas embaumé), il se trouva conservé comme au jour de la déposition. La barbe, les cheveux étaient intacts.

Pieusement, on changea les linges qui l’entouraient, puis on referma le cercueil. On le plaça dans une sorte de chapelle portative ou d’oratoire, depuis longtemps préparé à cet effet, et le tout fut disposé sur un ch ; >riot traîné par plusieurs chevaux.

Alors on vit un des sprctacles les plus extraordinaires que l’histoire ait enregistrés, et quo volontiers on attribuerail, à la légende si nous ne possédions le souvenir écrit des témoins oculaires ; tout un peuple « migrant derrière les os de celui qui avait été non pas son roi, non pas même son chef temporel, mais uniquement son père spirituel et son bienfaiteur…

Le cortège s’engagea dans les Alpes, descendit sur le sol d’Italie et lit halte d’abord à Monte Feltre. Une pieuse dame napolitaine olfrit aux restes de Saint Séverin un asile dans son domaine de Lucullanum. Il y demeura quatre siècles, prodiguant les mi racles, en attendant d’être, devant la menace sarrasine, transféré à Naples.

Aussi bien que la Gaule et l’Italie, l’Asie mineure avait ses évêques vénérés.

Saint Nicolas, évêque de Myreen Lycie, personnage obscur au iv* siècle, devint, au cours des siècles suivants, l’un des patrons et des thaumaturges les plus populaires de l’Orient et de l’Occident. De Constantinople, où elle était établie dès le vr-’siècle, sa renommée s’étendit par terre et par mer, dans les Balkans et en Asie mineure, en Sicile, en Egypte, en Palestine. En même temps que la France et l’Allemagne, évangélisées par Rome, la Russie et les pays slaves, évangélisés par Byzance, lui dédiaient des sanctuaires. Aucun ne pouvait rivaliser avec la basilique de Myre, qui possédait le corps du saint évêque. Une liqueur miraculeuse (manne) découlait du tombeau, et les récits de miracles opérés par saint Nicolas se répandirent dans le monde entier. Mais dès le vu* siècle, et de plus en plus jusqu’au xie, l’invasion sarrasine avait fait le vide sur la côte de Lycie et en rendait l’accès difficile aux pèlerins. D’autre part, l’Italie convoitait le trésor presque abandonné. En avril 1087, trois vaisseaux italiens, revenant de négocier en Syrie, jetaient l’ancre inopinément devant Myre, débarquaient des pèlerins d’abord, et puis des hommes d’armes. On allégua aux gardiens du sanctuaire une vision du Pape : saint Nicolas luiétait apparu et avait exprimé sa volonté de reposer désormais sur la côte italienne. Le caveau du saint est défoncé, malgré les hauts cris des moines, le corps chargé sur les épaules de robustes matelots et transporté sur un navire, qui le débarquait (9 mai) à Bari, ville toute cosmopolite, latine par les souvenirs, normande par la conquête, byzantine de culture. La vertu miraculeuse du saint corps n’était pas épuisée : dès la première nuit, on compta quarante-sept guérisons ; beaucoup d’autres suivirent.

— Nous ne discutons pas le droit que les gens de Bari purent invoquer pour posséder saint Nicolas, ni celui que les gens de Myre leur opposèrent, nous constatons l’intensité du sentiment religieux qui éclate dans cette histoire. Voir Abbé Marin, Saint Nicolas évêque de Myre, Paris, 1917 (Collection Les Saints) ; B. Leib, Rome, Kiev et Byzance, p. 517^, Paris, 1924.

La dévotion du Moyen-Age se révèle en divers lieux et sous des formes multiples. Les Croisades ont importé en Occident une foule de prétendues reliques : beaucoup d’entre elles n offrent aucune garantie, si respectable qu’ait pu être la foi naïve qui d’abord les accrédita.

L’histoire primitive des reliques de saint Thomas d’Aquin vient d’être esquissée par le R. P. Mandonnbt, O. P. Nous ne saurions invoquer meilleur garant. La canonisation de saint Thomas, p. 12-xj, Paris, igs3.

Le Docteur angélique était mort le 7 mars 1274 chez les Cisterciens de Fossanova. Dès le 2 mai, l’Université de Paris écrivait au chapitre général d s Dominicains, réuni à Lyon, pour obtenir le corps du Maître qui l’avait tant illustrée. Mais l’abbaye cistercienne, à qui la Providence en avait conlié le dépôt, ne montrait nul empressement à se dessaisir. Quant aux Frères Prêcheurs, en possession d’un droit certain, par deux fois l’oii put croire qu’ils allaient le revendiquer, quand furent élevés successivement au souverain Pontilicat deux lils de saint Dominique, Pierre de Tarentaise en 1276, sous le nom d’Innocent V, et Nicolas Boccassini en 1303, sous le nom de Benoit XI.

Cependant Pierre de Monte San Giovanni, cistercien, devenu en 1281 abbé de Fossanova, montrait 921

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pour le culte de saint Thomas un zèle empressé. Le corps avait été inhumé devant l’autel de l’église. En 1281, lors d’un transfert qui l’amena dans un lieu plus honorable, et de nouveau en 1288, pour satisfaire la dévotion de Théodora, comtesse de Sanseverino et sœur de Thomas, la sépulture fut ouverte etles restes précieux trouvés sans corruption. La main droite, détachée pour être remise à la comtesse, fut déposée dans la chapelle de son château, d’où elle aboutit plus tard au couvenl des Dominicains de Salerne. On détacha aussi le chef, et on eut l’audace, un peu étrange à nos yeux, de faire bouillir le corps afin de décharner le squelette et de pouvoir manier les ossements. Il paraît que ce traitement n’était pas alors sans exemple et fut appliqué aux restes du roi saint Louis. En 1368, les restes de saint Thomas d’Aquin devaient prendre le chemin de Toulouse.

Saint François Xavier, mort dans l’île de Sancian, le a^novembre 155-2, futinhuméà Goa en mars 1554-Durant la navigation de Chine à l’Inde et une escale d’un mois à Malacca, Dieu glorifia 6es restes par une conservation merveilleuse et une série de prodiges. On les retrouva encore intacts le 3 novembre 1 6 1 4, qu-ind, par ordre dn P. Claude Aquaviva, Général de la Compagnie de Jésus, le bras droit de l’apôtre, instrument de tant d’oeuvres divines, fut détaché pour être porté à Rome. Lors du troisième centenaire de la canonisation (mars 1912), cette relique insigne quitta le sanctuaire romain du Gesù pour bénir l’Espagne et la France. Des témoignages respectables permettent d’avancer qu’à plusieurs étapes de cette marche triomphale, la vertu du thaumaturge s’aflirma comme au xvie siècle.

Voir A. Brou, Saint François Xavier, t. II, p. 368 ; 383-386 ; 4°o-4’3 ; Paris, 1912 ; Pierre Lhande, Le retour du Thaumaturge, Etudes, 5 nov. 1922, p. ib-j26g.

Les pérégrinations du corps de sainte Térèse sont célèbres. Morte le 2 octobre 1882 à Albe de Tormès, elle y fut inhumée. Deux ans après, ses restes furent trouvé* sans corruption, malgré l’effondrement du cercueil et d’autres accidents. Les Carmélites de saint Joseph d’Avila croyaient avoir certains droits sur le corps de leur mère : il leur fut accordé à la fin de 1 585, et leur resta un peu moins d’un an. En août 1586, par l’autorité de Sixte V, il rentrait à Albe, pour n’en plus sortir. Ces deux translations, et les diverses reconnaissances qui eurent lieu ultérieurement, s’accompagnèrent de gracieux miracles : multiples apparitions, exhalaison de parfums célestes. Elles furent aussi l’occasion deprélèvementsréit’irés, qui pourvurent abondamment de reliques les monastères d’Espagne, de Portugal, de Rome, de France, des Pays-Bas, d’autres sanctuaires. Le miracle de conservation semble n’avoir pas pris lin. —Voir Œ wret complètes de Sainte Tei èse de Jésus, Traduction nouvelle par les Carmélites de Paris, t. II, p. 353-378 ; 3g8-400. Paris, 1907.

Le cœur de Sainte Térèse, conservé dans un reliquaire spécial au monastère d’Albe, porte de part en paît une blessure où l’on a cru reconnaître la trace laissée par le dard du séraphin (Vie, chap. xxix ; mémeédilion, t. I, p. 378-9). Sur certaines apparences miraculeusesobservéesdans cette relique, voir ibid., t. II, p, 368-0,. Les merveilles anciennes et nouvelles du cœur de Sainte Térèse de Jétus ; ouvrage traduit de l’italien, Paris- Venise, 1882. Il n’y a pas lieu de s’nrréler à l’œuvre répugnante de M. E. Cazal sur Sainte Térèse. Ce défi au sens chrétien a été relevé parles Etudes Carmélitainex, 1922.’i) Problèmes divers. — Certaines reliques ont paru présenter des particularités extraordinaires, plus ou moins dûment constatées. Nous avons con sacré un article distinct à la célèbre relique de Saint Janviek. Parfois on écarte en bloc ce genre de miracles. Mieux vaudrait discuter les témoignages. On a vu ci-dessus l’Eglise du ive siècle s’opposer au culte de certaines reliques supposées, ainsi qu’au commerce des reliques. Beaucoup d’autres interventions, au cours des siècles, montrent que l’Eglise ne se désintéressa pas de la direction prise par la dévotion populaire, capable de s’égarer sur de fausses pistes. — Sur certaines initiatives privées, voir Mabillon, De probatione Reliquiarum perignem. Vetera Analecta, p. 568. Paris, 1723.

L’incrédulité s’est égayée parfois de découvertes archéologiques, par où fut démontré le caractère très profane de reliques prétendues. Le fait ne doit pas surprendre : les conservateurs de reliques sont hommes, tcut comme en général les conservateurs d’archives ou de musées ; il leur arrive d’accueillir, de très bonne foi, des pièces fausses. Fussent-ils certains de l’inauthenticité, ils ne peuvent prendre sur eux de les supprimer, ce droit n’appartenant qu’à l’Eglise. Les règles tracées par Benoit XIV, De servorum Dei béatifications et beaturum canonizatione, montrent les principes dont s’inspire, en cette matière, l’autorité ecclésiastique. En même temps qu’à l’authenticité matérielle des objets proposés à la vénération, elle a égard à l’édification des fidèles. L’édification des fidèles a souvent peu à gagner aux entreprises des « dénicheurs de saints « ou des dénonciateurs de reliques. Les considérations de prudence interviennent ici pour modérer l’empressement de la critique négative ; d’autant que ni le mérite de la prière ni la vertu d’en haut n’est liée à l’authenticité matérielle de la relique. Voir l’Encyclique Pascendi de Pib X, 7 sept. 1907 déjà citée ci-dessus, t. III, col. 22.

Une épitaphe insignifiante : Pax tecum, Filumena, a pu suffire pour engendrer l’ingénieuse légende de sainte Philomène. Voir Analecta Bollandiana, t. XV11, p. 469. Une découverte de M. H. Marucchi, Osservazioni archeologiche sulla iscrizione di S. Filoména, Roma, 1904, oblige d’y renoncer, et de conclure que la célèbre épitaphe n’était pas celle de la personne dont elle fermait la tombe lors de la translation. Analecta Bollandiana, t. XXIV, p. 119. 120. H. Delehayb, Légendes hagiographiques, j>. 97.

— Au sujet des reliques des catacombes romaines, décret de Sa Sainteté Léon XIII, du 21 décembre 1878.

Pour apprécier les difficultés inhérentes à ces questions, on peut lire avec fruit Hipp. Dblehaïe, Le témoignage des Martyrologes, dans Analecta Bollandiana., t. XXVI, p. 79-99 (1907). Beaucoup de problèmes archéologiques restent obscurs et même insolubles. Quant à l’attitude de l’Eglise, elle est toute de prudence et de réserve.

L’Eglise s’enquiert diligemment des faits qui intéressent le culte des saints, quand ces faits sont réellement à sa portée. Par ailleurs, elle ne se croit pas mission pour trancher tous les litiges d’ordre historique. En présence de traditions locales dont le fondement premier se dérobe à toute vérification, mais qui demeurent génératrices de prière et de vie chrétienne, elle a coutume de garder uneattitude expectante, laissant les archéologues discuter et les fidèles suivre les chemins battus, dès lors que ces chemins aboutissent à Dieu. Si un conflit éclate entre deux traditions locales — le cas n’est point très rare, — elle n’assume point ordinairement la tâche de les départager.

A cet égard, le casdes « S lints deProvence » est typique. Nous le poserons, d’après Mgr L. Duciiesnr, Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, t. II, c. x, 923

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et d’après M. l’abbé Vacandard, qui l’a considéré mûrement et vient de le résumer en cinquante pages de la Revue des Questions Historiques, avril 1924, p. 25^-305. On comprend bien que nous ne cherchons pas un récit piquant mais une utile leçon de choses. Au vie siècle, Ephèse montrait le tombeau de Marie-Madeleine, l’hôtesse de Notre Seigneur. Fondée ou non, la tradition était communément reçue, même en Occident, où saiut Grégoire db Tours en rend témoignage, De gloria marlyrum, xxx, P. L., LXXI, 731 A : In ea urbe Maria Magdalcne quiesclt. Nous la relrouvons en Orient au viie siècle, sous la plume de Modbste, évêque de Jérusalem ; voir Photius, Bibl., Cod. cclxxv, P. G., CIV, 2^4- L’ile de Chypre, de son côté, montrait à Citium (Larnaca) le tombeau de Lazare, frère de Marie Madeleine, ressuscité par NotreSeigneur. D’après une tradition encore attestée au xii* siècle par ÏIoNORius d’Autujc, P. L., CLXX1I, 917, Lazare fut trente ans évêque en Chypre. En 899, le corps de Marie Madeleine et celui de Lazare furent tirés l’un d’Ephcse, l’autre de Chypre, par les soins de l’empereur Léon VI, et réunis à Conslantinople dans l’église neuve construite au lieu dit Topoi, d’après les récits concordants des chroniqueurs byzantins : Léon le Grammairibn, Chronographia, P. G., CVIII, 1 108 A ; continuateur de Théophane, V, xviii, P. G., CIX. 38 1 B ; Siméon Magistbr, Annales, P. G, CIX, 7653 ; Gborgbs Hamartolos, i/ » ù/., 921 B. etc. La fête de Marie Madeleine figure dans les calendriers grecs à la date du 22 juillet, depuis le Xe siècle ; il y a lieu de croire que cette date est celle de l’ancienne fêteéphésienne.

D’autre part, au milieu du xie siècle, à Vézelayen Bourgogne, un monastère, fondé au ix* siècle par Gérard de Boussillon sous le vocable du Sauveur et de Notre Dame, croit posséder le corps de Marie Madeleine, et en appelle à une vision de l’abbé Geoffroy (installé en 1037), à qui la sainte aurait révélé le lieu de sa sépulture. Une lettre de Léon IX, de l’an io50, montre que le monastère a changé de nom et s’est mis sous le vocable de sainte Marie Madeleine. Mais ses prétentions demeurent invérifiables. Pour les justifier, on commence à affirmer un transfert du corps de Marie Madeleine, apporté des rives de Provence. A cette date, la Provence ne montre encore aucune connaissance d’un séjour de Marie Madeleine sur ses rives. Cependant une charte « le l’année io40 mentionne une relique de saint Lazare, conservée à l’abbaye marseillaise de Saint Victor ; d’autres chartes, pendant les deux siècles suivants, mentionnent les églises de Saint-Maximin el de Sainte Marie de la Baume, sans aucune connexion avec les saints de Bétlianie. Au xin’siècle seulement, on voit poindre l’idée d’un séjour de Marie Madeleine et de Marthe en Provence, et d’un episcopat de Lazare à Marseille ; l’idée que le corps de Marie Madeleine avait pu toucher les rives de Provence sans s’y fixer, parut into’érable. Cependant Vézelay crut se donner gain de cause en faisant authentiquer un corps saint, par l’évêqued’Auxerre. Des fouilles furent accomplies ; une translation solennelle eut lieu, l’an 126^1, en présence du roi saint Louis et du cardinal Simon, légat pontifical, futur pape Martin IV ; on produisit n.ème une charte du « très glorieux Charles » ( ?) attestant que te corps extrait du tombeau était celui de la bienheureuse Marie Madeleine. A leur tour, quatorze ans plus tard, les Provençaux interrogèrent le sol. En 1279, à la grotte de la Sainte-Baume près Saint-Maximin, désignée dès lors comme le séjour de Madeleine et de Marthe, en présence de Charles d’Anjou, prince de Salerne, quatre sarcophages fu rent exhumés ; de l’un on prétendit extraire un document décisif, daté de l’an 710. Aux yeux de juges compétents, ce document fourmille d’anacbronismes naïfs et ne soutient pas l’examen ; la supercherie saute aux yeux. — Il ne rentre pas dans notre cadre de démêler cet imbroglio ; de dire, par exemple, quel rôle purent jouer, dans le développement des croyances provençales, une relique, vraie ou fausse, de saint Lazare, et le souvenir très historique d’un autre Lazare, évêque de Marseille au commencement du v « siècle et bien connu par sa présence au concile de Diospolis en 415. Ce qu’il fallait dégager, pour mettre l’Eglise hors de cause, c’est le caractère privé de telles compétitions. Que le corps de Marie Madeleine, demeuré en Orient d’après une tradition respectable, ait pu, après un silence de mille ans, émerger tout à coup en Bourgogne, et deux cents ans plus tard être également revendiqué en Provence, il peut y avoir là de quoi réjouir certains ironistes. L Eglise n’a pas cru qu’il y eût lieu de se constituer en tribunal historique, pour donner raison aus uns et tort aux autres. Ces diverses traditions locales sont pieuses ; elle ne leur conteste pas le droit de vivre. L’apologiste n’a qu’à prendre acte de sa prudence et de son désintéressement.

Dans une série d’articles consacrés à la Justification archéologique des reliques de sainte Cécile conservées autrefois et maintenant à la cathédrale d’AIbi (Revue de l’Art chrétien, 1894-5), Mgr Bariîimde Montault célébrait avec quelque enthousiasme les conquêtes de la « lipsanographie ». « Arrivée à l’état de science précise, après une pratique et une expérience, de plusieurs siècles, elle a ses principes fixes, ses règles certaines, sa méthode rigoureuse. Grâce à elle, l’étude de la dépouille sacrée de ceux que l’Eglise honore d’un culte public devient aussi prompte que facile ; car l’arbitraire n’y entre pour rien, et pour s’orienter, il suffit de jeter les yeux sur ce qui a été fait et décidé antérieurement. » Tout le monde ne partage pas cet optimisme ; cf. Analect.i Bolland., t. XV, p. 335 (1896) ; et l’Eglise ne prétend pas l’imposer.

III. Développement de la doctiine. — Le culte des reliques n’était pas entièrement dépourvu d’attaches dans l’Ancien Testament. Rappelons le enractère religieux des sépultures bibliques : Sar ; >, l’épouse d’Abraham, Grn., xxiii, 19 ; Abraham, ib., xxv, 9. 10 ; Rachel. ib., xxxv, 19. 20, cf. I Rg., x, 2 ; Isaac, Gen., xlix, 31 ; Jacob, l, 12. 13 ; Joseph, L, 24. 25 ; Ex., xi », 19 ; /os., xxiv, 3a ; David. II ! Rg., ii, 10, cf. 1, 21 ; Neb., xui, 16 ; Jet., 11, 29 ; xni, 36. Les Livres des Rois et les Paralipomènes fou ; souvent allusion au sépulcre des rois ; trois rois ci furent exclus à cause de leur impiété : Joram, II Pur., xxi, 20 ; Joas, xxiv, j.5 ; Achaz, xxviii, 27. Rappelons encore le respect qui s’attachait au contenu de l’arche d’alliance, III Rg., viii, 9 ; cf. Heb., ix, 4 ; la vertu miraculeuse du manteau d’Elie, IV Rg., iv, 8, et des ossements d’Elisée, ib., xiii, 21, cf. Eccli., XLviii, 14 : Et mortuum prophetavit corpus cius.

La vénération des reliques devait prendre sous la Loi nouvelle un caractère plus défini et une plus grande extension. Le Seigneur avait loué cette femme qui versait sur sa tête un parfum pour l’ensevelir par avance. Mat., xxvi, ia.

Saint Jean Chuysostomb montre dans les reliques des martyrs des sources vives de grâces, — grâces de lumière et de force, — ouvertes par Dieu dans l’humanité. ElogedeS. Bustathe d’.'ntioche, 2, P. G., L, 600. Homélie sur les martyrs, 2, ib., 648.9 ; Eloge de S, Julien martyr, 3. 4, ib., 670-2. Il montre les 925

RELIQUKS

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tombeaux des martyrs surpassant en magnificence les palais des princes, et les princes eux-mêmes venant prosterner leur pourpre sur les tombeaux des martyrs. In Il Cor., //., xxvi, 5, PC, LXl, 58a.

Saint Augustin, ardent promoteur du culte rendu aux martyrs, en avait excellemment défini l’esprit, De Ci.'. Dei, VIII, xxvii, i, P.L., XLI, 2Ô5 :

Cependant nous n’affictons point à ces martyrs de tem pies, de ?acerdoces, de rites tt de sacrifices : car ce n’est pas eux-mêmes, mais leur Dieu, qui est notre Dieu. Nous honorons leurs tombeaux, comme les tombeaux des saints de Dieu, qui ont combattu jusqu'à la mort de leurs corps pour la vérité, pour l’illustration de la religion vraie, pour la confusion dos religions fausses : sentiments qui avant eut se dissimulaient, n’osant s’affirmer. Mais quoi fidèle a jamais entcnilu le prêtre debout à l’autel, même a un autel construit sur le corps d’un mar vr pour l’honneur et le culte de Dieu, dire dans sa prière : Je t’of’rc le sacrifice, Pierre, Paul, ou Cyprien ? sur oes tombeaux, on saciitie a Dieu, qui les a faits hommes et martyis ; qui les a associés à ses anges saints dans l’honneur céleste ; par ces oblations solennelles, nous rendons grâces au vrai Dieu de leurs victoires ; en l’appelant a notre aide, nous nous excitons à conquérir les mêmes couronnes et les mimes palmes par le rappel de leur souvenir. Donc les services religieux célébrés dans les lioux consacrés aux maityrs, sont des hommages rendus à leurs tombeaux, non des rites ou des sacrifices offerts aux morts comme à des dieux. Et ceux qui portent là leurs repas — ce que ne font pas les meilleurs chrétiens, ce qui ne se voit pas dans la plupart des pays.

— enfin tous ceux qui le font et qui, après avoir déposé les mets, prient et les remportent pour s’en i ourrir ou les distribuer aux indigents. veul< nt que leur nourriture oit sanctifiée parles mérites des martyrs au nom du Dieu des martyrs. Mais ce ne sont pas des sacrifices aux martyrs, comme le savent bien tous ceux qui connaissent l’unique sacrifice offert aussi au même lieu, le sacrifice des chrétiens.

Au ix* siècle, Agcbard db Lyon, dans un écrit De imaginibus sanctorum, tissu presque tout entier de citations empruntées à saint Augustin et autres, s'élevait contre 1' « adoration » des images et des reliques avec tant de force, qu’on a pu voir en lui presque un iconoclaste. Il ne voulait que réagir contre des formes de langage importées d’Orient et auxquelles répugnait l’esprit positif des Latins : P.L., CIV, 199-228.

Le IVe Concile de Latran(i >iâ) prohibait le commerce des reliques, l’ostension des reliques hors de leur reliquaire ; enfin l’exposition de reliques récemment découvertes, tant qu’elles n’avaient pas été authentiquées au nom du Pontife Romain. G. G2, D.B., Mo (365).

Saint Thomas d'ÀQUiN donnait la formule précise et achevée < ! u culte qui convient aux reliques, III a q. a5 a. 6 : … Manifestant eut quod sanctos Dei in veneralione habere debemus, tanquam membra Christ', Dei films et amicos, et no sir os intercessores. Et ideo eorurn reliquias qualescumque honore congruo in eorum menioriant leneiari deheinus ; et prae.cipue eorunt corpora, quæ futrunt tein//la et organa Spitittis sancti in eis kabitaitis et operantis et snnt curpoii Christi configuranda per gloriosam rest rrectionem. L’nde et ipse De us huiusmodi reliquias converti enter hm orat, in earnrn præsentia miracula faciendo.

Le concile de Trente aflirmait solennellement la même doctrine et renouvelait les anathèmes de l’Eglise contre les contempteurs des reliques. Sess. xxv, ©. «., 985(861) ; 998(866).

Par ailleurs, l’Eglise avait soin de maintenir la distance entre le culte divin essentiel, fondé sur les enseignements de la foi, et les manifestations de la piété envers les saint", appuyées sur des témoignages qui ne sont pas toujours à l’abri de l’erreur. Voir Bp.noit XIV, De servorttm Dei bet tificutivne et

canonizatione, — cf. Bainvkl, De magisterio vivo et et traditione, n. 107, Paris, 1905.

IV. Les ennemis des reliques. — Ce sont d’abord tous les ennemis du nom chrétien. Et puis certains hérétiques.

Dès les premières années du ve siècle, nous rencontrons un contempteur des reliques : c’est Vigilantius, originaire du pays de Comminges en Aquitaine, vers la fin de sa vie prêtre de Barcelone, au témoignage de Gennadk, De scriptor. eccl., 35, P.L., LVIII, 1078. Il avait voyagé en Orienl, et recouru à l’hospitalité de saint Jérôme, à Bethléem. Mais il ne se souvint de ce bienfait que pour déchirer la réputation de ses hôtes, après son retour en Occident, et nous avons une lettre où saint Jérôme lui demandeconiptedeses calomnies, / ; 'y ;., Lxi, A/.., XXII, 602-606 (écrite en 396). Dix ans plus tard, Jérôme fut avisé par les prêtres gaulois Riparius et Desiderius du trouble causé dans leurs chrétientés par les propos de Vigilantius : héritier de l’esprit de Jovinien, il attaquait la virginité chrétienne ; le célibat des clercs ; mais, de plus, la profession monastique, divers pointsde liturgie, le culte rendu aux martyrs. En une nhit, le solitaire de Bethléem, dicta, pour le confier à un voyageur d’Occident, le violent libelle qui nous est parvenu, Contra Vigilantium, P.L., XXIII, 33g-35a.

Jamais on n’avait vu Jérôme plus furieux, ni moins délicat dans le choix des armes. Il ressasse un froid jeu de mots sur lenom de l’insulteur : — Vigilantius, Dormitantius ; — il lui jette à la face toutes sortes d’allusions fâcheuses. Cabaretier à Calaguriis, Vigilantius mêlait de l’eau à son vin ; il s’est souvenu de son ancien métier pour mêler au pur breuvage de la foi catholique le venin de son hérésie. Nous apprenons qu'à Bethléem, certaine nuit de tremblement de terre, Vigilantius affolé s’est montré, parmi les moines, dans le costume d’Adam. Saint Jérôme est-il donc à court de bonnes raisons ? Nullement. Son opuscule renferme par ailleurs la charpente d’une solide argumentation en faveur des reliques ; nous la résumerons.

L’adversaire se scandalise de voir adorer les martyrs. Qu’il se rassure : les chrétiens n’adorent que Dieu. Ils n’ont pas oublié les exemples de saint Paul et de saint Barnabe, repoussant les honneurs divins qu’on voulait leur décerner en Lycaonie ; de saint Pierre, renvoyant à Dieu l’hommage du centurion Corneille. Mais ils honorent les membres sanctifiée par le service de Dieu, et en cela ne se croient poin'. sacrilèges. Quand l’empereur Constancefaisait trans porter à Constantinople les restes de saint André, de saint Luc et de saint Timothée ; quand, tout récemment, l’empereur Arcadius faisait transporter de Judée en Thrace les ossements du prophète Samuel, ces princes obéissaient aune pensée religieuse C’est encore à une pensée religieuse qu’obéissent les lirlèles, en invoquant les martyrs. Si l’on admet quo la prière d’un Moïse, d’un Etienne, d’un Paul, eut quelque valeur durant sa vie, pourquoi n’en aurait-elle p’us, maintenant qu’il est dans la gloire ? L'évê que de Rome offre le saint sacrifice sur les tombeau> de saint Pierreetde saint Paul. Les évêques du mond. entier célèbrent dans les basiliques des martyrs L’hérésie de Vigilantius, renouvelée de l’arien Eunotnius, a été d’avance réfutée par Tertullien dan-un livre éloquent, justement intitulé : Remède à 1. piqûre du Scorpion.

Vigilantius allègue les désordres qui se produisent parfois durant les nuits de veille, passées sur les tombeaux des martyrs. Ces désordres peuvent être réels ; ils ne suffisent pas à condamner le principe 927

RELIQUES

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même de l’institution* Le miracles accomplis sur les tombeaux ont à ses jeux le tort de servir aux incrédules, et non aux croyants. Mais il n’importe pas tant de savoir en considération de qui se font les miracles, que de savoir par quelle vertu. La vertu du Tout-Puissant éclate et s’impose aux esprits rebelles.

Dès avant Vigilantius, l’Empereur Jclibn, écho des railleries païennes, avait flétri le culte des saints comme une folie abjecte. Saint Cyrillr d’Alkxandhib venge le caractère profondément raisonnable de ce culte, tout relatif au Dieu qui fortificles saints et les martyrs. Contra lulianum, VI, P. G-, LXXVI, 812 A : ^y-i /"- /-"’.'’Afieiti /iciprupai ci/T- Ocolç nwi pa/uvcûrc naorxuwlv dâtnuBa iarptur at&t Sr.Jcviri, èùAèt oye-txïi ; mù Tfxr, Tix£> ;. Il venge aussi la noblesse du sentiment qui honore la mémoire des héros chrétiens. Julien ignorait il comment la Grèce honora ses héros ? ib., X, 1018.

La réprobation des reliquesétait dansla logique de l’erreur iconoclaste ; aussi la voit-on enveloppée dans un même anathème par le IIe concile œcuménique (Nicée, 78 ;). D. H., 304 (245).

Pour Luthbb, les reliques ne sont que « chose morte, incapable de sanctifier personne ». (Grand Catéchisme). A l’encontre de la Réforme, le Concile de Trente dut affirmer que les corps des martyrs et des autres saints, qui furent membres vivants du Christ et temple du Saint Esprit, et seront glorifiés lors de la résurrection, ont droit à la vénération des fidèles ; que par eux, Dieu accorde aux hommes beaucoup de bien », et que les ennemis de leur culte encourent la condamnation de l’Eglise, D. B.,

(J 8r, (861).

On trouvera les principales critiques des Réformateurs contre le culte des Reliques, réunies dans le petit livre suivant :

Traitti des Reliques : ou, Adveriissement très-utile du grand profit qui reviendrait à la Chrestienté, s’il se faisait inventaire de tous les Corps saincts et Reliques, qui sont tant en Italie, qu’en France, Allemagne, Espagne et autres Royaumes et pais. Par I. Calvin, (p. i-^O- — Autre Traitté des Reliques contre le Décret du Concile de Trente, traduit du Latin de M. Cliemnicius. (p. 7/5-138). — Inventaire des Reliques de Rome : mis d’Italien en français (p. 138-160). — Response aux allégations de Robert Rellarmin Jésuite pour 1rs Reliques, (p. 160208). — A Genève, par Pierre de la Rouiere, mdxcix. In-12 feuilles liminaires et 208 pages.

Les auteurs de ces divers écrits supposent que l’Eglise catholique encourage l’ « adoration » des reliques, et prennent plaisir à relever les naïvetés et les ignorances de la dévotion populaire. Calvin est le plus lisible. Nous citerons quelques lignes de la conclusion, p. 7’3 - 7’) :

Il me souvient do ce que j’ai veu faire aux marmosets de noalrc paroisse, estant enfant. Quand la feste de S. listionne venoit, on paroit aussi bien de chapeaux et affiquets les imagos des tyrans qui le lapidoyent ^car ainsi les appelle t-on en commun langage) comme la sienne. Les poures femmes, voyant los tyrans ainsi on orJre, les preuoyi’iit pour compagnons du Sainct. et chacun avoit sa rhan lelle. Qui plus est, cola se laisoit bien au diable, comme à S. Michel. Ainsi en est-il des reliques : tout y est si brouillé et confus q.i’on no seaurait adorer les os d’un Martyr, qu’on ne soit en danger d’adorer les os de quoique briganil ou larron, ou bien d’un asu -, ou d’un chien, ou d’un cheval. On no sraurait adorer un anneau de Nostre Dame ou un sien peigne, SU ceinture, qu’on ne soit on danger d’adorer les bagues de quelque paillarde. Pourtant, se garde du danger qui voudra : car nul d’ore.-enavant ne pourra prétendre excuse d’ignorance.

Calvin aurait pu se rassurer : les naïves erreurs qu’il dénonce n’empêchaient pas la foi des simples

d’aller, par delà toutes les représentations matérielles, droit à son but, et déplaire à Dieu. Ce qui, par contre, ne pouvait plaire à Dieu, c’étaient les excès de toute sorte commis par les Calvinistes, durant les guerres de religion, contre les personnes des catholiques, contre les églises, contre les images des saints et les reliques.

Quelque chose de ce puritanisme a passé dans la secte janséniste. Chez les docteurs de Pistoie, une affectation de spiritualisme est flétrie par Pie VI Bulle Auctorem fïdei, 28 août 1794, n. 70. D. B., ib-jo (1432) : & doctrine téméraire, pernicieuse, contraire à la pieuse coutume de l’Eglise, injurieuse à 1 ordre de la Providence qui se plait àaltacherdiverses grâces aux divers monuments du culte rendu aux saints » — Deus nec in omnibus memoriis Sonet or um ista fieri voluit, qui dividit propria unicuique proul vult (Saint Augustin, Ep., lxxviii, 3, P. L., XXXIII. 269). Le jansénisme ne fut jamais hostile en principe à tout culte des reliques : — (sur le fameux miracle de la Sainte Epine », voir les documents citésdans ce Dictionnaire, art. Jansj’.msmi : , col. 1181 ; ajouter Aug. Gazibr, Ilistjire générale janséniste depuis ses origines jusqu’à nos jours 3, t. I, p. 107 sqq. Paris, 192’)). Mais en même temps qu’il organisait, dans un but de propagande, d’étranges exhibitions au cimetière Saint-Médard (voir art. Co.vilsionnairbs), il jetait le discrédit sur d’authentiques manifestations de lapiélé chrétienne traditionnelle, donnant la main au faux spiritualisme qui dénonce la liturgie catholique comme empreinte d’idolâtrie.

V. Législation canonique moderne. — La législation canonique prescrit de rendre aux reliques et images des saints une vénération et un culte qui se rapportent à la personne du saint (Cad. lur. can., 12Ô.J, 2). Seuls peuvent être honorés d’un culte public les serviteurs de Dieu déclarés saints ou bienheureux par l’Eglise ; le culte des saints est autorisé sans distinction de lieux, ni de pratiques conformes à la tradition de l’Eglise ; le culte des bienheureux dans les limites marquées (1277-1278). Les reliques ou images précieuses proposées dans une églises la vénération des fidèles et entourées d’un grand concours de peuple ne peuvent, sans l’autorisation du Saint Siège, être aliénées ou transférées, à titre perpétuel, dans une autre église (1281). Les reliques insignes de saints ou de bienheureux — par où l’on entend le corps, la tête, un bras ou un avant-bras, le cœur, la langue, la main, la jambe, oi une partie notable du corps saint consacrée par le martyre, — ne peuvent être conservées dans les édifices ou oratoires privés, sans permission expresse de l’Ordinaire (1282, 1) ; les reliques non insignes peuvent, avec le respect convenable, être conservées même dans les domiciles privés, ou portées par les fidèles (1282, 2). Pour être honorées d’un culte public dans les églises, même exemples, les reliques doivent être munies d’un instrument authentique délivré par un Cardinal ou par l’Ordinaire du lieu, ou par un personnage ecclésiastique autorisé par induit apostolique ; le vicaire général ne peut délivrer cet instrument sans délégation spéciale (1283). L’Ordinaire du lieu doit prudemment soustraire à la vénération des fidèles une relique dont l’inauthenticité lui seraiteonnuede science certaine (1284). Les reliques dont l’authentique a péri dans les commotions civiles ou par tout autre accident, ne doivent pas être proposées à la vénération publique sans jugement préalable de l’Ordinaire. Le vicaire général n’est pas qualifié pour ce jugement, sans délégation spéciale (1280, 1). Toutefois les reliques depuis longtemps 92 »

RENAISSANCE

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vénérées bénéficient d’une situation acquise, jusqu’à preuve d’inauthenlicité (ia85, a).

Les Ordinaires ne laisseront pas agiter en chaire, dans les livres, périodiques, ou autres publications pieuses, les questions relatives à l’authenticité des reliques, sur de simples conjectures, en vertu d’arguments seulement probables ou d’opinions préconçues, et surtout d’un ton de raillerie ou de mépris (ii>86). Les reliques ne doivent être proposées à la vénération que dans des boites ou reliquaires clos et scellés (1287, 1). Les reliques de la vraie croix ne doivent pas être proposées à la vénération dans un même reliquaire avec les reliques des saints, mais avoir leur reliquaire à part (1 387, 2). Les reliques des bienheureux ne doivent pas, à moins d’induit particulier, être portées en processions ni exposées dans les églises, sinon là où leur ollice et leurmesse est célébrée, par concession du Saint-Siège (1287, 3).

Les reliques de la vraie croix, que l’évêque pourrait porter dans sa croix pectorale, doivent, à sa mort, faire retour au trésor de l’église cathédrale, pour être transmises à son successeur ; si l’évêque était à la tête de plusieurs diocèses, elles font retour à l’église cathédrale du diocèse sur le territoire duquel il est décédé, ou qu’il a quitté en dernier lieu, s’il meurt hors de son territoire (1288). La vent » ; des reliques est interdite ; les Ordinaires, doyens, curés et autres ayant charge d’àmes, doivent veiller avec soin à ce que les reliques, particulièrement celles delà vraie croix, ne soient pas, particulièrement en cas d’héritage ou de liquidation, mises en vente et exposées à tomber en des mains non catholiques (1280, , 1). Les recteurs d’églises, ou autres ayant charge de reliques doivent veiller avec soin à ce qu’elles ne subissent aucune profanation et nesoient pas exposées à se perdre ni conservées peu décemment (1289, 2). Fabriquer de fausses reliques on sciemment les vendre, les distribuer, les exposer à la vénération des fidèles, c’est encourir ipso facto l’excommunication réservée à l’Ordinaire (2326).

Voir le commentaire de F. Clakvs Bouuært et j. Simbnon, Manttale Iuris Canonici, p. 507-51’|. Oandæ et Leodii, 192$.

VI. Conclusion. — Il serait puéril de contester <-ue la dévotion des fidèles a pu accidentellement f.’égarer sur de fausses pistes ou être exploitée par des charlatans sans scrupule. Mais ni les erreurs de lait ni les escroqueries ne doivent masquer les vérités essentielles. Comme toute institution dans la société humaine, le culte des reliques demande à être jugé sur le principe d’où il procède et sur les

! < » is qui le régissent, non sur les déviations accidentelles

imputables à l’ignorance ou à la perversité. Ici, le principe échappe à toute discussion : il n’est autre que la fidélité légitime du genre humain au souvenir de ses représentants éminents. Tant qu’il y aura des hommes surterre.il y aura des tombeaux, et les morts illustres seront honorés. Le culte voué parle christianisme à ses héros possède ce trait en propre, qu’il s’inspire de la croyance à la résurrection corporelle et n’est pas tourné simplement vers le passé, mais encore vers les perspectives de l’éternité bienheureuse. Un tel surcroît, loin de l’amoindrir, l’éclairé par un rayon d’en haut et le grandit moralement Reprocher au christianisme ce que les groupements les plus laïques observent à leur manière et selon leurs convictions propres, serait le mettre hors du droit commun. Quant à la législation de l’Eglise, dans ce domaine, elle s’inspire, depuis l’origine, de principes immuables, et s’est précisée au cours des siècles. Aujourd’hui plus que jamais avertie et circonspecte, elle ne prétend pas

To me IV.

déraciner tous les abus, mais elle s’applique à les réprimer, à les prévenir ; l’équité veut qu’ils ne lui soient pas imputés.

A. d’Alès.