Dictionnaire d’architecture civile et hydraulique/Cheminée

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CHEMINÉE, ſ. f. Lieu où l’on fait le feu dans les maiſons. Les parties de la Cheminée ſont l’âtre ou foyer, le contre-cœur, le manteau, les piédroits & le tuyau. L’âtre eſt l’endroit garni de briques ou de carreaux, ou l’on allume le feu. (Voyez Atre). Le contre-cœur eſt une plaque de fer poſée contre la muraille qui eſt auprès de l’âtre, pour la conſerver. (Voyez Contre-cœur) Le manteau eſt un tuyau de différentes formes, qui reçoit la fumée du feu qui eſt dans l’âtre. (Voyez Manteau & Hotte.) Les piédroits ſont deux maſſifs de maçonnerie, qui ſoutiennent le manteau, & le tuyau eſt un tuyau en effet, qui conduit la fumée juſques ſur les toîts. Ce tuyau eſt la partie principale de la Cheminée. M. Felibien veut qu’on le faſſe plus étroit en bas qu’en ſa partie ſupéieure, parce que le feu pouſſe plus aiſément, dit-il, la fumée en haut lorſqu’elle eſt reſſerrée en bas, & qu’en montant elle trouve plus d’eſpace pour ſe dégager & pour ſortir, ce qui empêche la ramie de ſe rabattre ſi facilement dans la chambre. Ce principe eſt bon, mais il ne faudroit pas en abuſer en étranglant le tuyau, dont la largeur doit être proportionnée à la grandeur de l’âtre, afin que la fumée qui part de toutes les parties du feu, ſi l’on peut s’exprimer ainſi, trouve un libre paſſage en montant, ſans quoi elle pourroit refluer dans la chambre. De là on doit conclure que les tuyaux de Cheminée qui ſe devoyent proche le manteau, ſont plus ſujets à fumer que les tuyaux droits, & par conſéquent ceux-ci font préférables aux autres. Cette raison n’eſt point une raison indifférente, & que toute autre, quelle qu’elle ſoit, doive balancer. Car c’eſt une choſe trop commune, trop incommode & trop négligée, que les Cheminées qui fument. Les Architectes & les Maçons, voulant tout ſacrifier à une diſtribution avantageuſe, & à la décoration extérieure d’une chambre, n’ont pas craint de dévoyer tantôt le tuyau proche du manteau, & tantôt de le faire trop étroit. Auſſi preſque toutes les Cheminées qu’ils font, fument ; & pour ſe garantir de cette fumée, on eſt obliglé de recourir à des gens qui ne ſont ni Maçons, ni Architectes, mais Fumiſtes. Or tout l’art de ces gens ſe réduit preſque à pratiquer des ventouſes, ou auprès de l’âtre, ou mieux dans la tablette de la Cheminée, ou enfin à couvrir la Cheminée par des demi-quarts de ſphère qui, mobiles & dirigés par une girouette, tournent toujours du côté du vent, & l’empêchent d’entrer dans le tuyau. De ces deux méthodes la première eſt ſans doute la plus ſûre, mais elle eſt auſſi la plus diſpendieuſe, & elle produit en même tems du froid. Perſuadé de ces raiſons, M. Gauger voulant perfectionner la ſeconde méthode, ſubſtitue aux demi-quarts de ſphere une eſpèce de baſcule, diſpoſée de maniere que la Cheminée ſoit toujours couverte par deſſus, & fermée du côté que vient le vent, par le moyen de deux fils d’archal, qui ſervent à l’abaiſſer ou à l’élever du côté qu’il eſt néceſſaire. Ce même Auteur, qui a écrit ſçavamment ſur le feu, a fait voir que les jambages ou piedroits ne doivent point tee paralleles, & que les manteaux des Cheminées ne doivent point être inclines, parce que ces diſpoſitions nuiſent à la réflexion de la chaleur dans la chambre. Pour favoriſer cette réflexion, l’augmenter même, le contre-cœur de la Cheminée doit former une courbe parabolique, & la tablette doit être horizontale. ( Voyez l’article Feu, dans le Dictionnaire univerſel de Mathématique & de Phyſique, où cette matiere eſt diſcutée.)

La décoration des Cheminées conſiſte en un chambranle & une tablette de marbre, (ou de pierre de liais) ſur laquelle poſe une glace avec bordure, accompagnée de deux bras charges de bougies, & couronnée d’un tableau juſques à la corniche du plafond. Ces bordures de la glace font ordinairement des palmiers, qu’on termine en haut en les croiſant l’un ſur l’autre, ou en les coupant avec le profil d’une bordure qui vient ſe terminer en enroulement. Au lieu de tableau, on couronne quelquefois la glace avec des trophées & autres ornemens de Sculpture. Cette décoration avec des glaces, qu’on doit à M. De Cotte, ne convient point à toutes les Cheminées. Dans les premières antichambres il eſt mieux de ſubſtituer de grands tableaux aux glaces. En général, la décoration des Cheminées doit être relative à celle de la chambre où on les place. On trouve des modules de Cheminée dans le Cours d’Architecture de d’Aviler, Edit. 1750. & dans le ſecond tome de la diſtribution des maiſons de plaiſance, & de la décoration des édifices en général, &c. Par M. Jacques-François Blondel.

Des Sçavans penſent que les Anciens ne connoiſſoient point les Cheminées, & qu’ils échauffoient leurs chambres avec des poêles, ou avec une eſpece de charbon de terre, qui brûloit ſans faire de fumée, & que Suetone appelle Miſeni carbones. D’autres Hiſtoriens croyent que les Anciens ſe ſervoient de Cheminées dans leur cuiſine. Mais Octavius Ferrarius veut que l’uſage des Cheminées fut abſolument univerſel dans les maiſons, tant pour faire la cuiſine que pour ſe chauffer. En effet Ariſtophane, dans une Comédie, introduit le vieillard Policleon, enfermé dans une chambre, d’où il tâche de ſe ſauver par la Cheminée. On lit encore dans Virgile,

Et jam ſumma procul villarum culmina fumant ;

Dans Horace,

Diſſolve frigus, ligna ſuper foce
Largè reponens.

Et dans les Lettres de Ciceron à Atticus : Camino luculento tibi utendum cenſeo. Il eſt vrai que les Anciens avoient des fourneaux pour échauffer leurs chambres, & qu’ils avoient auſſi des poêles ; mais cela n’empêche pas qu’ils ne puſſent bien avoir auſſi des Cheminées : ce qui peut concilier les deux ſentimens.

Le mot de Cheminée vient du latin Caminus fait du grec Kaminos, qui a la même ſignification.

Cheminée adoſſée. C’eſt une Cheminée qui eſt poſée contre un mur, ou contre le tuyau d’une autre Cheminée.

Cheminée affleurée. Cheminée dont l’âtre & le tuyau ſont pris dans l’épaiſſeur du mur, & dont l’Architecture du manteau eſt en ſaillie, comme celle du Palais Farnèſe. Scamozzi la nomme Cheminée à la Romaine.

Cheminée a l’Angloiſe. Petite Cheminée à trois pans par ſon plan, & fermée en anſe de panier.

Cheminée angulaire. C’eſt une Cheminée dont le plan eſt circulaire, & qui eſt ſituée dans l’angle d’une chambre, comme on en voit en quelques villes du Nord.

Cheminée de cuiſine. C’eſt une Cheminée qui n’a qu’une hotte, le plus ſouvent ſans jambages.

Cheminée en hotte. Cheminée dont le manteau fort large par le bas, & en figure pyramidale, eſt porté en ſaillie par des courges & corbeaux de pierre, comme les Cheminées anciennes, & celle de la Grand-Chambre du Parlement de Paris.

Cheminée en ſaillie. C’eſt une Cheminée dont le contrecœur affleure le nud d’un mur, & dont le manteau eſt en dehors.

Cheminée iſolée. Cheminée placée au milieu d’un chauffoir, qui ne conſiſte qu’en une hotte ſoutenue en l’air par des ſoupentes de fer, ou portée par quatre colonnes, comme les Anciens le pratiquoient. Il y a une Cheminée de cette eſpece à Bayes, près de Naples.

On appelle encore Cheminée iſolée a celle qui, étant adoſſée contre une cloiſon, laiſſe un eſpace entre le contre-cœur & les poteaux, par crainte du feu.