Dictionnaire de Robert Poisson : Dictionnaire d'orthographe française (1609)/Epit̃re

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Planchon (p. epit̃re-1G).

AU ROI.

IRE,

En se tems eureus de la pæs, ſuxédée à tous les Fransois, qomme miraquleuzement & du tout qontre l’aparense, par les éroiqes vertus, du Monarqe de l’univers, auqel n’æt̃ choze difisile.

Voiant qe vot̃re Maȷéſté, se déleqtoit de ȷour en ȷour, non ſeulement à déqorer, Paris, de nouveaus ëdifises : ſi éxélens, & aqomplis, qis font qe tous seus q’on tenoit, pour les merveilles de se monde ? ne ſont qe petis qous déſé, & q’euvres de meins aprentises, entant qe qomparez à eus. Més auſſi a i varier, réformer, & renouveler, tout se qe vot̃re Maȷeſté, voit n’æt̃re réduit au parfet.

ȷuſqes à i fére venir, & i aȷouter en bourgois, les plus éloignez et̃ranȷers, qi ſavent bons met̃iers & ars, qi ne ſont enqor la qonneus : afin q’auqun nait plus bézoin, de ſortir de telle demeure, & de qourir toute la terre, & la mer, pour i renqontrer choze qi ne ſi treuve poin ? & brief, afin qe tous la voient, non ſeulement le petit monde, & le chef-d’euvre de la Frãse, més de tout se globeus pourpris.

Voiant outre qelle aime fort, grâtifie, & cherit, tous seus, qi lui ſervans fidélement, ſavent de leur invenſion, qonsepſion, ou induſtrie aporter quelqe nouveauté, utile à la choze publiqe, tant petite qelle puiſſe æt̃re : qõme se propozãt se but, qe toutes chozes ſoiẽt en Frãse, réduites en perféxion, par ſa providense, & qonduite, & q’on i puiſſe voir fleurir, ſans feinte, & en réalité, un ſieqle plus eureus enqor, qe l’imaginé sieqle d’or, tant sélébré par les poëtes ȷé penſé de m’et̃udier, à inventer qelqe ſuȷet, qi parmi se nombre inombreus, q’infinis eſpris relevez, exqoȷitent à qi mieus mieus, & propozent à vos regars, vous ſeut̃ agrër & obtenir faveur de vos béninitez.

& à sete qomme ȷé, recherché de tout mon pouvoir, des ïeux de tout mon inteleqt : ȷe n’en é ſeu trouver auqun plus qapable de tel éfet, qe yous propozer le moien, de réformer not̃re ortografe ? & de qorrompue qelle æt̃, la rendre pure, & aqomplie : voire éxelente ſus toute autre.

ȷe di, qelle æt̃ tres qorrompüe, abüzive, & falsifiëe, & qroi qe vot̃re Maȷesté, la reqognoit̃ra æt̃re telle.

Par se qe là où elle doit, æt̃re qonforme à la parole, ou qomme ſon miroir sertein, la reprezenter ſans dég’is, & en ſon aparense vrëe : elle la rend toute diforme, & variëe, & diſemblable ? voire telle qe ſeulement l’et̃ranȷer lizant nos éqris, & les prononsant tez qis font y en sete vieille ortografie : va prononsant tout autrement, nos mos q’il ne faut prononser. Més nos plus éxersez lizeurs, en fõt biẽ ſouvẽt tout autant ; & se pour prẽdre meintes lettres, en deus ſonãses tres-diverses. ȷé séte perſuazion puiſq’il a pleu au treshaut, vous inſpirer se bon vouloir, au grand bien de toute la Franse : de réformer entierement, se qi se treuve réformable ? vous ne devez poin négliȷer d’entendre à not̃re ortografie.

A raizon qelle n’æt̃ pas moins, reqize à donner la beauté, & la grâse, & la bien ſéanse, à la parole, qi de vré æt̃ l’image de nos eſpris : qe ſont aus abis les et̃ofes, à nous les rendre qonvenables. Sela qonvient, & apartient, à vot̃re haute Maȷesté, & à vot̃re gloire, & ſaȷéſe.

Vous ne ſauriez rien bat̃ir, de plus long’e, & belle mémoire, ne qi fase mieus remarqer, le tems de vot̃re noble régne.

Qand on parlera d’un grand Roi, Roi de Franse, & de la Navarre : ’onneur des Prinses de Bourbon ? on dira le reformateur, de not̃re ortografe Frãsoize, & plut̃ot̃ sela se dira, pour regarder toute la Franse, l’autre une vile ſeulement

& pourtant ȷé treſ-volontiers, employé mon ſoin & mes veilles, & travaillé fort long’ement, afin de trouver le moien, de telle reformaſſion : Moien qe ȷé en fin ateint aidé de la grâse séleſte, pour le moins ȷe me le promés.

Qar ȷé bat̃i un Alfabet, & modèle ſus iselui en forme de dixionnére, qi veus de meins treſ-doctes’ommes, & des plus renommez de Franse ont ét̃é ȷuȷez aprouvables, & trouvez dignes d’æt̃re à la veüe de tous Fransois.

Entre autres monſieur d’Anfrevile aprezent mæt̃re des Reqæt̃es ordinére de vot̃re ot̃el, & parsidevant prézidẽt, & ȷuȷe au ſieȷe de Qout̃anses, auſſi Lieutenant ȷéneral en not̃re ïle de Qot̃entin, not̃re ſoleil la ȷuſtise, & en la ſiense des lettres, la trouvé digne de lumiere, & de vous æt̃re prezenté, se qi m’a ſus tout enhardi, l’ofrir à vot̃re Maȷeſté, pour æt̃re selui qe ȷe tiens, treſ-qapable d’en bien ȷuger.

& ȷe croi qe vous trouverez, auſſi qu’il æt̃ tel q’il le faut, s’il vous plæt̃ le qonsidérer : Qomme selui qui rend nos mos, qomme les mieus dizans prononsent, & sans auqun égarement.

Toutefois ȷe ne lé pas fet, ſans inventer auqunes lettres ; car ȷé trouvé qe ſans sela, nul n’en ſauroit venir à bout.

Més à raizon q’en se faizant, ȷe prononse une nouveauté, toute et̃ranȷe de l’ortografe : inſinuëe, & de tout tems, parmi vot̃re Royaume (Sire) & qe ȷe mont̃re qomme auqun, n’a enqor éqrit proprement, ni tant ſeulement une ligne ; & meins, non pas leur propre nom, ni mæme nos mieus éqrivans, ni seus qi se ſont inȷerez, d’enſeigner qõme il faut éqrire, & en ont baillé des préséptes, & fet des livres tous entiers. & brief q’en sela ȷe me rens, forqontrére à tous nos Fransois.

ȷé qreu q’en vain ȷe tenterois, leur fére trouver de bon gout̃, & le resevoir en uzaȷe, ſinon par vot̃re autorité, ſouvereine & de droit reseüe pour loi & mæt̃reſſe des lois. Il apartient tant ſeulement, aus Rois, & ſouvereins Maȷiſtras, de chanȷer & lois, & cout̃umes.

Qar æt̃ treſ-dur à tous peuples, de muer leurs aqout̃umanses, tant imperfettes qelles ſoient, & prinsipalement les vieilles, ſi seus qi qommandẽt ſus eus, ne les font entendre à raizon.

Pourtant (Sire) treſ-’umblement, ȷe prézente set Alfabet, de nouvelle conſtruxion, & le Modéle d’iselui aus piez de vot̃re Maȷeſté, qe vous lui dõnez qours en Franse, ſi vous trouvez qu’il le mérite, & q’il i ſoit d’utilité.

ȷe ne doute poin, q’auſſi tot̃, q’il se déqouvrira au ȷour, il ne se trouve envélopé d’une infinité de moqeurs, & d’opiniat̃res senſeurs, l’eforsant de lui fére hõte, qi le voudroient mettre au serqueil du point de ſa nativité.

ȷamés Qaribe, ou Pigmëen, ou Nein, ou Monſtre, ou Sauvaȷeau, ne leur ſervit tant de rizëe, q’is ſ’en voudront ſervir de lui, & prinsipalemẽt seus là, qi veulent qe nous éqrivons, à l’imitaſſion Latine : & qi ravaſent qe nos mos, ſont oriȷinez des Latins.

ȷamés auqun oizeau de nuit, ſe déqouvrant de ȷour aus chams, ne fut tant agasé des ȷez ou des pïes, ou des qorneilles, qomme il sera de telles ȷens, auſſi tot̃ q’is l’avizeront.

Més ſ’il vous plæt̃ de le cherir, d’un tout ſeul tret d’eil favorable, tous ses averséres fondront, devant lui qomme les brouillas, fondent aus ïeus, du beau ſoleil : Tous muets is ſéqarteront, qomme petis chiens aboians, voiant le Lion qi s’approche.

Deus raizons prinsipalement (Sire) me donnent eſpéranse, qe vous les pourrez aprouver.

La premiere, pour se qis ſont à l’onneur de tous les Fransois.

Qomme ſout̃enant leur langaȷe, n’æt̃re pas extret des Latins, més plut̃ot̃ le Latin du leur ; & nous premiers qe les Latins, & en empire, & en ſiense, & en biendizanse & doqtrine.

La ſegonde, par se q’il mont̃re, à éqrire ſi proprement, qe tous liront qomme il faut lire : & ſelon qu’il faut prononser, sans q’auqun ſi puiſſe égarer.

Éqriture treſ-dezirëe de nos plus ſignalez auteurs, & qiz ont ésſié de fére, & néanmoins du tout en vain ; qomme leurs livres en font foi, d’autant q’is éqrivent tantot̃, pluzieurs mos d’une ortografie, & tãtot̃ d’autre, & diſemblable, preuue de leur insertitude, & inqonſtanse en tel éfet : Auſſi n’ont is et̃é reseus.

Ses deus raizons, qonſiderëes, par mes plus aféqtez qonttréres, me les pourront aprivoizer : ſi q’en fin il en aviendra, qomme il fit̃ du Renard d’ézope, qi trouva le lion mõſtreus, tout premierement q’il le vid ; més par ſa converſaſion il devint en fin familier.

ȷé dit qe ȷé veillé lon tems, & prins grand peine apres tel euvre, qi pour æt̃re de petit titre & de petit volume auſſi, pourroit æt̃re trouvé d’aucuns, fasile de qonſtruxion : & qi pourtant se moqeroient de mon dire, & mon entreprize. Vot̃re Maȷeſté en ſoit ȷuȷe, nul mieus vous la peut ȷuȷer.

ȷuȷez ſi sæt̃ peine d’avoir, inventé des lettres nouvelles, & rendu not̃re ortografie plus parfette qe la Latine, & la Gréqe, & brief qe toute autre.

Veu, q’elle et̃oit ſi depravée, qe nos plus ſavans qorrepteurs ne l’ont ſeu ȷamés rendre bonne, qelqe peine q’is en aient prins, ainſi que verrez s’il vous plæt̃.


Vot̃re tres-’umble, & tres-fidéle ſuȷet
& ſerviteur, Robert Poiſſon,
équier (Auvile) de Valon-
nes en Normandie.

AD DOMINVM ROBERTVM POISSON

in orthogallographiam.



OMne ſupervacuum naturam tollére doctus,

Doctus & hanc vacüum non toléraré locum.

Né quid ab are (quod eſt omnis generatio vocis)

Penna aliud, breviter Verba ſécanté ſeçet.

Nunc norvus ut fabius facis oris eſſé loquentis

Verbis, ſcribentis Symmétro Verba manus.

Turpe periſſologonné gallis poßit adeſſé,

Turpe periſſographon néſequierqué queat.

Cùm quià multa nihil proſunt, quæ paucula proſunt,

Túm quiá naturæ fingere facta deçet.


P. A. Neuſtrovalonianus.


A MONSIEVR POISSON SVS

ſon ortografe Fransoize.



POiſſon aiant conneu qe la nature ſaȷe

N’avoit fet isi bas ouvraȷe qi fut̃ vain,

A, (comme de l’eſprit la parole æt̃ l’imaȷe)

Fet de la parole æt̃re, vne imaȷe la mein.

P.A.

SuS LE PARFET

éxemplére de l’auteur.



Comme entre les miroirs, fidéle æt̃ ſeulement
Selui, qi au naif ſon obȷet reprezente,
Le pourtret seul biẽ fet : & de mein éxelẽte,
Qe le plus ſubtil eil pour le vif patron prend.

Ainſi qe le le gidon enſeignant droitement
Au pelerin errant la ſeure & courte ſente,
Pour venir à ſon but : Rend ſon âme qontente,
& l’obliȷe d’amour perpétuellement.

Qomme enqor, le tailleur æt̃ mætre à ſon met̃ier
Qi mieus ſet, à nos qors abis aproprier,
& le peintre aqompli qi mieus nature imite.

L’auteur de se Modéle, & nouvel Alfabet,
De droit & ſans flater, d’æt̃re avoué mèrite.
D’ortografe Fransoize, éxemplére parfet.

ii.



Qar au vré naturel, & selon qe profére,
Le langaȷe Fransois, le Fransois mieus dizant,
Il l’enſeigne à l’éqrire : & fet q’auqun lizant
Ne ſauroit lire mal tant l’ortografe æt̃ qlère.

Qomme un bon mænaȷer de sa mein mænaȷere
Set de ſon plant ot̃er tout reȷeton nuizant,
Ou tout bois ſuperflu ſa ſubſtanse èpuizant
Ou le rendant obſqur & privè de lumiere.

Il ot̃e abilement de tous nos mos Fransois
Les lettres q’il i voit en altérer la vois,
Ou æt̃re de deus ſons, ou du tout ſuperflües.

& davantaȷe en ſet nouvelles ſurrog’er
Qi fet qe lizent mieus les ȷens moins entendües,
& q’on ne ſauroit plus du vré ſon divag’er.

P. L.




IN NOBILIS VIRI RO-

BERTI POSSONII ALPHABE-

tum ortographum linguæ

gallicanæ.


Octaſtichon.



AN tibi inqua négat, Poſſoni gallia laudes?

Quid? tua non mentus tempora cinget honos?

Fallor, ubique tüum celebrat ȷam gallia nomen:

Nec meritis lauros dénégat illa tuis.

Quid tu? ritè putas dum quà ſcriptura rédundat:

Huic ſua das brevibus pingere verba notis.

Quin etiam libro loquimur correctius iſto:

Te liber, at magno nomine dignus homo és.


Steph. du Ruel Alermo Valonienſis.

ALIVD EIVSDEM.


In laudem Neuſtriæ Normanorum.


Tetraſtichon.



GAllia néctario ȷactas tua verba léporé :

Quorſum éa, cum poſſent vix béné ſcripta légi ?

Gaudé igitur, gracilés quondã Deus ipſé loquélas :

At facilé has ſcriba Neuſtria ſola dédit.


EPIGRAMMA.



QVis tibi préſtétur (lector) nũc cerné libellus

Rara niſi raris nula fovenda tibi.

Raru in quod doctum quæ preſtãt docta ſequẽda.

Cnuctis quod præſtas charius eſſé liquet.

Pandit quod latunt gracili tritonidé fiſus.

Doctum quod pandit quæ tenet ipſé nova.

Reſpicé : tum capiés quæ ſunt doctiſſima doctis :

Accipé quod charum que canit ipſé téné.


Stephanus David Valonienſis.

SuS LE MODÉLE

de l’auteur.


PLus l’entreprize æt̃ mal aizëe
Plus a la pourſuivre, æt̃ ardant
Selui, qi a l’âme échaufëe,
D’vn dezir ȷenereus & grand.

& ni la long’eur ni la peine
Ne le peuvent qontretenir,
Q’au dernier point il ne l’ameine
Ou ſeul il penſe parvenir.

Pour eſpoir q’il a qe la gloire
Aqize aveq tant de travaus,
Eternizera ſa mémoire
Sus la terre & deſus les eaus.

Tout autant (Lizeur) tu peus dire
De set auteur dont tu resois,
Le Modéle de bien éqrire
Not̃re dous langaȷe Fransois.

Qar il n’a poin perdu qouraȷe
Pour toutes les difiqultez,
Qi en se nésèsére ouvraȷe,
Se prezentoient de tost qot̃ez.

& qi firent qiter la plase
A Ronſard, & mæme à Báif,
Leſqez avoient bien pris l’audase
De fére sete euvre au náif.

Més lui au rebours plein d’envie
De rendre toute utilité
A la Franse, & à ſa patrie
ȷuſq’à la fin a reziſté.

Il n’a poin qreint des averséres
Tout le venim qintilien,
Q’is dégorgent qomme vipéres
Envieus ſus les ȷens de bien.

& qui nez en dépit des Müzes
Ainſi qe les Mégariens
Le qommun peuple par leurs rüzes
Vont desevant par tous moiens.

Non, non, ses boufons ſans servelle
Tous tous qamus d’entendement,
Sans ’umeur, ſans ſuq, ſans moëlle
Il ne redoute auqunement.

Auſsi de sete ortografie
Les inſupérables raizons,
Fraperoient tot̃ de l’et̃argie,
Le vévaȷe de tez oîzons.

Les doqtes qi ont qonnoiſſanse
Du grand bien qe set euvre fet,
Portent ’onneur & révérense
A set auteur qui l’a parfet.

Les vieillars à la barbe grize
A deus pas proche du tombeau.
Dezirent qe leur ſoit aprize
Sete ortografe dé nouveau.

L’enfant pendant à la mamelle
& seus du plus grand âȷe außi,
Ne resevront d’autre Modéle
Pour èqrire, qe setui si.

Somme les ’ommes de tous äȷes
Soient prezens ou ſoient à venir,
De tous Roîaumes & paizaȷes
Voudront se Modele tenir.
  
Tant sete forme æt̃ nésèsére
Pour bien éqrire & librement,
Selon le parler du vulg’ére
chaqe mot, ſans deg’izement.

Or ȷ’oze bien dire ſans feinte
Tout ainſi, qe le plus ſavant
De Franse, n’a peut faire ateinte,
Au but de set euvre éxélent.

Q’en la mæme forte & manière,
Nul à ſa gloire n’ateindra,
Luizante qomme une lumiere
Qi ȷamés ne se dét̃eindra.

D’or a prins chois


Vantez tant qe voudrez de Ronſard les éqris,
De Rámus, Péletier, Báif, Robert Et̃iene,
Leur réformaſſion d’ortografe anſiene,
Poiſſon en a l’onneur, le profit, & le pris. Apointons noiſe.