Dictionnaire de Trévoux/4e édition, 1743/A (prép.)
A étant une préposition est formé du Latin ad, & on l’écrivoit autrefois ainsi, ardent desir ad ce mon cœur allume. Cretin. qui l’avoit meu ad ce. Continuateur de Monstrelet.
A sert souvent à décliner les noms propres & en marque le datif. Ce Livre est à Pierre ; cet évantail est à Agnès. Presque tous ceux qui ont composé des Grammaires Françoises ont mis la lettre A au nombre des articles, quand elle est employée devant les noms propres pour en marquer le datif. Mais ces Grammairiens ne parlent pas exactement ; car on ne met point d’articles devant les noms propres. Quand donc la lettre A jointe à un nom est la marque du datif, c’est une simple particule ou préposition ; & lorsqu’on y ajoûte le ou la, ou la simple lettre l avec une contraction, c’est alors un article joint à cette particule, & qui est la même chose que ille & illa des Latins. Il en est de même de au & de aux, ou comme l’on écrivoit autrefois aulx. Notre Langue a changé la lettre l en u.
On doit raisonner de la même manière sur la particule de, qu’on appelle mal à propos l’article du génitif, car c’est une simple particule, & quand on y joint l’article on dit du, qui est le del des Italiens & des Espagnols. L’Auteur judicieux de la Grammaire raisonnée a fait cette distinction de simple particule & d’article, lorsqu’il dit, p. 48. On se sert d’une particule dans toutes les Langues vulgaires pour exprimer le génitif, comme est de dans la nôtre. Il ajoûte p. 49. en parlant du datif : Les Langues vulgaires marquent ce cas par une particule, comme est a en la nôtre. Au chap. 7. de la même Grammaire il a très-bien remarqué, que presque dans toutes les Langues on a inventé de certaines particules nommées articles, qui déterminent la signification des noms. Il dit de plus, parlant de l’article le, que le génitif & le datif se fait toujours au pluriel & souvent au singulier par une contraction des particules de & à, qui sont les marques de ces deux cas, avec le pluriel les, & avec le singulier le ; au pluriel on dit toujours au génitif des par contraction, pour de les ; des Rois, pour de les Rois ; au datif aux pour à les ; aux Rois, pour à les Rois. On se sert de la même contraction & du même changement d’l en u au génitif & au datif singulier, aux noms masculins qui commencent par une consonne ; car on dit du, pour de le ; du Roi, pour de le Roi ; au, pour à le ; au Roi, pour à le Roi. Dans tous les autres masculins qui commencent par une voyelle, & tous les féminins généralement, on laisse l’article comme il étoit au nominatif, & on ne fait qu’ajoûter de pour le génitif, & à pour le datif ; l’état, de l’état, a l’etat : la vertu, de la vertu, a la vertu, Gram. rais. pag. 53.
A quand il est préposition se met ou devant les noms, ou devant les verbes. Quand il est mis devant les noms, il sert à marquer 1°, La situation : à droit, à gauche, être bien à cheval. 2°, La posture & le geste : à genoux, à bras ouverts. 3°, La distance : à vingt lieues de là. 4°, La qualité : de l’or à tant de carats. 5°, Le prix : à dix écus. 6°, La quantité : l’eau est à la hauteur d’une toise. 7°, La manière : il est habillé à l’Espagnole. Il faut dire à coups de trait, à coups de canon ; & non pas à coups de traits, & à coups de canons. Menage. 8°, La fin : les fraudes à bonnes intentions ne manquent point d’approbateurs parmi les dévots. Port-R. 9°, Il se met après les noms qui signifient nécessité, utilité, difficulté, possibilité. Dans le Traité de l’Examen, votre but à été de prouver que l’examen de la Religion, tel que vos freres le veulent prendre sur eux, & tel qu’il seroit nécessaire par leurs principes, est impossible aux uns, difficile aux autres, inutile à tous, s’ils n’établissent une infaillibilité avec laquelle il ne sera plus besoin d’examen. Peliss.
A signifie, successivement : Pas à pas. Il se sent mourir peu à peu. Il signifie, avec : Je l’abandonne à regret. Les douleurs à grand bruit sont d’ordinaire suspectes d’affectation. M. Scud. Ce poste a été emporté à la pointe de l’épée. Peindre à l’huile.
A est plus élégant que par dans certaines phrases. Il ne faut point se laisser prendre à l’apparence, ni à l’éclat trompeur des grandeurs humaines Flech. Ne vous laissez pas conduire à vos passions. A signifie, selon : à mon avis.
A, cette lettre s’emploie aussi fort souvent pour marquer ce que l’on possède. C’est un homme à carrosse, à équipage.
A, préposition, se met aussi devant l’infinitif des verbes ; en quoi la Langue Françoise diffère de la Latine, & ressemble à la Grecque, & aux Langues Orientales, ainsi que nous le montrerons au mot Préposition.
A se met quelquefois absolument devant l’infinitif de quelques verbes, sans être précédé d’aucun nom qui soit ou exprimé, ou sousentendu, & alors il se peut résoudre par le gérondif. A voir ses airs dédaigneux ; à dire le vrai, cependant, l’opinion de Calvin ainsi adoucie, ne renferme pas moins une contradiction formelle. Peliss. A tout prendre l’assemblage de ses traits, qui sont beaux en détail, ne fait point une belle personne. Fonten. C’est comme si l’on disoit, en prenant tous ses traits ensemble. Passer tranquillement la nuit à bien dormir, & le jour à rien faire. Boil. Il y a aussi des occasions où il se peut résoudre par quand, ou lorsque. A ne prévoir rien on est surpris, & à prévoir trop on est misérable. S. Evr. A raconter ses maux souvent on les soulage. Corn. Il se met aussi devant l’infinitif de quelques verbes sans être précédé d’aucun nom exprimé ; il y est seulement sousentendu : & en ce cas il se peut résoudre par le terme de quoi. Donnez-moi à manger. Servez-nous à dîner. A se met encore devant l’infinitif au lieu de pour. Je suis homme à ne contraindre personne. Mol. Il est d’humeur à se moquer de tout. A bien prendre la chose. A ne point mentir. Il a aussi la même signification de pour devant quelques substantifs, comme, Prendre Dieu à témoin, Prendre quelqu’un à partie.
A se met encore devant l’Infinitif des Verbes, avec un nom substantif, & signifie quelquefois ce que l’on doit observer. C’est une chose à taire : & quelquefois il désigne à quoi une chose est propre, ou à quoi elle est destinée : Bois à brûler : Cela est bon à manger.
A se met devant les noms, comme préposition, & signifie vers, ou du côté de. Je me tournai à trois ou quatre Chevaux-Legers. Bussy.
A est quelquefois préposition, mais rarement. Il est à la ville, aux champs. Cela est à la mode.
On dit aller à Rome, quand on fait le voyage de Rome. Mais quand on est à Rome, il faut dire aller dans Rome. Les Ambassadeurs vont dans Rome avec un grand équipage. Bouh. Quand il s’agit d’une simple demeure ou fixe, ou passagere, on dit à Paris : mais s’il s’agit d’autre chose, il vaut mieux dire dans Paris. Il s’est fait un meurtre dans Londres. On dit, aller à la Chine, aller au Japon, au Péloponèse, au Pérou, au Brésil, au Mexique, à la Caroline, & ainsi de la plupart des contrées de l’Amérique, contre la règle commune, qui veut qu’aux verbes de mouvement on mette en devant les noms de Province, ou de Royaume, qui sont le terme de mouvement, & à devant les noms de villes ou de petit lieu. Bouh. Cependant les François établis à la Chine & dans les Indes Orientales disent plus communément en Chine qu’à la Chine. Je n’ai pû trouver l’occasion de passer en Chine. Il y a quatre ans que je suis en Chine. Je ne prétends pas que cet usage doive prévaloir à celui qui est établi en France, de dire à la Chine, & non pas en Chine : j’avertis seulement d’un fait certain, sur lequel on fera telle réflexion qu’on jugera à propos. Quelques Grammairiens ont prétendu que A est le plus souvent adverbe, non seulement de temps & de lieu, comme, il vint à une heure imprévûe aborder à terre ; mais encore qu’il se joint à presque toutes les phrases adverbiales. Malheur à nous si nous consacrons ces victimes purifiées à la hâte, & sur le point de recevoir le coup mortel. Flech. Être à couvert, Vivre à discrétion, &c. Car si on y
prend garde de près, disent ces Auteurs, la plupart des exemples qu’on donne de son usage pour marquer la préposition, se réduisent à l’article du datif. Mais ce sentiment est faux, & contraire à ce que l’on a établi ci-dessus touchant l’usage de l’a dans la déclinaison des noms. Dans tous les exemples qu’on vient de rapporter ici, il est vrai que la phrase entière est une phrase adverbiale, c’est-à-dire, une manière de parler, qui équivaut à un adverbe ; mais il n’est pas vrai que l’a qui en fait partie soit un adverbe : c’est une véritable préposition. La preuve en est claire, tout adverbe signifie quelque chose tout seul, par lui-même, & indépendamment de ce qui précède ou de ce qui suit, au lieu que dans ces phrases l’a ne signifie rien de lui-même, & s’il n’est joint à ce qui suit, comme toutes les autres prépositions.
A est souvent une particule indéclinable, ou préposition, qui sert à la composition de plusieurs mots, & qui augmente, diminue, ou change leur signification. Quand elle s’y joint, quelques Ecrivains redoublent la consonne ; comme Addonner, Affaire, Attrouper : d’autres retranchent cette seconde consonne comme étant inutile & superflue.
Il seroit difficile de déterminer tous les différens usages de la préposition ou de la particule à. On les remarquera dans la suite : il s’en présentera des exemples presqu’à toutes les pages.