Dictionnaire de Trévoux/5e édition, 1752/A (lettre)

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
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DICTIONNAIRE
UNIVERSEL,
CONTENANT TOUS LES MOTS
DE LA
LANGUE FRANÇOISE ;
DES SCIENCES ET DES ARTS,
Avec les Termes Latins qui peuvent y convenir.

A. A.

A est la première Lettre de l’Alphabet François. Elle répond entièrement à la Lettre A des Latins, qui est, comme Jules Scaliger l’a remarqué, le premier son articulé que la nature pousse, le premier cri des Enfans, & qui n’a point besoin d’autre mouvement que de celui d’ouvrir la bouche.

C’est inutilement que la plupart des Grammairiens comparent la Lettre a des Latins & des François, avec l’aleph des Hébreux & l’eliph des Arabes ; parceque ces deux Lettres n’ont aucun rapport avec notre a, si ce n’est qu’elles sont les premières dans l’Alphabet Hébreu & dans celui des Arabes ; mais elles ne sont pas des voyelles comme dans la Langue Françoise. Quelques Auteurs disent que la lettre aleph n’est ni une consonne, ni une voyelle ; mais qu’elle répond à ce que les Grammairiens appellent esprit. Et c’est ce qui a fait dire à Vossius que chez les Hébreux l’aleph, le he, le heth, le hain, ne sont point proprement des Lettres, mais des esprits ; ensorte que l'aleph est ce qu’on nomme communément spiritus lenis, un esprit doux. Ils ajoûtent que pour parler exactement, il faut dire que ce sont des Lettres qui servent d’aspiration, pneumaticae litterae, comme la Lettre H en notre Langue & dans la Latine ; que c’est de cette manière que S. Jérôme s’explique en parlant de ces quatre lettres, lorsqu’il est exact ; ce qu’il avoit sans doute appris des Juifs de Tibériade, qui avoient une connoissance parfaite de la Langue Hébraique ; mais ce sentiment, ou est faux, ou n’est qu’une question de nom. L’aleph Arabe


& l’aleph Syriaque sont de vraies consonnes, aussi-bien que le he, le heth, le hain & toutes les Lettres aspirées. Voyez ce que nous dirons au mot Aspiration & au mot Esprit.

A se prononce du gozier, ce qui ne rend pas ce son désagréable, s’il n’y a de l’affectation. Covarruvias dit, que le premier son que l’homme fait entendre en naissant est le son de l’a ; ensuite il distingue & dit, que les garçons font entendre le son de l’a, & les filles le son de l’e, chaque sexe faisant entendre le son qu’à la première Lettre du nom des premières personnes de même sexe qu’il y a eu dans le monde.

Le son de l’a est ordinairement un son clair. Quelquefois il est obscur & long, & alors l’a pour l’ordinaire est marqué d’un accent circonflexe, comme âne ; l’a a encore le même son obscur, & est long devant un s qui ne se prononce pas, comme dans ces mots, blasme, asne, aspre : il est vrai qu’aujourd’hui on ôte cette s ; & pour en marquer le retranchement, on met un accent circonflexe sur l'a, blame, âne, âpre..

Le son de l'a est un de ceux que les muets forment plus aisément, sur-tout quand il est un peu nazal & obtus, comme an, parce que pour former ce son on n’a pas besoin des muscles & des autres organes de la bouche, qui manquent ordinairement aux muets, ou qui sont liés & embarrassés dans les muets ; mais de ceux de la gorge et du nez qu’ils ont.

A devant un e, avec lequel il fait une diphtongue, n’a point de son, & ne se fait point sentir, comme dans le mot Aeole, &c. Dans ces mots là on supprime l’a, & l’on écrit comme on prononce Eole, équateur, équinoxe, &c. Et non pas Aeole, aequinoxe, aequateur, &c. A devant un i, ou devant un y, avec lequel il forme une diphtongue, a différens sons : quelquefois il se prononce comme un è ouvert, comme dans maison, &c. quelquefois comme un é fermé, comme dans pays, paysan ; lisez & prononcez péis, péisan, &c. quelquefois comme un e muet, comme dans ces mots faisois, & les autres personnes du même tems, faisant, &c. Prononcez fesois, fesant.

A devant o & ne faisant qu’une même syllabe avec l'o & la consonne qui suit, conserve le son qui lui est propre, & absorbe celui de l’o ; exemple, faon, Laon, paon ; lisez & prononcez fan, Lan, pan ; la même chose arrive à l’e comme dans le mot Caen, ville de basse Normandie, que l’on prononce comme s’il étoit écrit Can.

A devant u se prononce comme un o, comme dans les mots Auteur, autorisé, authentique. Dans la dernière syllabe d’un mot cet au se prononce quelquefois comme un o long, à cause de l’s, ou de l’x qui suivent, comme dans animaux, chevaux : les autres consonnes ont le même effet, & allongent la prononciation d’au. Exemple, badaut, saut, &c.

A devant y a le même son que devant i ; il faut seulement remarquer que l’on met aujourd’hui un i dans presque tous les mots où l’on mettait autrefois un y, comme dans plaie, paie, futaie, &c.

☞ Il y a quelques personnes qui se sont fait une règle de conserver l’y dans les mots où il est devant une voyelle, & et où il tient lieu de deux ii voyelles, comme dans les mots payer, envoyer, &c. & certainement il faut conserver toujours l’y dans ces sortes de mots, comme nous le dirons au commencement de la lettre Y.

A devant les consonnes a toujours le même son qui est clair, si ce n’est devant un s qu’on ne prononce point ; car alors le son de l’a est obscur & long, & devant une m ou une n, devant lesquelles il a un son obtus & nazal, comme dans amphibologie, anse, enfant, &c. mais alors ce n’est pas l’a tout seul qui est voyelle, c’est le son de l’a & de l’n ou de l’m ensemble qui font une voyelle, an, am ; ainsi qu’on le peut voir dans les Essais de Grammaire de M. l’Abbé Dangeau, qui nomme ces voyelles des voyelles Esclavonnes, ou nazales.

A après les autres lettres, à la fin d’un mot, a toujours un son clair ; mais s’il est au milieu d’un mot sa prononciation changera, & le son qu’on lui donnera sera clair, ou obscur, ou obtus, bref ou long, selon les différentes consonnes qui le suivront, comme on vient de l’expliquer.