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Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ABRACADABRA

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 34-35).
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ABRACADABRA. Terme Barbare, qui se trouve dans les Lettres de Voiture. C’est dans la 192e Lettre à M. Costar, qu’il lui propose, en riant, cette recette pour la fièvre.

Inscribas chartæ quod dicitur Abracadabra.
Sæpius & subter repetas, mirabile dictu,
Doneo in angustum redigatur littera conum.

C’est-à-dire, en écrivant ainsi :

 

Abracadabra

Abracadabr
Abracadab
Abracada
Abracad
Abraca
Abrac
Abra
Abr
Ab

A

La superstition avoit attaché à ce mot écrit de la sorte, de grands mystères, & la propriété de guérir de la fièvre. M. Voiture a raison de se moquer de cette recette, & on auroit de la peine à croire que personne y eût jamais ajouté foi, si l’on ne savoit d’ailleurs de quels excès l’esprit humain est capable, lorsqu’il s’abandonne à la superstition & à l’amour des nouveautés en fait de Religion.

Abracadabra, étoit une inscription qui servoit de caractère pour guérir plusieurs maladies, & chasser les Démons. L’Auteur de ce caractère superstitieux vivoit sous l’Empereur Adrien. Il reconnoissoit pour Dieu souverain Abracax, ou Abraxas, duquel dépendoient plusieurs autres Dieux, & sept Anges qui présidoient aux sept Cieux. Il leur attribuoit 365 vertus, autant que de jours en l’an, & débitoit je ne sais combien d’autres rêveries. S. Jérôme, dans son Commentaire sur le chap. 3 du Prophète Amos, écrit que le Dieu ΑΒῬΑΞΑΣ est le même que les païens adoroient sous le nom Mitra ; & l’on trouve aussi des pierres gravées, où la figure d’un Lion couronné de rayons a pour inscription ϺΙΘΡΑΚ ou ΜΙΘΡΑΞ. On trouve chez les curieux plusieurs pierreries, sur lesquelles est inscrit ce nom Abracax. C’étoient les Gnostiques, les Basilidiens, & les Carpocratiens qui faisoient graver ces pierres, qui avoient des figures fort singulières, & qui représentoient quelquefois des Anubis, des têtes de lions, des dragons, &c. Les Anciens qui en ont parlé, sont S. Irénée, Liv. i. Ch. 24. de la dernière édition. Tertullien, de Præscript. Ch. 46. S. Epiphane, hær. 24, num. 7 & 8. S. Jérôme à l’endroit que j’ai cité, Théodoret, hær. & fabul. Liv i. Ch. 4. S. Augustin, hæres. 4. S. Jean Damascène, hær. 24. Tous ces Peres n’attribuent la fable du Dieu Ἀβρατὰϛ qu’à Basilides, & aux Basilidiens. Parmi les Modernes, Macarius & Chifflet ont fait des traités sur cet Ἀβρασὰξ. Baronius, Gassendi, du Gange, le Pere Hardouin dans une Dissertation particulière ; le P. Montfaucon, Palæogr. L. II. Ch. 8. Feuardent, & le P. Massuet dans leurs Notes sur S. Irénée, en font aussi mention.

Le mot qu’on écrit ici, Abracax, doit être écrit en caractère Grecs, ΑΒΡΑΚΑΞ ; parce qu’outre que ceux qui l’ont autrefois inventé, parloient la Langue Grecque, on n’y trouvera pas le nombre de 365 si on l’écrit en Latin : cette faute, qui est dans la plûpart des livres, vient de ce que la lettre grecque Sigma, a la figure d’un C latin dans les anciennes inscriptions. Si donc on veut l’exprimer en Latin, il faut écrire Abrasax, & en lettres grecques courantes, ou ordinaires, ἀβρασαξ. Au reste, Baronius a eu raison de soutenir dans l’Appendix de son second tome des Annales Ecclésiastiques, qu’il falloit lire ΑΒΡΑΣΑΞ, & non pas ΑΒΡΑΞΑΣ. Car dans tous les Peres Grecs qui en parlent, c’est-à-dire, S. Epiphane, Théodoret, S. Jean Damascène, on lit Ἀβρασὰξ. Il n’y a que dans les Latins qu’on trouve Abraxas, & Abraxan, à l’accusatif. Il est vrai que dans S. Irénée on lit Ἀβραξὰς ; mais nous n’avons qu’en Latin le chapitre où il en parle, & si Ἀβραξὰς y est écrit en Grec, c’est aux Copistes Latins, ou aux Editeurs qu’il faut l’attribuer. Or il est très-facile qu’on ait transporté le Ξ & le Σ. Il paroît même, sur-tout par S. Jérôme, que c’est l’usage qui avoit fait la transposition. Pour les pierres, je n’en ai point vu qui eussent Ἀβραξὰς. S’il en est, comme on le dit, je ne doute point que ce ne soit ou un mauvais usage que l’ignorance avoit introduit, ou une faute de Graveur. C’est ainsi que l’on trouve Μϑραξ au lieu de Μϑραϰ.