Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ACAJOU

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 56-57).
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ACAJOU. s. m. Arbre de l’Amérique de la hauteur de nos pommiers, branchu & chargé de beaucoup de feuilles. L’écorce de son tronc est ridée & cendrée. Son bois est rougeâtre, les feuilles sont sèches, fermes, luisantes, arrondies, & ont cinq pouces de longueur sur trois de largeur. Les extrémités de ses branches se terminent par un bouquet de fleurs panachées de rouge & de vert, d’une seule pièce taillée en entonnoir. De plus de cent fleurs qu’il y a quelquefois sur un bouquet, il n’y en a que trois à quatre qui nouent ; c’est le pistil de la fleur qui devient un fruit de la figure d’une poire grosse comme un œuf d’oie, qui, en mûrissant, est tantôt rouge, tantôt jaune, & tantôt également teint de ces deux couleurs, & dont la grande âcreté diminue à mesure qu’il mûrit. De l’extrémité de ce fruit pend une semence ou amande bonne à manger, revêtue de deux écorces, dont la première est gris de souris, & l’autre brune, entre lesquelles est contenue une liqueur huileuse, très-caustique, & dont on se sert en Amérique pour emporter les dartres & faire tomber les cors des pieds. Le suc de cette poire qui soutient la semence, quand il est nouvellement exprimé, est blanc, laiteux, & d’une âcreté si grande, qu’il prend à la gorge, & qu’on ne peut le boire qu’après qu’il a fermenté & qu’il s’est éclairci ; pour lors il est agréable, & a le goût vineux. Il coule du tronc de l’Acajou une gomme semblable à celle qu’on nous apporte du Sénégal ; mais elle est en plus gros morceaux ; elle se fond dans l’eau comme la gomme Arabique. Thevet, Pison, & la plupart des Voyageurs nous ont parlé de cet arbre.

Il y a d’autres arbres qu’on nomme dans les Îles d’Amérique Acajou rouge, Acajou blanc, Acajou à planches, Acajou à canot ; mais le caractère de ceux-ci ne nous est pas si connu. M. Louvillers de Poinci, dans son Histoire naturelle des Antilles, fait de l’Acajou une description plus détaillée & différente de celle-ci. Il y a, dit-il, trois sortes d’arbres qui portent le nom d’Acajou. Mais il n’y en a qu’un qui donne du fruit. C’est un arbre de moyenne hauteur, qui penche ses branches jusqu’à terre. Ses feuilles sont belles & larges, arrondies par devant, & rayées de plusieurs veines. Il porte des fleurs qui sont blanches, lorsqu’elles s’épanouissent ; puis elles deviennent incarnates, & d’un assez beau pourpre. Elles croissent par bouquets, & elles exhalent une odeur agréable. Ces fleurs ne tombent point jusqu’à ce qu’elles soient poussées par une espèce de chataigne faite en forme d’oreille, ou de rognon de lièvre. Quand cette chataigne a pris son accroissement, il se forme au-dessous une belle pomme longuette, qui est couronnée de cette crête, qui devient en mûrissant d’une couleur d’olive, pendant que la pomme se revêt d’une peau délicate & vermeille. Elle est remplie de certains filamens spongieux, qui sont imbus d’un suc doux, aigre, qui désaltère, & que l’on croit très-bon pour la poitrine & pour les défaillances, lorsqu’il est tempéré avec un peu de sucre. Mais s’il tombe sur quelque linge, il y imprime une tache rousse qui ne s’efface, dit-on, que lorsque l’arbre fleurit de nouveau. Les Indiens font un breuvage excellent de ce fruit, lequel étant gardé quelques jours, enivre aussi promptement que le meilleur vin de France. La noix qui est au-dessus étant brûlée, rend une huile caustique de laquelle on se sert pour amollir, & même pour extirper les cors des pieds. Si on la casse, on trouve dedans, un pignon d’un très-bon goût, & propre à échauffer & fortifier l’estomac quand il est dépouillé de la pellicule qui l’enveloppe. Cet arbre ne porte du fruit qu’une fois l’an, d’où vient que les Brésiliens comptent leur âge avec les noix qu’il produit. Ils en réservent chaque année, qu’ils conservent avec grand soin dans un petit panier qui n’est destiné qu’à cet usage. Si on fait une incision au pied de cet arbre, il en découle une gomme claire & transparente, que plusieurs ont prise pour celle qui vient d’Arabie. La semence de l’arbre est dans la noix.

Les autres Acajous sont des arbres propres à bâtir. On en fait cas à cause de leur bois. Ils sont si hauts & si gros, que les Caraïbes tirent souvent d’un seul tronc ces grandes chaloupes, qu’ils appellent Pyrangues, qui peuvent porter 50 hommes. Ils poussent plusieurs branches fort touffues, & qui font un ombrage fort agréable. Il y a deux sortes d’Acajous, qui ne différent que par la hauteur de leur tronc & la couleur de leur bois. Le plus estimé est le rouge, qui, outre ce qui en a été dit ci-dessus, est fort facile à mettre en œuvre. Il ne se pourrit point dans l’eau. Les armoires qui en sont faites, donnent une bonne odeur aux habits, & les préservent des vermines qui s’engendrent, ou se glissent dans les coffres d’une autre matière. Ces propriétés sont cause que quelques-uns ont cru que cet arbre étoit une espèce de Cèdre. On en fait de petites planches pour couvrir les maisons. L’Acajou blanc est semblable par sa forme à l’Acajou rouge ; mais il n’est pas tout-à-fait si haut. Il est facile à mettre en œuvre, quand il est nouvellement coupé ; mais si on le laisse à l’air, il devient si dur, qu’on a bien de la peine à s’en servir. Il est sujet aux vers, & se pourrit en peu de temps. Si on fait une incision au pied de ces arbres, ils jettent une grande abondance de gomme. Voyez aussi l’Histoire des Antilles du P. Du Tertre, Tr. III. C. 4. §. 4. & C. 5. §. 6. & Pison, Liv. iv. C. 6. Il l’appelle du nom que lui donnent les sauvages. Acaja Iba.