Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ALLEMAND

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 237-238).
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ALLEMAND, ANDE. s. m. & f. Ce mot est le nom du peuple qui a occupé la vieille Germanie, qui habitoit le long des rives du Rhin, du Danube, de l’Elbe & de l’Oder. Allemannus, Germanus. Le mot Allemand, Allemannus, ne se trouve point, comme j’ai dit, avant Caracalla. Quelques Auteurs ont tiré ce nom du Lac Léman, à Lacu Lemano, aujourd’hui le Lac de Genève ; d’autres d’un fleuve nommé Almon, aujourd’hui Altmul. Mais la plus commune opinion, & qui paroît certaine, est qu’il vient de deux mots allemands dont l’un est all, qui signifie tout, & l’autre man, qui signifie homme. Dès le IIIe siècle Asinius Quadratus, qui écrivoit sous les Philippes, disoit, au rapport d’Agathias, que dans la langue des Allemands c’étoit-là le sens de leur nom ; cependant on ne convient pas de la raison qui le fit donner à ces peuples, & l’on varie sur cela, selon que l’on varie sur l’origine de ce peuple. Quelques-uns ont prétendu, qu’on avoit appellé les Germains Allemands, c’est-à-dire, Tout homme, de gar, & man, & planè virum, entièrement homme ; parce qu’ils étoient très-belliqueux ; qu’ils n’avoient rien que d’homme & de mâle ; que tout en eux étoit homme, mâle, viril. Peu d’Auteurs sont de ce sentiment, qui ne paroît pas vrai. Cluvier, dans le IIIe Liv. de son Ancienne Germanie, prétend que les Allemands n’étoient pas Germains, mais Gaulois d’origine. Tacite dit au Liv. des mœurs des Germains, ch. 29, que des Gaulois avoient passé le Rhin, & s’étoient établis au-delà de ce fleuve & du Danube, & y avoient étendu leurs conquêtes : ce sont là, selon Cluvier, les premiers Allemands, qui furent ainsi appelés, parce que c’étoit un mélange de différentes Nations gauloises. D’autres veulent que les Gaulois n’aient point été les vrais Allemands, mais un assemblage de différens peuples venus de différens endroits, du nord, ou de l’orient de la Germanie. M. Sperlinger, savant Danois, dans une Dissertation où il a prétendu montrer que nous venons du Nord, aussi-bien que presque tous les peuples de l’Europe, soutient que le septentrion a été peuplé d’abord ; que c’est la première demeure des Celtes ; que ces peuples multiplierent en si grande quantité dans ce pays, qu’on les appela Allman, qui ne signifie pas assemblage de différens peuples mais grande & nombreuse nation ; comme il paroît par les autres composés semblables du nom all. Car, dit ce savant Danois, allaf signifie grande & universelle succession, magna & universæ hæreditas, & alting, Jugement grand & général. Tout cela peut être vrai, sans que les Allemands, ni les Gaulois soient venus du Nord ; & l’on a pu appeler les Celtes des Gaules, la grande & universelle nation, parce qu’en effet ils multiplierent extrêmement, & peuplerent beaucoup de pays, en Espagne, en Italie, dans l’Albion, & en Germanie. Sous Clovis, les Allemands qui n’avoient pas encore donné leur nom à toute cette grande étendue de pays aujourd’hui si peuplée & si féconde en vaillans guerriers, faisoient un peuple à part, qui habitoient la plus grande partie des terres situées entre le Mein, le Rhin & le Danube. P. Daniel. Allemand, selon Chrétien Juncker, ne signifie autre chose qu’un habitant du fleuve Almon, aujourd’hui Altmuhl qui coule entre la Souabe, la Franconie & la Bavière.

Le mot Allemand est venu en usage dans la langue, en ces phrases proverbiales : Vous me prenez bien pour un Allemand ; c’est-à-dire, pour une dupe, pour un homme qui ne connoît pas le prix des choses, pour un brutal, pour un ivrogne. Ainsi Sarrasin a dit, Philis, la plûpart des amans sont des Allemands, de tant pleurer, &c. On dit aussi, une querelle d’Allemand; c’est-à-dire, une querelle faite sans sujet, & de gaieté de cœur. Je n’entends non plus cela que le haut Allemand ; c’est-à-dire, que c’est une chose qui n’est point intelligible.

Ce mot en langage de pays, signifie Tout homme ; desorte que ce peuple a été appelé ainsi, à cause qu’il étoit composé de plusieurs nations, comme témoigne Agathias, de même que les anciens habitans du même pays, avoient été appelés autrefois Germains, parce qu’ils vivoient entre eux en paix, sans haine, ni jalousie.