Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AMITIÉ

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 297-298).

☞ AMITIÉ. s. f. Affection qu’une personne a pour une autre. Affection qui naît de notre propre choix, qui ne prend point sa source dans les attraits d’un sexe ou d’un autre, & qui n’est point dépendante des liens du sang. Un commerce où le cœur s’intéresse par l’agrément qu’il en tire, est amitié. Amicitia, necessitudo, familia ritas, benevolentia. L’amitié est une convention tacite de s’aimer & de s’estimer mutuellement. S. Evr. C’est l’amitié qui adoucit toutes les douleurs, qui redouble tous les plaisirs, & qui fait que dans les plus grandes infortunes on trouve de la consolation. M. Scud. Ce que les hommes ont nommé amitié, n’est qu’un commerce d’intérêt, où l’amour propre se propose toujours quelque chose à gagner. Rochef. Rien n’est si beau que ce qu’on dit de l’amitié ; il seroit seulement à souhaiter que cela fût véritable. M. Esp. Les passions violentes des jeunes gens rompent toutes les mesures de l’amitié. S. Evr. Cette communication & cet échange si libre & si sincère de sentimens qui se fait dans l’amitié, est le plus doux plaisir de l’esprit. M. Esp. Ces violentes amitiés d’Oreste & de Pylade sont un peu chimériques, & la belle union de ces héros de l’amitié passeroit aujourd’hui pour un attachement outré, qui n’est bon qu’à faire le sujet d’une tragédie. S. Evr. L’amitié consiste dans cette conformité universelle de sentimens qui fait aimer & haïr les mêmes choses. M. de Bussi Rabutin emploie ce mot amitié, en parlant de lui-même a l’égard du Roi. L’amitié que j’avois pour le Roi.

L’innocente Amitié de la terre exilée,
Retourna dans le Ciel, où Dieu l’a rappelée :
Son nom seul est resté : l’espoir, l’ambition,
Le plaisir, l’intérêt emprunterent son nom.

☞ C’est l’insuffisance de notre être qui fait naître l’amitié.

☞ L’intérêt peut tout sur les ames. On se cherche dans l’objet de tous ses attachemens : & comme il y a diverses sortes d’intérêts, on peut distinguer aussi diverses sortes d’affections que l’intérêt fait naître entre les hommes. Un intérêt de volupté fait naître les amitiés galantes. Un intérêt d’ambition fait naître les amitiés politiques. Un intérêt d’orgueil fait naître les amitiés illustres. Un intérêt d’avarice fait naître les amitiés utiles. Généralement parlant, nous n’aimons les gens qu’autant qu’ils nous sont agréables ou utiles. S’il arrive que tous ces intérêts s’unissent pour former les sentimens que nous avons pour une personne, rien n’est comparable à l’attachement que nous avons pour elle. Abad.

☞ Le vulgaire qui déclame ordinairement contre l’amitié intéressée, ne sait ce qu’il dit. Il se trompe en ce qu’il ne connoît qu’une sorte d’amitié intéressée, qui est celle de l’avarice, au lieu qu’il y a autant de sortes d’amitiés intéressées, qu’il y a d’objets de cupidité.

☞ D’ailleurs, il trouve à redire qu’on aime les hommes par intérêt, & qu’on les aime plus fortement par ce principe, que par tout autre ; ne comprenant pas qu’aimer par intérêt, c’est s’aimer directement soi-même, au lieu que les aimer par d’autres principes, c’est s’aimer par détour & par réflexion. Il ne s’apperçoit pas que nous condamnons l’amitié intéressée, quand elle est dans le cœur des autres, mais non pas quand elle est dans notre cœur. Enfin il s’imagine que c’est être criminel que d’être intéressé ; ne considérant pas que c’est le désintéressement & non pas l’intérêt qui nous perd. Si les hommes nous offroient d’assez grands biens pour satisfaire notre ame, nous ferions bien de les aimer d’un amour d’intérêt, & personne ne devroit trouver mauvais que nous préférassions les motifs de cet intérêt à ceux de la proximité & de toute autre chose.

☞ Devoirs de l’amitié, plaisirs de l’amitié, termes synonymes pour les bons cœurs. Le devoir assujettit ; le plaisir flatte ; & nous sommes moins assujettis que flattés, quand nous servons nos amis.

☞ Pour les connoisseurs & les délicats, l’amitié est tellement supérieure à l’amour, que la maîtresse la plus aimable n’a tout au plus dans un cœur que les restes de l’ami : on se prête à l’amour, mais on se livre à l’amitié.

☞ Mon Dieu ! que les hommes perdent à ne se point aimer ! je crois qu’ils ne négligent les ressources de la pure amitié, que parce qu’elle approche trop de la vertu.

☞ La véritable, la solide, la particulière amitié est une espèce de mariage, dont le contrat ne peut subister qu’entre de très-honnêtes gens. L’estime en règle les conventions, & la mort seule peut le résoudre.

☞ Demander, souhaiter l’amitié. Amicitiam appetere. Gagner l’amitié. Amicitiam consequi, sibi comparare, conciliare. Rompre l’amitié, renoncer à l’amitié. Amicitiam disrumpere, divellere, dissociare, dissuere, dissolvere. Avoir de l’amitié par intérêt, autant qu’on y trouve son compte. Amicitiam ad calculos vocare. Cette expression de Cicéron paroît aussi signifier, compter jusqu’au moindre service qu’on rend à son ami.

On dépeint l’amitié comme une fille vêtue d’un habit blanc, qui marque sa sincérité & sa candeur, & on lui donne cette devise, Longè & propè. De Roch. La couronne de fleurs de Grenade étoit chez les Anciens la figure & le symbole d’une amitié parfaite. Sa couleur qui ne change jamais, exprime l’ardeur & la confiance d’une amitié. Le fruit de cet arbre a été pris aussi pour le véritable hiéroglyphe d’une tendresse légitime. Il a le cœur ouvert sous la pourpre & le diadème, & ses graines sont autant de marques d’une véritable union.

Amitié, se dit aussi pour marquer l’affection des animaux pour les hommes. Ce chien a beaucoup d’amitié pour son maître.

Amitié, se dit figurément des choses qui sympathisent. Necessitudo. Il y a de l’amitié entre la vigne & l’ormeau, entre le fer & l’aimant.

Amitié, signifie encore, plaisir, bon office. Opera. Faites-moi cette amitié, ou faites-moi l’amitié de recommander mon affaire.

Au pluriel, Amitiés signifie, complimens, caresses, paroles qui témoignent de l’amitié. Planditiæ, Officiosa verba. Quand je lui ai porté cette nouvelle, il m’a fait cent amitiés. Faites, je vous prie, mes amitiés à un tel.

Amitié, en termes de Peinture, se dit pour exprimer la convenance & le rapport que les couleurs ont les unes avec les autres, & le bel effet qu’elles font à la vue, lorsqu’elles s’accordent bien ensemble. Convenientia.

On dit quelquefois, qu’un drap, qu’une étoffe de laine n’ont point d’amitié ; pour dire, qu’ils sont durs & peu maniables.

Amitié, en termes de certains Jardiniers précieux, se dit du fumier & de tout ce qui sert à améliorer la terre. On ne sauroit donner trop d’amitié aux arbres.

Amitié, en termes de Blatiers & de Marchands de blé, signifie la fraîcheur nécessaire au blé pour être de bonne qualité. Frumenti bona dos & conditio. Le blé, pour être bon, doit être sec, & non pas aride ; mais conservant une espèce de fraîcheur que les Marchands appellent avoir de l’amitié ou de la main. De La Mare.

On dit proverbialement, que l’amitié passe le gant, quand quelqu’un touche en la main d’un autre sans le déganter. Il est de bonne amitié, il a le visage long. Les Marchands disent à ceux qui leur offrent trop peu, Vous l’auriez aussi-tôt pour votre amitié. L’amitié se paye par l’amitié, c’est-à dire, qu’elle doit être réciproque. On dit aussi populairement, qu’une viande n’a point d’amitié ; pour dire, qu’elle est dure, insipide ou dégoûtante.

Autrefois on disoit amistié pour amitié.