Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ANTIPHRASE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 390).

ANTIPHRASE. s. f. Terme de Grammaire. Contre vérité, figure ironique, par laquelle en disant une chose on entend tout le contraire. Anciphrasis. Ce mot vient d’ἀντὶ, & φράσις, qui vient de φραζω, je parle.

C’est une erreur allez commune de faire consister l’antiphrase dans un seul mot, comme quand on dit que le mot de Parque est une antiphrase, parce que les Parques n’épargnent personne. Parcæ, quia nemini parcunt. S. Jérôme, dans son épître à Riparius contre Vigilance, dit que l’on doit plutôt appeler Dormitantius par une antiphrase, que Vigilantius, parce qu’il s’opposoit aux veilles que les Chrétiens faisoient sur les tombeaux des Martyrs. Sanctius, dans sa Minerve, p. 431, condamne cette antiphrase, qui ne tombe que sur un mot, parce que phrasis ne signifie pas un seul mot, mais une partie d’un discours, orationem aut loquendi modum. Ce n’est pas que ce savant Grammairien nie absolument qu’il y ait de véritables antiphrases ; mais il prétend que l’antiphrase est une espèce d’ironie, lorsqu’on exprime par une négative ce qui a dû être exprimé affirmativement : Antiphrafis est ironiæ quædam forma, cum dicimus negando id quod debuit affirmari : comme quand on dit, il ne me déplaît pas, il ne dispute pas mal, au lieu de, il me plaît, il dispute bien. ☞ Sanctius auroit encore mieux fait de ne pas supposer que l’antiphrase doit être exprimée par une négative. Car si en voyant une femme laide, je dis, voila une jolie femme. Si en montrant un fripon, je dis, voila un honnête homme ; ce sont de vraies antiphrases, ou contre-vérités. On doit donc placer l’antiphrase entre les figures qui regardent les sentences & non entre celles qui regardent les mots, non inter figuras verborum, sed sententiarum. Cela étant, Erasme ne parle pas en bon Grammairien, quand il donne pour exemple de ces antiphrases, dans sa remarque sur la lettre de S. Jérôme, le mot de bellum, guerre, parce que la guerre n’a rien de beau, bellum, quod nihil habeat belli.