Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ARBITRE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 459-460).
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ARBITRE. s. m. Puissance que la volonté a de choisir, de se déterminer à une chose plutôt qu’à l’autre. On joint toujours à ce mot l’épithète de franc ou de libre. Dieu a donné aux hommes leur franc arbitre, leur libre arbitre. Arbitrium, libera volontas. De bons Auteurs aiment mieux libre arbitre que franc arbitre. Il est plus usité. Ménage préféroit libéral arbitre à libre arbitre. Il le fait venir de liberale qu’on a dit pour liberum dans la basse latinité. Libéral arbitre qu’on disoit autrefois ne se dit plus que parmi le peuple. En voulant accorder la grace avec le libre arbitre, il blessa l’honneur de celle-là, & flatta l’orgueil de celui-ci. God. Le libre arbitre est une faculté de la raison & de l’entendement, parce que la raison est considérée comme un arbitre, ou comme un Juge qui examine, qui consulte, qui délibère, & qui enfin décide ce qu’il faut choisir. Bern. Pour détruire le Pélagianisme, l’on s’est jeté dans les extrémités opposées en ruinant le franc arbitre, & rétablissant la fatalité inflexible des Stoïciens. Boss. S. Justin, dans sa première apologie, prouve le libre arbitre par le blâme & la louange, par le changement des mœurs en bien ou en mal ; parce qu’il n’y auroit ni vice, ni vertu, & que le bien & le mal ne seroient que dans l’opinion des hommes. Ce qui est, dit-il, la souveraine impiété, & la souveraine injustice, comme la droite raison le montre. Fleury. Voyez Liberté.

Arbitre, est aussi un Juge nommé par le Magistrat, ou choisi volontairement par les parties, auquel elles donnent pouvoir par un compromis de juger de leur différent. Arbiter. Les Arbitres compromissaires doivent juger à la rigueur, aussi-bien que les autres Juges. En Provence on envoie les parens qui plaident pour être jugés en première instance par-devant des Arbitres. Chez les Romains on pouvoit se soumettre à l’arbitrage d’une seule personne, mais ordinairement on en choisissoit plusieurs, & presque toujours en nombre impair. Quand ils étoient en nombre pair, & qu’ils ne s’accordoient pas, ils ne pouvoient prendre eux-mêmes un tiers, il falloit que les parties en convinssent, ou que le Préteur en nommât un d’office. Il n’étoit pas permis de convenir d’Arbitres dans les affaires où le public avoit intérêt, comme les crimes, les mariages, les questions d’Etat. On ne pouvoit appeler d’une sentence arbitrale, parce que l’effet d’un appel est de suspendre l’autorité d’une juridiction, & non pas d’une convention. Enfin, l’arbitrage finissoit par la mort de l’un des Arbitres, ou de l’une des parties. En France nous avons trois sortes d’Arbitres ; savoir, ceux qui en vertu du compromis sont obligés de suivre la rigueur du droit, ceux à qui les parties donnent pouvoir de se relâcher de cette rigueur, & ceux par-devant lesquels on est renvoyé par le Juge. On ne peut choisir d’Arbitres pour les choses qui concernent l’Etat, ou le Public, mais bien pour les choses qui en résultent : ainsi on ne peut pas suivre l’avis des Arbitres pour raison de crimes, mais on le peut pour des réparations civiles. Toutes sortes de personnes peuvent être Arbitres, excepté, 1.o Ceux qui sont morts civilement au monde, ou qui leur sont comparés. 2.o Ceux qui sont infâmes. 3.o Ceux qui sont mineurs de vingt-un ans. 4.o Les Juges par devant lesquels étoit pendant le différent, pour lequel on a compromis. A l’égard des femmes, on peut se soumettre à leur jugement, lequel, quoiqu’il ne soit d’aucune autorité, a pourtant l’effet de faire condamner celui qui n’y veut pas déférer, à payer la peine portée par le compromis : cependant il y a un arrêt contraire, rapporté par M. le Prestre, cent. 3, chap. 32. On peut appeler de la sentence des Arbitres, quand même on auroit stipulé qu’on ne pourra appeler ; parce que si cette convention avoit lieu, il seroit libre à des particuliers de donner une autorité souveraine à d’autres qu’à ceux que le Roi a choisis pour juger à sa place. Voyez Rebuffe sur les Ordonnances, Tit. de Arbit. & les Ordonnances de 1667, 1673, &c.

Justinien a généralement défendu de prendre une femme pour Arbitre, parce que ces sortes d’emplois ne conviennent pas à son sexe. Le Droit Canon a excepté les femmes d’une qualité éminente, ou qui ont quelque autorité sur les personnes qui ont compromis sur elles. Le Pape Alexandre III, confirma une sentence arbitrale, rendue par une Reine de France, même dans un cas où il s’agissoit du temporel de l’Eglise. Les arbitres sont obligés de rendre leur jugement dans le temps qui leur est limité, & de ne point excéder les bornes du pouvoir qui leur est prescrit par le compromis. De Launay. Les arbitres compromissaires sont tenus de juger à la rigueur, quand cela est stipulé par le compromis : mais si les parties les ont autorisés à prononcer selon la bonne foi, & selon l’équité naturelle, sans les astreindre à la rigueur de la loi, alors ils ont la liberté de retrancher quelque chose du bon droit de l’une des parties, pour l’accorder à l’autre, & de prendre un milieu équitable entre la bonne foi, & l’extrême rigueur. Id.

Arbitre, se dit figurément de celui qui est maître absolu. Summus Arbiter. Le Roi est l’arbitre de toute l’Europe, il est l’arbitre de la paix & de la guerre. Un amant dit que sa maîtresse est l’arbitre de son sort. Dieu est l’arbitre du genre humain. Il est devenu l’arbitre de la mort des citoyens. Vaug. Etre libre, c’est être seul arbitre de ce que l’on fera, ou de ce que l’on ne fera pas. La Bruy. Le Père du Cerceau dit en s’adressant aux Parques.

Arbitres du destin, Divinités terribles,
Accordez à nos vœux des jours doux & paisibles.