Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ARTICLE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 537-539).

☞ ARTICLE. s. m. Articulus, diminutif de artus, membre. Dans le sens propre on entend par article les jointures des os du corps des animaux, unies de différentes manières, & selon les divers mouvemens qui leur sont propres. Ce mot est synonyme à articulation. On appelle aussi articles les choses mêmes qui sont jointes. Chaque partie dont un doigt est composé, est un article. Mais en ce sens article n’est pas si usité que jointure.

☞ Par métaphore & par extension, on a donné divers sens à ce mot.

☞ En Peinture, comme en anatomie, article signifie les jointures ou articulations du corps.

Article, signifie encore en Peinture un très petit contour que l’on appelle aussi temps. Ces articles ne sont pas assez prononcés, pour dire, dessinés d’une manière bien marquée.

Article, signifie aussi une petite partie, ou division d’un discours, d’un écrit, d’un mémoire. Caput. Saint Thomas divise la somme en plusieurs questions, & chaque question en plusieurs articles. Ce compte contient plusieurs articles en chaque chapitre de recette & de dépense. Ce mémoire de frais contenoit deux cens articles. Il faut accoler ensemble ces trois articles.

Article, se dit aussi des clauses & conventions des Traités & des Jugemens sur lesquels il se fait des contestations, & des délibérations. On est déjà convenu de tant d’articles du Traité de paix, des articles de la capitulation. On a déjà jugé trois articles de ce procès. On a donné des articles de mariage ; & on dit absolument, signer des articles ; pour dire, signer un contrat de mariage. On peut faire interroger sa partie sur faits & articles qu’on lui signifie.

Article de foi. C’est une vérité qu’on est obligé de croire, parce qu’elle est révélée de Dieu, & reconnue telle par l’Eglise. Les articles controversés sont ceux qui sont combattus par les hérétiques.

Article, signifie aussi une chose particulière. On lui a donné un habit, & il demande encore un manteau ; c’est un autre article. ☞ C’est une chose toute différente : tout son bien consiste en un article, en une maison. l’Article de la mort, est l’agonie, le temps où on est près de mourir. Cet homme a tout confessé à l’article de la mort. N’attendez pas à vous repentir à l’article de la mort.

Article, en termes d’Arithmétique, c’est dix, & tout autre nombre qui peut être divisé en dix, comme 20, 30, 40. On appelle aussi quelquefois ces nombres, Décades, & quelquefois Nombres ronds. Harris.

Article, en termes de Grammaire, est une particule qui précède ordinairement les noms appellatifs. Ces particules sont le pour le masculin, & la pour le féminin dans le singulier, & les pour le masculin & pour le féminin dans le pluriel. Les Latins n’ont point d’article. Mais les Grecs, & presque toutes les langues vivantes ont inventé ces particules, ou articles pour déterminer la signification vague des noms communs & appellatifs. On se sert de l’article défini dans une signification définie et déterminée. On se sert de l’article indéfini avec tous les noms pris dans leur signification confuse, générale & indéterminée. Lorsque l’adjectif est mis devant le substantif, il faut se servir de l’article indéfini, excepté au génitif & à l’ablatif. Il m’a envoyé d’excellens fruits. L’article est indéfini, parce que l’adjectif & le substantif sont à l’accusatif mais il est défini au génitif. La gloire des grands hommes ne dépend point de l’opinion du vulgaire.

Le P. Buffier distingue une troisième sorte d’article, qu’il appelé l’article mitoyen & partitif. Cet article a trois cas : les particules qui sont le second cas de l’article défini, & de l’article indéfini, sont le premier cas de l’article mitoyen ; ces particules sont du, de la, de l’, des, de. Au second cas il a toujours de comme l’article indéfini. Au troisième cas il ajoute à aux particules qui font son premier cas. Ainsi on dit au premier cas de l’article partitif & mitoyen ; du bien, de la naissance, de l’esprit donnent accès dans le monde ; des Savans ont erré, de faux Savans se font écouter. Au second cas, une quantité de bien, une pinte d’eau. Au troisième cas, n’aspire qu’à du bien ; comparer à de la paille ; j’ai oui dire à des Savans.

Voici quel est l’usage des articles en françois, outre ce qui en a déjà été dit. L’article défini se met devant les mots qui ont un sens défini, soit que ces mots signifient un seul objet, soit qu’ils signifient un genre ou une espèce d’objets. Exemple, le soleil luit, les hommes sont mortels, les hommes qui font du mal. On connoit par les circonstances l’unité d’objet, tant l’individuelle que la spécifique ; par exemple, donnez moi le pain, c’est le pain que voici. Le Roi, c’est celui dans le royaume duquel je suis. J’ai mal à la tête, c’est la tête de la personne désignée par le nominatif du verbe. Les Anges sont immortels, ou l’Ange est immortel. Ces phrases expriment une totalité d’objets qui forme une unité spécifique. Il faut employer l’article défini dans toutes les occasions où un mot est pris dans un sens défini.

On met l’article indéfini avec les noms propres des personnes, Socrate, Cicéron, &c. les noms des planètes, Jupiter, Saturne, &. certains termes d’honneur, Monsieur, Madame, Messire, Monseigneur, Maître, Saint, Sainte, Dieu. Mais si les noms propres ne sont pas regardés comme propres, mais comme pouvant convenir à plusieurs objets, alors ils reçoivent l’article défini. Exemple, le Dieu des miséricordes, le Socrate d’Athènes, le mercredi-Saint, la Flandre-Françoise. On met aussi l’article défini avec les noms propres lorsqu’ils sont au pluriel, & qu’ils expriment toute une espèce d’objets semblables, comme les Démosthènes, les Cicérons, &c. Les noms propres de provinces, ou de royaumes, excepté quelques-uns, qui tirent leur nom de leur capitale, comme Valence, & ceux de quelques îles, comme Candie, qui prennent l’article défini au premier cas ; ils le gardent aussi aux autres, lorsque les mots avec quoi ils sont joints, ne signifient point à l’égard de ces lieux là demeure, venue, ou sortie : ainsi on dit, la politesse de la France, mais il faut dire, partir de France, sortir d’Allemagne. On met l’article indéfini du génitif aux noms de provinces, ou de royaumes, quand ils servent à distinguer un nom substantif qui les précède ; comme Roi de France, vin de Champagne, gouverneur de Picardie. L’article indéfini se met avec les noms de nombre absolu, un, deux, &c. pourvu qu’ils ne se rapportent pas eux-mêmes à un nom déterminé & défini ; car alors on met l’article défini ; ainsi quoiqu’on dise, à un soldat, de deux Philosophes, on doit dire aux douze Apôtres, &c. L’adverbe beaucoup veut un article indéfini ; mais il faut un article défini avec l’adverbe bien pris pour beaucoup. Exemple, beaucoup de peine, d’argent, &c. bien de la peine, bien de l’argent, &c. On met l’article indéfini devant un nom pris en un temps indéfini, & régi au génitif par un nom, ou par un verbe, comme user de finesse, vivre d’industrie, joueur de luth, &c. Mais les verbes qui marquent quelque mouvement du corps sur un instrument matériel, veulent après eux l’article défini ; par exemple, Frapper de l’épée, jouer du luth, &c.

L’article partitif s’emploie pour marquer une partie de la chose exprimée par le mot ; par exemple, des savans ont crû, c’est-à-dire, quelques savans, il me faut de la lumière, c’est-à-dire, quelque lumière, &c.

Quelquefois on peut employer indifféremment un article pour l’autre ; par exemple, les gens d’esprit, ou des gens d’esprit font toujours plaisir : mais l’usage a mis une grande différence entre les articles en quelques occasions, comme on le voit dans ces phrases, les gens d’esprit se rendent malheureux, des gens d’esprit se rendent malheureux.

☞ Mais il est évident que dans ces phrases un article n’est pas employé pour l’autre. Les gens d’esprit, c’est-à-dire, la totalité des gens d’esprit, parce que l’article simple est destiné à déterminer le sens individuel spécifique, ou à individualiser les espèces. Des gens d’esprit, c’est-à-dire, quelques-uns des gens d’esprit, parce que cet autre article détermine le sens partitif, ou individualise quelque partie d’une espèce.

Quelquefois enfin, on ne met aucun article aux noms ; l’usage l’a ainsi établi, & cela donne de la force au discours. Par exemple, intérêt, honneur, conscience, tout est sacrifié.

☞ Il est encore évident que ces mots ne se trouvent là sans articles, que parce qu’ils ne doivent pas en avoir, étant employés dans un sens vague & indéterminé.

Le mot un, une, est souvent employé comme un article ; par Exemple un livre ennuyeux est bon pour endormir. J’ai vu ce matin un homme. On voit par ces exemples qu’il a quelquefois la signification de l’article défini, & quelquefois celle de l’article indéfini, Ces observations sont tirées de la Grammaire françoise du P. Buffier, qui a traité cette matière avec plus d’étendue, de justesse & de netteté, qu’aucun de ceux qui ont écrit sur cette matière. On les trouve aussi expliquées dans la Grammaire de M. Restaut.

On peut ajouter encore la remarque de M. de Vaugelas, qui veut que de, qui est le génitif de l’article du, soit toujours immédiatement uni à son nom, sans qu’il y ait rien d’étranger qui les sépare. C’est pourquoi il condamne cette construction : j’ai suivi l’avis de presque tous les Jurisconsultes. Il fait observer que le mot presque, ne devoit point être placé là entre le de & le nom auquel il se rapporte. On dit cependant fort bien : la perte fut d’environ mille hommes. Environ sépare le de de son substantif. Il est bon de remarquer encore, que le pronom relatif ne se peut rapporter à un nom qui n’a point d’article ; parce que les noms indéfinis, ou indéterminés, c’est-à-dire, qui n’ont point d’article, n’ont aucun régime, ni aucune relation. Par exemple, le Roi lui a fait grâce, qu’il a reçue allant au supplice. Ce n’est point écrire purement : car, qu’il ne se peut rapporter à grâce, qui est indéterminée, & qui n’a point d’article. Vaug. Bouh.

☞ Les nouveaux Grammairiens, depuis le célèbre du Marsais, nous donnent une notion bien plus claire de l’article ; & cette division des articles en définis & indéfinis, imaginés par les Anciens n’est plus qu’une source d’erreurs grammaticales. L’article, disent-ils avec raison, est un mot qui ne signifie rien de physique, mais qui fait prendre dans une acception particulière, ceux devant lesquels on les place.

☞ Il y a deux sortes d’articles, les simples et les composés. Les simples, sont le, la, les. Le pour les noms masculins au singulier : la pour les noms féminins de même au singulier : les pour les noms pluriels des deux genres. Les hommes, les femmes.

☞ Les articles composés sont formés des articles simples & des prépositions à & de. Il y en a quatre. Au, aux, du, des.

☞ L’article composé se met au singulier devant les noms qui commencent par une consonne. Au père, du père, c’est-à-dire, à le père, de le père. Devant les noms masculins qui commencent par une voyelle, l’article redevient simple, à l’objet, de l’objet.

L’article est toujours simple au singulier des noms féminins. A la fille, de la fille. Mais il est composé au pluriel des deux genres. Aux pères, aux filles, des pères, des filles, c’est-à-dire, à les pères, à les filles, de les pères, de les filles.

☞ Il est si vrai que au, aux, du, des s’emploient pour à le, à les, de le, de les, que si je dis, cette Actrice plaisoit à tout le parterre, à tous les spectateurs, étoit applaudie de tout le parterre, de tous les spectateurs, & que je supprime tout & tous de ces phrases, il restera après cette suppression, à le parterre, à les spectateurs, de le parterre, de les spectateurs : mais l’usage qui n’autorise point ces façons de parler, fait dire après la suppression, cette Actrice plaisoit au parterre, aux spectateurs, étoit applaudie du parterre, des spectateurs. Il est donc évident que les mots au, aux, du & des, ne sont autre chose que les prépositions à & de combinées avec les articles simples le & les.

☞ Les noms communs ou appellatifs sont précédés d’articles, quand ils expriment toute une espèce de chose. Les arts & les sciences ont-ils rendu les hommes plus sages ? J’entends tous les arts & toutes les sciences, & toute l’espèce humaine. C’est la même chose quand ils expriment une ou plusieurs choses déterminées. Par exemple, les flottes angloises avoient passé près du détroit de Gibraltar, j’entends des flottes déterminées, & un détroit déterminé.

☞ Les noms communs pris dans un sens individuel partitif sont aussi précédés d’articles. Ainsi on dit qu’un homme a du mérite, de la réputation, c’est-à-dire, une portion de ce qu’on appelle mérite, réputation.

☞ Mais le nom commun pris dans un sens individuel & partitif ne prend point d’article, s’il est précédé d’un adjectif qui ne soit pas qualificatif, ou des mots beaucoup, peu, pas, point, rien, sortes, espèces, tout, plus, moins, & que, quand il signifie combien. Voila de beaux fruits. Il a beaucoup, peu de biens, &c. Il est aisé de suppléer les exemples.

☞ Si l’adjectif & le substantif forment ensemble une idée individuelle, alors l’article précède l’adjectif. Avez-vous vu les magnifiques présens que le Roi a faits à un tel ? Il est évident que l’adjectif magnifiques, n’est pas simplement qualificatif dans cet exemple, mais qu’il forme un sens individuel avec présens. Mais on dit par une raison contraire, le Roi a fait de magnifiques présens à un tel, parce que cet adjectif n’est pas individualisé avec le substantif, dont il marque simplement la qualification.

☞ Les noms communs ne sont point précédés d’articles, au vocatif. Rois, soyez attentifs ; peuples, prêtez l’oreille. Excepté pourtant quand on adresse la parole à quelque personne du peuple. L’homme, la femme, approchez. C’est par ellipse, dit M. du Marsais, qu’on s’énonce ainsi, & l’on supprime, ô vous, qui êtes homme, femme.

☞ Ils ne prennent point d’articles quand leur signification est déterminée par un de ces mots que M. du Marsais appelle adjectifs métaphysiques, parce qu’ils les font prendre dans une acception individuelle & personnelle, sans marquer aucune qualité physique, mais une simple vue de l’esprit : comme ce, cet, notre, votre, leur, nul, aucun, quelque, chaque, tout, mis pour chaque, certain, plusieurs, tel, mon, ton, son, leurs féminins & leurs pluriels.

☞ Les noms communs ne prennent point d’articles, quand ils sont pris dans un sens vague & indéterminé. Il faut rendre service quand on le peut. Hommes, chars, chevaux, tout fut englouti.

☞ De même après les nombres cardinaux qui ne marquent aucun rapport ni à ce qui précède ni à ce qui suit. J’ai vingt-cinq ans depuis deux mois. Mais quand le nombre cardinal est mis pour le nombre ordinal, il prend l’article. Il est parti le quatre du mois, c’est-à-dire, le quatrième jour.

☞ Le nombre cardinal prend encore l’article, quand, outre le nombre, il marque un rapport particulier à ce qui précède ou à ce qui suit. Avez-vous encore les six chevaux que je vous ai amenés ? Je demande non-seulement si on a encore six chevaux, mais si ce sont ceux que j’ai amenés, & je les spécifie par l’article.

☞ Les noms propres n’ont point d’article, parce que n’étant autre chose que des individus, si n’est pas besoin d’y mettre un article pour les individualiser. Certains noms propres comme le Noir, le Fevre, &c. paroissent faire une exception à cette règle ; mais les particules le & la, qui se trouvent jointes à ces mots, en sont plutôt une partie indivisible qu’un article. Ainsi l’on ne diroit pas du Fevre, au Fevre, &c. mais de le Fevre, à le Fevre.

☞ Quand on dit la saint Louis, c’est une ellipse, & l’on veut dire, la fête de saint Louis, l’Arioste, le Poëte l’Arioste, le Carrache, le Peintre Carrache.

☞ Quelquefois les noms propres deviennent noms communs. Alors devenus noms d’espèces, ils prennent un article pour déterminer les vues de l’esprit.

☞ C’est ainsi qu’on dit le Virgile, l’Alexandre de nos jours, pour dire le premier Poëte, le Héros par excellence.

☞ Dieu est le nom de l’Etre Suprême mais si relativement à ses attributs, on en fait une sorte de nom d’espèce, on dira avec l’article, le Dieu de bonté, le Dieu des armées, &c.

☞ Les noms propres de régions, de contrées, de rivières, de vents, de montagnes s’emploient avec l’article & sans l’article. L’usage seul peut nous apprendre ces distinctions.

☞ L’article précède les adjectifs placés avant ou après un nom propre pour distinguer la personne dont on parle de celles qui pourroient porter le même nom. Louis le Juste. Le célèbre Newton. On dit pourtant César Auguste. François I, François II, &c.

☞ Quand le superlatif relatif est avant son substantif, on ne met l’article qu’avant le superlatif. Les plus habiles gens font quelquefois les plus grandes fautes. Mais si le substantif précède le superlatif relatif, ils ont chacun leur article. Les hommes les plus habiles donnent quelquefois dans les erreurs les plus grossières.

☞ Les vocabulaires ont fort bien détaillé cette doctrine de M. du Marsais touchant les articles. Il faut convenir aussi que cela n’étoit pas bien difficile.

Article, se dit proverbialement en ces phrases. Quand un homme s’est ruiné en peu de temps, on dit, qu’il a mangé tout son bien en un article ; & d’un goulu qui mange vite, on dit, que quand il tient un poulet, il n’en fait qu’un article ; & d’un homme qui est confus, on dit, qu’il met tout en un article, qu’il ne fait aucune distinction des choses. On dit aussi d’un homme trop crédule, qu’il croit tout ce qu’on lui dit comme un article de foi.