Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ATLANTIDE

La bibliothèque libre.
Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 595).
◄  ATLANTES
ATLANTIDES  ►

ATLANTIDE. Atlantis. Quelques Anciens ont parlé de ce pays, & en ont dit même plusieurs particularités, sans qu’il nous soit plus connu pour cela. Platon est celui qui l’a décrit plus distinctement & plus en détail dans son Timée & dans son Critias. Voici en peu de mots ce qu’il en dit. L’Atlantide étoit une très-grande île de l’Océan occidental, située devant ou vis-à-vis le détroit d’Hercule, que nous appelons aujourd’hui Détroit de Gibraltar. De cette île on passoit aisément dans d’autres, qui étoient vis-à-vis un grand continent, beaucoup plus étendu que n’est l’Europe & l’Asie. Neptune s’étoit établi dans cette ile ; il la partagea entre ses dix enfans. Le dernier eut en partage l’extrémité de l’île nommée Gadir, qui dans la langue naturelle de ces peuples signifie Ἔυμηλος, fertile, ou abondant en brebis. Les descendans de Neptune y regnerent de père en fils pendant plusieurs siècles, l’aîné succédant toujours à son père. Ils occupèrent une grande quantité d’autres iles, & passant en Europe & en Afrique, ils subjuguerent toute la Lybie, jusqu’à l’Egypte, & toute l’Europe, jusqu’à l’Asie mineure. Enfin cette île fut submergée, & long-temps après la mer étoit encore toute boueuse en cet endroit-là, c’est-à-dire, pleine de vase & de bancs.

Rudbecks, Professeur en l’Université d’Upsal, dans un livre intitulé Atlantica, five Manheim, & imprimé en 1684, prétend que l’Atlantide de Platon est la Suède, & attribue à son pays tout ce que les Anciens ont dit de l’Atlantide, ou île Atlantique. Quand on lira le précis que je viens de faire, de ce qu’en dit Platon, on sera surpris que l’on ait pu prendre la Suède pour l’Atlantide. Aussi Rudbecks, quelque plein d’érudition que soit son livre, a-t-il passé dans le Nord même pour un visionnaire en ce point. D’autres ont cru que l’Atlantide étoit l’Amérique ; mais ce que Platon dit de cette île n’y peut convenir. L’Amérique est bien plutôt ce grand & vaste continent qui étoit au-delà de l’Atlantide, & des autres îles dont parle Platon. Becman, dans son Hist. des îles, ch. 5, a pensé bien plus sensément que Rudbecks, quand il dit que l’Atlantide étoit une grande île qui s’étendoit des Canaries aux Açores, & que ces iles en sont les restes que la mer n’a pas engloutis.

Quelques-uns disent Atlantique, atlantica, au lieu de Atlantide, qui paroît meilleur. On dit aussi l’île Atlantique, Atlantica insula. Elle prit ce nom d’Atlas, fils aîné de Neptune, qui y régna après son père. Voyez Platon aux endroits que j’ai cités.

Les Arabes parlent d’une ile sèche, ou plutôt d’une île continent, qu’ils nomment Gezirat Kheschk. Cette île sèche, qui peut passer pour continent, est située, selon les Musulmans, au-delà du mçnt Caf, & est, pour ainsi dire, un monde séparé du nôtre, qu’ils appellent aussi Agiaib al makhloucat, les merveilles de la nature. On ne peut douter, dit M. d’Herbelot, que cette île ne soit l’ile Atlantique, ou Atlantide de Platon, au-delà du mont Atlas, qui est appelé par les Orientaux Caf. On est aussi persuadé, continue-t-il, que cette île Atlantique est l’Amérique, à laquelle le titre d’Agiaib al makhloucat, ou merveilles du monde, convient fort bien. Ainsi l’on voit que ce nouveau monde n’a pas été entièrement inconnu aux Anciens. Le même Auteur dit ailleurs, que les Géographes Orientaux, qui parlent de cet autre monde, qu’ils appelent la Merveille des créatures, n’en parlent qu’avec beaucoup d’obscurité, & de la même manière que Platon a parlé de l’île Atlantique.