Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AUMÔNE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 647).
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AUMÔNE. s. f. Libéralité, don qu’on fait aux pauvres par charité, ou par compassion. Inopiæ, egestatis, paupertatis subsidium, levamentum. Il faut racheter ses péchés par des aumônes. C’est le plus grand des malheurs d’être réduit à l’aumône. C’est une belle aumône que de nourrir les vieilles gens. C’est un faisiéant qui travailleroit bien, il dérobe l’aumône aux pauvres. Acad. Fr. La Reine faisoit couler ses aumônes jusque dans ces retraites sombres où la honte renferme la pauvreté. Fléch. Combien de gens font des aumônes que la vanité leur inspire, ou que l’importunité des pauvres arrache de leur main, & non pas de leur cœur ? Id.

On appelle quelquefois aumône, une œuvre spirituelle de miséricorde exercée envers le prochain ; mais en ce sens on ne le dit jamais seul, on ajoute l’épithète spirituelle, une aumône spirituelle ; aumône tout seul signifie toujours l’aumône manuelle.

Les Rois ont donné en aumône plusieurs terres à l’Eglise. Les biens que l’Eglise posséde de cette manière s’appelent tenures par aumônes ; car, selon Rastal, aumônes, ou tenure en almoigne, est tenure par divin service. En parlant des terres ou des rentes qui ont été données à l’Eglise par le Roi, ou par quelque Seigneur, sans aucune autre obligation que de reconnoitre qu’on les tient de celui qui les a données, on dit qu’elles sont tenues en franche aumône, qu’elles relèvent en franche aumône.

Aumônes fieffées, sont des fondations que les Rois ont faites aux Eglises.

Il y a chez le Roi des Trésoriers des aumônes. Autretois les aumônes faites par les fidèles à l’église, se divisoient en trois parties, dont l’une appartenoit aux Evêques, la seconde aux Prêtres, la troisième aux Diacres & Soudiacres. Quelquefois on les divisoit en quatre, dont la dernière partie étoit pour les pauvres, & les réparations de l’Eglise, comme on voit dans les Conciles de Tolède, de Tarragone, d’Orléans, & de celui de Rome tenu sous Sylvestre I. Chrodegang, Evêque de Metz, du huitième siècle, au ch. 42 de sa règle, ordonne qu’un Prêtre à qui l’on offre quelque chose pour la messe, ou pour la confession, ou un Clerc à qui l’on offre quelque chose pour chanter des pseaumes ou des hymnes, le reçoive en aumône. M. de Tillemont remarque, dans Théodose pag. 257, que dès le quatrième siècle il y avoit des Dames occupées à recueillir les aumônes pour les prisonniers. C’étoit sans doute, ajoute-t-il, des veuves & des Diaconnesses de l’Eglise.

Aumône. En termes d’Eglise on appelle aumône, l’argent que l’on donne aux Prêtres pour les messes qu’on leur fait dire. L’aumône pour les messes est plus considérable à Paris que dans les Provinces.

S. Paul, dans son Epitre II aux Corinthiens, ch. 9, explique la manière dont on recueilloit les aumônes dans les assemblées des Chrétiens. Cet usage qui est si saint, avoit passé des Synagogues dans nos Eglises ; les Juifs exercent encore cette charité envers leurs pauvres. Voici ce que dit là-dessus Léon de Modène, au liv. I, ch. 14 des Cérémonies & Coutumes de ceux de sa nation : dans les grandes villes les pauvres vont la veille du sabat & des autres fêtes considérables chez les riches, & chez ceux qui sont un peu à leur aise ; là chacun leur donne à proportion de ses forces. De plus, les Parnassins ou Mémunins, qui sont préposés pour cela, ont soin de leur envoyer toutes les semaines quelque argent, & sur-tout aux pauvres honteux, aux veuves & aux infirmes. Les Juifs appellent l’aumône, tsedaka, Justice. Les Evangelistes & les Apôtres lui ont aussi donné ce nom dans le Nouveau Testament. Voyez le mot de Justice.

Aumône, est quelquefois un payement forcé qu’en fait par autorité de justice, quand elle condamne quelqu’un à payer une somme qu’on applique d’ordinaire au pain des prisonniers. ☞ Cette peine pécuniaire n’est point infamante en matière criminelle, parce qu’elle n’est qu’une charité forcée ; mais elle est infamante en matière civile, parce qu’alors on la regarde comme une véritable peine, pour tenir lieu de réparation pour quelque dol ou malversation. Quand on fait au Conseil quelques adjudications des droits du Roi, il y a toujours une aumône, ou une somme qu’on destine à des œuvres pies.

On dit proverbialement que c’est une belle aumône, quand on donne à ceux qui en ont grand besoin.

On dit aussi hyperboliquement, qu’un Seigneur est réduit à l’aumône, quand il est ruiné, ou fort incommodé en ses biens, quoiqu’il ne mandie pas effecivement. On dit d’un mauvais payeur, que quand on va lui demander ce qu’il doit, il semble qu’on lui demande l’aumône.