Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/AUTRUCHE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 670-671).
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AUTRUCHE. s. f. Struthio camelus. Grand oiseau qui a les ailes courtes, fort estimé pour ses plumes, qui servent d’ornement aux chapeaux, aux lits, aux dais, &c.

L’Autruche a quelque chose de l’oie, mais est beaucoup plus grande. Elle a les jambes fort longues, & le cou de 4 ou 5 palmes de longueur. Marm. Liv. I, ch. 23. Les autruches se chassent en Afrique. Elles sont si communes au Pérou, qu’elles vont par troupes comme le bétail. Les Sauvages en mangent la chair ; & leurs œufs sont bons, quoique de difficile digestion. Les femelles sont presque toutes mêlées de gris, de noir & de blanc. Les mâles sont blancs & noirs, & sont bien plus estimés, parce que leurs plumes sont plus larges & mieux fournies, leurs bouts plus touffus, & leurs soies plus fines. On ne les chasse qu’après leur mue, & lorsque leur plumage est sec. Ce sont des oiseaux fort vîtes qu’on chasse avec des barbes harpés comme lévriers, qui les attrapent à la course. L’autruche se sert de ses ailes non pas pour voler, mais pour aider à la course, lorsque le vent lui est favorable ; car alors elle s’en sert comme un navire fait de ses voiles. Marmol dit qu’elle s’en sert à courir, parce qu’elle s’en fouette en courant, & qu’elle se pique aussi de quelques ergots ou éperons pour s’animer davantage. Xénophon rapporte que l’armée de Cyrus trouva proche de l’Euphrate beaucoup d’autruches ; qu’on leur donna la chasse avec les chevaux de l’armée les plus vites, sans pouvoir jamais les atteindre.

Acarete Biscayen, dans la Relation de ses voyages dans la rivière de la Plata, & de-là par terre au Pérou, dit qu’il y a une grande quantité d’autruches aux environs de Buenos-Ayres ; que lorsqu’elles couvent, & que leurs oeufs sont prêts à éclore, elles en cassent quatre qu’elles portent aux quatre coins du lieu où elles couvent ; qu’ils se corrompent, & qu’il s’y engendre bientôt une grande quantité de vers, dont les petits de l’autruche se nourrissent, quand ils sont éclos, & que cela leur suffit, jusqu’à ce qu’ils puissent aller chercher leur nourriture. Cela confirme ce que dit Ælien, que l’autruche nourrit ses petits d’une partie de ses œufs ; mais il ajoute que c’est de ceux qui ne se trouvent pas bons à couver. On a vu vers le Cap de bonne Espérance des œufs d’autruche si gros, qu’un seul suffit pour donner à manger à sept hommes. On a fait la dissection de plusieurs autruches dans l’Académie des Sciences : la plus grande étoit de sept pieds & demi de haut depuis la tête jusqu’à la terre. L’autruche a l’œil comme l’homme en ovale, ayant de grands cils, & la paupière d’en-haut mobile, contre l’ordinaire des oiseaux, avec une paupière au-dedans, comme l’ont la plûpart des brutes. Son bec est court & pointu, sa langue petite, & adhérente comme aux poissons ; ses cuisses grosses, charnues & sans plumes, couvertes d’une peau blanche un peu rougeâtre, rayée par des rides qui représentent un reseau dont les mailles pourroient laisser entrer le bout du doigt. Ses jambes sont couvertes par-devant de grandes écailles en table, les pieds fendus, & composés seulement de deux doigts fort grands, & aussi couverts d’écaille, avec des ongles aux grands doigts, & non pas aux petits. Elle n’a pas des plumes de diverse sorte, comme les autres oiseaux, qui en ont de molles & lanugineuses pour leur servir de fourrure, & d’autres dures & fermes pour voler. Celles de l’autruche sont toutes molles & éfilées comme le duvet. Elles ne servent ni à voler, ni à les vêtir. Elles ont le tuyau justement au milieu de la plume : c’est pourquoi les Egyptiens représentoient la Justice par une plume d’autruche. La peau de son cou est de chair livide, couverte d’un duvet blanc clair-semé & luisant, qui tient plus du poil que de la plume. Son corps est couvert de plumes noires, blanches & grises. Celles qu’on voit d’autre couleur, sont seulement teintes. Les grandes qui sortent des ailes & de la queue, sont ordinairement blanches. Celles du rang d’après sont noires. Celles qui garnissent le dos & le ventre, sont noires ou blanches. Ses flancs n’ont point de plumes, non plus que les cuisses, & le dessous des ailes. Au bout de chaque aile il y a deux espèces d’ergots longs d’un pouce, creux & ressemblans à de la corne, à peu-près semblables aux aiguillons d’un porc-épic. Quant au dedans, on y a trouvé cinq diaphragmes ou cloisons qui divisent le tronc en cinq parties, dont quatre ont la situation droite de haut en bas, & un cinquième situé en travers. Ses ventricules ont été trouvés remplis de foin, d’herbe, d’orge, de fèves, d’os, & de cailloux, dont il y en avoit de la grosseur d’un œuf de poule. On a trouvé dans un jusqu’à 70 doubles, la plûpart usés & consumés presque de trois quarts, & rayés apparemment par leur frottement mutuel, plutôt que par érosion. Mais il faut remarquer que les autruches avalent le fer, de même que les autres oiseaux avalent les cailloux, pour aider à broyer leur nourriture, & non pas pour s’en nourrir & pour le digérer, comme ont cru les Anciens : au contraire elles meurent quand elles en ont beaucoup avalé. Diodore Sicilien appelle les autruches, des Cerfs-oiseaux.

Le P. de Urreta, dans son Histoire d’Ethiopie, p. 45, prétend que les Anciens ont appelé les autruches Pégases ; & que comme cet oiseau a des ailes, qu’il étend quand il court, & qu’il y en a qui ont des oreilles de cheval ; tout cela a donné occasion à la fable du cheval ailé nommé Pégase. Le même Auteur dit, Liv. I, ch. 26, qu’il est douteux si c’est un oiseau, parce qu’il a des ailes ; ou un animal terrestre, parce qu’il a des pieds de chameau ; que c’est pour cela qu’on l’appelle struthio camelus, c’est à-dire, selon Isidore, Liv. XII, Etym. ch. 17, parce que c’est un animal terrestre qui a des plumes comme les oiseaux. Il y en a une quantité prodigieuse en Ethiopie, & les Ethiopiens les nomment Aostros, & c’est apparemment de-là que s’est formé le nom espagnol Abestruz, & le nom François Autruche. Elle pond au mois de Juin, met ses œufs en terre, les couvre de sable, & les abandonne ; c’est le soleil qui les fait éclore. Ceux du pays disent, au rapport de Marmol, qu’elle a si peu de mémoire qu’elle les oublie ; mais qu’en courant çà & là, les femelles les couvent aux lieux où elles les rencontrent. Il est bien plus naturel de dire que l’autruche étant d’un poids énorme, elle romproit ses œufs si elle les couvoit comme les autres oiseaux ; ainsi, par un instinct naturel, elle laisse au soleil le soin de faire éclore ses petits. C’est pour cela que l'autruche est un symbole de cruauté & d’oubli. Cet animal, dit Marmol, est fort simple, & si sourd qu’il n’entend rien. Il dit qu’elle pond dix ou douze œufs de la grosseur d’une grosse boule, & quelques-uns moindres. Les Ethiopiens mangent ces œufs, & les tiennent pour un mets délicieux. On dit qu’ils font des vases des coques de ces œufs ; Pierius dit même qu’ils en font des bonnets qu’ils portent, & qu’ils estiment. La chair de l’autruche, dit encore Marmol, put, & est gluante, particulièrement celle des cuisses ; mais tous les peuples de Numidie ne laissent pas d’en manger. Quand ils ont pris des petits, ils les élèvent, les engraissent, & les mènent paitre en troupes par les déserts : lorsqu’ils sont gras, ils les tuent & les salent. La propriété qu’on lui attribue, de digérer le fer, a fait qu’on a pris l’autruche pour le symbole de la patience dans les injures. On en fait encore le symbole de la justice, parce que toutes ses plumes, dit-on, sont égales, au lieu que dans les autres oiseaux, les unes sont petites, les autres sont grandes ; ou parce que le tuyau est justement au milieu de la plume.

On dit figurément à un homme qui mange beaucoup, ou des viandes difficiles à digérer, qu’il a un estomac d’autruche. Le P. Vanslebe, dans sa Relation d’Egypte, rapporte à la page 103, une chose fort particulière, en parlant des autruches. J’ai lu, dit-il, dans un vieux manuscrit Arabe, intitulé Giauharet Innefisse, que lorsque cet oiseau veut couver ses œufs, il ne se met pas dessus, comme font les autres ; mais le mâle & la femelle les couvent avec leur regard seulement, & lorsque l’un des deux a besoin d’aller chercher sa nourriture, il avertit son compagnon par son cri, & celui-ci reste, & continue à regarder les œufs, jusqu’à ce que l’autre soit revenu ; & de même encore quand celui-ci a besoin à son tour d’aller chercher sa nourriture, il avertit de la même manière son compagnon, afin qu’il demeure, & afin qu’incessamment l’un d’eux soit toujours pour regarder les œufs, jusqu’à ce que les poussins soient éclos. Car s’ils discontinuoient un moment, ils se corromproient, & ils n’auroient aucun poussin.