Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BÉLILLI

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 843).
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BÉLILLI. s. m. Nom d’une espèce de médicament qui vient des Indes. Belilli Indicum. Le bélilli a la forme d’un suc épaissi. Il nous vient enfermé dans des morceaux de bambou, creusés dans leur milieu, & bouchés par leurs extrémités avec de la chaux durcie. Le bélilli ressemble à du sang de poisson : il est gras au toucher, & d’un goût salé & amer, d’une odeur de foie de poisson desséché. Ceux qui les premiers le firent connoître en Europe, le donnèrent pour le suc exprimé de quelque plante, & parce que dans l’Hortus Malabaricus il s’en trouve une qui porte le nom de bélilli, on a cru que le suc nommé bélilli en étoit tiré. Quelques-uns, à cause de la saveur salée qu’on y remarque, soupçonnèrent qu’il pourroit bien venir de quelque plante marine, d’autres conjecturèrent que cette plante marine pourroit bien être l’Holothurion, espèce de zoophyte ou d’hortie de mer, fort commune aux Indes Orientales : mais il est certain qu’il vient d’une autre sorte de zoophyte, production marine, qui participe du poisson & de la plante, & qu’on appelle Téthyon. Ce sont les téthyons des Îles de Timor & de Solor, peu éloignées de Java, qui fournissent le bélilli. Le meilleur se fait dans Solor, par certaines familles qui en savent la préparation, & se la communiquent de pere en fils. Les morceaux de téthyon au sortir de la mer, sont d’une substance mucilagineuse, assez semblable au frai de grenouille le plus visqueux, à l’exception qu’elle est d’une couleur brune, & se peut aisément couper. Lorsqu’ils ont été long-temps exposés à l’air, ils prennent une couleur rouge, & paroissent comme des morceaux de chair, arrondis dans leur partie inférieure, & garnis de mammelons vers le haut.

Il y a deux manières de préparer le téthyon pour en faire le bélilli. La première & la meilleure est de le faire cuire dans de l’eau douce, jusqu’à ce qu’il ait jeté toute son écume, après quoi on le coupe en façon de lanières larges d’un pouce, qui sont noirâtres à l’extérieur, & tirent intérieurement sur le vert de mer très-peu foncé & bigarré de noir. C’est ce que les Indiens appellent Dagen bélilli, ou chair de bélilli, & cette espèce ne sort point du pays.

La seconde espèce se prépare avec les petits morceaux de téthyon, qui sont le rebut de la première. Après les avoir pilés, on les fait bouillir dans l’eau de pluie jusqu’à parfaite despumation, & jusqu’à consistance d’extrait ; alors on en remplit, comme nous l’avons dit d’abord, des morceaux de bambou, qu’on expose au soleil pour sécher l’extrait, & ensuite à la fumée, pour le durcir & le préserver de la vermine, à laquelle il est fort sujet. Cette seconde espèce se nomme dara bélilli, ou sang de bélilli ; & c’est celle qui se transporte dans les pays étrangers. Par l’analyse chimique qu’on en a faite, il paroît qu’elle contient du sel volatil, beaucoup d’huile de couleur dorée, & très-peu de sel fixe. On l’appelle non-seulement bélilli, mais encore bélilling, & bédille. Le bélilli est fort différent de l’holothurion.

Le bélilli s’emploie avec succès pour la guérison de certaines fièvres putrides qui régnent dans les Îles de Timor & de Solor, principalement vers le temps qu’on y coupe le bois de santal, dont l’odeur forte contribue beaucoup à cette maladie. Le bélilli fait aussi merveille dans la pleurésie, sur-tout si on le mêle avec le bois que les Portugais nomment Pao de pontado. Pline attribue la même propriété au téthyon. Le bélilli réussit encore dans certaine jaunisse des Indes appelée pitar, & qui se manifeste par la couleur jaune des yeux, de la langue & des ongles, ainsi que par la bouffissure du visage & des pieds. Le mordéchi, dangereuse espèce de cholera morbus, propre des Indes, est calmé par le bélilli, qui généralement, comme le téthyon dans Pline, soulage toutes sortes de coliques. Il guérit aussi l’atrophie causée par des obstructions : il nettoie les reins, sur-tout étant pris dans une infusion de gramen cruciatum, lorsqu’il s’agit de gravelle. Il est encore bon dans l’asthme ; mais alors, si peu de temps après on prend quelque acide, il est mortel. C’est un excellent antidote, égal à la thériaque, si on le mêle avec la racine de lassa radja. Enfin il est infaillible dans les hémorrhagies.

La manière de le prendre est d’en couper une rouelle de l’épaisseur d’une lame de couteau, de la mettre en poudre, & de la battre dans du vin. Pour la fièvre, on le prend simplement dans de l’eau, il produit une sueur abondante.