Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BÉNIR

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 857-858).

☞ BÉNIR. v. a. En général, c’est souhaiter quelque chose d’heureux. Fausta precari. Dans ce sens on le dit des vœux que les pères font en faveur de leurs enfans. Isaac bénit Jacob au lieu de son frère Esaü. Noë bénit Sem & Japhet, & maudit Cham.

☞ On le dit de même des puissances temporelles, des, bienfaiteurs, & même des choses inanimées. Les Princes bienfaisans sont bénits de leurs peuples. Bénissons le jour que nous commençâmes à nous connoître.

Bénir, se dit aussi des faveurs, des grâces que le Ciel nous accorde. Fortunare, beneficiis cumulare. Dieu a bénit les armes du Roi, & lui a fait obtenir la victoire. Dieu bénit le travail des gens de bien.

Bénir, signifie aussi louer Dieu, le glorifier, le remercier de les grâces. Deum laudare, benedicere. Les trois enfans bénissoient Dieu dans la fournaise. Job dans toutes ses afflictions disoit seulement, Dieu soit béni. Que la terre bénisse le Seigneur, & qu’elle célèbre éternellement ses louanges. P. R. Il est aisé de louer Dieu & de le bénir, quand il nous fait riches, & qu’il ne nous laisse manquer de rien. Flech. Voyez Bénédiction.

Bénir, qui est si souvent dans le Nouveau Testament, signifioit chez les Juifs, prononcer une certaine formule de prière sur quelque chose. Ils ont dans leurs Rituels un grand nombre de ces sortes de prières ou bénédictions. Ils en ont de différentes pour diverses choses, croyant que c’est un péché d’ingratitude de jouir ou de se servir de quoi que ce soit au monde, sans premièrement reconnoître par quelques paroles de louange ou de bénédiction, qu’on le tient de Dieu, qui est le maître de tout. Ils sont obligés de dire au moins cent bénédictions par jour, & la plupart les récitent le matin. Consultez Léon de Modène dans son Traité des cérémonies des Juifs. part. I, Chap. IX.

Bénir, est quelquefois dans le Nouveau Testament la même chose que faire des actions de grâces, ensorte que ces deux mots s’y prennent l’un pour l’autre au Ch. 26 de S. Matthieu, v. 26, où il dit que Jésus-Christ prit le pain & le bénit : on lit dans plusieurs exemplaires grecs, fit des actions de grâces, & c’est la même chose quant au sens, parce que la prière de bénédiction ou consécration, s’appelle aussi action de graces. C’est en ce sens que S. Paul, dans la première Epître aux Corinthiens, ch. 10, où il passe de la liberté que les Chrétiens avoient de manger de tout, dit v. 30 : Si je mange avec actions de grâces, pourquoi serai-je accusé d’impiété pour une chose dont je fais des actions de grâces ? Les Chrétiens aussi bien que les Juifs, ne buvoient ni ne mangeoient jamais sans faire la prière, qui s’appeloit action de grâces, ou bénédiction. Jésus-Christ a fait exactement cette bénédiction, comme quand il bénit les cinq pains dans le désert, benedixit illis.

Bénir, selon plusieurs Interprètes, se prend dans l’Ecriture pour maudire, ou pour injurier, calomnier, parler mal de quelqu’un. Il y a trois endroits dans lesquels ils y donnent ce sens. Job I, 5, 11 & 3, Liv. des Lois XXI, 10. Quelques-uns disent que c’est une ironie ; d’autres une antiphrase. Ce n’est pas le seul verbe qui ait à la troisième conjugaison un sens contraire à celui des précédentes, comme l’a remarqué Codute sur Job, I, 5. Hottinger dans son Héxaméron & Drusius, Observ. XVI, 5. D’autres disent que les Hébreux avoient tant d’horreur du blasphème, (car c’est toujours de Dieu que bénir se prend en ce sens,) qu’ils ne l’appeloient point par ce nom, mais d’un nom tout contraire. Merccrus, Casaubon & Cocq, trouvent des vestiges du même usage dans les autres langues. Les Latins disoient rectè pour nihil, bona fortuna pour nemo, sacrum pour exécrable. D’autres croient que bénir en ces endroits signifie dire adieu, parce qu’en prenant congé de quelqu’un, on le bénissoit, & de même que nous avons transporté le terme de dire adieu à la signification de quitter, abandonner, renoncer, parce qu’on dit adieu en quittant les gens. Les Hébreux l’avoient fait de ברך, bénir. Ce sont les deux interprétations les plus raisonnables.

Celui qui bénit parmi les Juifs le Pain & le Vin, est ordinairement la personne la plus qualifiée de la compagnie. Notre Seigneur fit la cérémonie de la Pâque avec ses Disciples, en qualité de Maître & de Docteur. Saint Luc, qui a rapporté cette Histoire avec plus d’exactitude que saint Matthieu & saint Marc, fait mention de deux coupes, sur lesquelles Jésus-Christ prononça la bénédiction. En effet, quand les Juifs font encore aujourd’hui une espèce de Pâque, ils commencent d’abord par bénir la coupe qu’ils remplissent de vin, & ils appellent cette première bénédiction, la bénédiction de la coupe du manger. Ils prennent quatre coupes durant tout ce repas ; mais ils ne bénissent que la première & la dernière, au moins est-ce l’usage de presque tous les Juifs, à la réserve des Tudesques, qui bénissent toutes les coupes. Consultez les Rituels des Juifs.

Bénir, se dit aussi des cérémonies ecclésiastiques, & des prières que font les Prélats & les Prêtres sur les choses qu’ils consacrent au service & au culte de Dieu. Ainsi, on dit, bénir une Eglise, des Fonts, une pierre d’Autel, un Calice, un Amict, une Cloche. Consecrare. On dit aussi bénir un cierge, des drapeaux. Bénir un Abbé Régulier, une Abbesse. Bénir le lit des nouveaux mariés.

On appelle aussi, bénir la table, faire une prière avant le repas, qu’on appelle, Benedicite, avec un signe de croix sur les viandes. Mensam consecrare, consuetas ante cibum preces recitare.

Bénir se dit aussi en ces phrases proverbiales. Dieu vous bénisse. Adsit tibi Deus : ce qui se dit tant à ceux qui éternuent, qu’aux pauvres qu’on éconduit, & à ceux d’avec qui on sort mal content. On dit aussi, Dieu bénisse Chrétienté, Dieu bénisse qui a été cause de ce procès, pour faire une honnête imprécation. Dieu soit béni.

BÉNI, IE. part. & adj. Cette pieuse famille est bénie de Dieu. Fortunatus, beneficiis cumulatus. Autrefois on disoit toujours bénit : depuis, l’usage a adouci ce participe pour les choses ordinaires ; mais il est demeuré dans les choses de la Religion pour conserver tous les termes consacrés & accoutumés. Ainsi on dit à la Sainte Vierge : Tu es bénite entre toutes les femmes. Vaug. Chap.