Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BARON

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(1p. 767-769).
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BARON, BARONNE, s. m. & f. Degré de Noblesse qui est au-dessus des Gentilshommes & des Châtelains. Baro. Il y a un très-grand nombre de Barons en Allemagne. On croyoit à la Cour les Barons trépassés, dit le Baron de la Crasse. Le mot de Baron est fort ancien parmi les Bourguignons, & se trouve dans Grégoire de Tours, environ l’an 580 de J. C. Il ne paroit pas sitôt en Angleterre, ni dans les lois des Anglo-Saxons ; la première fois qu’il s’y trouve, c’est dans un fragment des lois de Canut, Roi des Anglois et des Danois ; mais ce titre n’a point été établi en Angleterre avant les lois de Guillaume le conquérant ; c’est l’opinion de Cambden, pag. 121. Bientôt après la conquête, tous les Barons vinrent au Parlement, & eurent séance dans la Chambre Haute comme les Pairs : mais comme ils étoient alors en très-grand nombre, il fut réglé qu’aucun Baron n’auroit droit d’y venir, si le Roi ne l’y appeloit par écrit, & cet écrit n’avoit force que pour cette fois-là. Dans la suite ils obtinrent du Roi des Patentes, & on les appela Barons par Patentes, ou par création, par érection. Les Grands Vassaux de la Couronne, fussent-ils Ducs, Comtes, ou Vicomtes, étoient autrefois indifféremment appelés Pairs, Princes, & Barons. Pairs, comme égaux entre eux ; Princes, comme Seigneurs des lieux de leur dépendance ; & Barons, comme les premiers & les plus puissans du royaume. Cette dernière qualité passoit au XIIe siècle, & bien avant dans le XIIIe, pour si noble & si relevée, qu’on quittoit le titre de Prince pour prendre celui de Baron. C’est ce que fit le Sire de Bourbon environ l’an 1200, quoique ses ancêtres eussent porté pendant plus de trois cens ans le nom de Comtes & de Princes. C’est en imitant cet ancien usage, qu’une illustre Princesse prend dans ses ingénieux divertissemens le titre de Baronne de Sceaux.

Baron, étoit autrefois un nom général que l’on donnoit à tous les gens illustres, tant dans l’Eglise que dans l’Etat, comme aujourd’hui celui de Seigneur. De-là vient qu’une ancienne traduction françoise des histoires de Guil. de Tyr dit, Venu étoit li mois de Mars quand li Barons & hauts Homs, &c. Frédégaire dit, Burgundiæ Barones, tàm Episcopi, quàm cæteri leudes, & Orderic. Lib. II, Hist. AC. 1109. Pro tantorum itaque transitu Baronum videtur ipse mundus lugere. Il parle de S. Anselme Archevêque de Cantorberi, & de Guillaume Archevêque de Rouen. Froissard a donné ce titre à S. Jacques, vol. 3, ch. 30, 33. Or eurent ils affection d’aller en pélerinage au Baron S. Jacques. Et encore, & fit ses vœux devant le Benoît corps Saint, & Baron S. Jacques. C’est ainsi que le peuple a dit, & dit encore quelquefois, monsieur S. Jacques. Mais proprement les Barons étoient des Gentilshommes qui tenoient leurs fiefs immédiatement du Roi. Voyez Hauteserre, De Duc. & Comitib. c. 5. Voyez aussi les Notes du même Auteur sur Grégoire de Tours, p. 383, & du Tillet, Recueil des rangs, p. 11.

En Bretagne, il semble que pour être créé Baron, il falloit être parent du Duc. Voyez les titres rapportés dans l’Hist. de Bret. Tom. II, p. 1145, 1146, 1147. Il est dit dans les mêmes Actes, qui sont des Créations de Barons, faites par le Duc Pierre en 1451 que les anciens Barons de Bretagne n’étoient que neuf. D’Argentré conclut d’une lettre Patente d’Alain le Long de l’an 689, qu’en ce temps la dignité de Baron n’étoit point encore en usage dans la Bretagne, parce que nul de ceux qui y ont souscrit, n’ont pris ce titre.

Ménage dérive ce mot de Baro, qui signifioit parmi les Romains un homme fort & vaillant, & aussi un brutal & féroce : & parce que les Rois avaient auprès d’eux les hommes les plus forts & les plus vaillans & qu’ils les récompensoient de plusieurs fiefs & Seigneuries, on a depuis appelé Barons, ces Nobles qui les avoient obtenus ; desorte que ce n’est pas merveille si dès le temps même de S. Augustin on a appelé Barons, les gens les plus considérables de la Cour & de l’armée. Hirtius même, dans l’histoire de la guerre d’Alexandrie, en fait mention.

Quelques autres dérivent Baron de l’allemand bawer, qui se dit en un contre sens, & qui signifie paysan. Dans la basse latinité on a appelé Barons, des gens de journée, de peine & de travail, parce qu’ils doivent être forts & robustes, comme dans Isidore, qui dit que ce mot vient du grec βαρύς, qui signifie gras, & fort. Papias est aussi de ce sentiment, aussi bien que le Port-Royal, qui dit que baro parmi les Latins signifioit un homme vaillant, ou même un homme féroce ou brutal. Cambden entend par ce mot des soldats mercénaires, p. 121. C’est d’Isidore qu’il a pris cette interprétation. C’étoient, dit Chifflet, de braves soldats à qui l’on donnoit la paye. Ainsi nos Barons ont pris leur nom d’une dignité militaire. Si l’on en croit encore le Port-Royal, ce mot vient de βαρος qui se prend pour autorité, puissance. En ancien gaulois on appeloit Varons, les valets des soldats, qui étoient extrêmement lourds & stupides, & qui d’ailleurs résistoient à la fatigue. Et comme cette espèce de gens étoient fort brutaux & fort méchans, on donnoit le nom de Baron au Diable & aux Lutins. Cicéron, pour signifier un homme lourd & stupide, se sert du mot de baro. Dans les anciennes lois d’Allemagne, on dit, souffleter un Baron ; pour dire, donner un soufflet à un vilain. On appelle aussi en Italien un gueux Baroné ; & on dit baronare ; pour dire, gueuser.

Chorier prétend que le mauvais sens que les Latins donnent au mot Baron, qu’il croit être un mot gaulois, n’est point sa véritable signification ; qu’il y a apparence que chez les Gaulois il signifioit un jeune homme seulement, & que celui de garçon en est venu ; qu’on sait que les Barbares, qui ont inondé si souvent la France, y ont introduit avec eux la coutume de prononcer le V comme le G, & le G comme le V. D’autres dérivent le mot de Baron d’un vieux mot gaulois Ber, ou Bers, qui signifioit Haut-Seigneur, d’où on a fait le fief Haut Ber. Bouteiller, en sa Somme rurale, & de S. Julien en ses Antiq. de Bourg, ch. 34, disent que Ber & Baron sont synonymes. Et Etienne Guichard dérive bar de l’hebreu גבר, gever, ou geber, qui signifie homme, Seigneur, Prince ; en retranchant le ג, ou g hébreu.

Quelques-uns l’ont fait venir de barrus, qui signifie éléphant, à cause que les Barons sont ceux qui ont le plus de pouvoir.

Mais l’opinion la plus probable, est qu’il vient de l’espagnol varo qui signifie un homme vigoureux, vaillant & noble. D’où vient que quelques Coutumes ont appelé un mari, Baron, ce que les femmes appellent leurs hommes. Une femme ne peut contracter, ni appeler sans l’autorité de son Baron ; d’où vient que les Princes ont appelé Barons, leurs vassaux, qu’on appelle encore aujourd’hui leurs hommes & feudataires. Et dans les lois Saliques & Ripuaires, le mot de Baron signifie généralement un homme. Le vieux Glossaire grec & latin de Philoxène traduit baro par ἀνήρ. Dans les lois des Lombards baro est pris par tout pour vir ; de même dans les lois Saliques. Voyez Tit. 34, & elles l’opposent à mulier ingenua, comme si baro étoit vir ingenuus. Encore à présent, dit Chifflet, dans son Gloss. Saliq. au mot baro, les Walones appellent leur mari, mon Baron. Dans les lois Allemaniques & Ripuaires baro est aussi opposé à fœmina ; il en est de même dans les lois d’Angleterre, dit M. Harris ; & les Espagnols disent encore varom pour homme. Ainsi M. de Marca, Marca Hisp. Lib. III, cap. 8. §. 6, croit que ceux qui tirent ce mot du latin, se trompent, puisqu’il y a un sens fort different ; mais qu’il vient de l’Allemand bar, un homme. Cependant Lymnæus, Jur. Imp. Lib. IV, cap. 5, conclut des lois que nous venons de citer, que Baron ne signifioit qu’un valet comme en latin, parce que dans les lois des Allemands il n’y a que la même peine pour donner un soufflet à un Baron, ou le donner à une servante. Il ajoute que dans les lois Ripuaires, Baron est pris pour un Commis qui lève les droits ou tributs. Voyez cet Auteur, qui a ramassé plusieurs choses sur les Barons.

D’autres disent que c’est un mot françois, & la même chose que par-hommes, c’est-à-dire, hommes égaux en dignité. Quelques Jurisconsultes Anglois veulent qu’il signifie Bobora belli, dans Cambden, p. 121. Quelques Allemands le tirent de banner-haires, c’est-à-dire, enseigne porte-enseigne. Alciat prétend qu’il vient d’une ancienne nation d’Espagne, qui s’appeloit Bérons. Cambden préfère, p. 121, l’opinion qui le fait venir de bar, qui en allemand signifie un homme libre & indépendant.

Waserus le dérive de l’hébreu bar, pur, net, pour montrer la pureté & la noblesse de l’origine des Barons ; Martinius du mot allemand bar, prompt, qui est présent, qui paroît ; parce que les Barons étoient toujours auprès de la tente du Roi, pour le garder & le défendre. Ebrard de Bethune en donne ces étymologies, qui sont sans fondement :

Est Bares, fortis, Baroque monstrat idem.

Et en un autre endroit :

A gravitate Baro sertur, quod monstrat imago
Ejus ; nam Græcè Bares id quod grave signat.

En grec βαρὺς, gravis.

Jean de Garlande dit quelque chose de semblable dans ce vers,

Baro, Baronis, gravis aut authenticus est vir.

Icquez dit que bar dans la langue des Francs, & vair dans la langue gothique, veulent dire homme, celui qui a quelque chose de mâle, & que c’est de-là qu’est venu le mot de Baron : & Baron, selon cet Auteur, veut dire l’homme du Roi, qui est obligé de le défendre, de le servir à la guerre, de garder ses châteaux. Parce qu’on trouve farro, ou faro, ou pharro dans Grégoire de Tours, Hist. Franc. Lib. II, cap. 42 ; & Burgundiæ farones dans la Chronique de Frédegaire n. 41, où un manuscrit de la Bibliothèque de M. Colbert, & quelques éditions mettent Barons. Dom Ruinart dérive le nom de baro de faro, & faro de fara, qui signifie, dit-il, génération, branche, ligne de famille, comme il paroît par les lois des Lombards, Liv. III, tit. 14 ; & Paul Diacre Hist. des Lombards, Liv. II, ch. 9. On pourroit ajouter que fara vient de l’hébreu פרה, pharâ, qui signifie porter du fruit, & engendrer des enfans, produire, laisser lignée. Dieu s’en sert, Gen. I, 28 & IX, i, quand il ordonne aux hommes de produire & de multiplier. Mais il n’y a pas de nécessité de le tirer de si loin.

On a appelé Barons Châtelains, ceux qui avoient des châteaux. On appelle aussi Barons en France, ceux qui étoient les Pairs dans les Justices. On appelle Barons en Arragon, ceux qui ont plusieurs vassaux, qu’on nomme autrement Ricos humbres. En Angleterre, on distingue aussi des Barons par écrit, ou par brevet, & des Barons par Patentes, ou par création, par érection. Cambden rapporte l’origine de ces Barons par brevet à Henri III. Les Barons par Patentes commencerent au temps de Richard. Quelques-uns ajoutent une troisième espèce de Barons, qu’ils appellent Baron by tenure. Ce sont les Evêques, qui tiennent à titre de Baronnie quelques terres annexées à leur Evêché, & qui leur donnent séance dans la Chambre haute. Ils sont appellés les Lords spirituels. Harris, Tom. II.

On a appelé aussi Barons, les premiers Bourgeois de la ville de Londres.

Barons d’un Comté, Barones Comitatûs, en Angleterre sont les premiers vassaux d’un comté. Les Barons Aumôniers, Barones Eleemosynarii, sont encore en Angleterre les Ecclésiastiques, comme Archevêques, Evêques, Abbés ou Prieurs qui tiennent du Roi des biens d’Eglise à titre de Baronnie. Les Barons des cinq Ports dans la même île sont les cinq Barons qui demeurent dans les cinq principaux ports d’Angleterre, du côté de France ; qui sont Hasting, Dover, Hih, Rumnen & Sandwic ; & dans les bourgs adjacens, surtout à Rye, & à Winchelsey. Les Barons du Roi sont les Seigneurs de la Cour, ou ceux qui tiennent des terres immédiatement du Roi. Les Barons de l’Echiquier, sont les Juges de l’Echiquier, dont le principal est appelé le Lord Chef Baron, & les trois autres ses Assistans. Les Barons Terriers, Barones Terrarii, dans Guillaume de Puits-Laurent, sont tous ceux qui ont de grandes terres & beaucoup de fiefs. Quelques anciennes Notices les appellent Barons des Châteaux, Barones Castellorum, ou Castellenses. Barons du Parlement, sont les Lords du Parlement, qui ont droit d’y assister.

On a appelé Hauts-Barons, ceux qui tenoient une des quatre notables Baronnies de France, qui sont Coucy, Craon, Sully & Beaujeu. Les Hauts-Barons de France tenoient les terres en la même franchise que font présentement les leurs les Princes de l’Empire. Ils avoient droit de battre monnoie ; & dans les premiers temps c’étoit toujours un Haut-Baron qui présidoit au Parlement. Le Gendre. Mais il n’entend pas par Hauts-Barons seulement les quatre qu’on vient de nommer, mais les Ducs, les Comtes, & même quelques Vicomtes privilégiés.

Du Chesne dit que les Seigneurs de Montmorenci ont été appelés les premiers Barons de France.

Baron, se disoit autrefois des grands du Royaume de France. Quand le Roi tenoit les Etats, ou des Conseils d’importance, il assembloit ses Barons, qui ont changé souvent de degrés & de qualités, selon le temps & les lieux. Il falloit autrefois pour être Baron, avoir sous soi trois ou quatre Châtellenies, & trois Maladreries. La Coutume de Tours dit en l’article 71, avant qu’aucun se puisse dire Seigneur Baron, il convient qu’il ait sous lui plusieurs Châtellenies, ou deux pour le moins. Henri III, par son Ordonnance de 1579, veut que la Baronnie soit composée de trois Châtellenies pour le moins, qui seront unies & incorporées ensemble, pour être tenues à un seul hommage du Roi. On disoit autrefois par manière de proverbe, nul ne doit seoir à la table du Baron, s’il n’est Chevalier. Cela fait connoître combien les Barons étoient distingués. Voyez de S. Julien, Antiq. des Bourguign. ch. 34, & la Somme rurale de Boutillier.

On appelle communément en Espagne Baron, un homme illustre, mâle, ou vigoureux ; & quelquefois c’est un nom qu’on donne à un mari.