Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BIEN

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 891-893).
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☞ BIEN. s. m. Ce mot, dans sa première signification, est synonyme avec bon, bonum. On le dit généralement de tout ce qui peut nous rendre heureux ; de ce qui nous est utile, avantageux, convenable. La santé est un bien, la force du corps, la richesse, le plaisir, &c. sont des biens. En Morale, la vertu seule est un bien, puisqu’elle seule peut nous rendre heureux. Le souverain bien est celui auquel on doit rapporter toutes choses. La Religion nous apprend que Dieu est notre souverain bien.

☞ Epicure faisoit consister le souverain bien dans le plaisir, & le souverain mal dans la douleur, ce qu’il ne faut pas entendre à la lettre des seuls plaisirs des sens, mais encore de ceux du cœur & de l’esprit, que la raison approuve, & qui ne sont point suivis du repentir.

☞ L’École de Zenon, opposée à celle d’Épicure, faisoit consister le souverain bien dans la vertu seule, & soutenoit que la douleur n’étoit pas un mal.

Tout ce qui est propre à causer, ou à augmenter le plaisir en nous, se nomme bien, & le contraire mal. C’est sur ce bien & sur ce mal que roulent toutes nos passions.

Un avare idolâtre, & fou de son argent
Mettra toute sa gloire & son souverain bien,
A grossir un trésor qui ne lui sert de rien. Boil.


Pour mieux les supporter (les maux) il est un sûr moyen ;
C’est qu’entre plusieurs maux que l’on avoit à craindre,
Du moindre mal il faut se faire un bien.

On dit en Théologie, l’Arbre de la science du bien & du mal. Voyez au mot Arbre.

Bien, en termes de Jurisprudence, signifie, toutes sortes de possessions & de richesses ; tout ce qu’on possède en fonds de terre, en argent ou autrement. Bona, divitiæ, fortuna, opes. Il y a deux sortes de biens ; les meubles, Res moventes, mobiles ; & les immeubles, Res non moventes, immobiles.

On ne doit pas quitter les biens éternels pour les biens temporels. Malheur à celui qui usurpe le bien d’autrui. Qui confisque le corps, confisque les biens ; pour dire, que tous les biens des condamnés au supplice, ou au bannissement perpétuel, appartiennent au Fisc. On dit qu’un homme s’oblige corps & biens ; pour dire, qu’outre ses biens qu’il hypothèque, il s’oblige personnellement, & se soumet encore à demeurer en prison, faute d’exécuter ce qu’il promet. On dit aussi, séparer de corps & de biens ; pour dire, faire jouir une femme de son bien propre, & la séparer de son mari, tant à l’égard du lit que des biens.

On appelle un Curateur aux biens vacans, celui qu’on nomme pour défendre une succession abandonnée, où il n’y a point d’héritiers.

On appelle Cession de biens, une renonciation qu’un débiteur fait en Justice à tous ses biens, qui pour cela étoit autrefois obligé de porter un bonnet vert. Il faut qu’une caution donne un état de ses biens & facultés. Thémistocle disoit : j’aime mieux pour ma fille un homme qui ait besoin de bien, que du bien qui ait besoin d’un homme. Ablanc. Il faut savoir mépriser les richesses, les hommes, & tous ces autres biens en apparence, qui ne passeront jamais pour de véritables biens dans l’esprit du sage. Boil. Le bien contribue beaucoup à affermir les hommes dans la vertu au lieu que la pauvreté est une tentation continuelle. Le Mait. Sans le bien, la Grandeur des Grands n’est que bassesse, & c’est l’instrument le plus nécessaire à leur fortune. Id. On dit par manière de proverbe, tous biens sont communs, & n’y a moyens que de les avoir, mais il faut qu’ils soient légitimes. Loisel.

Etant nés pour jouir d’une gloire infinie,
Lui préférer des biens qui durent un moment,
C’est une espèce de manie,
Qui va jusqu’à l’enchantement. L’Ab. Tetu

Les biens se divisent 1°. en meubles, mobilia ; & en immeubles, immobilia. 2°. En propres, avita, paterna, hereditaria ; en acquêts, alio quam hæreditatis jure acquisita, adopta ; & en conquêts, à viro & uxore stante societate acquisita. 3°. En droits réels, jura realia ; & en droits personnels, jura persionalia, quæ personas afficiunt. 4°. En nobles, nobilia, immunia ; & en roturiers, non immunia.

Les biens adventifs, adventitia, sont ceux qui procèdent d’ailleurs que de successions de pere ou de mere, d’ayeul ou d’ayeule.

Les biens du Domaine de la Couronne, ad siscum spectantia, ne peuvent être aliénés à perpétuité, si ce n’est par échange : ils peuvent être vendus à la faculté de rachat perpétuel.

Les biens dotaux, dotalia, sont ceux qui procèdent de la dot, & dont l’aliénation n’est pas permise au mari.

Les biens paraphernaux, paraphernalia, sont ceux desquels la femme donne la jouissance à son mari, à condition de les retiter quand il lui plaît.

Les biens prospectifs, prospectitia, sont ceux qui viennent de la succession directe.

Les biens réceptifs, receptitia, étoient ceux que les femmes pouvoient retenir en pleine propriété, pour en jouir à part, à la différence des paraphernaux & des dotaux.

Les biens vacans, vacantia, sont ceux qui se trouvant abandonnés, soit parce que les héritiers renoncent, soit parce que le défunt n’a point d’héritiers.

Bien, se dit aussi pour signifier un héritage particulier. Fundus. Ce Gentilhomme a un beau bien dans telle Paroisse ; pour dire, un beau domaine, un grand territoire, un bon revenu.

Bien, se dit aussi des fruits des héritages. Fructus, fruges. La gelée est bonne pour les biens de la terre, & fait mourir la vermine. Les Rogations sont instituées pour prier Dieu pour les biens de la terre.

Bien, en Physique & en Morale, se dit encore de tout ce qui accommode nos affaires, de tout ce qui nous est utile, de tout ce qui nous peut procurer quelqu’avancement, de tout ce qui regarde notre intérêt & notre profit, ou qui conserve ou rétablit notre santé. Bonum, commodum, utilitas. Cet homme étoit ruiné, la succession de son oncle lui a fait tous les biens du monde. Ce Seigneur fait du bien à ses domestiques. Les avis de ce Magistrat vont toujours au bien public, mais d’un air farouche. S. Evr. Un ambitieux ne voulant du bien qu’à lui seul, tâche de persuader qu’il en veut à tous, afin que tous lui en fassent. La Br. Les gens vains regardent ceux à qui ils ont fait du bien comme leurs débiteurs, & comme leurs inférieurs. S. Evr. En amour, un peu d’absence fait grand bien. Rab. Un remède pris à propos fait grand bien.

Bien, se prend aussi pour plaisir, joie. Gaudium, voluptas, lætitia. Tous les maux que j’ai soufferts, n’égalent pas le bien de l’avoir vue. Voit. C’est la condition humaine d’être assujettie à des révolutions du bien au mal, & du mal au bien. Flech.

Bien, se dit aussi pour faveur, grâce, bienfait, bon office, Beneficium favor, gratia. Ton amour est un bien qui m’est justement dû. Main. Votre Majesté ne se seroit pas grand tort, si elle me faisoit un peu de bien. Scar. Je lui ferai tant de bien, disoit Henri IV en parlant d’un homme qui ne l’aimoit pas, que je l’obligerai à m’aimer. Vous m’avez fait un grand bien par vos avis.

Bien, se prend encore pour louange. Laus. Cet homme est obligeant ; il dit du bien de tout le monde. Chacun dit du bien de son cœur, & personne n’en ose dire de son esprit. Rochef. Ne parler de personne ni en bien, ni en mal. Voit.

Bien, se dit aussi de ce qui regarde la vertu, l’honnêteté, la valeur. Probitas, virtus. On dit, les gens de bien, des gens de bien ; pour dire, des gens vertueux, bons chrétiens. Ce Prélat est un grand homme de bien. On exhorte les autres à faire le bien, il suffisoit de le proposer à cette Princesse. Flech. Nul ne fait le bien pour le bien : tous les hommes ont leurs vues. Gom. Nous sommes portés au bien ou au mal, selon les premières impressions que nous recevons. S. Evr.

Je souffrirois plutôt l’affront du cocuage,
Que d’être le mari de ces femmes de bien.
Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien.

Mol.

Cet étranger a bonne mine, il sent son bien. Corneille a dit d’un homme brave, tu n’as fait le devoir que d’un homme de bien, pour dire, d’un homme généreux.

Bien. Avantage. On appelle biens du corps, la santé, la force : biens de l’esprit, les talens : & biens de l’ame, les vertus. Les biens de l’ame sont préférables aux biens de l’esprit ; & les biens de l’esprit sont préférables à ceux du corps. Acad. Fr. Comme il y a bien & mieux, il y a aussi mal & pis ; c’est-à-dire, que comme il y a plusieurs sortes de biens, les uns plus grands que les autres ; il y a aussi des maux plus grands les uns que les autres.

Bien, se dit aussi figurément pour science, lumière, connoissance , & généralement pour tous les avantages de l’esprit. Dotes ingenii, animi bona. Ce Philosophe égaloit les richesses des Rois par les biens de l’esprit. S. Ev.

Bien, se dit aussi en plusieurs phrases adverbiales, & alors il se prend pour beaucoup, ou pour sagement, ou pour commodément, ou pour justement. Multùm, prudenter, commodè, rectè. Ainsi on doit rapporter à l’une ou à l’autre de ces quatre significations les exemples qui suivent comme, il y a bien à profiter auprès de vos Docteurs. Pasc. Il feroit fort bien de se taire. Voit. Quand on est bien, il s’y faut tenir. Elle mérite bien cela. Mol. Bien marque aussi quelquefois la capacité, le pouvoir de faire une chose, comme quand on dit, ferez-vous bien cela ? Je le ferai bien. Je m’acquitterai bien de cette commission. Bien se dit aussi pour, véritablement, à la vérité : Il est bien en chemin, mais il n’est pas encore arrivé. Bien a encore plusieurs autres significations qu’on peut voir dans les exemples suivans, & qui se rapportent plus ou moins à ce qu’on a déjà dit. Cela va de bien en mieux. Cet homme est fort bien dans ses affaires. On dit qu’un homme est bien mal ; pour dire, qu’il est dangereusement malade. Sa maladie le tourne en bien. Il boit & mange bien. Il est bien buvant & bien mangeant. On lui a donné des remède bien à propos. Cela n’est pas venu à bien, n’a pas profité. Il y avoit bien du monde à ce sermon. Cette affaire ira bien autrement qu’on ne pense. Cet homme fait bien tout ce qu’il fait, il dit bien. Ces vers sont bien tournés. Il a fait cela tant mal que bien. On dit qu’un homme voit bien clair ; pour dire, qu’il est bien intelligent. Il n’en faut parler ni en bien, ni en mal. Vous en parlez bien à votre aise. C’est bien dit. Bien loin que cela lui serve, il lui pourra nuire. Ce critique ne trouve rien de bien. Il s’emploie aussi dans la signification d’à-peu-près, environ. Il y a bien trois ans que je ne l’ai vu. Et quelquefois il ne s’emploie que par redondance, & pour donner plus de force à ce qu’on dit. Auriez-vous bien l’assurance de le nier ? Je le savois bien. Acad. Fr. On dit aussi, un homme bien fait, une femme bien faite ; pour dire, belle & de bonne mine. On dit aussi par interjection, Hé bien ! qu’est-ce ? hé bien ! achevez. On dit aussi, bien bien, quand on veut témoigner quelque approbation, ou faire quelque menace. Vouloir bien, donner son consentement.

Bien, employé pour marquer le superlatif en françois, ou le plus haut degré des qualités des êtres, est pris ordinairement comme synonime à très & à fort, & l’on dit dans le même sens ; très sage, fort sage, bien sage. Cependant ils n’ont pas la même énergie, & il y a entr’eux quelque petite différence.

☞ Le mot de très, dit M. l’Abbé Girard, paroît marquer précisément le superlatif, & le représenter comme idée principale, sans mélange d’autre idée ni d’aucun sentiment. C’est ainsi qu’on dit, Dieu est très-juste.

☞ Le mot de fort, marque peut-être moins le superlatif, mais il y ajoute une espèce d’affirmation. Ainsi quand on dit, les hommes sont fort mauvais, on fait autant d’attention à la certitude qu’on a de leur méchanceté, qu’au degré où ils la portent.

☞ Le mot de bien marque encore moins le superlatif que fort, mais il exprime presque toujours un sentiment d’admiration. C’est ainsi que l’on dit la Providence est bien grande. Vous êtes bien hardi de me parler ainsi ! on exprime peut-être moins le degré de hardiesse, que l’étonnement qu’elle produit.

☞ M. L’abbé Girard trouve encore une autre différence plus sensible entre ces mots, c’est que très ne convient que dans le sens naturel & littéral. Quand on dit qu’un homme est très sage, cela veut dire qu’il l’est véritablement, au lieu que fort & bien peuvent être employés dans un sens ironique, fort, lorsque l’ironie fait entendre qu’on pêche par défaut ; & bien, lorsque l’ironie fait entendre qu’on pêche par excès. C’est être fort sage que de quitter ce qu’on a, pour courir après ce qu’on ne sauroit avoir ! c’est être bien patient que de souffrir des coups de bâton sans en rendre !

☞ Je ne crois pas cette distinction aussi bien fondée que la première, & je ne vois pas pour quoi le mot très ne pourroit pas se prendre ironiquement. On le prend tous les jours dans ce sens là dans la conversation.

On dit proverbialement, bien attaqué, bien défendu. autant vaut bien battu, que mal battu. Un fou avise bien un sage. On dit aussi, nul bien sans peine ; pour dire, que tout ce qui est avantageux, coûte à acquérir ; que c’est un grand bien qu’une chose soit arrivée ; pour dire, que c’est un grand bonheur ; & qu’on n’aura ni bien, ni repos qu’une chose ne soit faite ; pour dire, qu’on ne fera point dans un état tranquille, que cela ne soit fait. Acad. Fr. Quand biens viennent, ils viennent en monceaux. Bien est en sa maison, qui de ses voisins est aimé.

Vicinis gratus, sibimet solet esse beatus.