Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BLÉ ou BLED

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(1p. 927-930).
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BLÉ, ou BLED. s. m. Plante qui produit dans son épi un grain, dont on fait le pain, qui est la principale nourriture de l’homme ; & le grain que cette plante produit. Frumentum. Josph enrichit les Rois d’Egypte, en leur faisant faire des magasins de blé durant les années fertiles. Des terres à blé. Frumentarium solum, ou frumenti ferax ager. Blé mêlé. miscellum frumentum. Battre le blé. Terere. Scier les blés. Metere. On a vu dans la Suisse garder des blés jusqu’à cent ans, en les laissant dans l’épi. Quelques Naturalistes ont compté jusqu’à cent maladies, auxquelles les blés sont sujet.

Ce mot vient de bladus ou bladum, qui signifie fruit, ou semence, d’où est venu imbladare, pour dire, ensemencer, ou emblaver. Vossius & Somnerus le dérivent du Saxon blad, ou blada, signifiant la même chose ; ou du grec βλαστός, qui signifie germe. Les Italiens appellent encore biade, tous les légumes, fruits & moissons, excepté le froment. Selon les premières étymologies, il faut écrire bled ; comme on faisoit il y a déjà quelques années, & comme font encore quelques Auteurs. Cependant l’usage contraire semble avoir prévalu, & l’on n’écrit plus guère le ’d, comme on ne le prononce point, quand même on l’écrivoit, pas même devant une voyelle ; ainsi il faut dire du blé & du vin, acheter du blé en épis, & non pas du blé-t & du vin, du blé-t en épis.

On appelle par excellence blé, celui qui est de pur froment. Frumentun, triticum. Blé méteil, celui qui est mêlé de seigle. Miscellum. Petit blé, ou blé maigre, c’est du seigle, ou du blé où il n’y a guère de froment, ou dont le grain est mal nourri ; en un mot le blé du moindre prix. Trinca, Olyra.

On appelle aussi petits blés, les autres grains que l’on seme au mois de Mars, comme l’orge, l’avoine, les pois, les vesses ; ce qu’on appelle aussi en général les Mars, & en quelques lieux termois, de trimestris. Miscellum.

Chomel, dans son Diction. économique, au mot abondance, p. 6, & suiv. donne plusieurs secrets pour la multiplication des blés.

Blé barbu, en latin melica. C’est une espèce de millet dont les tiges s’élèvent à la hauteur de huit ou neuf pieds. Ses graines sont ovales ou presque rondes, & plus grosses de moitié que celles du millet commun. Cette plante croît aux pays chauds dans les terres grasses.

Blé blanc. Espèce de froment commun en Dauphiné. Chorier prétend que c’est celle que Pline appelle brance, brance en gaulois, sandelum en latin. Pline fait mention de deux espèces de froment, de l’arinque & du brance. Il dit que l’arinque est commun à la Gaule & à l’Italie : & le Brance propre à la Gaule seulement. Le Dauphiné les conserve encore toutes deux avec leurs premiers noms, corrompus néanmoins, en ceux de riguet, & de blé blanc. Chorier.

Blé cornu. Terme de Laboureur. Ce sont certains grains qui viennent quelquefois dans les épis du seigle, & qui sont noirs & plus longs que les autres, sortant de l’épi comme une espèce de corne noire ; ce qui fait qu’on les appelle en Gâtinois blé cornu, & en Sologne aussi-bien que dans les Berry, des ergots. Le blé cornu cause de fâcheuses maladies à ceux qui en mangent. Quelques-un disent que cela vient du terroir ; mais ce sentiment est peu probable, parce que cela n’arrive que certaines années, & dans les meilleures terres comme dans les plus mauvaises. D’autres prétendent que cela vient des chaleurs & des humidités de l’air. D’autres, comme M. Bernier dans son Hist. De Blois, disent que la cause de cette malignité sont certaines bruines qui tombent en quelques années vers le mois de Mai. Il semble que l’expérience montre qu’il faut qu’elles soient accompagnées ou suivies de raies de soleil chaudes.

Blé Locular. Froment rouge, froment locar, spéautre, en latin Zea. Cette plante est commune en Egypte, en Sicile & en Grèce. Ses épis sont assez semblables à ceux de l’orge. Sa graine est menue & d’un rouge-brun. On en fait du pain qui est noir & rude au goût : on s’en sert pour faire de la bière.

Blé Noir, ou Blé Sarrasin. Frumentum Sarracenicum, ou Fagopyrum, Fegopyrum, ou Fago triticum. Melampyrum. On le nomme Blé-noir, par rapport à la couleur noire de l’écorce de son grain ; & blé-sarrasin, parce qu’il a été d’abord apporté d’Afrique. Il se nomme en latin Fago triticum, & Fagopyrum, à cause qu’il ressemble au fruit du hêtre. Cette plante ne ressemble point au blé, quoiqu’on lui en donne le nom. Sa racine est fibrée & chevelue, & pousse une tige haute de deux pieds, mince, lisse, verte & quelquefois rougeâtre, branchue, chaque branche sortant alternativement des aisselles des feuilles. Elles sont taillées comme un cœur, soutenues par des queues qui ont jusqu’à deux pouces de long, sur-tout dans les feuilles du bas de la tige, qui sont plus amples, vertes, lisses, alternes & d’un goût fade ; leur grandeur domine à mesure qu’elles approchent de l’extrémité des branches ; & en cet endroit, & des aisselles de ses feuilles, naissent des brins minces & longs d’un pouce environ, qui portent des bouquets de fleurs purpurines : chaque fleur est composée de cinq étamines soutenues par un calice blanc & lavé de pourpre, divisé en cinq parties jusqu’à sa base. La pistil qui se trouve au milieu de ces étamines, devient une graine relevée le plus souvent de trois coins, enfermée dans l’enveloppe qui a servi de calice à la fleur. Le blé-noir est une manne pour le paysan qui n’a pas eu une bonne récolte en seigle & en froment. Dans les temps de disette, on seme beaucoup de champs de blé-noir, parce qu’il vient bien par-tout & qu’il est bientôt mûr. On fait avec la farine de ses semences, des gâteaux, de la bouillie & du pain, faute d’autre grain. On en engraisse aussi la volaille.

Il y a une autre sorte de blé-noir, qu’on nomme autrement blé de vache, ou rouge herbe. C’est une plante dont la tige est carrée, velue, purpurine, rameuse, haute d’environ un pied. Ses feuilles sont attachées à l’opposite l’une de l’autre par intervalles, les unes étroites comme celles du Linaria, les autres larges & découpées profondément, rudes au toucher, d’un vert-brun. Ses sommités sont garnies d’un amas de feuilles courtes, assez larges, de couleur purpurine gaie. Ses fleurs sortent des aisselles de ces feuilles : ce sont des tuyaux terminés en haut par une manière de gueule dont les deux lèvres paroissent ordinairement collées l’une contre l’autre, de couleur variée, purpurine ou rouge, ou jaune-rougeâtre. Il succède à ses fleurs des fruits oblongs qui s’ouvrent de la pointe à la base en deux coques, chacune desquelles est partagée en deux loges qui renferment des semences oblongues, plus petites que des grains de blé, & noires. Sa racine est petite, ligneuse, garnie de quelques fibres. Cette plante croît entre les blés, principalement en terre grasse. Les bœufs & les vaches en mangent.

Blé de Turquie, qu’on appelle autrement Mays, ou blé d’Inde. Indicum, frumentum Indicum, tragus, tragum. Ses racines sont chevelues, longues, nombreuses, blanches, & elles donnent une tige branchue dès le bas, haute de cinq pieds, ronde, épaisse d’un pouce, droite, noueuse par intervalles, remplie d’une moelle blanche, douce & sucrée. Plusieurs feuilles qui partent de ces nœuds, l’enveloppent & s’étendent ensuite de la longueur d’un pied environ, sur deux à trois pouces de largeur, pointues à leur extrémité, rudes sur leurs bords, & relevées de plusieurs nervures droites qui parcourent toute leur longueur en manière de plis. L’extrémité de la tige est terminée par un panicule ou amas d’épis, composés de plusieurs fleurs à étamines & stériles. Les fruits naissent dans des endroits séparés & au-dessous de ces panicules : ce sont autant d’épis enveloppés de feuilles roulées en gaine, d’où s’échappent plusieurs longs filets. Chaque filet aboutit à un embryon qui devient une graine presque ronde, grosse comme un pois, mais ordinairement anguleuse, & un peu plate d’un côté par où elle tient à l’épi, couverte d’une peau ou écorce ferme, le plus souvent rousse ou jaunâtre, quelquefois grise, rouge, brune, qui renferme une substance farineuse. L’ame de cet épi à fruit est un poinçon tout couvert de pareils grains, ou semences enchâssées, chacune dans une espèce de châton.

Le Mays sert de nourriture à une grande partie de l’Amérique, de l’Asie & de l’Afrique. On en fait moins d’usage en Europe, à cause qu’on en trouve la farine trop douce, & on n’a recours à cette sorte de grains de dans les disettes de froment. On le cultive en plusieurs endroits du Royaume, pour engraisser les volailles. Les Sauvages du Canada ne connoissoient point d’autre farine avant l’établissement des François dans ce vaste pays : ces Sauvages ne font dans leurs courses, qu’une simple bouillie de la farine de mays avec de l’eau pour se nourrir. On a vû que lorsque les soldats François étoient obligés de vivre de cette bouillie dans le temps des guerres, leurs blessures étoient plutôt consolidées. On appelle le mays blé d’Inde, & blé de Turquie, à cause qu’il a été apporté de ces endroits-là où il est nommé vulgairement maya, ou mayza.

Le blé de Turquie étoit fort connu en Italie dès le temps de Pline. Les Grecs le nommoient ἐρύσιμον, & les Latins Irio, comme on le peut voir dans Pline, Liv. XVIII, ch. 7, & 10 ; si cependant l’Irio de Pline est le blé de Turquie. Le pain de blé de Turquie est sec, friable, pesant sur l’estomac, & difficile à digérer. L’on en voit peu en France, si ce n’est en Dauphiné, en quelques lieux de Languedoc, de la Guienne, du Béarn & de la Navarre. On le nomme dans la plupart de ces lieux du gros millet, ou du millois. Hors les temps de disette, dans lesquels on en mêle avec d’autre blé, il ne sert qu’à nourrir des volailles, qu’il engraisse beaucoup. Dans les autres Provinces on n’en voit guère, que quelques plantes dans les jardins par curiosité. Voyez Galien, de Alim facult. Lib. I ; Bruyerin Campege, de re cibariâ, Lib. V. Cap. 23.

Blé, se dit particulièrement du grain qui sort de l’épi, quand il est bien battu. Granum. L’opinion commune est que dans les premiers siècles du monde on ne vivoit que des fruits de la terre, & de gland ; quelques-un ajoutent cette espèce de noisette que produit le hêtre, qu’ils prétendent avoir été appelé pour cela fagus en latin, du mot grec φάγομαι, je mange. Ils disent qu’on n’avoit point l’usage du blé, ni l’art de le préparer & de le rendre mangeable ; & que dans les histoires de ces premiers siècles, il n’y a nulle mention de blé. D’autres soutiennent de cela est contraire à l’Ecriture, qui dit que Dieu commanda à Adam, & devant & après son péché, de cultiver la terre, & que Caïn fut Laboureur. Mais le mot de l’Ecriture עובר אדמה n’est pas déterminé, comme celui de Laboureur, ou d’Agricola en latin, il signifie seulement qui travaille à la terre, qui la cultive ; ce qui convient à la culture des arbres, des herbes & des légumes, & a pû se dire de ces choses seules, quand on n’auroit point eu alors de connoissance du blé.

On dit que c’est Cérès qui fit connoître le blé aux hommes ; c’est pour cela qu’on la mit au nombre des Dieux. D’autres disent que ce fut Triptolème, fils de Céléus Roi d’Eleuse, ville de l’Attique. D’autres veulent que Cérès ait trouvé les blés, & que Triptolème ait inventé l’art de les semer & de les cultiver ; ou Cérès, dans ses courses, fut reçue par Céléus pere de Triptolème, & lui apprit à connoître le blé ; celui-ci l’enseigna aux hommes. Diodore de Sicile dit que ce fut Isis ; en quoi Polydore dit qu’il ne diffère point des autres, parce qu’Isi & Cérès sont la même chose.

Les Athéniens prétendoient que c’étoit chez eux que cet art commença. Les Crétois ou Candiots, & les Siciliens, aspiroient à la même gloire, aussi-bien que les Egyptiens. Quelques-uns croient que les Siciliens sont mieux fondés, parce que c’étoit la patrie de Cérès, puisque ce fut en cette Île qu’elle fut élevée ; & Polydore Virgile dit d’après Diodore, L. VI, que Cérès n’enseigna ce secret aux Athéniens, qu’après l’avoir appris aux Siciliens. D’autres prétendent que Cérès passa d’abord dans l’Attique, de-là en Crète, & ne vint qu’ensuite en Sicile. Il est cependant des Savans qui soutiennent que c’est en Egypte que l’art de cultiver les blés a commencé, & certainement il y avoit des blés en Egypte & dans l’Orient long-temps avant tous ces temps-là, comme il paroît par l’histoire de Joseph, Gen. C. XLI, & suiv. & même par celle d’Abraham, Gen. XII, 11, qui passa en Egypte pour éviter la disette qui désoloit la terre de Chanaan, ou pour le moins, par celle d’Isaac, qui, Gen. XXVI, 21, sema dans la terre de Gérard en Palestine, après une grande famine, & recueillit le centuple l’année même, ce qui ne se peut entendre que du blé. Ajoutez à cela qu’il est parlé de farine & de pains faits de farine, Gen. XVIII, 6, dans le repas qu’Abraham donna aux trois Anges qui lui apparurent. Voyez encore Vossius de Idol. Lib. I, Cap. 17, & Polyd. Virg. de invent. Rer. Lib. III, Cap. 2, Plin. Proœm. Liv. XIV, 17. Selon Servius & Macrobe, c’est Saturne qui apprit la même chose dans le Latium.

Le Livre V du Traité de la Police de M. De la Mare comprend entre autres choses, ce qui concerne les blés. Le 2e titre traite du blé & des autres grains. Le 3e du commerce des grains en général. Le 4e de la Police des Romains sur cela. Le 5e, de la Police de France. Le 6e, des Blâtiers. Le 7e, des Cribleurs. Le 8e, du mesurage des grains, & le 9e, de la conversion du blé en farine. Les Romains estimoient que chaque homme consommoit par an 60 boisseaux de blé. De la Mare.

Le commerce des blés par eau n’a commencé à Paris que depuis Philippe Auguste. Les anciens statuts qui furent donnés aux Jurés Mesureurs par S. Louis, & qui font mention pour la première fois de ce commerce des grains par eau, n’en disent qu’un seil mot, au lieu que celui qui se fait par terre, y est expliqué soit au long. Le déchet de blés au moulin ne doit être que de deux livres, selon les Ordonnances de Police.

Le blé, pour être bon, doit être sec, & non pas aride, mais conservant une espèce de fraîcheur, que les Marchands appellent, avoir de l’amitié, ou de la main. Il doit être pesant & bien nourri, l’écorce fine, & d’une couleur nette & claire. Les années trop séches, ou trop humides, lui sont contraires. Les unes le dessechent trop, le rendent maigre, coti ou glacé. Les autres le font à la vérité grossir, & lui donnent du poids, mais l’eau qui s’introduit dans ses pores, en détrempe les sels, lui ôte une partie de sa force, & souvent lui cause en peu de temps une assez grande fermentation pour le faire garmer. Ainsi l’année seche diminue la quantité, l’année trop humide est préjudiciable à la qualité. Cette différence des blés nourris de sécheresse ou d’humidité, se reconnoît à leurs farines, par le plus ou moins d’eau qu’elles prennent en les paîtrissant. Pline, qui a fait cette remarque, Liv. XVIII, ch. 7, dit que la farine du plus excellent blé, moissonné dans les meilleurs années, prend ordinairement un conge d’eau pour chaque boisseau. Le conge d’eau étoit du poids de dix livres, & le boisseau de vingt livres de farine.

On reconnoît encore la bonté des blés par le nombre des pains qu’ils rendent. Quoiqu’il soit difficile de rien déterminer de certain sur le poids du pain que le blé doit rendre, parce que cela dépend du terroir, de la disposition des saisons, du soin des Laboureurs à préparer la terre, des temps favorables ou non de la récolte ; de la conservation du blé ; Pline a cependant remarqué que le meilleur de tous les blés doit rendre un tiers pesant de pain plus que le poids du blé, & que l’expérience l’avoit fait connoître. Voyez M. De la Mare, Traité de Police, Liv. V, Tr. X.

Pour conserver le blé, il le faut bien sécher & le tenir net. Le grenier doit avoir ses ouvertures au Septentrion, ou à l’Orient : il doit y avoir au haut des soupiraux ; & il faut bien se donner de garde de les lambrisser : il faut faire une clôture aux fenêtres, pour garantir le blé des chats, des fouïnes, des oiseaux, &c. Il fait avoir soin de le travailler de 15 en 15 jours, tout au moins les six premiers mois : dans la suite il suffit de le cribler tous les mois : après deux années il ne s’échauffe plus, & il n’y a plus rien à craindre que de l’air & de l’humidité étrangère. Peu de temps après le siége que souffrit Metz sous Henri II, la citadelle fut bâtie sous Henri III ; le duc d’Epernen y fit faire de grands amas de grains, qui se sont conservés jusqu’en 1707. Il y en avoit un tas dans le magasin, qui avoit dix toises dans un sens, sur cinq à six de l’autre, & environ deux pieds de hauteur ? on n’y avoit point touché depuis. La date de l’année qu’on le serra étoit encore gravée dessus. Le Roi, M. le Dauphin & les Seigneurs qui ont passé par Metz, ont mangé du pain de ce blé. Une des choses qui contribue le plus à la conservation du blé, c’est la croûte qui se forme sur toute la superficie, de l’épaisseur d’un doigt & demi. On se promenoit sur celui de Metz sans que cette croûte obéît. On a vu à Sédan un magasin taillé dans le roc & assez humide, dans lequel il y avoit un tas de blé très-considérable depuis 110 ans. Il étoit revêtu d’une forte croûte, dure, épaisse d’un pied, formée de la germination des grains extérieurs de la superficie. Sous cette croûte se trouva un blé d’un grain assez gros, beau & bon, & l’on en fit du pain qui se trouva excellent.

A Châlons il y a des greniers où l’on conserve le blé 30 ou 40 ans. On choisit le plus beau blé, & du meilleur cru qu’il est possible. Après l’avoir travaillé, on en fait un tas aussi gros que le plancher le peut porter. On met ensuite trois pouces de haut de chaux vive en poudre très-fine sur tous les tas également ; puis avec des arrosoirs on humecte cette chaux, qui forme avec le blé une croûte ; les grains de la superficie germent, & poussent une tige d’environ un pied & demi de haut ; l’hiver la fait périr, & l’on n’y touche point que quand la nécessité y oblige ; alors on trouve le blé aussi beau que s’il n’avoit que deux ans. Voyez l’Hist. de l’Acad. des Sciences de 1708.

Marmol, Liv. III, ch. 60, dit que dans la ville de Miatbir, en Afrique, c’est-à-dire, cent puits, il y a plusieurs puits taillés dans le roc, où les habitans serrent leur blé ; qu’il s’y conserve plusieurs années sans se gâter ; qu’on en a trouvé de 80 ans, qui étoit aussi sec & aussi bon que si on n’eût fait que de l’y mettre.

Les mesures dont on se sert communément en France pour mesurer le blé, sont, le muid, le setier, le minot, le boisseau, le demi-boisseau, le quart, &c le demi-quart de boisseau, le litron, & le demi-litron. Toutes celles qui sont au-dessous du boisseau, ne servent guère pour le blé. On mesure en quelques endroits par bichets au lieu de boisseaux ; au Mans par charges, qui sont de 12 boisseaux ; à Sédan par quartels ; à Dijon par quarranches, quarraux, bichots & hémines ; à Metz par quarts, à Rennes par mines ; à Aix par charges ; à Avignon par hermines ; à la Fère par mancots. On divise aussi quelquefois les mesures des arides en pintes. Voyez le Traité de la Police de M. de la Mare, Liv. V, Tr. VIII, ch. 2. L’explication de toutes ces mesures se trouvera chacune à sa place.

Par des essais faits à Paris en différens temps par les Magistrats, & avec beaucoup d’exactitude, on a trouvé en 1432 que,

La mine de blé froment François pesoit 113 l. 2. onces.
La mine de blé froment de Neubourg 110 l.
Le setier de blé méteil 220 l. 5 quarterons.
Après la mouture, la farine
Des deux mines de blé froment pesa 221 1. 2 onces.
Du setier de méteil 216 l. 3 quarterons.
Etant mesurés, la farine
Du setier du blé froment donna 16 boisseaux combles.
Du setier de méteil 16 boiss. combles
& un ras.
En 1466 on trouva que la mine
Du meilleur blé froment pesoit 108 livres.
Du moyen 105 l.
Le minot de seigle 55 l.
Etant moulue, la farine
De la mine du meilleur blé froment pesa 102 l.
Du moyen 99 l. 6 onces
Du minot de seigle 49 l. 3 quarterons.
Et donnèrent de farine
La mine du meilleur à tout le son 8 boisseaux.
Du moyen à tout le son 8 boisseaux.
Le minot de seigle 8 boisseaux demi-quart.
La mine du meilleur blutée au bluteau à blanc est revenue nette à 8 boisseaux,
La mine du moyen par le bluteau à fenêtre est revenue nette à 8 boisseaux.
Le minot de seigle par un bluteau à bis est revenu à 2 bois. 1 q. & dem.
Le son des mines de froment riflé & recoupé revenu net en gruaux, mis avec la farine de seigle à 1 boisseau & demi.
Etant pétris & boulanger, on fait

La mine du meilleur, sept douzaines de petits pains blancs, de quinze onces en pâte, pour revenir à douze onces cuits.

La mine du moyen, deux douzaines de petits pains bourgeois, de dix-neuf onces en pâte, pour revenir à seize onces cuit, & vingt-deux grands pains bourgeois de trente-sept onces en pâte, pour revenir à trente-deux onces cuits.

Le minot de seigle & gruaux, vingt-deux grands pains bis appelés brode, de quatre livres & demie en pâte, pour revenir à trois livres cuits.

On fit en 1477, un pareil essai, où tout revint à peu près au même.

Au dernier qui fut fait en 1700, la mine du plus beau blé froment, fut trouvée peser cent dix-huit livres. Etant moulue elle produisit huit boisseaux & demie de farine, pesant ensemble cent seize livres. La farine ayant été blutée, rendit trois boisseaux & un quart de fleur pour le pain le plus blanc. De la seconde farine, deux boisseaux & un quart ; & il resta de son, quatre boisseaux trois quarts. Ce qui fait en tout dix boisseaux & un quart. Ayant été pétrie, & le poids du levain qui y avoit été ajouté ayant été ôté, on en fit,

Pain mollet, quarante, pesant en pâte chacun cinq onces & demie, & ensemble deux cent vingt onces.

Pain à la Reine, six, pesant en pâte chacun cinq onces & demie, & ensemble trente-trois onces.

Pain à la Ségovie, sept, pesant en pâte chacun cinq onces & demie, & ensemble trente-huit onces & demie.

Pain de Chapitre, vingt-six, pesant en pâte chacun six onces & demie, & ensemble cent soixante-neuf onces.

Pain façon de Gonesse, quarante-huit, pesant en pâte chacun six onces & demie, ensemble trois cent douze onces.

Pain bis blanc, soixante-sept, en pâte chacun dix onces, & ensemble six cent soixante-dix onces. Poids total 1442 onces & demie, ou quatre-vingt dix livres, deux onces & demie.

Après la cuisson.  
Le pain molet pesa chacun 4 onces.
Le pain à la Reine chacun 4 onces.
Le pain à la Ségovie chacun 4 onces.
Le pain de Chapitre chacun 5 onces.
Le pain façon de Gonesse chacun 5 onces.
Le Pain bis blanc chacun 8 onces.

Poids total, mille cent cinquante-huit onces, ou soixante-neuf livres, quatorze onces.

Voyez le Traité de la Police de M. De la Mare, Commissaire qui présidoit à cet essai, Liv. V, Tit. XIV, 18.

Il y a plusieurs Îles de l’Amérique où il ne vient point de blé. En France, le blé doit être semé avant l’hiver, c’est-à-dire, le froment & le seigle. Si on le seme après l’hiver, il pousse à l’ordinaire, mais les épis n’ont point de grains, sont vides. Mais si on fauche cette herbe, & qu’on fasse paître les bestiaux comme dans un pré, qu’ensuite on laisse passer l’hiver dessus, l’année suivante elle portera abondamment, & comme si on l’avoit semée tout de nouveau. Cela arriva ainsi en 1709, & 1710, aux portes de Bourges & en d’autres endroits de Berry, & ailleurs encore, où l’on sema des blés au Printemps qui suivit l’hiver de 1709, dont le froid extraordinaire fit périr les blés.

On dit proverbialement, crier famine sur un tas de blé, quand un avare se plaint de la misère du temps, quoiqu’il ait de quoi vivre dans l’abondance. On dit d’une marchandise d’un sûr & prompt débit, que c’est du blé en grenier. On dit aussi être pris comme dans un blé ; pour dire, être surpris sans défense & sans armes. On dit aussi, manger son blé en vert ; pour dire, manger son revenu avant que les termes en soient échus.