Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BOURGUIGNON

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(2p. 14-16).

BOURGUIGNON, one, s. m. & f. Nom de peuple que quelques-uns écrivoient autrefois Bourguingnon, & que les Anciens on appelé burgundio, & quelquefois, comme Ammian Marcellin, Burgundius, mais plus rarement. Les Modernes disent souvent Burgundus, mais mal à mon sens, puisque l’antiquité a dit autrement. En parlant des anciens Bourguignons M. de Tillemont a dit en françois. Burgundes. Voyez ce mot. Les Bourguignons, selon quelques Auteurs, étoient une partie des Vandales, dont la première demeure fut la Cassubie en Poméranie, avec les contrées de Pologne qui en sont voisines. Sous Tibère ils sortirent de leur pays, & conquirent une partie de la basse Allemagne. Tibère & Drusus les disperserent en différens camps le long du Rhin, où ils multiplierent de sorte, qu’au rapport d’Orose, L. VII. C. 32. ils parurent au nombre de 80. mille sur le bord du Rhin. Sous l’Empire de Théodose le jeune, fils d’Arcadius, les Allemans les ayant chassés du pays dont ils s’étoient emparés, & que nous nommons aujourd’hui le Palatinat du Rhin, ils passerent ce fleuve, & étant entrés dans les Gaules, ils vainquirent les Eduens, les Sénonois & les Séquaniens, les chasserent & demeurerement maîtres de leur pays, qui depuis fut appelé de leur nom de Bourgogne, où ils formerent le Royaume dont nous avons parlé au mot de Bourgogne. Selon M. de Valois, les Bourguignons ne sont point Vandales, mais une nation Germanique, voisine des Allemans. Sidonius dit qu’ils parloient le langage Germanique. Tibère ayant tiré de la Suabe les Sicambres, leur ayant fait passer le Rhin, & les ayant logés dans la Gaule sur le rivage de ce fleuve, Isidore, & après lui plusieurs autres, se sont imaginé que les Bourguignons sont venus de cette Colonie de Sicambres, & confondent inconsidérément les uns avec les autres.

Selon d’autres, les Bourguignons sont de ces anciens Gaulois, qui sous la conduite de Ségovèse, du temps du vieux Tarquin, s’étoient établis en Germanie, & qui plusieurs siècles après revinrent dans leur ancienne patrie. Voyez Chorier, Hist. de Daup. Liv. III. § 1. p. 124. 125. Ammien dit comme une chose constante que les Bourguignons descendoient des Romains ; & Orose prétend que ce sont ceux que Drusus & Tibère, fils adoptifs d’Auguste, avoient établis dans les châteaux & dans les bourgades de l’Allemagne, & que même ils ont pris leur nom de ces bourgs ; ce mot signifie à-peu-près la même chose en leur langue qu’en la nôtre. Néanmoins Pline, Liv. IV. C. 14. en fait une nation purement Germanique, une partie des Vindiles, qu’on prétend être les Vandales ; & quelques-uns prétendent qu’ils n’ont été appelés Romains, que parce qu’ils croyoient descendre des Gaulois, qui avoient été faits Citoyens Romains.

Marcellin dit qu’auparavant que les Bourguignons se fussent investis d’une partie des Gaules, ils ne s’appliquoient qu’aux armes & au labour, & lorsque, contre leur espérance, la terre leur faisoit faillite, ils entroient en une fureur si étrange, qu’ils chassoient leur Roi de leur Royaume, & en installoient un autre. Pasq. Les Bourguignons ne commencerent à paroître & à se jeter sur les terres de l’Empire Romain que sous Maximien vers la fin du troisiéme siècle. Les Bourguignons passerent le Rhin, & entrerent en Gaule avec les Alains & les Vandales sous Honorius & Arcadius, au quatriéme siècle. Les Bourguignons, que l’on croit n’avoir été différens des Vandales, que par le nom, ne marchoient au commencement que sous les mêmes enseignes & sous les mêmes chefs. Mais ayant traversé le Rhin ensemble, ils se séparerent par le conseil de leurs Prêtres, parce qu’ils avoient embrassé le Christianisme, que ces autres nations avoient en horreur. Chorier.

On ne convient guère plus de l’origine du nom, que de celle du peuple. La plus vraisemblable est que Bourguignon, Burgundio, ou Burgundius, n’est point leur premier nom, ni un nom qu’ils aient apporté en Allemagne ou en France, ou qu’ils se soient donné eux-mêmes, mais un nom que les Allemans ou les François leur donnerent, parce qu’ils bâtirent autour du pays qu’ils avoient conquis un grand nombre de châteaux, ou camps, Castra, pour leur sûreté ; que c’étoit-là une de leurs coutumes, & que château ou camp se dit en allemand & en ancien franc, burg, ou bourg, d’où l’on fit Bourguignons, comme qui diroit Chastelains. C’est l’étymologie d’Orosius, d’Isidore, & de plusieurs autres. Luitprand, L. III. c. 12. parlant des Bourguignons, dit, Ipsi domorum congregationem, quæ muro non clauditur, burgum vocant. Et dans les fragmens de Frédégaire on lot Burgundionum 80 ferè millia... ad Rhenum descenderunt, & ubi castra posuerunt, quasi Burgo vocitaverunt, ob hoc nomen acceperunt Burgundiones. Voyez encore Osorius, L. VII. Hist. 6. 4.

D’autres, qui approuvent cette étymologie, disent que les Bourguignons ne furent point ainsi nommés des bourgs fortifiés qu’ils construisoient, mais des bourgs non fortifiés & tout ouverts que Drusus & Tibère les obligerent de former, pour diviser en plusieurs petite habitations séparées & sans défenses, cette nation qui commençoit à leur devenir suspecte par ses forces & sa multitude. C’est le sentiment de Paradin dans ses Annal. de Bourg. L. I. Chorier, Hist. de Dauph. p. 458, 459. dit que c’est parce qu’ils joignoient leurs tentes pour être plus prêts à leur défense commune, & nommoient bourgs ces assemblées qui avoient du rapport avec les villes, qui néanmoins n’étoient point fermées de murailles.

Quelques Modernes, après M. de Valois, traitent de ridicule cette étymologie tirée du mot bourg, estimant que de Burg on auroit fait Burgiones, & non pas Burgundiones, c’est-à-dire Burgion, & non pas Bourguignons ; mais il faut de meilleures raisons, dit M. de Tillemont, pour se moquer des anciens Auteurs. D’autres, comme Rhénanus, qui tiennent cette étymologie pour vraie, remontent à la langue grecque, & tirent burg de πύργος, une tour ; & si l’on croit Picard, dans sa Celtopédie, il n’y a aucun bon Auteur qui n’en convienne. Quoi qu’il en dise néanmoins, & quelques vraisemblable que puisse être cette opinion, ce mot peut n’être point grec ; & Pierre de S. Julien, dans ses Antiq. des Bourg. ch. 11. réfute cette opinion, parce que, 1o. les Bourguignons ; ni les Allemans, dont ils faisoient partie, ne savoient point le grec, & n’en ont eu connoissance que fort tard, quoique, selon Rhénanus, ils aient été nommés Bourguignons plutôt qu’on ne pense ; c’est-à-dire, avant Tibère. 2o. Les Germains, ni par conséquent les Bourguignons, ne demeuroient point dans des villes, & ne renfermoient point leurs habitations de murailles, ainsi que Tacite nous l’apprend. 3o. Que πύργος est une tour, & non point un bourg. D’autres ont dit que Burgundio s’étoit dit pour Gurgundio, à Gurgitibus, parce que la Bourgogne a été nommée la Mere des eaux, à cause que les plus grandes rivières des Gaules y ont leur cours, ou leurs sources ; mais ces peuples portoient le nom de Bourguignons avant que la Bourgogne eût été nommée la Mere des eaux, & qu’ils y fussent placés ; & il faut dans ce sentiment soutenir que les Bourguignons sont Indigénes, ce qui est faux.

D’autres prétendent que c’étoit un peuple sorti de la Scythie, & qu’ils campoient sous des tentes, qu’ils nommoient Burgs, d’où ils furent appelés Bourguignons. Mais M. de Valois, dans sa Notice des Gaules, prétend que les Bourguignons qui s’établirent en Gaule sont fort différens des Bourguignons venus de Scythie. Ceux qui disent que ce sont de ces Gaulois de Ségovèse ajoutent qu’ils prirent le nom de Bourguignons en l’honneur d’Hercule qu’ils adoroient sous celui d’Ognius.

Enfin, quelques-uns disent qu’ils ont été ainsi nommés du nom d’un lieu situé dans le diocèse de Langres, & qui s’appeloit Bourg ongne, ou Ogne, & dont le nom est resté à la vallée d’Ogne. C’est le sentiment de S. Julien, Antiq. des Bourguignons, C. 2, 3, 4, 5 ; c’est pour cela qu’il écrit Bourgogne & Bourgognons. Il prétend que Ongne en ancien langage celtique signifioit Dieu & Dieux, parce que Bourgogne est la même chose que Burgus Deorum, Bourg des Dieux, qui étoit au même lieu ; que c’est de-là aussi qu’a été fait Burgundia, de burgum, & dia ; mais tout cela n’a pas grande apparence. Les Bourguignons étoient ainsi nommés avant qu’ils passassent le Rhin, & qu’ils habitassent le bourg d’Ogne. Ogne est une terminaison que nous donnons à bien d’autres lieux, comme je l’ai déjà remarqué au mot Bourgogne, après de saint Julien lui-même. Dia est de même une pure terminaison latine.

M. de Marca, dans son Hist. de Bearn, Liv. I. p. 129 en parlant de Burgundio, Comte de Fézensac vers le commencement du neuviéme siècle, dit que le nom de Burgund, ou Bergund, exprimé en latin par Burgundio, est un ancien nom gascon, mais il n’en apporte point de preuves, & ne dit point ce qu’il signifioit.

Voyez le mot de Bourg, & sur la Bourgogne & les Bourguignons, l’Antiquité & l’Origine des Bourguignons par P. de S. Julien ; les Annales de Bourgogne, par G. Paradin de Cuyseayx. La Notice des Gaules de M. de Valois. Beatus Rhenanus, Rerum Germanicarum Nov. Antiq. sur-tout, Liv. I. & II. & les Notes qu’Orton a faites sur cet ouvrages ; cluvier, Germ. Ant. L. III. p. 145 & suiv Cambden, p. 625. Britann. de Hauteserre, Not. in Greg. Tur. p. 46 & 73, 74. Chorier, Hist. de Dauphiné.

Bourguignon. Ce mot est venu en usage dans la langue par ce proverbe, Bourguignon salé, qu’on dit par reproche à ceux qui aiment à saler trop leurs viandes : ce qui s’est dit depuis l’an 1422. auquel temps, y ayant dans Aiguesmortes une compagnie de Bourguignons, les bourgeois se ruerent sur cette garnison, & jeterent leurs corps dans une grande cuve de pierre, qu’on y montre encore à présent, & ils les salerent pour les conserver plus long-temps, comme un glorieux trophée de leur fidélité envers leur Roi légitime ; ou simplement, comme dit Andoque dans son Hist. de Languedoc, p. 444. de peur que ce qui s’exhaloit des corps morts de ces Bourguignons n’infectât l’air, ils firent un grand trou, dans lequel ils les jeterent, & les couvrirent un grand trou, dans lequel ils les jeterent, & les couvrient de sel. C’est de-là, selon Monstrelet & Juvénal des Ursins, qu’est venu ce proverbe. La Faille, dans ses Annales de Toulouse, p. 173. dit précisément la même chose qu’Andoque. D’autres tirent ce proverbe du sel qui se fait à Salins, à cause que les Bourguignons ont eu plusieurs disputes pour leurs salines.

Bourguignon. s. m. Ce mot se dit dans le style familier, pour signifier du vin de Bourgogne. Avalons de ce bon Bourguignon. On emploie ce mot en ce sens dans les chansons à boire.

Bourguignon. s. m. Terme de mer. Les Mariniers appellent ainsi les glaces séparées que l’on rencontre en mer.