Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CÉRÈS

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 374).

CÉRÈS. s. f. terme de Mythologie. Ceres. Déesse du Paganisme, fille de Saturne & de Rhea. Hesiod. Theogr. 454. Cérès avoit trouvé l’art de cultiver la tere, & on l’honoroit comme la Déesse des Blés. Elle eut Proserpine de Jupiter, & Plutus de Jasius, Id. Théog. 911 & 969. Pluton ayant ravi Proserpine pendant qu’elle cueilloit des fleurs dans une prairie, Cérès courut toute la terre pour chercher sa fille. Voyez Claudien, De Raptu Proserp. & Ovid. Metam. L. V. Quand elle fut arrivée dans l’Attique à Eleusis, elle prit en affection Triptolème, fils de Celeus Roi d’Eleusis, & se fit sa nourrice ; quand il fut grand, elle lui découvrit le secret de cultiver la terre, de recueillir le blé & d’en faire du pain, & l’ayant monté sur un char tiré par des serpens aîlés, ou par des dragons, elle l’envoya par toute la terre apprendre son secret aux hommes. Selon quelques Auteurs, la vérité de cette fable est, que Proserpine, fille d’une Reine de Sicile, fut enlevée par Orcus Roi des Molosses. Quand on eut le secret de semer & de cultiver les blés, on partagea les terres & les campagnes ; on mit des bornes aux héritages, & on fit des loix pour leur conservation ; c’est pour cela que Cérès passoit pour avoir inventé les loix, & qu’on l’appeloit Themosphore. Au reste, ce n’étoit pas seulement l’invention du blé, mais de tout ce qui regarde les richesses & le ménage de la campagne qu’on lui attribuoit. De-là quelques autres noms qu’on lui donnoit, comme Mallophore, Porte-laine ; Melophore, Qui porte ou qui produit des brebis, & sur-tout Παμμήτηρ, mère de tout, dans les hymnes attribuées à Orphée. Cérès étoit représentée de différentes manières ; quelquefois elle portoit une couronne d’épis, d’autrefois on la représentoit triste, & tenant un flambeau à la main, ou bien portant en main un bouquet d’épis & de pavots. C’est ainsi qu’elle est gravée sur les médailles. Cérès étoit la même que la Terre, qu’Isis, que la Lune & Vénus. On la nommoit Eleusine, d’Eleusis ; Frutis à fruendo, jouir ; Inferna, parce que les semences s’enferment dans le sein de la terre ; Mammosa, qui a beaucoup de gorge, à raison de la production des fruits, &c. Selon Diodore de Sicile, Cérès est Isis. L’arrivée de Cérès en Grèce est le transport des blés d’Egypte en Grèce dans un temps de famine. Erecthée, qui fit ce transport, fut déclaré Roi en reconnoissance de ce bienfait, & il établit en Grèce les mystères de Cérès, ou Céréales, à la manière d’Egypte, qu’Isocrate prétend néanmoins, dans son Panégyrique, avoir été donnés aux Grecs par Cérès elle-même.

Le premier lieu où l’on ait bâti un temple à Cérès, c’est Palantium en Arcadie, au rapport de Diodore de Sicile, Liv. I. C’est Evandre qui fit passer le culte de Cérès de Grèce en Italie. Elle n’eut de temple à Rome que l’an de Rome 257, après la victoire remportée sur les Volsques. La première statue de bronze qui a été faite à Rome, fut une statue de Cérès. Pline, XXXIV, 4. Vossius croit, que selon l’Histoire, Cérès & Isis sont deux Déesses fort différentes ; mais que, selon les raisons physiques sur lesquelles la fable est fondée, ce n’est qu’une même divinité. Le même Auteur montre qu’il y a deux Cérès, l’une céleste, qui étoit la Lune, & l’autre terrestre, qui étoit la Terre. Voyez de Idolol. L. I, c. 17, L. II, c. 27, & c. 59. On représentoit Cérès assise sur une pierre & avec une tête de cheval. Vossius, de Idol. L. IX, c. 23. Les animaux consacrés à Cérès sont la grue, la tourterelle, le surmulet ou mulet, poisson de mer ; & le serpent aîlé ; & pour les plantes, le blé & le safran.

Comme Cérès passoit pour la Déesse des fruits & des grains, & comme ayant appris aux hommes l’art de cultiver la terre, les fruits & les grains s’appellent en Poësie, les dons, les présens, les trésors de Cérès.

La fourmi tous les ans, traversant nos guérets,
Grossisses magasins des trésors de Cérès. Boil.

C’est pourquoi on la prend pour le pain même, comme Bacchus pour le vin. Sans Cérès & Bacchus, Vénus est languissante. Sine Cerere & Baccho, friget Venus.

Ce nom Cérès est la même chose, si l’on en croit Varron, que Gérés, & il s’est fait de-là par le changement du G en C. Et cette Déesse, dit-il, fut appelée Gérés, quod gerat fructus. D’autres prétendent que, supposé que Cérès ait été appelée d’abord Gérés, ce nom vient du grec Γῆρυς, Gerys ; en effet Hesychius dit qu’Achero, Ops, Helle, Gerys, la Terre & Cerès, sont la même. Or Γῆρυς, suivant le sentiment de ces Auteurs, est un nom hébreu qui vient de גרש, geresch qui signifie selon eux du blé moulu, broyé, de גרש, garasch, qu’ils expliquent, frangere, contundere. Il vaudroit mieux dire que גרש, geresch, signifie les fruits qui sont produits & poussés dehors ; car en effet il a ce sens. Deut. XXXIII 14, & n’a jamais l’autre en hébreu, גרש, garasch, ne veut dire que expellere, protrudere, & non point frangere, contundere. On ajoûte que Cérès portoit à Cnide un nom approchant de Γῆρυς, qui est Κύρη ; mais ce nom lui fut donné, dit-on, parce qu’elle étoit κύρια τῆς γῆς, la maîtresse de la terre, ce qui n’a point de rapport à l’étymologie grecque de Γῆρυς. D’autres tirent Cérès de l’hébreu חרס, Hhres, qui signifie le soleil, auteur de tous les fruits de la terre ; & ils disent que חרס a bien plus d’analogie avec Γῆρυς, que גרש. Ils confirment encore ceci par Plutarque, qui dit que Cyrus en Persien signifie le soleil. Voyez Vossius, De Idolol. L. II, c. 59.