Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CARCAJOU ou CARCAJOUX

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 259).
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CARCAJOU ou CARCAJOUX. s. m. Prononcez Carcajou. C’est un animal carnassier de l’Amérique septentrionale, qui pèse ordinairement 25, 30 & 35 livres. L’un de ceux que M. Sarasin, Chirurgien à Québec, a disséques, pesoit 32 livres. Il avoit 2 pieds, depuis le bout du museau, jusqu’à la queue qui avoit 8 pouces de long. La tête, qui est fort courte & fort grosse, eu égard à la grandeur de tout l’animal, avoit 6 pouces depuis le bout du museau, jusqu’à la première vertèbre du cou, ou 5 pouces de diamètre à l’endroit des oreilles, qui sont droites, courtes, & arrondies par le bout. Sa poitrine & son ventre, qui sont d’un égal volume, avoient un pied deux pouces de diamètre. Il avoit les jambes fort courtes, elles n’avoient qu’environ 9 pouces de long, y compris les pates, qui en avoient quatre, & qui sont composées de cinq doigts, qui avoient plus d’un pouce de long, qui sont armés d’ongles crochus, très-forts & très-pointus, & qui avoient environ trois lignes de large dans leur base.

La couleur du Carcajou est plus ou moins noire selon les endroits qu’il habite. Ordinairement elle est noire depuis le bout du museau jusqu’environ un travers de doigt au dessus des yeux. Le poil en est fort court. De-là jusqu’au derrière de la tête elle est d’un roux tirant sur le gris ; depuis là elle est noire sur le dos jusqu’à un travers de doigt de la queue ; ensuite elle est rousse jusqu’à 3 pouces avant dans la queue, dont le reste est noir, & toufu comme celle d’un renard. Il a deux bandes rousse qui prennent aux épaules, & qui regnent le long des côtes jusqu’à la queue ; & depuis les deux oreilles, dont le poil est court & qui sont noires, il y a deux autres bandes de poil blanc & roux, qui descendent jusqu’entre les deux jambes en forme de cravate, & qui forment un angle en se réunissant. Tout ce qui couvre le ventre est noir, depuis le cou jusqu’à l’anus, excepté quelques endroits dans le milieu, qui forment quelquefois une ligne blanche. Le poil du museau, des oreilles, des cuisses, des jambes & des pates, est fort court ; celui dur este du corps a 14 ou 15 lignes de long.

Il a les yeux très-petits à proportion de sa grandeur. Ils n’ont qu’environ quatre lignes d’un angles à l’autre, & trois lignes entre les paupières lorsqu’elles sont écartées. Il n’a rien de particulier dans le cerveau : ses mâchoires sont très-fortes, & garnies de trente-deux dents, dont treize sont molaires, quatre canines qui sont très-longues, & douze incisives, qui sont courtes, étroites, épaisses & fort tranchantes. Quand ils sont vieux, leurs dents sont fort usées.

Les intestins ont 15 pieds de long. Le foie est composé de huit lobes, quatre grands & quatre petits. Le conduit cholidoque répond au duodenum ; la rate a très-peu d’épaisseur, & un pouce de large sur six de long. Le pancréas en a douze ou treize, & s’ouvre comme le cholidoque dans le duodenum. Les reins ont un pouce & demi de long sur un de large, & un peu moins d’épaisseur ; les vertèbres sont à l’ordinaire. La vessie est mince & délicate. Les parties naturelles des Carcajoux mâles & femelles sont semblables à celles des chiens & des chiennes. Les balons ou bourses qui sont communes aux animaux carnassiers, & qui sont situés proche de l’anus, s’y ouvrent, & répandent une liqueur extrêmement puante. Tous ses muscles sont extrêmement forts.

Cet animal habite les endroits les plus froids de l’Amérique Septentrionale. Il est fort rare, & l’on en tue peu. Quand il est pris ou blessé, il rugit, & souffle comme un chat. On dit que la femelle ne fait qu’un petit ; cela n’est pas sûr. Comme ses pieds sont fort courts, il rampe plutôt sur la neige qu’il ne marche. D’ailleurs comme il est le plus pesant & le plus lent de tous les animaux carnassiers, il est étonnant comment il peut attraper sa proie, si ce n’est le castor, aussi lent que lui. En effet, pendant l’été il le surprend hors de sa cabane, la brise & la démolit ; mais il en prend peu de cette manière. Le castor se glisse sous la glace, & l’évite aisement ; mais quand il retourne aux provisions qu’il a faites pour son hiver, le Carcajou qui l’attend comme un chasseur, le prend & s’en nourrit. Dans les pays chauds le castor n’a rien à craindre, parce qu’il ne cabane point, mais se loge fort avant en terre sur le bord des lacs & des rivières.

Il chasse autrement à l’orignac. Cet animal choisit un canton de bois puant, qui est l’anagyris fœtida, dont il se nourrit pendant l’hiver, de sorte que quand il y a cinq ou six pieds de neige, il se fait dans ces cantons des routes que les chasseurs appellent ravages, qui n’ont souvent pour plusieurs orignacs, qu’une demi-lieue d’étendue & qu’ils ne quittent point, s’ils ne sont poursuivis par quelques chasseurs. Quand le Carcajou a découvert une de ces places, il se met à l’affut sur un des arbres contre lesquels l’orginac a coutume de se froter, & quand il y vient, il se jette sur lui, le saisit à la gorge, & la lui coupe en un moment, quelques efforts, quelques bonds que fasse l’orignac, & quoiqu’en se frotant contre les arbres il déchire quelquefois la peau de son ennemi qui ne quitte jamais prise. Il chasse à peu près de même le caribou dans les Savannes, ou forêts épaisses, l’attendant sur la route qu’il s’y fait ; car dans les Savannes claires, comme il ne s’y fait point de route, il l’attendroient envain.

Le Carcajou est l’animal le plus acharné sur sa proie, le plus furieux à égorger. Il traîne aisément & assez vîte sur la neige un quartier d’orignac. Il a beaucoup de ruses. Il rompt les attaches qu’on lui tend, il détend les piéges, il coupe la corde des fusils qu’on prépare pour le tuer, après quoi il mange sans péril l’appas dont on vouloit se servir pour l’attirer.