Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CASTOR
CASTOR ou BIÈVRE. s. m. Animal amphibie, qui vit tantôt sur terre & tantôt dans l’eau, & qui ne s’apprivoise jamais. Castor tiber. Il vit de feuilles & d’écorces d’arbres. Les anciens, comme Solin, Pline, Andromachus, Ælian, Apulée, Cicéron, &c. ont cru qu’il s’arrachoit lui-même les parties naturelles, quand il étoit poursuivi des Chasseurs, sur quoi les Poëtes ont dit des merveilles :
Imitatus Castora, qui se
Eunuchum ipse facit, cupiens evadere damno
Testiculorum. Juv.
C’est pourtant une erreur. C’en est une aussi d’assurer avec plusieurs Naturalistes, que les testicules du castor sont attachées à l’épine du dos. Dioscoride a fort bien remarqué qu’ils sont cachés dans les aines. Il y a encore dans les aines, tout auprès des testicules, des bourses de la grosseur d’un œuf d’oie, dans lesquelles est contenue une liqueur très-unie dans la médecine, qu’on appelle castorum. On confond ordinairement ces bourses avec les testicules ; mais ce sont des choses entièrement différentes. On trouve de ces bourses dans les femelles aussi-bien que dans les mâles, ce qui détruit le sentiment de ceux qui prétendent que le castoreum est renfermé dans les testicules du castor. Cet animal se sert de cette liqueur, lorsqu’il est dégoûté, pour se donner de l’appétit : il la fait sortir, en pressant avec sa patte les vésicules qui la contiennent. Les Sauvages en frottent les pièges qu’ils tendent à ces animaux, afin de les y attirer. Cet animal ressemble à la loutre, mais il est plus gros. Sa tête va en arrondissant, & son muffle est aplati & camus, garni de poil. Il a la langue de pourceau, des joues de lièvre, & des yeux de rat. Son foie est gros & noirâtre, & divisé en cinq lobes. Son fiel est petit aussi-bien que sa ratte. Sa vessie est semblable à celle de pourceau. Ses rognons sont gros. Les Sauvages estiment fort la chair de castor…
Il a été disséqué un castor à l’Académie des Sciences, qui étoit long de trois pieds & demi depuis le museau jusqu’à l’extrémité de sa queue. Sa plus grande largeur étoit de douze pouces, & il pesoit plus de trente livres. Sa couleur étoit brune & fort luisante, tirant sur minime. Son plus long poil étoit d’un pouce & demi, délié comme des cheveux ; & le plus court d’un pouce, & doux comme le duvet le plus fin. Ses oreilles étoient rondes & fort courtes, sans poil par dedans, & velues par dehors. Il avoit quatre dents incisives, comme les écureuils, les rats & autres animaux qui aiment à ronger. La longueur de celles d’enbas étoit de plus d’un pouce ; & celles d’enhaut qui se lissent au-devant des autres, ne leur étoient pas directement opposées, mais étoient disposées à agir à la manière des ciseaux en partant l’une contre l’autre, étant fort tranchantes par le bout, & taillées en biseau. Leur couleur étoit blanche par dedans, & d’un rouge clair par dehors, tirant sur un jaune de saffran bâtard. Il avoit seize dents molaires, huit de chaque côté. Les sinus de son cerveau étoient disposés d’une manière extraordinaire. Les doigts de derrière étoient joints par une membranne, comme ceux d’une oie. Ceux de devant étoient sans membrane, semblables à ceux des rats de montagne, ou, comme dit la relation d’une autre dissection, comme les mains d’un singe, & ils s’en servent comme d’une main, de même que les écureuils. Ses ongles étoient taillés de biais, & creux par dedans, comme des plumes à écrire. La queue de cet animal tient plus de la nature du poisson, que de celle des animaux terrestres, aussi bien que ses pieds, qui en ont le goût. Elle étoit couverte d’écailles de l’épaisseur d’un parchemin, longues d’une ligne & demie, & d’une figure hexagone irrégulière, qui formoient une épiderme ou pellicule qui les joignoit ensemble. Elle avoit onze pouces de long, & étoit de figure ovale, large en sa racine de quatre pouces, & de cinq au milieu. Cet animal s’en sert avec ses pieds de derrière pour nager, elle lui sert aussi de battoir, pour battre le mortier dont il a besoin, quand il bâtit une maison, qui a quelquefois deux ou trois étages. Ses testicules n’étoient pas attachés à l’épine du dos, comme disent Matthiole, Amatus Lusitanus & Rondelet ; mais ils étoient cachés aux parties latérales de l’os pubis à l’endroit des aines, & ne paroissoient point au dehors non plus que la verge, & on ne peut les retrancher sans le faire mourir. Il avoit quatre grandes poches situées au bas de l’os pubis. Les deux premières plus élevées que les deux autres, avoient la figure d’une poire ou d’un V, fort ouvert, & se communiquoient ensemble. Elles avoient une tunique intérieure charnue, d’une couleur cendrée, rayée de plusieurs lignes blanches qui avoient plusieurs replis semblables à ceux de la caillette d’un mouton, & de l’étendue de deux pouces. On y trouva les restes d’une matière grisâtre, qui avoit une odeur fétide & fort attachée : & c’est-là le castoreum dont on parle tant.
Les plus grands castors ont trois ou quatre pieds de long, sur douze ou quinze pouces de large au milieu de la poitrine, & d’une hanche à l’autre. Ils pèsent ordinairement depuis quarante jusqu’à soixante livres. A l’égard de leur vie, on ne croit pas qu’elle soit de plus de quinze ou vingt ans. Ces animaux sont ordinairement fort noirs dans le nord le plus reculé. On y en trouve aussi de blancs. Ceux de Canada sont la plûpart bruns ; mais cette couleur s’éclaircit à mesure que les pays sont plus tempérés ; car ils sont fauves, & même ils approchent de la couleur de paille chez les Illinois & les Chaouanous.
Cet animal est par-tout couvert de deux sortes de poil ; excepté aux pates, où le poil est très-court. Le poil de la première espèce est long de huit ou dix lignes, jusqu’à deux pouces, & diminue en approchant de la tête & de la queue. C’est le plus gros, le plus rude & le plus luisant, & il donne la principale couleur au castor.
Il se trouve une plus grande abondance de castors en Canada qu’en aucun autre lieu du monde. Matthiole dit pourtant qu’il y en a beaucoup en Allemagne, Autriche & Hongrie.
Quelques-uns tirent ce mot du grec γαϛὴρ (gastêr), ventre, parce que cet animal est fort ventru. D’autres aiment mieux le faire venir de castrare, à cause qu’il se coupe les testicules quand il est poursuivi, suivant l’erreur commune.
Jean Marius, Médecin d’Ulme, qui imprima en 1685 un Traité latin sur le castor, sous le titre de Castorologia, dit que cet animal est environ de la grosseur d’un chat, qui se nourrit de fruit & d’écorces d’arbres ; qu’il a les pattes de devant semblables à celles d’un chien, & les pieds de derrière de la forme de ceux d’une oie ; que sa queue qu’il garde toujours mouillée, souffrant beaucoup quand elle est sèche, ressemble entièrement à un poisson, ce qui fait dire à quelques Auteurs que cet animal est moitié chair & moitié poisson, & que par conséquent on pouvoit manger la moitié de son corps les jours gras, & l’autre moitié les jours maigres. Il traite fort en détail de tout ce qui regarde cet animal, surtout par rapport à la Médecine. Voy. encore Vossius, le Idolol. L. III, cap. 68.
☞ On appelle castors neufs, les peaux de castors tués à la chasse pendant l’hiver, avant la mue ; castors secs ou maigres, les peaux de castors qui ont été tués pendant la mue, quand ils ont perdu une partie de leur poil.
Castor signifie aussi un chapeau fait entièrement de poil de castor. Petasus ex fibrinis pilis confectus. Demi-castor est un chapeau fait en partie de poil de castor, & en partie d’autre poil. On fait aussi des draps de castor.
Castor, (demi) dans le langage des libertins, est une femme ou une fille dont la conduite est déréglée, quoi qu’elle ne se prostitue pas à tout le monde. Quæ copiam sui corporis aliquoties facit.