Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CEINTURE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 343-345).
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CEINTURE. s. f. Espèce de lisière, de différentes matières, qu’on met autour des reins pour les serrer. Cingulum, cingulus, zona. ☞ L’usage des ceintures est fort ancien. Celle que Dieu commanda au Grand-Prêtre des Juifs de porter, étoit un tissu de fil d’or, de pourpre, d’écarlate, de cramoisi & de fin lin retors. Lorsque les Juifs célébroient la Pâque, ils avoient des ceintures autour de leurs reins, suivant l’ordre qu’ils en avoient reçu de Dieu. J. C. envoyant les Apôtres prêcher l’Evangile, leur défend de porter aucun argent à leurs ceintures : neque pecuniam in zonis vestris : la bourse tenoit à cette ceinture.

☞ Les Romains portoient toujours une ceinture qui leur servoit à retrousser leur robe quand ils vouloient agir. Cette coutume étoit si générale, que ceux qui n’avoient point de ceinture, & qui laissoient traîner leur robe, passoient pour des gens oisifs & voluptueux. Dac. De-là les expressions latines, distinctus, & altè cinctus, un homme indolent, & un homme alerte, actif.

☞ L’usage des ceintures a été aussi fort commun chez nous : mais les hommes ayant cessé de porter des habits longs, & la mode des paniers & des robes lâches s’étant introduire pour les femmes, la ceinture est demeurée aux premiers Magistrats, aux gens d’Eglise, aux Religieux, & à quelques femmes seulement…

☞ L’aube du Prêtre se serre avec une ceinture de fil ou de soie. Cette ceinture est le symbole de la chasteté : celle qu’il porte pardessus sa soutane & celle des Magistrats, est un large ruban de soie noire.

☞ La défense de porter la ceinture étoit autrefois une tache d’ignominie. Les Cessionnaires étoient obligées de quitter leurs ceintures en Justice. Cette coutume venoit de ce que nos ancêtres avoient accoutumé de porter à leurs ceintures tous les instrumens nécessaires pour l’usage ou pour la conservation des biens, comme la bourse, les clefs, & ensorte que la ceinture étoit le symbole des biens. L’Histoire remarque que la veuve de Philippe I, Duc de Bourgogne, renonça à la succession, & déposa sa ceinture sur le tombeau du Duc. Pasq.

Ceinture de Vierge ou de Virginité. C’étoit une coutume chez les Grecs & chez les Romains, que le premier soir des noces le mari dénouoit la ceinture de la fille qu’il avoir épousée. Homère, liv. XI de l’Odyssée, appelle cette ceinture παρθενίνη ζᾴνην (partheninè zanèn), Ceinture de fille. Festus dit que la nouvelle mariée portoit une ceinture que le mari lui dénouoit dans le lit, & qu’elle étoit faite de laine de brebis. Cette ceinture, ajoute-t-il, étoit nouée du nœud d’Hercule, & le mari défaisoit ce nœud pour un bon présage, afin qu’il fût heureux en enfans, comme Hercule l’avoit été, qui laissa, lorsqu’il mourut, soixante-dix enfans. Consultez Méziriac dans son Commentaire sur la Lettre de Philis à Démophon. ☞ On appelle aujourd’hui ceinture de virginité ou ceinture virginale, un instrument injurieux au sexe, imaginé par le démon de la jalousie, dont les maris se servent pour s’assurer de la sagesse de leurs femmes. Cette ceinture est fermée par un cadenas dont le mari seul a le secret. Les Poëtes attribuoient à Vénus une espèce de ceinture qu’ils appeloient ceste. Cestus. Ils y attachoient le pouvoir d’inspirer de l’amour, & de charmer les cœurs. Voyez Ceste. C’est dans ce sens que Boileau a dit :

On dirait que pour plaire, instruit par la nature,
Homère ait à Vénus dérobé sa ceinture.

Ceinture de Venus est aussi un terme de Chiromancie. Il signifie la ligne de la main qui commence entre le second & le troisième doigt, qui traverse le mont de ces doigts, & va en forme de demi-cercle, finir vers le petit doigt.

Ce mot vient du Latin cinctura, ou de cinctorium. On trouve dans la basse Latinité cinta, pour dire en général un cercle, un tour, ambitus, circuitus, de cingo, cinctum  ; & il est sur-tout très-fréquent, pour signifier le tour des murailles ou des fosses d’une ville, selon la Remarque des Jésuites d’Anvers, Acta. SS. Mart. Tom. II, pag. 165, C.

Ceinture à l’Angloise, est une espèce de sangle juste, dont on se sert pour porter l’épee, Militare cingulum, balteus, balteum.

Ceinture de Mercure. Terme de Médecine. C’est une ceinture faite de drap empreint de mercure, ou dans laquelle on enferme du mercure qu’on prépare de différentes façons ; quelquefois la ceinture est de cuir ou de toile de coton, &c. Ce remède a quelquefois de bons effets ; mais il est dangereux pour ceux qui sont foibles, ou sujets à avoir des convulsions. On emploie ce remède pour guérir la gale, chasser la vermine, tuer les poux. Entre les remèdes monstrueux dont les Empiriques ont gâté la Chirurgie, pour le malheur des Malades, la ceinture de mercure n’est pas la moins en vogue parmi le vulgaire. Fabricius, cité & traduit par Dégory. ☞ On appelle quelquefois cette ceinture, ceinture de sagesse, Cingulum sapientiæ.

Ceinture se dit aussi de l’endroit du corps où l’on met la ceinture. Renes. Quand on se baigne en cet endroit-là, on n’a de l’eau que jusqu’à la ceinture. Scarron a dit des Héros à l’égard des Géans :

Et ne vont pas à la ceinture
De ceux dont je fais la peinture.

Ceinture se dit aussi du bord d’en-haut d’un haut-de-chausse, d’une jupe. Faire élargir, faire rétrécir la ceinture d’une culotte, d’une jupe.

Chez les Maîtres de danse, en parlant de la disposition du corps, de l’air, de la manière de porter le corps en marchant, en dansant : on dit, la ceinture d’en haut, la ceinture d’en bas, pour dire la partie du corps qui est depuis la ceinture jusqu’en bas.

Ceinture de la Reine est un droit fort ancien qui se lève à Paris de trois ans en trois ans, qui étoit d’abord de trois deniers pour chaque muid de vin, & de six deniers pour chaque queue. Vectigal testio quoque anno pendi solitum, ex vino domesticum Reginæ subsidium. Il étoit destiné à l’entretien de la maison de la Reine. On l’a depuis augmenté, & on l’a étendu sur d’autres denrées, comme sur le charbon, &c. On l’appeloit autrefois la taille du pain & du vin, comme il se voit par les Registres de la Chambre des Comptes de l’an 1339.

Vigenere croit que le nom de ce tribut pourroit avoir été pris de ce qu’autrefois les ceintures servoient de bourses, de sorte que ceinture de la Reine signifiât la même chose que Bourse de la Reine, comme si ce tribut s’étoit levé pour la bourse de la Reine. Mais, ajoute-t-il, il y a plus de deux mille ans qu’on levoit en Perse un pareil tribut, & qui se nommoit du même nom, comme témoigne Platon dans l’Alcibiade, Cicéron après lui, & Arténée au Liv I. des Deipnosophistes, ce qui n’empêche point que cette étymologie ne puisse avoir lieu. Annot. sur Tite-Live, Liv. I, Tom. I, pag. 956.

☞ On lève en Angleterre un impôt à peu près semblable qu’on appelle aurum Reginæ, or de la Reine.

Les Chrétiens de la ceinture. Motovakkeke, Xe Calife de la Maison des Abassides, obligea les Chrétiens & les Juifs l’an 235 de l’égire 856 de J.C. de porter une large ceinture de cuir, qu’ils portent encore en effet dans l’Orient. Depuis ce temps les Chrétiens d’Asie, & principalement ceux de Syrie & de Mésopotamie, qui sont presque tous Nestoriens ou Jacobites, s’appellent les Chrétiens de la ceinture.

L’Ordre de la Ceinture. Voyez au mot Cordelière. L’Ordre de la Cordelière.

Ceinture signifie quelquefois, enceinte. Ambitus, circuitus. Une ceinture de murailles, de fossés. On le dit aussi du cordon de la muraille.

Ceinture s’est dit en Poësie, des bandes & des cercles qu’on imagine dans le Ciel, comme sont les zones, le zodiaque. Zona.

Et de-là traversant cette ardente ceinture.
Qui d’un feu tiède & clair couronne la nature.

P. le M.

Ceinture. Terme de Boulanger. Les Boulangers & Pâtissiers appellent la ceinture de leur four, ce tour intérieur de sa cavité, où la chapelle & l’âtre s’unissent.

Ceinture d’Hildanus. s. f. terme de Chirurgie. Cingulum Hildani. C’est une ceinture de cuir dont on se sert quelquefois dans la réduction des luxations & des fractures des extrémités supérieures & inférieures, pour tirer la partie en droite ligne. Dict. de Col. de Villars.

Ceinture, en termes d’Architecture, est un anneau, un orle, ou un liteau qui est au haut, & au bas du fût de la colonne, qu’on appelle autrement Escape. Balteus. On appelle aussi ceinture de la volute Ionique, ce qu’on appelle autrement Echarpe.

Ceinture se dit encore de certains rangs de feuilles de refend de métal posées sur une astragale en manière de couronne, qui servent autant pour séparer sur une colonne torse, la partie cannelée d’avec celle qui est ornée, que pour cacher les joints des jets d’une colonne de bronze, ou les tronçons d’une colonne de marbre. Balteus.

On appelle aussi ceinture funèbre, autrement, litre, une bande noire, que les Patrons des Eglises, ou les Seigneurs Hauts-Justiciers ont droit de faire peindre dedans & dehors les Eglises, & de la charger du blason de leurs Armes pour honorer la mémoire des Fondateurs dont ils sont descendus, ou dont ils ont les droits. Tænia funebris, C’est un droit honorifique.

On dit proverbialement, qu’une personne est toujours pendue, toujours attachée à la ceinture d’une autre ; pour dire, qu’elle est toujours avec elle. On dit aussi, que bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée ; pour dire que l’estime qu’un homme s’est acquise dans le monde vaut mieux que les marques extérieures qu’il affecteroit pour faire paroître son mérite. Cela vient de ce qu’autrefois il n’étoit permis qu’aux honnêtes femmes de porter des ceintures dorées. Par Arrêt du Parlement de Paris rendu en 1446, il fut défendu à toute femme de mauvaise vie de porter la ceinture dorée. D’autres disent que ce proverbe signifie, qu’il vaut mieux acquérir de la réputation dans les actions militaires, que de vivre dans la paix & dans la robe, à cause que les gens de robe portoient des habits longs, & étoient obligés d’avoir des ceintures ; au lieu que les gens de guerre portoient des cottes d’armes qui n’étoient pas ceintes, parce qu’elles étoient légères & volantes.