Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CENDRE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 354-355).
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CENDRE. s. f. Matière terrestre, poudre qui reste du bois, ou autres matières combustibles, quand elles ont été consumées par le feu. Cinis. La ville de Londres a été presque toute réduite en cendres, par un incendie. Les verres se font avec des cendres de fougère & autres cendres. Il n’est permis de faire des cendres dans les forêts que des houpiers, troncs, racines & autres bois qu’on ne peut exploiter, ni en ouvrages ni en bois de corde. Un pain cuit sous la cendre chaude. Les cendres, quelles qu’elles soient, seroient d’un grand usage pour améliorer les terres, si on en avoit beaucoup, & comme on n’en a que très-peu, on les met au pied de quelque figuier, ou de quelqu’autre arbre, & elles n’y sont pas inutiles. La Quint. ☞ C’est aux sels dont les cendres sont chargées, qu’elles doivent la propriété de blanchir le linge, de dégraisser les étoffes. Les cendres de bois flotté, qui a perdu la plus grande partie de ses sels dans l’eau, sont presque inutiles aux blanchisseuses.

Ce mot vient de cintre, ablatif de cinis, comme gendre de gener, tendre, de tener. Mén. Le mot cinis en latin vient du grec κόνις, qui signifie poussiere, ou de candeo en latin, d’où viennent les verbes, incendo, succendo, &c.

☞ On dit figurément réduire une ville, une Province en cendres, la désoler, la ravager, y mettre tout à feu & à sang. Omnia ferro & flammà vastare.

☞ En parlant d’une passion mal éteinte, on dit que c’est un feu caché sous la cendre. Ignis suppositus cineri doloso. La rancune sait se couvrir de l’extérieur de l’amitié, jusqu’au moment qu’elle trouve à se satisfaire. C’est un feu qui couve sous la cendre.

☞ C’étoit autrefois la coutume chez les Hébreux, dans les désolations publiques, de prendre le sac & de le couvrir de cendre, pour marquer une grande douleur & une grande pénitence. Telle fut la pénitence des Ninivites. De là les expressions, prendre la cendre & le cilice, faire pénitence avec le sac & la cendre, témoigner une grande douleur d’avoir offensé Dieu, faire pénitence pour obtenir le pardon de ses péchés. C’est encore une pratique dans quelques maisons religieuses d’expirer sur la cendre.

☞ Le Mercredi des Cendres est le premier jour de Carême, ainsi nommé, parce qu’on va prendre des cendres bénites à l’Eglise. Sacrorum Cinerum dies, dies Cinerum. Le Prêtre marque en forme de croix le front des Fidèles de la cendre qui est faite des linges qui ont servi à l’autel, ou des branches de buis qui ont été bénites, en prononçant ces mots, Memento homo, quia pulvis es, & in pulverem reverteris. Pratique ordonnée par le Concile de Bénévent en 1091, qui enjoint à tous les fidèles Clercs & Laïques, hommes & femmes, de recevoir des cendres sur leur tête ce jour-là, pour se disposer à l’esprit de pénitence & d’humiliation pendant le Carême. Cette pratique, quoique générale, n’est pas d’obligation.

Cendre gravelée. C’est la cendre de la lie de vin brûlée dont on se sert pour faire la lessive ; mais on s’en sert principalement pour faire des pierres à cautère. Cineres clavellati.

Cendre d’azur, est de l’azur broyé, lavé & réduit en poudre. Cinis cæruleus. Voyez Azur.

Cendre verte, est une couleur bleue qui se fait en Flandre, & dont les Peintres se servent dans les paysages seulement, à cause qu’elle verdit trop aisément ; ce qui lui a fait donner le nom de cendre verte. Voyez Bleu.

Cendre de fougère, est la cendre dont on fait le verre de fougère. Cinis silicis. Généralement la cendre de toutes sortes de bois est propre à faire le verre de vitre.

Cendre de plomb, est du plomb en fort menus grains, dont on charge les fusils pour tirer au menu gibier. Plumbeæ pilulæ minutissimæ.

Cendre de bronze. C’est ce qu’on appelle autrement Pompholix, ou calamine blanche.

Cendre d’Auvergne. Cendre tirée de plusieurs plantes nées dans les montagnes fort exposées au soleil, & toute remplie de sels alcalis. Cinis Arvernicus. La cendre d’Auvergne a été employée pour séparer les acides volatils du sel ammoniac de sa partie volatile, d’avec sa partie fixe. Acad. d. S. 1071, p. 73.

Elle s’appelle ainsi, parce que les plantes dont on la tire se prennent, ou ont été prises d’abord des montagnes d’Auvergne.

☞ Les Grecs & les Romains étoient dans l’usage de brûler les corps morts ; & ils avoient grand soin d’en recueillir les cendres dans des urnes. Artemise but les cendres de son mari Mausole. Le corps étant brûlé, la mère, la femme, les enfans ou les parens du défunt, en habits de deuil, ramassoient les cendres & les os qui n’avoient pas été consumés par le feu. Ils commençoient par implorer les Dieux Mânes & l’ame du défunt, le priant d’avoir pour agréable ce pieux devoir qu’ils alloient lui rendre ; puis se lavant les mains & versant sur le brasier du vin & du lait, ils ramassoient les cendres & les os qu’ils arrosoient de vin & de lait. Le premier os qu’ils recueilloient s’appeloit os rejectum, selon Varron, ou exceptum ; parce qu’il servoit à achever le reste des funérailles. Les restes ainsi arrosés, ils les renfermoient dans une urne faite de différentes matières, & venoient pleurer dessus. Ils renfermoient ces larmes dans de petits vases appelés les lacrymatoria, des lacrimatoires, qu’ils mettoient au fond de l’urne sur laquelle le Prêtre faisoit une aspersion, ainsi que sur les assistans pour les purifier, avec une branche de romarin, de laurier ou d’olivier ; & congédioit l’assemblée par ces mots i, licet. Allez-vous-en, vous pouvez vous retirer. Voyez le reste au mot Bucher. On ne brûle plus que les corps des scélérats, dont les cendres sont jetées au vent.

☞ De cet usage de brûler les morts & d’en recueillir les cendres dans des vases, est venue l’expression poëtique & figurée, la cendre, les cendres des morts. Troubler les cendres de quelqu’un. Manes lædere, blesser la mémoire d’un mort. Ciceron a dit, cineri alicujus dolorem inurere, persécuter quelqu’un jusque dans le tombeau ; &, cineri alicujus dare pœnas, être puni pour avoir remué les cendres, violé le tombeau de quelqu’un : & Virgile, cineri fidem servare, être fidèle même après la mort : & Phèdre, cinis dummodo absolvar ; pourvu qu’après ma mort je sois justifié.

Cendre se prend aussi pour la mort même de la personne dont on réduisoit le corps en cendres.

Traître ! sans lui donner le loisir de répandre
Les pleurs que son amour auroit dûs à ma cendre.

Racine.

Cendre se dit encore pour marquer une chose vile, abjecte, méprisable. Cinis.

Seigneur, t’oserai-je parler
Moi qui ne suis que cendre & que poussière ? Corn.

On dit proverbialement d’un mauvais ragoût, roti, bouilli, traîné par les cendres. On dit en parlant d’un bon mari ou d’une bonne femme, qu’il faudroit les brûler pour en avoir les cendres, pour signifier que l’un & l’autre sont fort rares.

On dit aussi que les cendres ne peuvent pas couvrir le feu, quand une personne doit plus d’intérêts qu’elle n’a de revenu, ou quand une somme n’est pas assez forte pour satisfaire tous ceux qui demandent.