Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CERTITUDE
CERTITUDE. s. f. La certitude est proprement une qualité des jugemens de notre esprit : c’est l’adhésion de notre esprit à la proposition que nous affirmons ; c’est la force avec laquelle nous y adhérons. Quand je dis, l’ame est immortelle ; l’ame n’est que la cause occasionnelle des mouvemens du corps ; je fais deux jugemens, mais la certitude du premier est bien au-dessus de la certitude du second. La certitude ne convient qu’aux jugemens ; elle ne se trouve point dans les idées, qui ne font simplement que représenter les choses. La certitude est de même nature que l’évidence qui la produit. La certitude est plus ou moins grande, selon que l’évidence est plus ou moins grande. L’évidence est dans les choses que l’esprit voit, qu’il considère, & dans les idées : la certitude est dans les jugemens de l’esprit sur ces choses. Explorata rei notitia, cognitio, certitudo. Il faut croire avec certitude tout ce que Dieu a révélé. Nous ne devons prêter notre consentement qu’aux vérités que nous connoissons avec certitude. Maleb. La certitude téméraire de l’ignorance est plus tranquille qu’une science raisonnée & réfléchie. S. Evr. A l’égard des vérités chrétiennes & des promesses générales de Dieu, il faut avoir une certitude entière, parfaite, être au moins infailliblement assuré qu’on est dans la voie du salut. Autrement ce ne seroit plus religion & foi divine, mais opinion & connoissance humaine.
☞ Le mot certitude se prend en différens sens, s’applique quelquefois à la vérité ou à la proposition même à laquelle l’esprit adhère : comme quand on dit, la certitude de telle proposition. Quelquefois il se prend comme nous venons de le faire, pour l’adhésion même de l’esprit à la proposition qu’il regarde comme certaine.
☞ On peut encore distinguer avec M. d’Alembert, l’évidence de la certitude, en disant que l’évidence appartient proprement aux idées dont l’esprit apperçoit tout d’un coup la liaison ; & la certitude à celles dont il n’apperçoit la liaison que par le secours d’un certain nombre d’idées intermédiaires. Ainsi cette proposition, le tout est plus grand que sa partie, ainsi que celles qu’on appelle ordinairement premiers principes, axiomes, est une proposition évidente par elle-même, parce que l’esprit apperçoit tout d’un coup la liaison qui est entre les idées de tout & de plus grand, de partie ou de plus petit : mais cette proposition, le carré de l’hypothenuse d’un rectangle est égal à la somme des carrés des deux côtés, est une proposition certaine & non évidente par elle-même, parce que l’esprit n’en apperçoit la vérité que par le moyen de plusieurs propositions intermédiaires, qu’il ne peut envisager toutes à la fois.
Les Scholastiques distinguent deux sortes de certitude : l’une de spéculation, laquelle naît de l’évidence de la chose ; & l’autre d’adhésion, qui naît de l’importance de la chose, qui n’exclut point la certitude de spéculation, qui même la suppose toujours. Ils appliquent aux choses de la foi la certitude d’adhésion, qui n’est point purement arbitraire, mais très-raisonnable, rationabile obsequium ; car la raison démontre que nous devons croire avec certitude les choses de la foi, & que pour quoi que ce soit nous ne devons jamais quitter cette adhésion. Ceci est incontestable dans les principes de toutes les sectes qui partagent la Religion Chrétienne. Il est vrai que les choses de la foi n’ont pas toujours une évidence intrinsèque, qui produise nécessairement une certitude de même espèce que celle avec laquelle on adhère aux propositions de Géométrie ; elles en ont toujours une qui lui est équivalente.
☞ Quoique les choses de foi soient très-certaines, quoiqu’elles aient une certitude équivalente à celle avec laquelle on adhère aux propositions de Géométrie ; cette distinction des Scholastiques n’en est pas moins frivole. L’adhésion de notre esprit ne naît point de l’importance de la chose, mais de l’évidence ; & la certitude de spéculation & l’adhésion sont un seul & même acte de l’esprit. Voir la liaison de deux idées, c’est juger.
On distingue encore dans l’école trois sortes de certitude, par rapport aux trois degrés d’évidence qui la font naître ; la certitude métaphysique, qui vient de l’évidence métaphysique, telle qu’est celle qu’un Géomètre a de cette proposition, que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles droits ; la certitude physique, qui vient de l’évidence physique, telle qu’est celle qu’a un homme qu’il y a du feu sur sa main, quand il le voit & qu’il se sent brûler ; une certitude morale, fondée sur l’évidence morale, telle qu’est celle qu’une personne a, qu’il a gagné ou perdu son procès, quand son Procureur & ses amis le lui mandent, quand on envoie copie de l’arrêt, &c. Sur quoi il faut remarquer que la certitude morale est souvent équivalente à la certitude métaphysique, non-seulement dans les choses que l’on souhaite, comme le gain d’un procès &c. mais dans celles pour lesquelles on a le plus d’aversion. Ainsi un criminel à qui on a lu la sentence qui le condamne à la mort, ne doute nullement qu’il ne soit en effet condamné à la mort, & qu’il ne doive être exécuté au temps & au lieu marqué ; cependant il n’en a qu’une certitude morale, car il est visible que ce n’est point une certitude métaphysique ; ce n’est pas non plus une certitude physique ; la certitude physique qu’il a ne regarde que la lecture de la sentence & les actions qui se font autour de lui, lorsque l’exécuteur prend possession de sa personne : or toutes ces choses n’ont point une liaison physiquement nécessaire avec la vérité de sa condamnation. Cet exemple, quoique désagréable, a été choisi comme le plus propre à faire connoître la force de la certitude morale. Enfin, il faut ajouter que dans les choses de pratique, la certitude morale doit nous suffire. Si trois ou quatre personnes disent à quelqu’un que le feu est à sa maison, la certitude qu’il en a n’est que morale ; mais sans attendre une certitude d’une autre espèce, il doit accourir pour éteindre le feu, & mettre ordre à ses affaires.
Certitude, se dit aussi pour stabilité, de ce qui est assuré, qui n’est point sujet au changement. Il n’y a point de certitude dans les choses qui dépendent de la fortune. Nihil certum.