Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHARDON

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 451-453).

CHARDON. s. m. Ce mot s’applique par le vulgaire à toute sorte d’herbe épineuse & piquante. Quelques ouvriers en laine appellent chardon une plante dont les têtes servent à chardonner les étoffes, d’où vient le mot de chardonner, pectere. On dit aussi d’une plante qu’elle a les feuilles de chardon, lorsqu’elles sont découpées par leurs bords en quelques segmens qui sont armés de piquans, de la même manière que les chardons ordinaires en sont fournis.

Chardon. s. m. Carduus, est parmi les Botanistes le nom propre d’un genre de plantes, dont les fleurs sont à fleurons posés sur des embryons qui deviennent des graines chargées d’une aigrette. Ces fleurons sont renfermés dans un calice qui est d’abord arrondi, & qui s’évase ensuite dans sa maturité. Il est formé par plusieurs écailles appliquées les unes sur les autres, & terminées toujours par un piquant. Cette pointe des écailles du calice sert à distinguer le chardon d’avec les cirsium & les jacées. Il y a plusieurs espèces de chardons. Les unes sont épineuses de tous côtés, & par leurs feuilles & par leurs tiges, & par leur tête ; d’autres ne le sont que par leurs feuilles & leur tête ; d’autres enfin n’ont que la tête armée de piquans. Les feuilles de chardon ne sont pas pareilles dans toutes les espèces ; : les unes les portent entières comme le chardon étoilé à feuilles de giroflée jaune. Dans d’autres, elles sont larges, plissées & coupées en segmens larges ou étroits, semblables aux feuilles d’acanthe, ou de coquelicot, de chicorée, ou de corne de cerf. Le chardon Notre-Dame, carduus marianus, sive lacteis maculis notatus, les a larges, & marquées de veines ou de taches blanches, Voyez les Instituts de Botanique de M. de Tournefort pour le dénombrement des espèces.

Chardon à Bonnetier ou à Foulon, ou Chardon à carder. Carduus Fullonum, Dipsacus. Plante dont les Bonnetiers & les Foulons de lame se servent pour carder la laine, & pour tirer les poils des draps. Sa racine est simple, blanchâtre, chargée de quelques grosses fibres, & qui donnent des feuilles longues d’un pied, & d’un pied & demi sur quatre pouces de large, vert clair, ridées, un peu velues, dentelées sur leurs bords, relevées en-dessus d’une grosse côte épineuse & plus tendre que dans les feuilles des tiges : sa tige sort seule de la même racine, & s’élève à la hauteur de quatre à cinq, & même de six pieds quelquefois, grosse comme le doigt, droite, cannelée & épineuse, garnie de feuilles opposées, & tellement jointes à leur baie qu’elles embrassent la tige qui les enfile. Ces feuilles se terminent en pointe, & sont plus petites & plus épineuses. De leurs aisselles sortent des branches opposées & divisées en deux autres branches, qui portent à leurs extrémités une tête longue de deux à trois pouces, quelquefois plus, composée de plusieurs écailles fermes & terminées en pointe, lesquelles forment comme des alvéoles aux fleurs qui sortent d’entr’elles, & qui sont des fleurons pâles légèrement lavés de pourpre ; découpées à leurs bords en quatre segmens obtus. Elles portent sur des embryons qui deviennent autant de semences oblongues, cannelées, & à quatre pans. On distingue le chardon à Bonnetier en cultivé, qui a les écailles de sa tête terminées par une pointe crochue ; & en sauvage, qui les a toutes droites. Les Cardeurs ne se servent que du cultivé. Il se rencontre quelquefois des vers dans les têtes de cette plante ; & on prétend que si on les porte sur soi, elles éloignent les maux de dents & la fièvre. L’eau qui se ramasse à la baie de ses feuilles est recommandée pour les maladies des yeux.

Chardon bénit. Cnicus silveltris hirsutior ; sive carduus benedictus C. B. Plante sudorifique fort employée en médecine ; mais comme elle n’est pas bien commune, on la cultive dans les jardins. Sa racine est blanchâtre, charnue, & divisée en quelques branches. Elle donne des feuilles découpées comme celles du laitron, gluantes & épineuses au toucher, velues, & d’entre lesquelles s’élève une tige branchue presque dès sa naissance, droite en partie, & en partie couchée sur terre, garnie de feuilles alternes, des aisselles desquelles sortent de petites branches, terminées par une tête écailleuse & épineuse remplie de fleurons jaunes découpés en cinq. Ces têtes sont grossies par quatre à cinq feuilles vertes, dentelées, & armées de piquans sur leurs bords, & à leurs extrémités. Ces feuilles forment une espèce de chapiteau qui distingue ce genre de ses semblables. Lorsque la fleur est passée, chaque embryon de graine, qui soutenoit un fleuron, devient une semence oblongue, étroite, grisâtre, & garnie d’une aigrette blanche. L’eau du chardon bénit entre dans les potions cordiales & dans les potions sudorifiques. Son sel a à peu près les mêmes usages. La décoction de toute la plante est quelquefois purgative, & fait vomir, surtout lorsqu’elle est trop chargée. Le chardon bénit mêlé avec des diurétiques, pousse par les urines au lieu de faire suer. Au défaut de chardon bénit on peut se servir de l’espèce nommée Cnicus attractilis lutea dictus. On a remarqué qu’elle avoit les mêmes propriétés.

Chardon étoilé, ou Chausse-trappe. Carduus stellatiis, sive Calcitrapa. Espèce de chardon dont la racine est grosse & longue comme celle des petits raiforts qu’on appelle raves à Paris, longue d’un pié au plus, de la grosseur du doigt vers son collet, blanchâtre, changée de quelques fibres branchues, & qui donne plusieurs feuilles velues, couchées sur terre, longues de trois à quatre pouces, découpées comme celle du bluet ou du coquelicot, mais d’un vert gai. De leur milieu part une tige branchue, arrondie, blanchâtre, haute d’un pié ou deux, chargée de feuilles pareilles à celles du bas, mais plus découpées ; les extrémités de ces tiges & branches portent des têtes écailleuses, épineuses, grosses comme des noisettes, & dont les épines sont longues de plus de demi-pouce, blondes, & disposées en manière d’étoile, lorsque la tête ne s’est point évasée,& que les fleurons qui sont pourpres ne paroissent point. Sa semence est oblongue, lisse, polie, plus petite que la graine de perroquet, autrement carthama.

Cette plante croît communément à la campagne sur le bord des chemins, & dans des lieux & terres incultes. Sa racine est très-apéritive & diurétique. On l’emploie avec succès pour les coliques néphrétiques. M. de Balville, Intendant du Languedoc, se trouvant bien de l’usage de cette racine, fit imprimer la manière dont il s’en étoit servi. Depuis ce temps-là on fait prendre la poudre de son écorce délayée dans du vin & ; plusieurs personnes se sont apperçues qu’elle charrioit le sable & le gravier, & qu’en en prenant de temps en temps avec précaution, leurs accès de colique néphrétique n’étoient plus si fréquens. Dans le mémoire de M. de Balville, on ne prend l’infusion de l’écorce de cette racine que le 28e jour de la lune de chaque mois, & il faut que la racine ait été cueillie vers la fin du mois de Septembre : deux circonstances assez inutiles, puisque ce remède agit tout aussi bien les autres jours de la lune que le 28, & qu’on peut presque en tout temps cueillir ces racines, parce que cette plante ne porte point de tige la première année, & qu’elle paroit dès qu’elle a donné ses semences, de même que les autres chardons. On a soin de prendre les racines de celles qui ne sont pas montées ; leurs racines n’étant pas si ligneuses, comme il arrive à toutes les autres plantes, dont la racine n’a presque point d’écorce, lorsqu’elles sont prêtes à donner leurs fruits. Leurs racines sont cordées, comme on dit communément.

Chardon hémorroïdal. Cirsium arvense, sonchi folio radice repente, cause tuberoso, Inst. R. Herb. On mettoit autrefois cette plante parmi les chardons à cause qu’elle est remplie de piquans. On l’a appelé chardon hémorroïdal, parce qu’il se forme quelquefois des nœuds à sa tige à l’occasion des piquures d’insectes ; & on prétend que ces nœuds portés dans la poche garantissent des douleurs des hémorroïdes. Cette plante a sa racine blanchâtre & rampante. Elle donne dans sa longueur des tiges hautes d’un pié & demi ou de deux piés, plus menues que le petit doigt, cannelées, moëlleuses, & longues de quatre à cinq pouces sur moins d’un pouce de largeur, découpées & plissées sur leurs bords, armées de piquans très-fins ; vertes en-dessus, & pâles ou blanchâtres en-dessous. Lorsque cette tige n’est point piquée, & qu’elle ne forme pas un nœud vers son extrémité, elle se divise en quelques branches qui portent des têtes allongées, à écailles, dont les piquans sont foibles, & à fleuron d’un pourpre pâle, portés sur des embryons qui deviennent des semences couleur d’alun & chargées d’aigrettes. Cette plante vient communément dans les champs & dans les vignes ; mais on ne trouve ces sortes de nœuds, que lorsqu’elle naît dans des lieux humides à l’abri de quelques arbres.

Chardon Notre-Dame, ou Chardon laité. Carduus albis maculis notatus, vulgaris. C. B. Pin. Il est ainsi appellé à cause des taches blanches qui sont répandues sur ses feuilles. Les racines de cette plante sont grosses, longues, & poussent plusieurs feuilles longues d’un pié & demi, larges de demi-pié environ, découpées sur leurs bords, comme ondées, armées de piquans affilés, vert gai en-dessus, & comme veinées par des taches d’un blanc de lait dans les endroits de leurs principales nervures. Ses tiges sont droites, chargées de quelques feuilles pareilles à celles du bas, mais moins amples ; elles sont terminées par quelques branches qui portent des têtes écailleuses, fort épineuses. Ses fleurs sont purpurines, & ses semences grosses comme celles du carthame, noirâtres & fort adoucissantes. On les emploie en émulsion dans les ardeurs d’urine. On mange les jeunes pousses de cette plante de même que celles de quelques autres chardons.

Chardon Roland. Eryngium vulgare ou le panicaut, le chardon à cent têtes. Plante qui n’est point du genre des chardons. Sa racine est longue de plus d’un pié, grosse comme le doigt, brune en dehors, blanche en dedans, douçâtre, composée d’une écorce épaisse, tendre, & d’un nerf ou cœur ligneux. Elle donne quelques feuilles fermes, sèches, piquantes, découpées en trois ou quatre segmens longs d’un pouce & demi ou de deux pouces, sur moins d’un pouce de largeur, dentelées sur leurs bords & d’un vert pâle. La tige qui sort d’entre ces feuilles, est haute d’un ou deux pics, plus mince que le petit doigt, cannelée, & chargée de feuilles pareilles à celles du bas, mais plus arrondies & plus découpées. Cette tige se divise ensuite en plusieurs branches qui portent chacune une tête grosse comme le pouce ; longue d’un demi pouce, garnie à sa base de quelques petites feuilles qui forment une espèce de fraise. Chaque fleur est composée de cinq petites pétales blanchâtres, & soutenues par un calice qui devient ensuite un fruit à deux semences jointes ensemble. Le panicaut marin se distingue du vulgaire par ses feuilles plus arrondies, moins découpées & plus plissées, & par leur couleur. La racine du panicaut est apéritive, diurétique ; on l’emploie dans les bouillons, les tisanes & les aposèmes. On recommande les racines confites du panicaut marin, pour la phthisie. Voyez Le Dict. de James.

CHARDON. Terme de Fleuriste. C’est une anémone dont les béquillons sont fort étroits. Morin. Quelque grosseur & quelque coloris qu’elle ait, elle est détestable. Id.

Chardon, chez les Serruriers, se dit des pointes & crochets de fer qui se mettent sur des barreaux, sur une grille de fer ou sur le chaperon d’un mur, pour empêcher qu’on ne passe par-dessus. Carduus ferreus.

On dit proverbialement qu’un homme est amoureux, gracieux comme un chardon ; pout dire, qu’il est mal gracieux, rébarbatif.

Chardon. (Notre-Dame du) Ordre militaire projeté en 1369 & institué en 1370, le jour de la Purification de la sainte Vierge, à Moulins, par Louis II, Duc de Bourbon. Cet Ordre étoit composé de 26 Chevaliers. Le Prince & ses successeurs devoient être les Chefs de l’Ordre. Les Chevaliers portoient toujours la ceinture de couleur bleu céleste, doublée de satin rouge, brodée d’or, & sur laquelle on lisoit ce mot Espérance, en broderie d’or aussi. Aux grandes fêtes, & principalement à celle de la Purification, que le Prince tenoit table ouverte aux Chevaliers, ils étoient vêtus de soutanes de damas incarnat, à manches larges, & ceintes de leurs ceintures bleues. Le grand manteau de cet Ordre étoit d’un bleu céleste, doublé de satin rouge : & le grand collier de fin or, du poids de dix marcs, fermant à boucle & ardillons d’or par derrière. Il étoit composé de lozanges & de demi-lozanges à double orle, emaillées de vert, percées à jour, remplies de fleurs-de-lis d’or, & du mot Espérance, écrit dans les lozanges en lettres capitales à l’antique. De ce collier, pendoit sur l’estomac une ovale, dans laquelle étoit l’image de la sainte Vierge, entourée d’un soleil d’or, couronnée de douze étoiles d’argent, avec un croissant de même sous ses piés, & au bout une tête de chardon émaillé de vert. Leurs chapeaux étoient de velours vert rebrassés de palmes de soie cramoisie, sur lequel étoit l’écu d’or à la devise Alen, Alen, qui veut dire, allons ensemble, pour marquer l’union qui devoir être entr’eux.

Le nom de Notre-Dame du Chardon vient du chardon qui étoit au bout de l’ovale qui pendoit du collier, & de ce que la ceinture de l’Ordre fermoit à boucle & ardillons de fin or, ébarbillonnés & déchiquetés avec l’émail vert, comme la tête d’un chardon. L’Abbé Justiniani traite de cet Ordre dans son Tom. II, ch. 60, p. 16.

Il y a aussi en Ecosse un Ordre du Chardon, autrement du bouquet de Rue, ou de saint André, & de saint André du Chardon. Nous en avons parlé au mot André. L’Abbé Justiniani en traite fort au long dans Historia di tutti gl’ Ordini militari & Cavallereschi. Tom. I, chap. 16.