Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHARTRE ou CHARTE

La bibliothèque libre.
Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 470-471).
◄  CHARTRAIN
CHARTRES  ►

CHARTRE, ou CHARTE. s. f. Titre expédié sous le scel d’un Prince, d’un Seigneur, d’une Eglise, d’un Chapitre, d’une communauté. Vieux titre ou enseignement qu’on garde soigneusement pour la conservation & la défense des droits d’un Etat, d’une Communauté, d’une Seigneurie. Veteres chartæ, membranæ. Le Trésor des Chartres du Roi est à la garde de son Procureur Général. Tabularium. On a fait l’inventaire du Trésor des Chartres en huit volumes. M. le Maître dit Charte, ☞ les uns disent Chartre, les autres Charte, & l’usage paroît assez partagé sur cet article. On dit l’un & l’autre dans les édits & ordonnances du Roi. Nonobstant Charte-Normande, ou Chartre-Normande. Il est parlé de ce Saint dans une Chartre, dit M. Patru. Vous pourrez vous détromper si vous prenez la peine de consulter les anciennes Chartres, dit M. Froimond. Plusieurs, comme Bardin, dans son Grand-Chambellan de France, & Tessereau dans son Histoire Chronologique de la Chancellerie, écrivent Charte.

Le mot de Chartre, dit Ménage dans les Observations sur la langue françoise, vient de charta ; & ainsi, selon l’étymologie, il faudroit dire Charte. Cependant on dit Chartre, & le Barreau ne parle point autrement. Nicot croit qu’il vient du grec χάρτης, qui signifie gros papier, ou plusieurs feuilles collées ensemble, sur quoi on écrivoit autrefois tous les actes d’importance. Χάρτης, vient du latin charta, qui se trouve dans la basse latinité pour un acte public & authentique, une donation, un contrat. Voyez Bollandus, Janv. Tom. I, p. 73 & 131.

☞ Commissaires aux Chartres. Nom qu’on donne à ceux qui sont commis par le Roi, pour travailler à l’arrangement des Chartres ou anciens titres de la Couronne, sous l’inspection du Garde du Trésor des Chartres. Encyclopédie.

☞ Il y a eu autrefois des Intendans des Chartres & des Greffiers des Chartres, dont les Offices ont été supprimés.

Chartre-Normande, ou la Charte aux Normands, est un titre fort ancien contenant plusieurs privilèges & concessions accordées aux habitans de Normandie, & confirmées par les Rois Jean, Philippe VI, Charles VI & VII. Louis XI les confirma en l’année 1461 ; mais le titre originaire & primitif est du 19 Mars 1315, qui a été accordé par le Roi Louis X, dit Hutin. Veteres charta quibus concessa Normannis privilegia continentur. Il y en a une autre confirmation par le Roi Henri III, au mois d’Avril 1579. Les vidimus en sont contenus à la fin du Coutumier de Normandie. On met dans la plûpart des Lettres de la grande Chancellerie, nonobstant clameur de haro, Chartre-Normande, &c. ☞ quand il s’agit de faire quelques réglemens qui intéressent la Province de Normandie, ou que l’on veut déroger à cette Chartre.

Chartre de commune. Charta communis, communitatis. Lettres par lesquelles le Roi, ou quelqu’autre Seigneur, avec la permission du Roi, érigeoit les habitans d’une ville ou bourg en corps & communauté, après l’affranchissement. Les serfs ne formoient point entr’eux de communauté. Ces Chartres contenoient les droits respectifs des Seigneurs & des sujets,

☞ La grande Chartre, magna charta, en Angleterre, est une ancienne Patente contenant les privilèges de la nation, accordée par le Roi Henri III, & confirmée par Edouard I.

Chartre en termes de Palais, est un vieux mot qui signifioit autrefois une prison. Carcer. Il faut toujours écrire Chartre en ce sens. Il est encore en usage en cette phrase, il est défendu de tenir une personne en prison, en chartre privée, c’est-à-dire, hors d’une prison publique. C’est de-là aussi qu’est nommé le Prieuré de Saint Denis de la Chartre à Patis, parce qu’on prétend que Saint Denis y fut emprisonné.

Ce mot s’étoit formé du latin carcer, carceris, dont on avoit fait carcere, carcre, chârcre, chartre.

Chartre se dit aussi d’une maladie qui fait tomber en langueur, & maigrir insensiblement, qu’on appelle communément marasme, pthisie. Tabes, tabificus morbus. On voue à Saint Mandé les enfans qui tombent en chartre. On a été obligé de donner une nourrice à ce malade, parce qu’il tomboit en chartre.

On appelle encore, chartre, une autre maladie à laquelle les enfans, principalement ceux du nord, sont sujets. M. Courtial, Médecin de Montpellier, dans l’observation qu’il a faite sur les os, fait consister cette maladie dans une courbure des os en arc, causée par l’accroissement des os qui reçoivent de la nourriture, pendant que les muscles qui y sont attachés ne se nourissent point, l’esprit animal ne leur étant pas porté, à cause que les nerfs qui s’y distribuent sont bouchés. Ensorte que ces muscles font le même effet qu’une corde qu’on attacheroit au haut & au bas d’un jeune arbre ; il ne pourroit croître, si l’on n’en détachoit cette corde. Rachitis : on le dit même quelquefois en françois.

Ce mot apparemment vient du précédent, parce que la prison cause de la tristesse & de la maigreur. Du Cange dit qu’on appeloit anciennement les malades chartriers, en latin, carcerarii.

Les Auteurs du Journal de Leipsick 1682, p. 316, parlent d’une espèce de chartre, ou maladie inconnue aux Anciens, & dont les Médecins parlent beaucoup depuis deux siècles. Elle fait maigrir les enfans, leur cause des insomnies, les rend inquiets, & semble leur causer une extrême démangeaison. Le bain donné à propos leur fait sortir par les pores des corpuscules semblables à de gros poils épais & denses, ce qui fait qu’on les appelle crinones, comme qui diroit de gros cheveux : & la maladie pilaris morbus. Quelques Médecins qui sont persuadés que ces espèces de poils sont de petits animaux, les appellent Comedones, de comedere, manger. On a fort disputé si c’étoient des excrémens épaissis de la troisième coction, ou si c’étoient des insectes. Quoi qu’il en soit, quand on les a fait sortir une ou deux fois, les enfans se portent mieux. Les microscopes démontrent que ce sont en effet des animaux vivans. Ils sont grisâtres, tirans tantôt plus, tantôt moins, sur le noir : ils ont deux espèces de cornes fort longues, deux yeux ronds & fort gros, & une queue longue & velue au bout. Ils viennent plus ordinairement aux enfans, & surtout aux cuisses, aux bras & aux épaules. Georg. Jérome Velschius a fait une Exercitation : De Vermiculis Capillaribus Infantum, dans laquelle on trouve tout ce que différens Auteurs ont écrit sur ce sujet, & tout ce qu’on en peut savoir, tant pour la théorie que pour la pratique.

Chartre. Cri d’armes de Thibaut Comte de Champagne.

Flamans crie Aras ; & Angevin rallie,
Et li cuens Thiébaut, Chartre & Passavant crie,


dit, dans son Roman de Normandie, Maître Vace, natif de l’Ile de Gersey, Chanoine de Bayeux, surnommé le Clerc de Caen. Ménage. Hist. de Sablé, L. I, ch. 2, page 4.