Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CHEVEU

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 524-526).
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CHEVEU, s. m. Poil, long, fin & délié, qui vient à la tête des hommes & des femmes. Capillus. Les Médecins font plusieurs distinctions des cheveux, & leur donnent des noms différens, mais seulement en grec & en latin. Ils appellent ceux des femmes comas, à cause du verbe κομεῖν, qui signifie attiffer & agencer soigneusement ; ceux des hommes, cæsaries a cædendo, parce qu’on les coupe souvent ; ceux de derrière la tête juba & crines ; ceux qui pendent derrière les oreilles, cincinni, c’est-à-dire, crépus & annelés. La Magdelaine essuya les piés du Seigneur avec ses cheveux. La force de Samson consistoit en ses cheveux. Les femmes qui se querellent, se prennent d’abord aux cheveux. Cheveux bien peignés. Compositi, comti.

Ce mot est dérivé de Capillus. Les cheveux paroissent de petits tuyaux, for unis & fort déliés ; mais quand on les regarde avec un microscope, on y voit des nœuds comme aux branches des arbres. Au bout par où ils tiennent à la tête, ils ont une petite bulbe qui reçoit le suc qui les nourrit, à l’autre bout ils se divisent quelquefois en deux branches : cela arrive lorsqu’on n’a pas soin de les faire faire de temps en temps ; & alors ils deviennent roux vers ce bout, parce que le suc qui les humecte, ne pouvant se communiquer aisément jusques-là, l’air & le soleil dessèchent & en brûlent l’extrémité. Les cheveux tombent & blanchissent plutôt sur le devant que sur le derrière de la tête, parce que le suc qui les entretient, leur est fourni plus longtemps par les parties du derrière de la tête.

☞ Les cheveux croissent en général plus longs & plus promptement chez les femmes que chez les hommes. Ils croissent de même beaucoup plus vîte chez les jeunes gens que chez les vieillards. On les regarde ordinairement comme des corps creux qui sont pénétrés par les sucs dans toute leur longueur. Quelques-uns croient pourtant qu’ils ne croissent que par la racine qui reçoit simplement sa nourriture de la bulbe ou oignon sur lequel le cheveu est implanté. La grandeur des cheveux dépend du suc propre à les nourrir, qui se trouve plus ou moins abondant aux uns qu’aux autres. Ils sont gros, ou fins & déliés, selon que les pores par où ils sont sortis, sont plus ou moins larges.

Lorsque les pores sont droits, les cheveux le sont aussi : quand ils sont courbes ou obliques, les cheveux sont frisés. Ceux qui sont d’un tempérament humide, ont le poil plus doux ; ceux qui sont secs, l’ont plus rude. La figure des cheveux nous paroît ronde ; mais le microscope nous fait voir qu’il y en a de triangulaires & de carrés, aussi-bien que de ronds. Cela vient de la configuration différente des pores par où ils ont passé, & dont ils prennent la figure. Les cheveux se peuvent fendre & séparer en deux ou trois parties, ce qui se voit à leurs extrémités, lorsqu’ils fourchent. Le microscope découvre encore qu’ils sont creux comme de petits tuyaux, ce qui est encore confirmé par la maladie appelée plica, à laquelle les Polonois sont sujets, & dans laquelle il sort du sang par l’extrémité des cheveux. La couleur des cheveux est différente suivant les pays, les tempéramens, les âges & la qualité de l’humeur qui les nourrit ; mais la vieillesse change ordinairement leur couleur, quelle qu’elle soit, en blanc, ce qui arrive par le peu d’humeur qui reste aux vieillards.

C’étoit un grand ornement parmi les Gaulois, que d’avoir de grands cheveux ; & de-là vient que la plus grande partie des Gaules s’appeloit Gallia comata. C’est pour cela que ceux qui quittoient le monde, pour se retirer dans les cloîtres, se faisoient raser les cheveux, pour montrer qu’ils renonçoient à tous les ornemens mondains ; & qu’ils faisoient vœu d’une sujetion absolue à leurs Supérieurs. Aussi Jule-César, lorsqu’il conquit les Gaules, faisoit abattre les cheveux des Gaulois en signe de soumission. Ovide le dit à sa maîtresse, qui se servoit de faux cheveux.

Nunc tibi captivos mittet Germania crines.
Culta triumphatæ munere gentis eris.

On imposoit aux vaincus la nécessité de se faire tondre, pour marque qu’ils étoient subjugués ; & c’est apparemment d’où est venue cette expression, il a été tondu, en parlant d’un homme qui est déchu de quelque prétention : & cette autre, je veux qu’on me tonde, qui est une peine qu’on s’impose, en cas que la chose qu’on affirme ne soit pas véritable. La raison est qu’on regardoit comme une honte d’être tondu. M. Auboux, dans sa véritable Pratique civile & criminelle, dit, qu’apparemment cette manière de parler est venue de ce qu’autrefois, quand un Magistrat trouvoit un Clerc qui n’avoit ni l’habit convenable à son état, ni la tonsure cléricale, il le faisoit tondre.

Vers l’an 428, Clodion introduisit dans la famille Royale seulement la coutume de porter les cheveux longs ; mais, à la réserve des Princes, tous les hommes portoient les cheveux courts, de sorte qu’ils ne leur venoient qu’au dessous des oreilles. Greg. de Tours, Hist. Fr. L. III, c. 18 ; L. VI, c. 24 ; L. VIII, ch. 10. Agathias en parle plus particulièrement dans son premier Livre. C’est la coutume des Rois des François, dit cet Auteur, de ne se faire jamais couper les cheveux. Leur chevelure, qui descend toute sur les épaules, a fort bonne grace. Les cheveux de devant se partagent sur le front, & se rejettent des deux côtés. Leurs cheveux ne sont point mal en ordre, & mal propres, comme ceux des Turcs & des Barbares, ni liés & cordelés tout ensemble sans grace & sans agrément, mais ils ont différentes manières de les tenir propres, & en ont un très-grand soin. Au reste, c’est chez eux un privilége de la famille Royale ; car leurs sujets les coupent en rond ; il ne leur est pas permis de les porter longs. Hotman traite de ce droit des Rois de France, c. 11. Franco-Galliæ. Voyez aussi les Notes de Savaron & celles du P. Sirmond sur l’épître 2 du Livre I de Sidonius Apollinaris. Couper les cheveux à un fils de Roi de France sous la Ie race, c’étoit le déclarer déchu de la succession à la couronne, & le réduire à la condition de sujet. P. Daniel, T. I, p. 83.

Dans le onziéme siècle, ceux qui se piquoient de bonne grace, laissoient croître leurs cheveux, qui leur descendoient jusques à la ceinture par grosses boucles. Godefroi Evêque d’Amiens y trouva de l’indécence & de la mollesse. Il refusa le jour de Noël la communion à ceux qui se présentoient ainsi à la sainte Table, & rejeta leurs offrandes, ce qui les obligea à faire couper leurs cheveux sur le champ ; & la coutume cessa. ☞ Les Courtisans & les Seigneurs qui accompagnoient Robert, Comte de Flandre, qui étoit venu célébrer la Fête de Noël à S. Omer, & qui avoit prié l’Evêque d’Amiens de lui dire la messe de minuit, coupèrent à l’instant leurs cheveux les uns avec des ciseaux, les autres avec leurs couteaux, & même avec leurs épées, de peur, disoient-ils, d’être privés de la bénédiction d’un si Saint Evêque.

Dans le VIII siècle, les personnes de qualité faisoient couper les premiers cheveux à leurs enfans par d’autres personnes qualifiées, qui étoient appelées pour cela les peres spirituels de ces enfans. Ainsi Charles Martel envoya son fils Pepin à Luitprand, Roi des Lombards, afin qu’en lui coupant les cheveux, selon la coutume, il devînt son pere spirituel. Cette coutume étoit plus ancienne. L’Empereur Constantin envoya au Pape les cheveux de ses fils Justinien & Héraclius, pour lui témoigner, selon la coutume de ce temps-là, qu’il desiroit qu’il leur tînt lieu de pere, & qu’eux lui obéissent & l’honorassent comme ses enfans. C’étoit un témoignage bien authentique du respect qu’il portoit au Pape. Godeau.

On attribue au Pape Anicet la défence pour les Clercs de porter de grands cheveux ; mais elle est plus ancienne dans les Eglises d’Occident ; & l’Epitre où ce Décret se lit aujourd’hui, a été écrite long-temps après la mort de ce Pape. La tonsure Cléricale est rapportée par S. Isidore de Séville à la Tradition Apostolique, en quoi il est suivi par plusieurs Auteurs.

Les cheveux longs ont été si odieux autrefois, qu’il se trouve un Canon de l’an 1096, portant que ceux qui auront de longs cheveux ; seront exclus de l’entrée de l’Eglise pendant leur vie, & qu’on ne priera point Dieu pou eux après leur mort. Nous avons dit ci-dessus ce que fit un Evêque d’Amiens. Luitprand a fait une furieuse déclamation contre l’Empereur Phocas, qui portoit de longs cheveux, comme les Empereurs d’Orient ; à la réserve de l’Empereur Théophile, qui étant chauve, crut effacer cette opprobre de dessus sa tête, en ordonnant à ses sujets de raser leurs cheveux, pour ôter la différence qui le choquoit. S. Paul, en recommandant aux femmes le soin de leurs cheveux, ajoute à l’égard des hommes, qu’il est contre nature de les nourrir. On ne comprend pas bien la raison de ces défenses, de porter des cheveux ; puisqu’ils paroissent un des plus beaux ornemens de l’homme, & non pas une superfluité de la nature. Sans doute que la nature dans le passage de S. Paul signifie la coutume. En 1650, un Professeurs d’Utrecht agita la question, s’il est permis aux hommes de porter de longs cheveux. Un Théologien, nommé de Reves, qui avoit écrit pour l’affirmative, lui repliqua. Pasquier dit qu’en son jeune âge tout le monde portoit de longs cheveux, à la réserve des Moines. Le Roi François I. ayant commencé à porter des cheveux courts, pour la raison rapportée ci dessous, les Prêtres mêmes se firent tondre : ce qui eût été auparavant de mauvais exemple, comme dit le même Auteur. L’offre qu’ils font à Dieu de leur cheveux, quand ils font des vœux, est une marque qu’ils se donnent à lui en perpétuelle servitude.

Les cheveux longs furent donc à la mode sous la première race de nos Rois. Le Roi les portoit très-longs, ses parens de même, & la Noblesse à proportion de son rang & de sa naissance. Le peuple étoit plus ou moins rasé. L’homme serf l’étoit tout-à-fait ; l’homme de pote ou poeste ; c’est-à-dire, l’homme payant tribut, ne l’étoit pas entièrement. Pepin & Charlemagne méprisèrent les cheveux longs. Charlemagne les portoit courts, sont fils encore plus : Charles le Chauve n’en avoit point. On commença sous Hugues Capet à les porter un peu plus long. Cela déplut aux Ecclésiastiques : on excommunia ceux qui laissoient croître leurs cheveux. Pierre Lombard en fit si grand scrupule à Louis le Jeune, que ce Prince fit couper les siens. Les autres Rois, jusqu’à Louis XIII, ne les ont porté que fort courts. Les cheveux de S. Louis, de Charles V, de Louis XII, tels qu’on les voit dans leurs portraits, & sur leurs médailles ou monnoies, ne passent pas le milieu du cou. François I, ayant été blessé à la tête par Montgommeri, les Médecins lui firent couper les cheveux. Sur son exemple tous ses sujets quittèrent leur chevelure ; chacun porta longue barbe, & fit couper ses cheveux : ce qui auparavant étoit une ignominie. Pasq. Sous Louis XIII, la mode changea ; comme il aimoit fort les cheveux, on lui fit plaisir de les porter longs. Le Gendre. Voyez aussi Thiers, Traité des Perruques. L’an 1460, le Duc de Bourgogne fut si grièvement malade, que l’on désespéra de sa santé ; pour laquelle assurer, les Médecins lui conseillèrent de permettre que sa longue perruque lui fût abattue. Ce qu’ayant été fait, tous les Courtisans, (sauf le Prince & quelques grands Seigneurs) & le peuple en firent autant, & fut mis en usage de ne porter les longs cheveux. Gollut. Mem. de Bourg. L. X, c. 81.

Cheveu, sert de comparaison à toutes les choses déliées. Ce fil, cette soie, sont déliés comme des cheveux. Cette aiguille, cette ligne, sont comme des cheveux.

On dit, qu’une femme est coëffée en cheveux, lorsqu’elle a seulement ses cheveux arrangés, ou entortillés autour de la tête, & qu’elle n’a ni bonnet, ni coëffe qui les cache. En Grece, & sur-tout à Lacédémone, les filles laissoient pendre leurs cheveux, & flotter au gré du vent. Les femmes au contraire les nouoient négligemment par derrière.

On appelle faux cheveux, ceux qui ne tiennent point à la tête, mais qui y sont appliqués en tresses, tours, coins ou perruques. Mentiti, falsi, adscititii capilli. On a remarqué que les Grecs apprirent aux Romains l’usage des faux cheveux, & à se servir de cet ornement emprunté.

On dit aussi des cheveux de Cour, pour dire, de faux cheveux ; mais c’est seulement dans le style comique & burlesque. On le trouve dans ce sens dans quelques Comédies modernes.

On appelle cheveux vifs, les cheveux arrangés dans les perruques de la maniere qu’ils l’étoient sur la tête de la personne vivante, sur laquelle ils ont été coupés à ce dessin, Vivi capilli ; & on les appelle firsé naturellement, quand ils étoient frisés, bouclés ou annelés auparavant que d’être coupés, capilli crispi, cirrati.

On appelle un toupet de cheveux, une poignée de cheveux, ce qui croît ou ce qu’on laisse en quelque endroit de la tête, Cirri. Les Tartares & les Chinois se rasent les cheveux, à la réserve d’un petit toupet qu’ils laissent croître au derrière de la tête.

Les Poëtes appellent le Soleil, Phœbus aux bonds cheveux. Crinibus aureis, & se servent du mot de cheveux gris & cheveux blancs, pour marquer la vieillesse, Cani’. Ozius déshonora ses cheveux gris par sa chûte. Herman. Ainsi Malherbe a dit :

Les ridicules avantures
D’un amoureux en cheveux gris.

Et Corneille,

Touche ces cheveux blancs à qui tu rends l’honneur

Rafraîchir les cheveux, c’est en couper les extrémités pour en hâter l’accroissement ; faire les cheveux, c’est les tailler selon la mode ; couper les cheveux, c’est les abattre entièrement. Capillum tondere.

Cheveux, se dit figurément des petites racines ou filamens des plantes, d’où leur vient la première nourriture. Capilli.

Cheveux de Venus. On donne ce nom à certains filamens qui volent dans l’air en Automne. Capilli Veneris. On les appelle plus ordinairement Cheveux de Notre-Dame ou de la Ste. Vierge. Capilli. B. Virginis. Quelques exhalaisons grossières composent, en se réunissant, ces fils longs & blancs que l’on voit s’attacher aux arbres ou voltiger au gré des vents.

On dit figurément d’une chose qui fait horreur, qu’elle fait dresser les cheveux à la tête : qu’il faut prendre l’occasion aux cheveux, pour dire, qu’il ne faut pas la laisser échapper ; qu’un passage, qu’une comparaison, sont tirés par les cheveux, lorsqu’ils ne viennent pas naturellement au sujet, qu’ils sont tirés de trop loin, & amenés par force & par machine. On dit encore, que tous nos cheveux sont comptés ; pour dire, que la Providence a soin des moindres choses qui nous regardent. On dit aussi, quand on veut trop subtiliser sur les choses, que c’est fendre un cheveu en deux, d’autres disent en quatre. On dit encore, il ne s’en faut pas de l’épaisseur d’un cheveu ; pour dire, peu s’en faut, ou il ne s’en faut presque rien. On dit aussi, se prendre aux cheveux, se tirer aux cheveux ; tirer quelqu’un par les cheveux, lui sauter aux cheveux, s’accrocher aux cheveux, pour représenter la maniere dont certaines gens se battent.

Nos braves s’accrochant, se prennent aux cheveux.

Boil.

On dit auss, s’arracher les cheveux de douleur, de désespoir.