Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CITOYEN

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 613).

☞ CITOYEN. s. m. Civis. Ce mot a un rapport particulier à la société politique ; il désigne un membre de l’Etat, dont la condition n’a rien qui doive l’exclure des charges & des emplois qui peuvent lui convenir, selon le rang qu’il occupe dans la République.

☞ Dans les Etats républicains rien n’est au dessus de la qualité de Citoyen. La personne qui gouverne s’en fait honneur. Un Stat-Houder, un Doge, un Sénateur, un Député sont d’illustres Citoyens, à qui les autres obéissent, moins par soumission que par une sage & libre coopération au bon gouvernement. Mais dans les Etats monarchiques, le pouvoir y élève celui qui en est saisi au dessus de tous les autres, & ne laisse aucun titre commun qui sente tant soi peu l’égalité. Un Empereur, un Roi ne sont pas des Citoyens ; ce sont des Chefs qui gouvernent leurs peuples, ou qui commandent à leurs sujets ; ceux-ci obéissent par soumission, & le degré de modération ou d’excès dans cette soumission fait que le vrai Citoyen se conserve chez eux, ou qu’il s’anéantit par la servitude. Il y a plus de vraie noblesse dans un roturier Suisse qui est Citoyen d’une patrie, que dans un Bacha Turc qui est esclave d’un maître. M. l’Abbé Girard.

☞ L’homme naturel est tout pour lui ; il est l’unité numérique ; l’entier absolu, qui n’a de rapport qu’à lui-même ou à son semblable. L’homme civil n’est qu’une unité fractionnaire qui tient au Dénominateur, & dont la valeur est dans son rapport avec l’entier qui est le corps sociable. Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue, pour lui en donner une relative, & transporter le moi dans l’unité commune ; en sorte que chaque particulier ne se croie plus un, mais partie de l’unité, & ne soit plus sensible que dans le tout. Un Citoyen de Rome n’étoit ni Caïus, ni Lucius, c’étoit un Romain : même il aimoit la patrie exclusivement à lui. Régulus se prétendoit Carthaginois, comme étant devenu le bien de ses Maîtres. En sa qualité d’étranger, il refusoit de siéger au Sénat de Rome ; il fallut qu’un Carthaginois le lui ordonnât. Il vainquit & s’en retourna triomphant mourir dans les supplices.

☞ Le Lacédémonien Pedarette se présente pour être admis au Conseil des Trois cens : il est rejeté. Il s’en retourne joyaux de ce qu’il s’est trouvé dans Sparte trois cens hommes valant mieux que lui. Voilà le Citoyen.

☞ Une femme de Sparthe avoir cinq fils à l’armée, & attendoit des nouvelles de la bataille. Un Îlote arrive : elle lui demande, en tremblant, des nouvelles. Vos cinq fils ont été tués. Vil esclave, t’ai-je demandé cela ? Nous avons gagné la victoire ! La mère court au Temple, & rend grâces aux Dieux. Voilà la Citoyenne. Racine. Auguste fit faire le dénombrement des Citoyens Romains, qui montoit à quatre millions cent trente-sept mille. Pour faire un vrai Citoyen Romain, il falloit que ces trois choses concourussent ; qu’il fût habitant de Rome, qu’il fût enrôlé dans l’une des trente-cinq Tribus, & qu’il pût parvenir aux dignités. Ceux à qui l’on accordoit les droit & les privilèges de Citoyens Romains, & qui habitoient hors de Rome, & dans les Provinces éloignées, n’étoient proprement que des Citoyens honoraires. Loyseau. Les Romains, fiers de la grandeur de Rome, s’imaginoient que c’étoit presque tirer un homme du néant, que de le faire Citoyen Romain. Patru. La Loi VII de Incolis, met une grande différence entre Citoyen & simple habitant. La naissance seule faisoit les Citoyens, & acquéroit tous les privilèges de la Bourgeoisie. Le temps ne pouvoit l’acquérir. L’Empereur le pouvoit donner. En France une demeure de dix ans suffit, pour être censé Bourgeois. ☞ Habitant se dit uniquement, par rapport au lieu de la résidence ordinaire, quel qu’il soit, ville ou campagne. Les Habitans, d’une ville, d’un bourg, d’un village, de la campagne. Bourgeois, marque une résidence dans une ville, & un degré de condition, qui tient le milieu entre la Noblesse & le Paysan. Le personnage le plus ridicule dans le commerce de la société, est le Bourgeois Petit-Maître. Le Citoyen est ce qu’on vient de dire.

Ce mot vient du latin Civis, qu’on dérive du verbe coco, parce qu’ils vivent tous ensemble. Il vaudroit mieux tirer ce mot de cio, voco, parce que les Citoyens sont tous appelés au même lieu.

Citoyen se dit aussi de ceux qui jouissent des privilèges d’une ville, qui ont acquis un droit de Bourgeoisie, encore qu’ils habitent ailleurs. S. Paul étoit Citoyen Romain. Il n’étoit pas permis de fouetter un Citoyen Romain. J’espère vous faire voir qu’Alcidas est Citoyen Romain. Patru.

Autrefois on a dit Citiéen & Citéen pour Citoyen.

☞ Quelques Ecrivains ont fait ce mot adj. L’esprit citoyen. L’Ami des hommes a dit Ordre citoyen.