Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CONDUIRE

La bibliothèque libre.
Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 783-784).
CONDUISEUR  ►

☞ CONDUIRE. v. a. C’est indiquer le chemin en accompagnant sur la route. Ducere. Il se dit dans le sens propre & le sens figuré. Les mots conduire, guider, mener, sont souvent très-synonymes dans la bouche de ceux qui s’en servent ; mais conduire & guider, supposent dans leur propre valeur, une supériorité de lumières que le dernier n’exprime pas ; le mot mener enferme une idée de crédit & d’ascendant tout-à-fait étrangère aux deux autres. On conduit & l’on guide ceux qui ne sçavent pas les chemins ; on mène ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas aller seuls. Dans le sens littéral, c’est proprement la tête qui conduit, l’œil qui guide, & la main qui mène. On conduit un procès ; on guide un voyageur ; on mèe un enfant ; on nous conduit dans les démarches, afin que nous fassions précisement ce qu’il convient de faire. On nous guide dans les routes pour nous empêcher de nous égarer. On nous mène chez les gens pour nous en procurer la connoissance. M. l’Abbé Girard.

☞ L’acception primitive du mot conduire a été détournée d’une infinité de manières différentes.

Conduire se dit des animaux. Conduire des chevaux, conduire des mulets, conduire un troupeau.

Conduire se dit des choses inanimées. Conduire des vivres, conduire du vin, conduire une voiture.

☞ On dit aussi conduire l’eau ; c’est la faire aller d’un endroit à un autre par des rigoles, par des canaux.

Conduire signifie aussi avoir inspection sur un ouvrage, en avoir la direction ; & en ce sens, il se dit des ouvrages matériels. Un tel est celui qui conduit le bâtiment du Louvre. C’est lui qui conduit la Pompe du Pont-neuf, l’horloge du Palais.

☞ Il se dit aussi des travaux à la guerre. Cet Ingénieur a conduit une mine jusque sous le Bastion, une tranchée jusque sur la Contrescarpe.

Conduire se dit aussi des choses morales & des ouvrages d’esprit. Conduire un dessein, une entreprise, une intrigue. Il a bien conduit cette affaire ; il a bien conduit cette pièce, ce Poëme, cette Comédie.

On dit conduire un ouvrage à sa perfection, c’est-à-dire, le rendre parfait, y mettre la dernière main.

Conduire signifie aussi servir de Chef, régir, gouverner. Ducere. Conduire une armée, une flotte, un vaisseau, une barque.

☞ On dit proverbialement qu’un homme conduit bien sa barque, lors qu’il se maintient bien dans sa fortune, qu’il se conduit bien dans ses affaires, qu’il y réussit.

Conduire est aussi réciproque, se conduire, & il signifie se comporter. Il se conduit bien ; il se conduit mal.

☞ On dit qu’un homme ne voit pas à se conduire, gressum regere ; pour dire, qu’il est presque aveugle, ou qu’il fait une très-grande obscurité. On dit aussi qu’un homme en a conduit un autre des yeux ; pour dire, qu’il a observé ses pas, qu’il a vu tout ce qu’il a fait. Observare. On dit aussi qu’on a donné à quelqu’un de quoi se conduire ; pour dire, qu’on lui a donné les choses nécessaires pour son voyage. Viaticum suppeditare.

Conduire se dit aussi, en parlant de la raison, des passions, &c. personnifiées. La débauche conduit les hommes au tombeau. Qu’importe, que l’esperance nous trompe, pourvu qu’elle nous conduise à la fin de la vie, par un chemin agréable. S. Evr.

Que la raison conduise, & le savoir éclaire. Rac.

Conduire signifie aussi accompagner quelqu’un par honneur, par civilité, par occasion, ou pour sûreté. Ducere, prosequi, comitari. On a conduit cet Ambassadeur à l’audience avec de grandes cérémonies. J’ai affaire en ces quartiers-là, je vous y conduirai. Acad. Fr. On a commandé tant de Mousquetaires pour conduire le prisonnier, pour conduire & escorter ce convoi.

Conduire, s’emploie aussi en parlant des arts. Ducere, regere. Cet Ecrivain conduit bien sa main ; pour dire, il l’a ferme & légere : il conduit bien la main de ses écoliers ; pour dire, qu’il leur mène la main. On dit aussi en Géométrie, qu’on peut conduire une ligne circulaire par 3 points donnés, pourvu qu’ils ne soient pas en droite ligne, comme enseigne Euclide en son quatrième livre des Elemens. Conduire une ligne, synonyme de tirer.

Conduire, en termes de Peinture, signifie diriger, ménager, distribuer. Ce Peintre conduit bien son pinceau ; pour dire, ménage bien ses traits, ses couleurs.

Conduire l’étoffe bois à bois. C’est, en fait d’aunage, la mener doucement le long de l’aune, sans la tirer pour l’alonger.

On dit, en termes de Fauconnerie, conduire un oiseau, pour soigner, élever, panser. Il faut conduire sagement un oiseau, jusqu’à ce qu’il soit bien enoiselé ; saupoudrer sa gorge de cannelle & sucre candi, le mettant sur la chair de l’oiseau qu’il a pris, car cela lui fera aimer son gibier.

☞ On dit, en termes de Manège, conduire son cheval étroit ou large. Le conduire étroit, c’est le mener en s’approchant du centre du manège. Le conduire large, le mener en s’approchant des murailles du manège.

Conduire se dit encore en parlant de la culture des arbres fruitiers. Curare, disponere, tractare. Conduire un arbre, c’est le tailler, l’ébourgeonner, l’émonder, suivant son espèce. Il faut être bon jardinier pour bien conduire les arbres. Ce n’est pas assez de planter les arbres pour avoir des fruits, il faut encore sçavoir les conduire. Voyez les différens articles relatifs à la culture des arbres, palisser, nettoyer, ébourgeonner, tailler, &c.