Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/CORNE

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(2p. 918-920).
CORNÉE  ►

CORNE. s. f. partie dure que plusieurs animaux ont à la tête & qui leur sert de défense. Cornu. Les bœufs ont deux cornes qui leur sortent de la tête, avec lesquelles on les attache au joug. Les chèvres, les boucs, les vaches ont des cornes. Le Rhinocéros, les licornes n’ont qu’une corne. On tient qu’il n’y a que les seules bêtes à pié fourché qui aient des cornes. Le bubale a les cornes tournées en rond l’une vers l’autre. Le daim des Anciens les a crochues en devant, & le chamois en arrière. Les béliers les ont tournées en ligne spirale. En 787, le Concile de Calcuth en Angleterre défendit d’offrir le saint Sacrifice dans des Calices & des Patènes de corne. La coutume de boire dans la corne d’un animal à quatre piés a duré long-temps dans le Septentrion. Voyez Vossius, de Idol. L. III, c. 71.

Carn, ou Corn, une corne, est un mot Celtique. Pezron. Ce nom, aussi-bien que le latin cornu, vient de l’hébreu קרן, keren, corne.

On appelle un troupeau de bêtes à corne, un troupeau de bœufs, de vaches, ou de chèvres seulement. Cornutis bestiæ.

On fait plusieurs ouvrages de corne, comme des peignes, des lanternes, des demi-cercles divisés &c. Des chapelets de corne de bufle.

Corne de cerf, signifie chez les Ouvriers ce qui s’appelle le bois de cerf chez les Chasseurs. Cervinum cornu. On fait des manches de couteaux de corne de cerf. La raclure de corne de cerf est astringente. On en fait de la gelée, qu’on appelle gelée de corne de cerf.

Corne de cerf. s. f. Coronopus. s. m. plante qui approche beaucoup du plantain. Sa racine est grosse au plus comme le petit doigt, blanchâtre & un peu astringente au goût. Elle pousse plusieurs feuilles couchées sur terre, disposées en rond, & elles sont oblongues, étroites, incisées sur leurs bords assez profondément ; en sorte qu’elles ressemblent en quelque manière par leurs découpures au bois d’un cerf, d’où vient aussi le nom qu’on a atribué à toute la plante. Du milieu de ses feuilles sortent un ou plusieurs épis longs de quelques pouces, & garnis de fleurs & de semences pareilles à celles du plantain ; on ne distingue aussi ces deux plantes que par leurs feuilles, qui dans le plantain sont entières, & déchiquetées à la corne de cerf. La corne de cerf croît communément à la campagne : on la cultive dans les jardins, où ses feuilles deviennent plus grandes, plus charnues, plus tendres, & propres à être mangées en salade. Coronopus hortensis, ou cornu cervinum. La graine de la corne de cerf est une des plus menues que nous ayons : elle est longuette & de couleur minime fort obscure, elle se forme dans une manière de queue de rat. La Quint. La corne de cerf ne se multiplie que de graine. Id.

Coronopus vient de κορώνη, corneille, & ποῦς, pié, comme qui diroit pié de corneille ; car on a cru trouver quelque ressemblance entre les feuilles de cette plante & le pié d’une corneille. Il y a d’autres espèces de corne de cerf.

Corne, en termes de Chasse, signifie la tête du chevreuil. Caprinum caput.

Corne se dit aussi des petites pointes qui sortent de la tête du limaçon & d’autres semblables bêtes. Les limaçons montrent, font sortir, resserrent leurs cornes.

Les ducs, espèce de chathuans, ont aussi de petites touffes de plumes sur la tête, qui leur tiennent lieu de cornes.

Corne, en termes de Manège, est un ongle dur, & épais d’un doigt, qui règne autour du sabot du cheval, & qui environne la sole & le pié : c’est là où on broche les cloux quand on les ferre. Ungula. On met du surpoint à la corne du pié des chevaux, quand elle est sèche, ou usée. On le dit aussi de la partie dure des piés de plusieurs autres animaux, comme mulets, ânes, élans, &c.

On dit en maréchallerie, donner un coup de corne à un cheval ; pour dire, le saigner au milieu du troisième ou quatrième cran ou sillon de la mâchoire supérieure : ce qu’on fait avec une corne de cerf, dont le bout est fort affilé & pointu. Cornu sanguinem elicere.

Corne, en termes d’Anatomie, se dit de quelques parties du corps. Les cornes de la matrice sont deux éminences, qui sont à ses deux côtés, & où s’attachent les deux ligamens inférieurs de la matrice, que l’on nomme les ligamens ronds. De ces deux cornes, ou éminences, l’interne est parsemé de beaucoup de petits pores & de petits vaisseaux qui distillent tous les mois le sang, qui doit être évacué, qu’on appelle les mois ou menstrues. Les Médecins, & Dioclès le premier, ont appelé cornes ces deux extrémités du corps ou du fond de la matrice, parce qu’elles ressemblent aux cornes naissantes d’un mouton. Elles sont plus apparentes aux bêtes qu’aux femmes.

Les cornes de l’os hyoïde sont ses parties latérales, composées de quatre petits os ; car cet os est composé de cinq os ; le plus gros qui est au milieu est sa base, à laquelle deux autres petits os sont attachés un de chaque côté, & deux très-petits os sont joints aux extrémités de ces derniers. Ce sont ces quatre petits os que l’on appelle les cornes de l’os hyoïde.

Corne à amorcer, est une corne de bœuf qu’on emplit de poudre fine pour amorcer les canons.

Corne de vergue, en termes de Marine, est une concavité en forme de croissant, qui est au bout de la vergue de la chaloupe, dans laquelle entre le haut du mât, lorsque la voile est appareillée. Cavus antennarum.

Corne de bélier, se dit, en Architecture, des volutes qui servent d’ornement aux chapitaux des Ordres Ionique & Composite. Voluta, helix. On appelle aussi cornes d’un chapiteau, les quatre coins du tailloir. Abaci cornua. On appelle aussi corne de bœuf, ou corne de vache, une porte, ou une fenêtre de biais. Cela se nomme autrement biais passe. La corne de vache est aussi une espèce de voûte en cône tronqué, dont la direction des lits ne passe pas au sommet du cône. Frézier. Vaccinum cornu.

Corne d’abondance, en termes de Poësie & de Mythologie, est une corne d’où sortoient toutes choses en abondance, par un privilège que Jupiter donna à sa nourrice, qu’on a feint avoir été la chèvre d’Amalthée. Cornu copiæ. Le vrai sens de cette fable est, qu’il y a un terroir Lybie en figure de corne de bœuf, fort fertile en vin & fruits exquis, qui fut donné par la Roi Ammon à sa fille Amalthée, que les Poëtes ont feint avoir été nourrice de Jupiter, voyez Abondance. Dans l’Architecture & la Sculpture corne d’abondance est la figure d’une grande corne, d’où sortent des fleurs, des fruits, des richesses.

Sur les médailles les Cornes d’abondance se donnent à toutes les Divinités, aux Génies & aux Héros, pour marquer les richesses, la félicité & l’abondance de tous les biens, procurée par la bonté des uns, ou par les soins & la valeur des autres. Quelquefois on en met deux, pour marquer une abondance extraordinaire. P. Jobert.

On appelle corne d’abondance figurément & familièrement, celles d’un mari dont la femme est entretenue par un riche galant, qui fait beaucoup de bien à la famille.

Corne, ou crudité de cuir, se dit chez les Tanneurs, d’une certaine raie blanche qui paroît dans les gros cuirs tannés, en les fendant par le milieu, ce qui fait connoître qu’ils n’ont pas été suffisamment nourris dans le plain & dans le tan.

Corne d’Ammon, terme d’histoire naturelle. Espèce de pierre roulée, noueuse, de couleur cendrée, & recourbée en forme de corne de bélier, telles qu’étoient celles que l’antiquité donnoit à Jupiter Ammon. Ammonis cornu. On dispute si la corne d’Ammon est un fossile, ou un nautile. M. Camératius prétend que c’est un fossile, que l’on en trouve en grand nombre dans la terre, & sur de hautes montagnes ; au lieu qu’on n’en trouve que rarement sur les bords de la mer. M. Wodward, dans son Histoire naturelle illustrée & augmentée, soûtient que c’est un coquillage du nombre des nautiles ; qu’il a été formé dans la mer, & transporté delà par les eaux du déluge dans les terres d’où on le tire ; que si l’on n’en voit que rarement au bord de la mer, c’est que les coquillages & les autres corps attachés au fond de la mer, telles que doivent être presque toutes les espèces de cornes d’Ammon, n’en pourroient être arrachées que par des tempêtes, qui les pousseroient ensuite vers le rivage ; que les tempêtes les plus violentes n’agitant jamais le fond de la mer, ainsi que les Plongeurs en font foi, il n’est pas surprenant qu’elles n’en détachent aucuns des corps qui s’y sont fixés, mais que dans le bouleversement du globe terrestre arrivé par le déluge, les cornes d’Ammon, ainsi que mille autres productions de la mer, ont pû être portées du fond des eaux dans les lieux où elles se trouvent présentement.

La corne d’Ammon est de différentes grosseurs ; elle se trouve en plusieurs lieux d’Allemagne. Elle est grande comme la main ; & il y en a qui pesent jusqu’à trois livres. Les autres sont grosses comme une noix. Cette corne étoit autrefois consacrée à Jupiter Ammon, d’où elle a pris son nom, cornu Ammonis ; si ce n’est plutôt de sa figure, comme nous l’avons insinué au commencement. J’en ai vû qui avoient été trouvées en France au sommet d’une montagne, où il y en a beaucoup. Elles étoient longues d’un bon doigt, ou trois pouces, rondes mais ayant des côtes : La plus grande avoit environ six lignes de diamètre à son plus gros bout ; elle alloit toujours en diminuant jusqu’à l’autre bout. Leur envelope extérieure étoit couleur de plomb, & même une espèce de matière de plomb. Le dedans ressembloit à une matrice de diamant qui en contenoit plusieurs sur les faces desquels & dans leurs jointures paroissoient de petits grains ou paillettes d’or. On les porta à la Monnoie de Paris, pour en faire l’épreuve, à laquelle j’assistai. On en mit une assez grosse dans un mortier, & on l’y pila, & la réduisit en poussière ; après quoi on mit dans le mortier de l’eau que l’on rejettoit en penchant & remuant doucement le mortier, ce que l’on fit jusqu’à ce que l’eau eut emporté toute la poussière ; après quoi on trouva au fond du mortier un petit grain d’or, qui fut éprouvé à la pierre de touche, & jugé de l’or excellent, & pour me servir du terme de l’Officier de la Monnoie, de l’or de Ducat. Cependant les Officiers de la Monnoie convinrent que pour en bien juger, il eût fallu en avoir une quantité assez grande pour les mettre au feu & à la coupelle.

Corne de S. Hubert, nom d’une espèce de coquillage de mer. Sancti Huberti cornu.

Corne est aussi un terme de fortification. L’ouvrage à cornes est un dehors fort étendu & avance pour couvrir une courtine, ou un bastion. Opus cornutum, propugnaculum cornutum. Il est fait de deux flancs défendus de la place à la portée du mousquet. Sa tête fortifiée d’une tenaille, ou de deux demi-bastions joints par une courtine. Les côtés sont ordinairement parallèles. Il y en a pourtant qui sont plus serrés vers la place, qu’on appelle à queue d’aronde ; d’autres plus étendus, qu’on appelle à contre-queue d’aronde, selon qu’on veut couvrir un plus grand ou un moindre endroit de la place. Quand les côtés sont trop longs, on y fait quelquefois des épaulemens pour les flanquer.

Corne signifie aussi ce qui est angulaire & pointu. Cornu. Dans le rituel on distingue la corne droite de l’autel, de la fenestre. On dit aussi les cornes du Croissant, quand la nouvelle lune, commence à paroître. ☞ Dans un bonnet carré, tel que le portent les Ecclésiastiques, les Docteurs, les Gens de Justice, on appelle cornes certaines petites crêtes qui s’élevent sur le bonnet. Bonnet carré à trois, à quatre cornes. On prend un bonnet carré par une de ses cornes. La corne d’un échaudé, d’une talmouse, se dit aussi d’un des angles, d’une des pointes, d’un échaudé, d’un pain, d’une patisserie faite à angles.

Corne, en termes de l’écriture, signifie honneur, gloire, exaltation, puissance, force. Cornua. Moïse est souvent peint avec des cornes, qui étoient des rayons de lumière qui parurent sur la tête en descendant de la montagne de Sinaï. On dit presque en ce sens, qu’un homme leve maintenant les cornes, qu’il commence à montrer les cornes, quand il revient en honneur, en crédit, en autorité, après avoir essuyé quelque mauvaise fortune. On a pris en latin cornua dans une signification à peu-près semblable, Addit cornua pauperi, dit Horace ; c’est-à-dire, lui donne du courage, de la force, de la hardiesse, de la confiance.

Corne se dit en un sens tout contraire, quand on montre à quelqu’un les deux doigts écartés en forme de cornes, ou pour marquer une honte, ou quelque infamie. Illudere alicui. Tout le monde le montre au doigt, lui fait les cornes. C’est en ce sens qu’on fait porter les cornes à un homme, quand on le deshonore, en subornant sa femme, en la rendant infidelle. Voilà un hardi maraut, de vouloir planter des cornes à Jupiter. Ablanc. M. Dacier a observé que cette idée infamante attachée aux cornes, étoit inconnue aux Anciens.

Corne en termes de Blason, se dit d’une espèce de bonnet pointu qui est rouge & bordé d’or, que porte le Doge de Venise pour marque de sa dignité. En ce sens il est masculin, & on dit le corne. Pileus cornutus.

Corne se dit proverbialement en ces phrases. On dit d’un homme surpris de quelque nouvelle, de quelque accident extraordinaire, qu’il est ainsi étonné que si les cornes lui venoient à la tête. On dit d’un homme qui a mal entendu, qu’il entend de corne, qu’il a mangé de la vache. On dit d’une viande qui est dure, que c’est de la corne, qu’elle est dure comme de la corne. On dit qu’on prend les hommes par les paroles, & les bêtes par les cornes. On dit aussi d’un goulu qui mange vîte, qu’il n’a pas besoin qu’on lui donne un coup de corne pour lui donner de l’appétit. On dit d’un satyrique qui a donné quelque trait piquant à quelqu’un, qu’il lui a donné un coup de corne.