Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/COUTUME

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(2p. 1004-1006).
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COUTUME. s. f. train de vie, ou suite d’actions ordinaires, qui étant plusieurs fois répétées donnent une habitude, ou facilité de les faire quand on veut. Consuetudo, mos, usus. La coutume adoucit les choses les plus rudes, & apprivoise jusqu’aux maux. Ablanc. Le péché s’établit par des coutumes qui deviennent des nécessités, & par des complaisances dont on se fait de misérables devoirs. Fléch. Les femmes aiment mieux pleurer par coutume, que se consoler par raison. Malh. Les impressions de la coutume & de l’éducation entraînent la plûpart des hommes, qui ne dogmatisent que sur ces vains fondemens. Nous nous endurcissons à tout par la coutume ; elle endort notre sentiment à la souffrance. Mont. Combien voit-on de Chrétiens courir à l’Eglise, moins par dévotion & par devoir, que par coutume & par bienséance. Fléch. La coutume forme notre train de vie, & diversifie notre nature comme il lui plaît. Mont. La coutume nous entraîne, & nous mettons au rang des vérités les erreurs qui sont devenues publiques. Charp.

Coutume & habitude dans une signification synonime. La coutume a rapport à l’objet ; elle le rend familier. L’habitude a rapport à l’action ; elle la rend facile. La coutume ou l’accoutumance naît de l’uniformité. L’habitude de la répétition.

Ce mot est dérivé à consuetudine, par contraction. Du Cange dit, qu’en la basse latinité on a dit custuma, custumarius, & custumare.

Coutume se dit aussi figurément de ce qui arrive ordinairement aux choses inanimées. Les pierres nouvellement tirées de la carrière, ont coutume de fendre à la gelée. Cette cheminée a coutume de fumer. Les arbres ont coutume de pousser au printemps. Les Rossignols ont coutume de chanter au mois de Mai. Le mot de coutume, quand il se trouve joint au verbe auxiliaire, comme il l’est dans les exemples de cet article, s’exprime en latin par le verbe solere.

On dit absolument, il en use comme de coutume. Il est plus gai que de coutume. Solito lætior.

Coutume se dit aussi des mœurs, des cérémonies, des façons de vivre des peuples qui ont passé en usage, ou en force de loi. Institutum, consuetudo. Les relations des Voyageurs nous apprennent d’étranges coutumes des peuples éloignés. Ils sont préoccupés de la bonté de leurs coutumes, comme nous des nôtres. Philon Juif, dit que Dieu n’a permis la confusion des langues, & la diversité des coutumes, que pour la punition du genre humain. S. Chrysostome compare la coutume aux successions : elle transfère à la postérité un usage héréditaire.

Coutume, presqu’en ce sens, se dit des choses qui étoient d’abord volontaires, & qui sont devenues nécessaires par l’usage. Mos, usus, consuetudo. Les étrennes sont passées en coutume. Les présens qu’on fait aux nouveaux mariés, que font les Officiers à leur réception en des charges, sont dûs, parce qu’ils ont passé en coutume.

☞ Ce que la plus grande partie des gens pratique, dit M. l’Abbé Girard, est un usage. Ce qui s’est pratiqué depuis long temps est une coutume. L’usage paroît être plus universel ; la coutume plus ancienne,

☞ L’usage s’introduit & s’étend. La coutume s’établit & acquiert de l’autorité. Le premier fait la mode, la seconde forme l’habitude. L’un & l’autre sont des espèces de loix, entièrement indépendantes de la raison dans ce qui regarde l’extérieur de la conduite.

☞ Il est quelquefois plus à propos de se conformer à un mauvais usage, que de se distinguer, même par quelque chose de bon. Bien des gens suivent la coutume dans la façon de penser, comme dans le cérémonial ; ils s’en tiennent à ce que leurs meres & leurs nourrices ont pensé avant eux.

Coutume, dans le droit Romain, est un droit non écrit, introduit par l’usage, du tacite consentement de ceux qui s’y sont volontairement soumis ; & cet usage, après avoir été observé pendant un temps considérable a force & autorité de loi. Nam diuturni mores consensu utentium comprobati legem imitantur.

☞ La coutume imite la loi, en ce qu’il lui arrive souvent d’introduire un droit nouveau. Elle interprête la loi, lorsqu’elle lui donne des extensions ou des modifications convenables pour la conserver autant qu’il est possible. Optima legum interpres consuetudo. Elle abroge quelquefois la loi par un non-usage de la loi, & par un usage contraire qui lui succède : non qu’elle soit supérieure à la loi, qui prévaut toujours sur elle dans les jugemens : mais la loi cessant d’être en vigueur & s’anéantissant d’elle-même par un non usage, la coutume qui est reçue en sa place, paroît avoir détruit & abrogé la loi.

☞ Voilà ce que les loix Romaines ont entendu par coutume, & l’autorité qu’elles lui ont donnée. Ce que nous pouvons appliquer à ce que nous appelons usage. Voyez ce mot.

☞ Suivant notre droit François, la coutume est une loi écrite, à laquelle le Roi donne la forme & le caractère de la loi, dont les dispositions sont déterminées & arrêtées par la reconnoissance & le consentement des habitans d’une province.

☞ Ce concours, du consentement du peuple avec l’autorité du Roi pour fixer & déterminer les coutumes & leur donner le caractère de loi, ne porte aucune atteinte à la puissance législative qui réside dans la personne du Souverain, puisque c’est le Prince qui fait la loi, qui nomme les Commissaires, auxquels il donne pouvoir de rédiger par écrit les coutumes, & que les députés des États n’y assistent que pour raison des usages de la province, dans lesquels ces députés demandent au nom des trois ordres d’être maintenus. ☞ Ainsi ce mot coutume signifie proprement le droit particulier ou municipal établi par l’usage en certaines provinces, qui a force de loi depuis qu’il a été rédigé par écrit. Jus municipale, moribus constitutum. Jus antiqui moris. Les coutumes sont souveraines dans leur ressort. Le Mait. Les coutumes sont réelles, & sont renfermées dans les limites de leur territoire. Il y a aussi des coutumes locales, qui sont en usage dans des lieux ou Seigneuries particulières.

La coutume de Normandie est appelée la sage coutume. La coutume de Paris sert de règle pour toutes les autres coutumes quand elles n’ont point de dispositions contraires. Du Moulin, &c. ont commenté la coutume de Paris : Buridan celle de Reims : d’Argentré celle de Bretagne : L’Abbé & Ragueau celle de Berri : Chassanée celle de Bourgogne, &c. On appelle aussi un pays de coutume, par opposition au pays de Droit écrit, celui qui est régi par une coutume particulière. C’est un point de coutume, un article, une question de coutume. M. Catherinot, Avocat du Roi à Bourges, a fait une dissertation pour montrer que les coutumes ne sont pas de droit étroit.

On dit aussi, suivant les us & coutumes du pays, les us & coutumes de la mer. Voyez Us.

Les Gaulois, au rapport de César, L. I, de Bell. Gall. avoient leurs coutumes particulières qu’ils ont toujours conservées ; & il fut impossible aux Romains de les gouverner par d’autres loix. Il n’y eut que les Provinces voisines de l’Italie qui furent forcées de recevoir les loix Romaines.

On ne convient pas trop en quel temps s’est introduite cette diversité de coutumes, qui règne dans les diverses Provinces de France. Il y a bien de l’apparence que les Romains, après la Conquête des Gaules imposèrent aux vaincus la nécessité de s’assujétir aux loix Romaines. Mais dans la décadence de l’Empire, & lorsque les peuples venus du Nord, ou sortis d’Allemagne, inondèrent la Gaule, ils apportèrent une grande confusion à cet égard. Quelques-uns prétendent qu’on se régla encore long temps par le Droit Romain, parce que ces nations barbares ignoroient même jusqu’à l’usage des lettres & de l’écriture ; ensorte qu’ils n’avoient aucunes loix fixes, & qu’ils ne se gouvernoient que par certains usages, qui se conservoient parmi eux par tradition. Les François furent les premiers qui rédigèrent des loix par écrit, après qu’ils eurent passé le Rhin : on n’attribue pourtant la publication de la loi Salique qu’à Clovis, & avant lui les Visigoths, sous leur Roi Evarick, qui tenoit sa Cour à Toulouse, avoient déjà publié quelques loix. Cette loi Salique fut fort augmentée par les successeurs de Clovis ; & Charlemagne y ajouta plusieurs articles, & la fit rédiger dans un meilleur ordre. Ainsi les François observoient la loi Salique, & les Capitulaires de Charlemagne, de Louis le Débonnaire & de Charles le Chauve. Pour les Romains, qui étoient demeurés dans les Gaules, & les anciens Gaulois, ils conservèrent l’usage des loix Romaines. On tient même que sous les Rois de la première Race le Droit Romain étoit la loi générale, & que l’on n’y dérogeoit à l’égard des François, que dans le cas où leurs nouvelles loix contenoient quelque chose de contraire. Les Ecclésiastiques sur-tout observoient le Droit Romain, & la langue latine étoit celle des Tribunaux où l’on rendoit la Justice. Pour les Bourguinons, & les Visigoths, qui occupoient la partie méridionale de la France, ils s’en tenoient toujours au Droit Romain. Sous la IIe Race, les François firent prévaloir les loix civiles & Ecclésiastiques de leurs Rois, & le Droit Romain commençoit à être aboli : ce fut alors que le droit coutumier prit naissance ; mais la foiblesse des derniers Rois Castoringiens produisit une nouvelle confusion ; car les grands Seigneurs ayant usurpé la Souveraineté, chacun d’eux s’arrogea aussi le pouvoir de faire des loix. Ils firent des constitutions dans l’étendue de leur territoire, & c’est de là sans doute qu’est venue la diversité des coutumes, qui est si grande dans le Royaume. Avant Louis VII, il n’y avoit en France ni Juges ni loix. Le Seigneur d’un lieu en étoit la loi & le Juge. Le Roi & les grands s’étant trouvés vers ce temps-là incommodés de la dépense qu’ils avoient faite aux Croisades, aux Cours plénières, & aux Tournois, proposèrent aux villes & aux bourgs qui étoient de leur dépendance de se racheter pour de l’argent. Cette proposition fut à la fin acceptée de tout le monde. Le peuple alors devenu libre, demanda des loix, chaque Seigneur en donna de plus ou moins favorables, selon le parti qu’on lui faisoit. De là vint cette multitude de coutumes que l’on voit encore aujourd’hui dans les villes, bourgades & villages. Le Gendre.

La première rédaction de toutes les coutumes de France par autorité publique fut faite sous Charles VI, au rapport de M. Rouillard. La seconde rédaction fut faite en conséquence de l’Ordonnance de Charles VII, donnée au mois d’Avril 1453, au Montil-les-Tours. Et en l’année 1577, les États assemblés à Blois demandèrent la réformation des coutumes. Cela fut exécuté en 1585. Pour la coutume de Normandie. Voyez l’Hist. des Rois Jean, Charles V, VI, VII, par M. l’Abbé de Choisi. Voyez aussi M. Bruneau, dans son Traité des Criées, ou il donne une table chronologique des coutumes, & marque en quelle année chaque coutume a été rédigée.

Coutumes fouchères, sont celles qui veulent que pour succéder à un propre, on soit descendu en ligne directe de l’acquéreur, c’est-à-dire, de celui qui a acquis le premier l’héritage, & l’a mis dans la famille, lequel d’acquêt qu’il étoit en sa personne, est devenu propre à ceux de la famille, auxquels il est échu par les moyens qui sont les propres.

Coutumes locales, sont celles qui sont particulièrement observées dans un certain lieu, & qui ne le sont pas dans vous les endroits où s’étend la coutume générale du lieu.

Coutume, en Angleterre, signifie ce que nous appelons en France Douane.

Coutume se dit aussi d’un droit qu’on paye ordinairement comme une espèce de péage aux passages des villes, & le plus souvent à l’entrée des bailliages & Vicomtés, pour l’entretien des ponts & passages dont on ne connoît point l’origine ni l’établissement. Jus moribus constitutum, in more positum. On met un morceau de bois tourné & attaché au bout d’une perche, pour signal aux Voituriers qu’il faut payer ce droit ; & on l’appelle billot ou billet, sur quoi on a fait ces vers :

Ce billot suspendu qui à l’air se consume,
Avertit le Marchand d’acquitter sa coutume.

On appelle en quelques lieux petite coutume, le payement d’un denier pour bœuf ; & la grande coutume, celui de quatre deniers. Les Ecclésiastiques appelèrent autrefois louable coutume, les droits que le Clergé levoit sur les gens d’Eglise, comme décimes, annates, déports, proficiats, &c. contre lesquels Paquier a fait de fortes invectives. On a appelé coutumes Episcopales, certains deniers ou tributs qu’ils faisoient payer à Pâque.

Le mot de coutume se prend aussi dans le droit Canon pour de certains droits que les Evêques exigeoient des Ecclésiastiques & des Moines dans leurs visites. Ils les appelèrent droits de procuration ou de coutumes : comme ils ne se contentoient pas des droits ordinaires, les Moines ont souvent adressé aux Papes leurs plaintes, pour avoir quelque modération. Le Pape Clément V jugea à propos dans le Concile de Vienne d’apporter le remède nécessaire à ces excès. Il y fut arrêté que les Evêques dans les visites des Monastères n’exigeroient que ce que le droit commun ou spécial, la coutume ou le privilège leur accorderoient. Voyez les Clémentines au titre de Censibus, exactionibus & procurationibus.

Coutume a signifié autrefois un revenu annuel en blé, vin & autre chose payable au Seigneur qui avoit donné l’héritage à cette condition. Ainsi on dit, prendre un héritage à coutume ; pour dire, à certaines charges spécifiées, ou selon l’usage ordinaire des lieux. On appelle aussi droits des coutumes, d’autres sortes de droits établis par les Seigneurs dans les marchés sur les denrées par l’usage & la coutume des lieux.

Coutume se dit proverbialement en ces phrases. C’est la coutume de Lorris, où le battu paye l’amende : ce qui se dit, quand un homme qui a sujet de se plaindre, est encore condamné. Cet article ne se trouve point dans la coutume de Lorris, mais bien dans un vieux titre de l’an 1448, qui est une confirmation des privilèges de Lorris, faite par le Roi Philippe, où il est dit que quand quelqu’un des combattans en gage de bataille étoit vaincu, le pleige étoit obligé de payer cent douze sols d’amende ; ce qui ne se faisoit point dans tous les autres lieux en de semblables combats. C’est une remarque qu’a fait Pasquier, mais d’autres ajoutent que cela avoit aussi lieu en d’autres endroits, comme on voit dans la vie des Evêques de Mets, en un temps où tous les différends se vidoient en champ de bataille, & à coups de main ; & alors les battus payoient l’amende. Mais quelques-uns disent que c’est la mauvaise intelligence de ce proverbe qui cause de l’étonnement ; car la loi voulant que ceux qui battent les autres soient punis, elle s’est expliquée en ces termes, qui tiennent de l’apostrophe ; Le bas-tu paye l’amende. Voyez Coquille, Hist. de Nivernois, p. 274. On dit une fois n’est pas coutume. Il ne faut pas perdre les bonnes coutumes. Acad. Fr.