Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÉLIÉ

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 194-195).
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☞ DÉLIÉ. ée. adj. se dit au propre d’une chose qui est très-mince, qui a très-peu d’épaisseur relativement à sa longueur. Tenuis, gracilis. Fil délié, toile déliée. Trait de plume délié. Le fil de lin est plus délié que celui de chanvre. Taille déliée. Voilà l’idée qu’on nous donne ordinairement de ce mot. M. l’Abbé Girard en comparant ces trois mots, menu, délié & mince, observe que menu n’a quelquefois rapport qu’à la grosseur dont il manque, & d’autres fois à la grandeur en tout sens : que le délié n’est opposé qu’à la grosseur, supposant toujours une sorte de longueur, & qu’enfin le mince n’attaque que l’épaisseur, pouvant beaucoup avoir des autres dimensions. Ainsi l’on dit une jambe & une écriture menue, un fil délié, une planche & une étoffe mince.

Délié, se dit au figuré d’un esprit propre aux affaires épineuses, fertile en expédiens, insinuant, fin, souple, caché, qualités qui lui sont communes avec l’esprit fourbe & méchant : cependant on peut être délié sans être ni méchant ni fourbe. C’est la notion que les Encyclopédistes nous donnent de ce mot en quoi il paroît que l’on fait un peu trop ressembler l’homme délié à l’homme fin. Un homme fin, dit M. l’Abbé Girard marche avec précaution par des chemins couverts. Un homme subtil avance adroitement par des voies courtes. Un homme délié va d’un air libre & aisé par des routes sûres. La défiance rend fin. L’envie de réussir jointe à la présence d’esprit rend subtil. L’usage du monde & des affaires rend délié. Les Normands ont la réputation d’être fins. Les Gascons passent pour subtils. La Cour fournit les gens les plus déliés. Voyez encore fin & délicat.

Quelques-uns dérivent ce mot de l’Hébreu dal qui signifie tenuis, ou de dalal, qui veut dire attenuari, arescere. Mais, sans aller si loin, il vient de delicatus : ou plutôt il vient de délien, vieux mot Celtique & Bas Breton, qui signifie feuille, à cause que la feuille est mince & déliée.

Délié, terme de Poësie Italienne. Solutus. Les vers déliés, que les Italiens appellent en leur langue sciolti, sont des vers qui ne riment pas les uns avec les autres : ils ne sont point astreints à la rime, mais à un certain nombre de syllabes, & à la cadence ; on pourroit les appeler une prose cadencée. Annibal Caro a traduit l’Enéide de Virgile en vers déliés. Il y a encore d’autres vers Italiens qu’on nomme déliés ; mais ils sont astreints à quelque chose de plus difficile que la rime finale ; car au lieu de rimer à la fin, comme c’est l’usage dans les langues vivantes d’Europe, dans ceux-ci la fin d’un vers rime avec le milieu du suivant.

Menando un giorno gli agnl prejjo un fiume,
Vidi un bel lume, in mezzo di quell’onde.
Sannaz.

Il y en a qui appellent ces sortes de vers, vers à rimes enchaînées ; ce nom leur convient mieux que celui de vers déliés. Nous appelons en François ces sortes de vers, vers à rimes bâtelées. En voici un exemple, tiré de Marot.

Quand Neptunus, puissant Dieu de la Mer,
Cessa d’armer, caraques & galées. &c.