Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÉMON

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 215-216).
DÉMONA  ►

DÉMON. s. m. Les Anciens ont appelé ainsi certains Esprits ou Génies, qui apparoissent aux hommes, tantôt pour leur servir, tantôt pour nuire. Dæmon, malus dæmon. On prétend que Socrate avoit un Démon familier, un Génie particulier. Le Spectre qui apparut à Brutus étoit un mauvais Démon qui l’épouvanta. Cardan se vantoit d’avoir commerce avec des Démons, au rapport de Jérôme Cardan son fils. La première idée des Démons est venue de Chaldée. De-là elle s’est répandue chez les Perses, les Egyptiens & les Grecs. Pythagore & Thalès de Milet sont les premiers qui ont apporté la connoissance des Démons dans la Grèce. Platon s’en est expliqué plus distinctement que les autres Philosophes. Il entendoit par-là des esprits inférieurs aux Dieux ; mais supérieurs aux hommes. Platon appeloit Démons, des Esprits familiers qui habitoient la moyenne région de l’air, & entretenoient la communication entre les Dieux & les hommes, en portant aux Dieux les offrandes des hommes, & en annonçant aux hommes la volonté des Dieux. Il n’en admettoit que de bons & de bienfaisans : mais ses disciples ne pouvant rendre raison du mal, adoptèrent des Démons ennemis & destructeurs des hommes. Il n’y a rien de plus commun dans la Théologie Payenne que ces bons & ces mauvais Génies. Cette opinion superstitieuse passa chez les Israëlites par le commerce qu’ils eurent avec les Chaldéens. Mais, par les Démons, ils n’entendoient point le Diable, ou un Esprit malin ; ils ne prenoient point dans ce sens le terme de Démon, & il n’a été employé dans cette signification que par les Evangélistes, & par quelques Juifs modernes. Van. Dan.

Ce mot vient du Grec Δαίμων.

Dans le sens des Anciens, les Poëtes ont dit, le Démon de la Guerre ; pour dire, le Dieu Mars : le Δαίμων qui les inspire, pour dire, Apollon. Pindare paroît plutôt entraîné du démon de la Poësie, que guidé par la raison. Boil.

Si-tôt que son Démon commence à l’agiter,
Tout, jusqu’à sa servante, est prêt à déserter. Id.

On le dit dans le même sens en plusieurs autres phrases, dans un style figuré, & dans la poësie. Le Démon de la discorde, de l’envie, de l’impureté, &c. comme s’il y avoit un Démon particulier qui portât les hommes à la discorde, à l’envie, à l’impureté, &c.

Démon, se prend encore aujourd’hui dans le sens des Anciens pour Génie, Esprit, soit bon, soit mauvais. Le Démon de la France. Je ne fais quel Démon secret m’inspire sans cesse, que ce n’est qu’à ma colère que je dois vos tendresses. Let. Portug. Je ne sai quel Démon ennemi de mon repos m’a fait voir cette beauté.

Quel Démon vous irrite & vous porte à médire ? Boil.

Je vois Condé, Prince à haute aventure,
Plutôt Démon qu’humaine créature. La Font.

Le Démon de la Thrace, c’est Mars, Dieu de la guerre, parce que les Thraces étoient des peuples très-belliqueux.

Démon, selon les Chrétiens est un Esprit malin, ennemi de l’homme, qui a été précipité du ciel aux enfers, à cause de son orgueil & de sa rébellion, Satan, Béelzébub, Lucifer, sont appelés les Princes des Démons. Jesus-Christ chassoit les Démons des corps des possédés. L’Esprit-Saint le conduisit dans le désert pour être tenté par le Démon. L’enfer est le partage des Démons. Si le Démon peut faire des miracles, & changer l’ordre de la nature, il faut que Dieu opère lui-même, & qu’il lui prête, pour ainsi dire, sa toute-puissance. S. Evr. Il faut être sans cesse en garde contre les surprises & les prestiges du Démon.

De nos plus saintes actions,
Le Démon quelquefois nous fait des précipices. L’Abbé Tétu.

Le Démon du midi, est, selon quelques-uns, une tentation diabolique, suivant ce qui est dit au Pseaume 90. Ab incursu & dæmonio meridiano. Ce mot d’incursus est pris souvent pour l’épilépsie. Ce qui fait que le P. Mabillon a prouvé par plusieurs passages, que ce Démon du Midi est une maladie soudaine & violente, qui prive les personnes de l’usage des sens, de la raison : elle est ainsi appelée, parce qu’on croyoit qu’elle venoit de l’Esprit malin, & parce qu’elle arrivoit ordinairement au plus haut du jour.

Démon, se dit aussi d’un méchant homme qui ne s’attache qu’à nuire aux autres. Quand cet homme est en furie, c’est un Démon. Cet enfant est un Démon incarné, tant il est malicieux. Il est familier en ce sens, aussi-bien que lorsqu’on dit, faire le Démon, pour dire, faire du bruit, tempêter. Il a fait le Démon toute la nuit.

Démon, se dit aussi des choses qui paroissent épouvantables. Ainsi le Capitan a dit du Poëte des visionnaires.

Toutefois il crachoit du creux de ses poumons
L’Epode, l’Antistrophe & cent autres Démons.

On dit aussi en bonne part, d’une personne qui a beaucoup d’esprit, qu’elle a de l’esprit comme un Démon.

Démon & Diable considérés dans une signification sinonyme. Diable, suivant la remarque de M. l’Abbé Girard, se prend toujours en mauvaise part. C’est un esprit malfaisant qui porte au vice, tente avec adresse, & corrompt la vertu. Démon se dit quelquefois en bonne part. C’est un fort génie, qui entraîne hors des bornes de la modération, pousse avec violence, & altère la liberté.

☞ Le premier enferme dans son idée quelque chose de laid & d’horrible que n’a pas le second : & voilà pourquoi la plupart du temps on s’abstient d’en prononcer le nom, & que par une fausse délicatesse, on substitue à sa place celui de démon.

☞ La malice est l’apanage du diable, la fureur est celui du démon : ainsi l’on dit proverbialement que le diable se mêle des choses, quand elles vont de travers par l’effet de quelque malignité cachée ; & l’on dit que le démon de la jalousie possède un mari, lorsqu’il ne garde plus de mesure dans sa passion.

☞ Les Poëtes dans leur entousiasme, sont agités d’un démon qui les fait souvent sortir des règles du bon sens, & prendre le phœbus pour le sublime du style poëtique. Voyez Diable.

DÉMON méridien. C’est le nom qu’on donne à la constellation appelée la flèche ou dard.