Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DÉMONSTRATION

La bibliothèque libre.
Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 217).

DÉMONSTRATION. s. f. Action par laquelle on montre ou indique quelque chose. En Jurisprudence, indication dont on se sert pour mieux faire connoître la personne ou la chose qu’on veut désigner. Quand des parties ne sont pas d’accord sur quel héritage une redevance est due, il en faut faire la démonstration. La fausse démonstration ne vicie point le legs, pourvu que la chose léguée soit existante, & qu’elle puisse être léguée au légataire. Indicatio, demonstrado.

☞ On appelle aussi démonstration les leçons que donnent les Professeurs d’Anatomie & de Botanique en faisant voir la chose même qu’ils expliquent. Démonstration d’Anatomie, démonstration de Botanique.

Démonstration, signifie quelquefois témoignage, mais avec cette différence, que par un usage tout-à-fait bisarre, démonstration dit moins que témoignage. Les démonstrations tombent plus sur l’extérieur ; l’air du visage, les caresses, les parole flatteuses, ne désignent qu’un accueil obligeant. Significatio alicujus rei. Témoignage au contraire est plus intérieur & va plus au solide, & à des services essentiels. En un mot, un faux ami peut donner des démonstrations d’amitié qui d’ordinaire sont trompeuses, & il n’y a qu’un véritable ami qui en puisse donner des témoignages. Bouh. Dans le monde tout se passe en démonstrations obligeantes sous lesquelles on dissimule ce qu’on pense. S. Evr. La dévotion qui se déploie si fort en démonstrations, & en actes extérieurs, est souvent une fausse vertu qui a sa source dans les passions humaines. De Vill. Ce mari donne tous les jours à sa femme de grandes démonstrations d’amitié. Ce reproche l’a touché sensiblement, mais il n’en a fait aucune démonstration au dehors.

Démonstration, en termes de Philosophie, se dit d’une preuve évidente, d’un argument convaincant, dont les deux premières propositions sont certaines, claires & évidentes, d’où il s’ensuit nécessairement une conclusion infaillible. Demonstratio. Aristote a remarqué que la démonstration ne regarde proprement que la persuasion intérieure, & non pas le consentement extérieur ; parce qu’il n’y a rien de si bien démontré qui ne puisse être nié par un opiniâtre, qui s’est engagé à contester les choses mêmes dont il est intérieurement persuadé. Port Royal. La Géométrie est la seule science qui soit fondée sur des démonstrations. Quand on parle d’une vraie démonstration, on entend parler de la géométrique. Une démonstration a ordinairement trois patries : l’explication, la préparation & la conclusion. L’explication est l’exposition des choses que l’on suppose données dans la proposition, & de ce que l’on veut démontrer. La préparation est une supposition qu’il faut faire selon la nature de la démonstration qu’on veut faire. La conclusion est une proposition qui conclut ce que l’on veut démontrer, & qui acheve de persuader & de convaincre l’esprit. On appelle démonstration affirmative, celle qui par des propositions affirmatives & évidentes, par dépendance l’une de l’autre, finit parce qu’elle veut démontrer. La démonstration négative, est celle par laquelle on montre qu’une chose est telle par quelque absurdité qui s’ensuivroit, il elle étoit autrement, on l’appelle aussi démonstration à l’impossible. La démonstration géométrique, est celle qui sa fait par des raisonnemens géométriques. La démonstration méchanique, est celle dont les raisonnemens se tirent des règles de la Méchanique.

Il y a des démonstrations métaphisiques ; &, comme la géométrie entre dans toutes les sciences spéculatives, toutes ces sciences ont des démonstrations, mais tirées de la Métaphysique, ou fondées sur la Métaphysique. Une proposition seule n’est point une démonstration, par exemple. Le tout est plus grand que la partie, n’est point une démonstration, c’est un principe, une proposition certaine, claire & évidente. Une démonstration est un argument, un syllogisme par lequel on démontre, c’est-à-dire, on prouve évidemment une proposition : par exemple, Le corps humain est un tout composé de plusieurs parties ; le bras n’est qu’une partie du corps ; donc que le corps est plus grand que le bras. Voilà une démonstration métaphysique. Les deux prémisses de la démonstration métaphysique doivent être certaines & évidentes par elles-mêmes & par la seule pénétration des termes. Par exemple, dans la démonstration qu’on vient de faire, on connoît évidemment qu’un tout est un assemblage de plusieurs parties : on connoît évidemment ce que c’est que partie, on sait évidemment ce que c’est, dans le corps humain, que le bras : on sait évidemment qu’il n’est que partie. Ainsi les deux prémisses sont certaines & évidentes par la seule notion ou pénétration des termes.

Il y a aussi des démonstrations Physiques. Ainsi de l’existence du monde, de la beauté, de l’ordre, de la proportion, de la liaison, de l’utilité mutuelle de ses parties, des fins auxquelles elles sont destinées, ce qu’on appelle causes finales de tout cela, où l’on remarque une sagesse admirable, on tire une démonstration physique de l’existence de Dieu. Ainsi Aristote, du mouvement qui se voit dans la nature, a conclu la nécessité d’un premier moteur.

On en tire aussi du consentement des Sages ; de l’opinion générale de toutes les nations, de tous les hommes qui reconnoissent tous quelque divinité, on en tire une preuve morale de l’existence de ce premier être ; mais en général les démonstrations morales ne sont guère que des préjugés légitimes & très-forts, & non des démonstrations, en prenant ce terme à la rigueur.

On distingue, dans l’Ecole, des démonstrations physiques de trois espèce ; les unes que l’on appelle démonstrations a priori, les autres a posteriori, & les troisièmes a simultaneo. Démonstration à priori, c’est-à-dire démonstration tirée d’une chose qui existe, qui est avant la chose que l’on veut prouver ; c’est la démonstration de l’effet par sa cause. Démonstration a posteriori, c’est-à-dire démonstration tirée de quelque chose qui est postérieure à celle que l’on veut prouver, c’est la démonstration de la cause par ses effets. Démonstration a simultaneo, c’est une démonstration prise de quelque chose qui a une connexion nécessaire à celle que l’on veut prouver. Ainsi je démontre qu’une telle personne est en tel endroit, parce que je viens d’y entendre sa voix, c’est une démonstration à simultaneo. Au reste ces termes latins se disent souvent dans des Traités théologiques ou philosophiques & dans les conversations en parlant François ; surtout les deux premiers, car le troisième n’est guère d’usage.