Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/DAPIFER

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(3p. 106-107).

DAPIFER. s. m. Nom de dignité & d’Office, Grand-Maître de la maison de l’Empereur. Dapifer. Ce nom est Latin, composé de daps, dapis, qui signifie un mets, une viande qui le sert sur la table, dans un repas,& qui se mange, & de fero, je porte. Aussi il signifie proprement Porte-mets, Porte-viande, un Officier qui porte les mets, qui sert la table. Quoique ce nom soit purement Latin, on ne laisse pas de s’en servir en François, comme a fait M. de Marca, dans son Hist. de Béarn, Liv. VI. c. 2. Ce titre de dapifer est un nom de dignité & d’office dans la Maison Impériale, que l’Empereur de Constantinople donna au Roi de Russie, comme une marque de faveur. Cet office étoit nommé en France anciennement dapiférat & Sénéchaussée, qui comprenoit l’intendance sur tous les offices domestiques de la Maison Royale, ainsi que Hugues de Cleriis, ancien Auteur, a expliqué dans le Commentaire qu’il en fit il y a six cens ans, en faveur de Foulques Comte d’Anjou, à qui le Roi Robert donna en héritage l’investiture du dapiférat de la Maison Royale ou la Sénéchaussée du Royaume, comme parle ce Hugues, que le P. Sirmond a publié en ses notes sur Géoffroy de Vendôme, De Marca. La Maison de Moncade, en Catalogne, a pris indifféremment le surnom de Moncade & celui de dapifer. Le titre de dapifer est même le surnom le plus ordinaire dans les actes publics, & le plus ancien dans cette illustre Maison, qui représente l’ancienne dignité du dapiférat de France, dont le premier de cette race avoit été pourvu sous Charlemagne. Id. C’est de la qualité de dapifer, qui est originaire dans cette maison, qu’elle a pris le sujet du blason de ses armes, qui sont six tourteaux. Id. Voyez encore le Glossaire de Du Cange & Hoffman.

Au reste, le dapifer n’étoit pas seulement un Officier de la maison des Princes, les particuliers avoient aussi des dapifers, comme ils ont aujourd’hui des Intendans & des Maîtres-d’hôtel. Quoiqu’il paroisse par ce qu’on a rapporté de M. de Marca, & par les preuves qu’il en donne à l’endroit cité, & qui sont aussi indiquées par Surita, en ses Annales, Liv. I. c. 2. & par Fra-Francisco Diego, dans son Histoire des Comtes de Barcelone, quoiqu’il paroisse, dis-je, par-là, que le dapiférat étoit établi sous Charlemagne, on n’en trouve aucune mention plutôt, & Hincmar lui-même n’en parle point dans le dénombrement des offices du Palais de ce Prince ; ainsi il paroît que c’est l’époque de l’institution de cet Office. Sous les Ottons le nom & le titre de dapifer devint plus commun. Il est encore resté jusqu’à ce tems-ci en Allemagne, & le Comte Palatin a été dapifer de l’Empire. Limnæus & Hoffman. Depuis 1623. c’est l’Electeur de Bavière ; il prend le titre d’Archidapifer de l’Empire. Son office est, au couronnement de l’Empereur, de porter à cheval les premiers plats à la table de l’Empereur. Les différentes Fonctions de la charge de dapifer lui ont fait donner par les Auteurs anciens plusieurs noms différens, parce qu’il assembloit les Officiers de la cuisine à leur table, & que de-là il portoit & faisoit porter les mets à la table du Prince ; on l’a appelé Ἐλέατρος en Grec, & eleater en Latin, de ἐλεόν, table de cuisine ; dipnocletor, celui qui assemble les Officiers pour le repas, de δεῖπνον, cœna, epulum, cibus, & καλέω, voco ; Convocator, parce qu’il avoit l’intendance de la table : Trapezopœus, de τράπεζα, mensa, table, & ποιέω, je fais, je dresse ; Architriclinus, Maître, Intendant de la salle à manger : parce qu’il goûtoit les viandes avant que de les faire servir, on le nomme Progeusta, Protogeusta, de πρό, ante, ou πρῶτος, primus, & γεύω, gusto ; & Prægustator, mot Latin qui signifie la même chose, de præ & gusto. Dans des tems plus bas on l’a nommé en Orient domestique, domesticus, Mégadomestique, Megadomesticus, magnus domesticus, Œconome, Œconomus, Majordome, Majordomus, Sénéchal, Seneschallus. Voyez Domestique. Schalcus, Gastaldus, Assesseur, Assessor, Præfectus, ou Præpositus mensæ Intendant de la table, Princeps Coquorum, Prince ou Maître des Cuisiniers, & même Magyrus, du Grec μάγειρος, Cuisinier.

Sous la troisième race de nos Rois, il y avoit plusieurs Dapifers, & le Grand Dapifer portoit à l’armée la bannière royale.

Le Dapifer des Barons & des Gentilshommes, connoissoit autrefois des causes qui étoient du ressort & de la Jurisdiction de son maître, & il étoit chef de sa Justice ; & dans la suite il fut appelé Sénéchal de la Cour du Baron ou Sénéchal du manoir, Seneschallus Curiæ Baronis, Seneschallus manerii. Sigebert, à l’an 1160, parle d’un Robert de Neubourg qu’il qualifie Dapifer & Justicier de toute la Normandie. Le Duc de Suabe ne dédaignoit pas autrefois d’être Dapifer de l’Abbé de Saint Gai, & de le servir, lorsqu’on le faisoit Prince à la Cour Impériale. Voyez Conrad de Faburtia, Rer. Alleman. Tom. I. part. 1. Il étoit aussi du devoir du Dapifer de porter l’étendard de son Maître, & par conséquent d’assembler & de conduire ses vassaux à la guerre.

En Angleterre la Charge de Dapifer a été peu illustre. Dans les subscriptions des anciennes Chartres de ce Royaume, le Dapifer est toujours un des derniers. Voyez sur tout ceci M. du Cange, Gloss.