Dictionnaire de l’économie politique/Enseigne

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Texte établi par Charles Coquelin, Gilbert-Urbain GuillauminGuillaumin (Tome premierp. 706).

ENSEIGNE. C’est le nom que l’on donne aux tableaux et aux figures en relief que les marchands et les aubergistes mettent en évidence sur la façade de la maison qu’ils habitent. Par extension, le mot d’enseigne s’applique également à l’explication donnée de la figure ; dans certains cas, même, la figure est supprimée, et l’indication porte encore le nom d’enseigne.

À une époque où peu de personnes savaient lire, et où les maisons n’étaient pas classées avec méthode comme elles le sont aujourd’hui au moyen d’un numérotage uniforme, les enseignes servaient à désigner les maisons et à retrouver les marchands.

Autrefois, à Paris, elles étaient suspendues à des potences de fer, peintes sur des écriteaux en tôle, où figurait dans des proportions colossales un objet quelconque, tel qu’une épée, une croix. Le vent qui agitait ces enseignes les décrochait quelquefois ; la lumière des faibles lanternes que l’on avait alors la nuit était interceptée par leur ombre, si bien que le lieutenant général de police, Sartines, fut obligé de les faire disparaître comme dangereuses pour la sécurité publique. Elles furent alors appliquées au mur.

Vers la fin du dix-huitième siècle, les magasins de Londres étaient renommés pour le luxe de leurs enseignes, dont quelques-unes, selon l’Encyclopédie, avaient coûté 500 fr., 1,000 et 2,000 fr. à faire établir.

Ce sont surtout les hôtels de voyageurs, les auberges et les débits de boissons, qui possèdent aujourd’hui des enseignes ; cela tient aux anciennes ordonnances des aides qui prescrivaient à tous les aubergistes et cabaretiers d’en mettre, ainsi que des bouchons sur le devant de leur poilu, pour que les employés chargés de la perception des droits de consommation sur les vins pussent les reconnaître et les trouver de suite.

La propriété exclusive des enseignes a toujours été consacrée dans notre ancien droit français. Plusieurs ordonnances défendaient aux marchands des mêmes denrées de prendre la même enseigne dans le même bourg, ou dans la même rue seulement, si la ville était grande ; et un arrêt du parlement de Paris de 1648 condamna un épicier de la rue de la Harpe pour avoir suspendu à sa porte une enseigne déjà prise par un autre épicier de la même rue.

Les tribunaux de commerce sont fréquemment appelés à juger des questions d’usurpation d’enseigne. Il est évident que cette usurpation est un vol, puisqu’elle peut avoir pour conséquence d’enlever, par fraude, la chalandise et la clientèle d’un magasin pour les porter sur un autre ; mais il s’élève quelquefois des questions de fait qui rendent la solution difficile. Souvent des marchands prennent pour enseigne la même figure qu’un de leurs voisins et lui donnent une explication différente. Il s’agit alors de savoir si cette nouvelle enseigne a été établie pour jeter la confusion dans l’esprit des acheteurs, et s’il y a eu, en réalité, dommage pour le premier des marchands qui la possédait.

La propriété d’une enseigne est un droit qui a, dans certains cas, une valeur assez considérable, valeur qui se confond, en général, dans celle de la chalandise et de la clientèle (V. ce mot), car si la qualité des marchandises fait la réputation du marchand qui les vend et crée la clientèle, l’enseigne sert à la conserver, en fixant dans les esprits le souvenir de cette réputation.
Léon Say.