Dictionnaire de l’administration française/APPRENTISSAGE

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APPRENTISSAGE. 1. Avant la révolution de 1789, l’apprentissage était, comme l’industrie elle-même, l’objet d’une réglementation minutieuse. Les statuts des communautés d’arts et métiers en déterminaient, pour chaque profession, les conditions générales, sans préjudice des clauses spéciales que les parties pouvaient ajouter en vertu de contrats, connus sous le nom de brevets d’apprentissage. Les prescriptions relatives à la matière se trouvaient avoir un caractère d’autant plus rigoureux, que le droit d’exercer un métier était communément subordonné à un apprentissage préalable. La réaction contre ce régime autoritaire fut radicale. Non-seulement les lois des 17 mars et 17 juin 1791, en supprimant les corporations, jurandes et maîtrises, et en consacrant le principe de la liberté du commerce, firent tomber l’obligation de l’apprentissage et toutes les dispositions qui s’y rattachaient, mais la législation nouvelle garda un silence complet sur l’apprentissage volontaire et laissa purement et simplement le contrat formé à ce sujet sous l’empire du droit commun.

2. Cependant la nécessité de quelques mesures pour prévenir les abus que favorisait une liberté illimitée, ne tarda pas à se faire sentir. La loi du 22 germinal an XI dut indiquer les causes de résolution du contrat d’apprentissage et assurer l’exécution de ce contrat en punissant le maître qui retiendrait l’apprenti au delà du temps stipulé et celui qui emploierait un apprenti dont l’engagement avec son maître ne serait pas accompli. Mais ces prévisions et quelques autres d’importance secondaire qui s’y ajoutèrent plus tard, étaient encore insuffisantes.

3. Après une longue étude, que le soin de concilier la liberté avec les justes besoins révélés par l’expérience rendait très-délicate, la loi du 22 février 1851 a soumis l’apprentissage à des règles précises, en statuant d’une manière complète sur le contrat volontaire dont il est l’objet. La loi du 22 février 1851, les articles 1384, 2272 du Code civil, l’art. 386 du Code pénal, les art. 2, 3, 4, 5, 18 et 25 de la loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants et des filles mineures employés dans l’industrie, constituent le régime de l’apprentissage.

4. Le contrat d’apprentissage peut être fait :

1o Par acte public reçu soit par un notaire, soit par le secrétaire du conseil des prud’hommes, soit par le greffier de la justice de paix ;

2o Par acte sous seing privé ;

3o Par conventions verbales.

5. En admettant ce triple mode de passer le contrat d’apprentissage, on a voulu, autant que possible, respecter les usages et les convenances des parties. Néanmoins, pour éviter les fréquentes contestations que fait naître l’incertitude des conventions verbales, on a accordé une préférence aux actes écrits. Dans ce but, la loi fixe à un franc seulement l’enregistrement du contrat d’apprentissage, lors même qu’il contient des obligations de sommes ou de quittances, et à deux francs les honoraires de l’officier qui reçoit l’acte, s’il est public. En outre, elle décide que la preuve testimoniale des conventions verbales est uniquement admise suivant le titre des contrats du Code civil.

6. Le contrat d’apprentissage doit énoncer :

1o Les noms, prénoms, âge, profession et domicile du maître, de l’apprenti et des père et mère de ce dernier, ou, à défaut d’eux, de son tuteur ou de la personne autorisée à remplacer les parents ;

2o La date et la durée du contrat ;

3o Les conditions de logement, de nourriture, de prix et toutes autres arrêtées entre les parties.

Il doit être signé par le maître et par les représentants de l’apprenti.

7. Le maître est légalement tenu d’enseigner à l’apprenti progressivement et complétement l’art, le métier ou la profession spéciale qui fait l’objet du contrat.

8. Il doit laisser à l’apprenti âgé de moins de seize ans qui ne sait pas lire, écrire et compter, ou n’a pas terminé sa première éducation religieuse, un temps à imputer sur la journée de travail, dans la limite de deux heures par jour au maximum, pour achever son instruction.

9. Il est obligé de se conduire envers l’apprenti en bon père de famille, de surveiller sa conduite et ses mœurs, d’avertir ses parents de ses fautes graves ou de ses penchants vicieux, et de les prévenir sans retard des cas de maladie ou d’absence et de tous faits susceptibles de motiver leur intervention. Il est responsable du dommage causé par son apprenti, à moins qu’il ne prouve qu’il n’a pu l’empêcher.

10. Il est interdit au maître :

1o D’employer, sauf conventions contraires, l’apprenti à des travaux et services qui ne se rattachent pas à l’exercice de sa profession ;

2o De l’employer à des travaux insalubres ou au-dessus de ses forces ;

3o De prolonger la durée du travail effectif au delà de 10 heures par jour si l’apprenti est âgé de moins de 14 ans, et de 12 heures s’il est âgé de 14 à 16 ans, ainsi que d’imposer aucun travail de nuit, c’est-à-dire entre 9 heures du soir et 5 heures du matin, aux apprentis âgés de moins de 16 ans ; toutefois ces prohibitions peuvent être levées, suivant les circonstances et en cas de nécessité justifiée, par arrêté du préfet rendu sur l’avis du maire. Les conditions d’âge sont augmentées et la durée des heures de travail diminuée pour les apprentis de l’industrie travaillant dans les manufactures, usines, ateliers ou chantiers. (Voy. Enfants [travail des].)

4o De n’exiger de l’apprenti aucun travail de sa profession les dimanches et jours de fêtes légales, même pour rangement de l’atelier. Néanmoins, dans les usines à feu continu, les enfants d’au moins 12 ans peuvent être employés la nuit ou les dimanches et jours fériés aux travaux indispensables, à condition de leur assurer le temps et la liberté nécessaires pour l’accomplissement des devoirs religieux. (Voy. Enfants [travail des].)

11. Le maître célibataire ou veuf ne peut loger comme apprenties de jeunes filles mineures. (Voy. no 16, 2o.) Nul ne peut recevoir des apprentis mineurs, s’il n’est âgé de 21 ans au moins.

12. L’apprenti doit aider son maître, par son travail, dans la mesure de son aptitude et de ses forces ; il est tenu de prolonger l’apprentissage du temps qu’il n’a pu y employer par suite de maladie ou d’absence ayant duré plus de quinze jours.

13. L’apprenti doit à son maître fidélité, obéissance et respect. Le vol commis par l’apprenti dans la maison, l’atelier ou le magasin de son maître, est assimilé au vol domestique et puni des mêmes peines.

14. Le contrat d’apprentissage ne devient définitif qu’à l’expiration d’un délai de deux mois, lequel est considéré comme un temps d’essai. Durant ce temps, il peut être annulé par la seule volonté d’une des parties, sans qu’il y ait lieu à indemnité, à moins de conventions expresses.

15. Le contrat d’apprentissage en cours d’exécution peut être résolu, soit de plein droit, soit à la demande des parties ou de l’une d’elles.

16. Il est résolu de plein droit :

1o Par la mort, l’appel au service militaire ou la condamnation du maître ou de l’apprenti soit pour crime, soit pour attentat aux mœurs, soit pour délits prévus par les art. 388, 401, 405, 406, 407, 408 et 423 du Code pénal, si la condamnation excède trois mois d’emprisonnement. (Voy. le no 25.)

2o En ce qui concerne spécialement les filles mineures, par la mort de la femme du maître ou de toute autre femme de sa famille qui dirigeait la maison à l’époque du contrat. (Art. 5 et 15 de la loi.)

17. Il peut être résolu sur la demande des parties ou de l’une d’elles :

1o Pour manquement aux stipulations du contrat ou infraction grave ou habituelle à la loi du 22 février 1851 ;

2o Dans le cas où le maître ou l’apprenti encourrait une condamnation à un emprisonnement de plus d’un mois ;

3o Dans le cas d’inconduite habituelle de l’apprenti ;

4o Dans le cas de mariage de l’apprenti ;

5o Dans le cas où le maître transporterait sa résidence dans une autre commune. Toutefois cette cause de résolution du contrat n’est valable que dans un délai de trois mois à compter du jour où la résidence aura été changée.

18. Le contrat peut encore être résolu si le temps convenu pour la durée de l’apprentissage dépasse le maximum de la durée consacrée par les usages locaux.

19. Lorsque le contrat est accompli et l’apprentissage fini, le maître est tenu de délivrer à l’apprenti un congé d’acquit ou certificat constatant l’exécution des conventions.

20. Par une sorte de réciprocité, et pour assurer l’accomplissement du contrat au profit du maître par l’apprenti, tout fabricant, chef d’atelier ou ouvrier convaincu d’avoir détourné un apprenti de chez son maître pour l’employer, peut être passible de tout ou partie de l’indemnité à prononcer au profit du maître abandonné.

21. Toute demande à fin d’exécution ou de résolution du contrat d’apprentissage doit être portée devant le conseil des prud’hommes dont le maître est justiciable, ou, à défaut, devant le juge de paix du canton.

22. Le conseil des prud’hommes ou le juge de paix fixe, en cas de résolution du contrat et à défaut de conventions expresses, les indemnités ou restitutions qui pourraient être dues.

23. L’action du maître pour le prix de l’apprentissage est frappée de prescription à l’expiration du délai d’un an.

24. Les contraventions aux prescriptions et prohibitions de la loi sont poursuivies devant le tribunal de police et punies d’une amende de 5 à 15 fr. ; elles peuvent être punies en outre, en cas de récidive, d’un emprisonnement de 1 à 5 jours.

25. Au cas de contravention pour les apprentis de l’industrie, les contraventions seront constatées, selon les cas, par les inspecteurs spéciaux ou les gardes-mines. Elles seront poursuivies devant le tribunal correctionnel et punies d’une amende de 16 à 50 fr. Cette amende s’applique autant de fois qu’il y a eu de personnes employées dans des conditions contraires à la loi, sans que son chiffre total puisse excéder 500 fr. La loi complète ses prévisions tutélaires par une disposition morale des plus justifiées. Elle frappe de l’incapacité de recevoir des apprentis ceux qui ont été condamnés pour crime ou attentat aux mœurs et ceux qui ont subi un emprisonnement de plus de trois mois pour les délits prévus par les art. 388, 401, 405, 406, 407, 408 et 423 du Code pénal. Cependant si elle croit en thèse générale les hommes dont il s’agit indignes de la mission délicate de former des élèves, elle admet, avec une modération équitable, qu’ils aient pu racheter cette indignité par leur retour à une bonne conduite. En conséquence, elle autorise les préfets, sur l’avis des maires, à relever de l’incapacité qui précède les condamnés, lorsqu’après l’expiration de leur peine, ils auront résidé trois ans dans la même commune. L. Lefort.

administration comparée.

En Angleterre, le contrat d’apprentissage (indenture) est réglé en grande partie par le Master and servant Act de 1867, le mot employé, dans cette loi, étant étendu à l’apprenti ; mais les lois 32 G. iii, c. 57, 4 G. iv, c. 29, 5 V., c. 7, renferment encore des dispositions en vigueur. Cette législation ne semble pas avoir pour but spécial de protéger l’apprenti et de lui assurer, autant que cela peut se faire par une loi, un bon enseignement de sa profession. Elle s’efforce de donner une sanction aux clauses du contrat sur les droits et les devoirs réciproques, sans favoriser aucune des parties. Il faut que chacun tienne ses engagements sous peine d’amende ou de dommages-intérêts. Le patron ne doit pas maltraiter son apprenti, sous des peines correctionnelles, mais il peut le battre « modérément ». Les lois font une distinction entre l’apprentissage gratuit et l’apprentissage payant, et même entre les différents chiffres. Le paiement d’une prime d’apprentissage n’est pas sans conférer des avantages. C’est le juge de paix siégeant seul ou avec l’assistance d’un collègue, qui est compétent en ces matières. La législation sur le travail des enfants dans les manufactures s’occupe d’une manière générale de l’intérêt des mineurs ; elle est beaucoup plus développée que celle des apprentis (Voy. Enfants [travail des].)

En Allemagne, c’est la loi organique de l’industrie du 21 juin 1869 qui réglemente l’apprentissage. Il y a des apprentis payants, gratuits, rétribués. Leur situation est la même devant la loi (art. 115). Les personnes condamnées pour crimes ou délits non politiques et qui ne jouissent pas de leurs droits civils et politiques, ne peuvent pas prendre d’apprentis (art. 116) ; elles ne peuvent même pas conserver ceux qui étaient déjà engagés (art. 117). Le patron doit donner à l’apprenti un bon enseignement, il doit tenir aux bonnes mœurs, etc., etc. (art. 118). Au terme convenu dans le contrat, l’apprenti peut demander à son patron un certificat d’apprentissage que l’autorité locale légalisera sans frais (art. 124). En principe, les conditions du contrat sont fixées par la libre convention des parties, seulement l’apprenti n’est pas obligé de travailler le dimanche, sauf les cas d’urgence déterminés (art. 105) ; on ne doit pas l’employer à des occupations nuisibles à la santé ou à la moralité, on doit lui permettre de profiter des écoles du soir, etc. (art. 106).

La loi organique autrichienne du 20 décembre 1859 est plus explicite et plus détaillée que les législations ci-dessus. L’art. 88 définit l’apprenti, celui qui est reçu par un industriel indépendant pour apprendre pratiquement la profession de celui-ci. L’art. 89 indique les délits qui rendent un industriel incapable de recevoir un apprenti. L’art. 90 dispose que le contrat d’apprentissage doit être dressé devant l’autorité locale et conservé par celle-ci. Selon l’art. 91, on peut convenir d’un temps d’épreuve qui ne peut excéder deux mois. L’art. 92 fait dépendre les conditions de l’apprentissage de l’accord entre les parties. Les points non réglés sont présumés soumis aux usages locaux. Les art. 93 et 94 indiquent la position de l’apprenti dans la maison du patron, auquel il doit « obéissance, fidélité, assiduité au travail, conduite convenable, discrétion ». En revanche, le patron doit le protéger, lui conférer (art. 95) l’enseignement professionnel, le faire pratiquer ses devoirs religieux, l’habituer aux bonnes mœurs, l’envoyer, s’il y a lieu, à l’école des apprentis, ne pas le maltraiter, etc. Si l’apprenti tombe malade, ou s’enfuit, et dans d’autres cas importants, avis doit en être donné aux parents. Les art. 96 à 98 énumèrent les divers cas qui peuvent motiver la résolution du contrat et l’art. 99 le dédommagement auquel le patron peut avoir droit. L’art. 100 impose au patron le devoir de donner un certificat d’apprentissage. L’art. 101 dispose que l’industriel qui accepte sciemment un apprenti qui a quitté indûment son précédent patron, répond de tout le dommage que ce dernier a subi de la part de l’apprenti. L’art. 102 veut que les contestations entre patrons et apprentis soient jugées par l’autorité administrative. M. B.