Dictionnaire de l’administration française/ASSISTANCE JUDICIAIRE

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ASSISTANCE JUCICIAIRE. 1. La situation des indigents qui ne peuvent exercer leurs droits en justice a, de tout temps, préoccupé les esprits des hommes d’État et des législateurs. Le Droit romain, les capitulaires de Charlemagne, les édits de Charles V et d’Henri IV contiennent des dispositions relatives aux indigents. Un édit de 1610 prescrivait de « commettre des avocats et procureurs pour les pauvres en tel nombre qu’il sera advisé selon la grandeur et la nécessité de chacune cour ou siége. » L’institution de l’avocat des pauvres était entrée dans les mœurs et s’y est maintenue, sans réglementation spéciale, grâce au zèle et au dévouement des membres du barreau. Mais, depuis le commencement de ce siècle, des lois, décrets, etc., se sont succédé, qui ont donné au principe de l’assistance judiciaire une consécration définitive.

Un arrêté du 9 frimaire an IX ordonnait aux chambres des avoués de former un bureau de conciliation gratuite pour les indigents.

On lit dans le décret du 14 octobre 1810 qui réorganisa le barreau : « Le conseil de discipline pourvoit à la défense des indigents par l’établissement d’un bureau de consultation gratuite. Les causes que ce bureau trouvera justes seront par lui envoyées au conseil de discipline qui les distribuera aux avocats à tour de rôle. » Cette disposition n’a pas été abrogée par l’ordonnance du 20 novembre 1822 concernant les usages observés dans le barreau (art. 45). Le décret du 18 juin 1811, art. 119 à 122, la loi du 25 mars 1817, art. 75, celle du 3 juillet 1846, art. 8, établissent au profit des indigents certaines immunités pécuniaires. Enfin la loi du 22 janvier 1851 sur l’assistance judiciaire a régularisé, par des dispositions complètes, ce qui existait déjà soit en droit, soit en fait.

sommaire.

chap. i. assistance judiciaire en matière civile et commerciale.
CSect. 1. Organisation, 2 à 7.
CSect. 2. Procédure, 8 à 14.
CSect. 3. Effet de l’assistance, 15 à 19.
chap. ii. assistance judiciaire en matière criminelle, correctionnelle et de police, 20.
chap. iii. dispositions diverses, 21 à 25.
Bibliographie.
Administration comparée.


CHAP. I. — ASSISTANCE JUDICIAIRE EN MATIÈRE CIVILE ET COMMERCIALE.
Sect. 1. — Organisation.

2. Il existe des bureaux d’assistance judiciaire près des tribunaux civils d’arrondissement, près des cours d’appel, près de la Cour de cassation et près du Conseil d’État.

3. Le bureau d’arrondissement examine les demandes d’assistance pour intenter un procès ou pour y défendre devant les tribunaux civils, les tribunaux consulaires et les justices de paix. Il se compose d’un agent de l’administration de l’enregistrement, d’un délégué du préfet et de trois membres nommés par le tribunal civil et pris parmi les anciens magistrats, les avocats, les avoués ou les notaires. Lorsqu’il y a plus de 15 avocats inscrits au tableau, un des trois membres mentionnés ci-dessus est nommé par le conseil de discipline de l’ordre des avocats et un autre par la chambre des avoués.

4. Le bureau d’appel se compose de l’agent de l’enregistrement et du délégué du préfet réunis à cinq membres choisis : deux par la cour en assemblée générale, deux par le conseil de discipline des avocats, et un par la chambre des avoués de la cour.

5. Près de la Cour de cassation et du Conseil d’État, le bureau est composé de sept membres dont deux délégués du ministère des finances. Trois autres membres sont choisis, savoir : pour le bureau établi près de la Cour de cassation, par cette Cour en assemblée générale, parmi les anciens membres de la Cour, les avocats et les anciens avocats à la Cour de cassation et au Conseil d’État, les professeurs et les anciens professeurs en droit ; et, pour le bureau établi près du Conseil d’État, par ce Conseil, en assemblée générale, parmi les anciens conseillers d’État, les anciens maîtres des requêtes, les anciens préfets, les avocats et les anciens avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Près de l’une et l’autre de ces juridictions, les deux derniers membres sont nommés par le conseil de discipline de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

6. Les membres des bureaux d’assistance, autres que les délégués de l’administration, sont soumis au renouvellement au commencement de chaque année judiciaire et dans le mois qui suit la rentrée ils peuvent être réélus.

7. Les fonctions de secrétaire sont remplies par le greffier de la cour ou du tribunal et, pour le bureau du Conseil d’État, par le secrétaire général de ce Conseil ou par un secrétaire de section délégué par lui.

Sect. 2. — Procédure.

8. Toute personne qui réclame l’assistance judiciaire adresse au procureur de la République de son domicile sa demande sur papier libre, accompagnée d’un extrait du rôle de ses contributions ou un certificat du percepteur de son domicile constatant qu’elle n’est pas imposée et une déclaration attestant qu’elle est, à raison de son indigence, dans l’impossibilité d’exercer ses droits en justice et contenant l’énumération détaillée de ses moyens d’existence. Le réclamant affirme la sincérité de sa déclaration devant le maire de la commune de son domicile ; le maire lui en donne acte au bas de sa déclaration.

9. Le procureur de la République remet la demande au bureau établi près de son tribunal. Si celui-ci n’est pas compétent pour statuer sur le litige, le bureau se borne à recueillir les renseignements tant sur l’indigence que sur le fond de l’affaire. Il peut entendre les parties. Si elles ne se sont pas accordées, il transmet, par l’intermédiaire du procureur de la République, la demande, le résultat de ses informations et les pièces au bureau établi près de la juridiction compétente.

10. Ce bureau prend toutes les informations nécessaires pour s’éclairer sur l’indigence du demandeur, si l’instruction déjà faite par le bureau du domicile de ce dernier ne lui fournit pas, à cet égard, des documents suffisants. Il donne avis à la partie adverse qu’elle peut se présenter devant lui, soit pour contester l’indigence, soit pour fournir des explications sur le fond. Si elle comparaît, le bureau emploie ses bons offices pour opérer un arrangement amiable.

11. Les décisions du bureau ne contiennent que l’exposé sommaire des faits et des moyens, et la déclaration que l’assistance est accordée ou refusée sans aucune expression de motifs. Elles ne sont susceptibles d’aucun recours de la part des parties. Le procureur général, seul, peut déférer au bureau d’appel, pour la faire réformer s’il y a lieu, une décision du bureau d’arrondissement. Elles ne peuvent être produites ni discutées en justice, si ce n’est devant la police correctionnelle en cas de déclaration frauduleuse devant le bureau.

12. Si la juridiction devant laquelle l’assistance judiciaire a été admise se déclare incompétente et que, par suite de cette décision, l’affaire soit portée devant une autre juridiction de même nature et de même ordre, le bénéfice de l’assistance subsiste devant cette dernière juridiction.

13. Celui qui a été admis à l’assistance devant une première juridiction continue à en jouir sur l’appel interjeté contre lui dans le cas même où il se rendrait incidemment appelant. Il continue à en jouir sur le pourvoi en cassation formé également contre lui. Mais si l’assisté émet un appel principal ou un pourvoi en cassation, il ne peut être admis à l’assistance que par une décision nouvelle. Dans ce cas, il doit adresser sa demande au procureur de la République s’il s’agit d’un appel de jugement de tribunal de paix à porter devant le tribunal civil, — au procureur général s’il s’agit d’un appel à porter devant la cour d’appel, — au procureur général près la Cour de cassation s’il s’agit d’un pourvoi.

14. Devant la juridiction compétente, le ministère public doit être entendu dans toutes les affaires dans lesquelles l’une des parties a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire.

Sect. 3. — Effet de l’assistance.

15. L’assisté est dispensé provisoirement du paiement des sommes dues au Trésor, aux greffiers, aux officiers ministériels et aux avocats, ainsi que de toute consignation d’amende.

Les actes de la procédure faits à la requête de l’assisté sont visés pour timbre et enregistrés en débet. Il en est de même des actes et titres produits par l’assisté pour justifier de ses droits et qualités.

16. Les notaires, greffiers et autres dépositaires publics ne sont tenus à la délivrance gratuite des actes réclamés par l’assisté que sur ordonnance du juge de paix ou du président.

17. En cas de condamnation aux dépens contre l’adversaire de l’assisté, la taxe comprend tous les droits, frais, etc., auxquels l’assisté aurait été tenu s’il n’y avait pas eu assistance judiciaire. Le recouvrement est poursuivi par l’administration de l’enregistrement.

18. Le bénéfice de l’assistance ne s’étend pas aux actes faits après que les jugements ont acquis l’autorité de la chose jugée.

19. Devant toutes les juridictions, le bénéfice de l’assistance peut être retiré, en tout état de cause, soit avant, soit même après le jugement :

1° S’il survient à l’assisté des ressources reconnues suffisantes ;

2° S’il a surpris la décision du bureau par une déclaration frauduleuse. Dans ce cas, l’assisté peut être traduit devant le tribunal correctionnel et condamné à un emprisonnement de 8 jours à 6 mois et à une amende de 100 fr. au minimum.

Le retrait de l’assistance peut être demandé, soit par le ministère public, soit par la partie adverse. Il peut aussi être prononcé d’office par le bureau. Dans tous les cas, il est motivé.

L’assistance ne peut être retirée qu’après que l’assisté a été entendu ou mis en demeure de s’expliquer.

Le retrait a pour effet de rendre immédiatement exigibles les droits, honoraires, émoluments et avances de toute nature, dont l’assisté avait été dispensé.

CHAP. II. — ASSISTANCE JUDICIAIRE EN MATIÈRE CRIMINELLE, CORRECTIONNELLE ET DE POLICE.

20. L’assistance judiciaire, telle qu’elle vient d’être exposée, n’existe pas en matière criminelle, correctionnelle et de police. Elle ne peut même pas être accordée à la partie civile.

La défense des accusés devant les cours d’assises est réglée par l’art. 294 du Code d’instruction criminelle.

Devant les tribunaux correctionnels, les présidents peuvent désigner d’office des défenseurs aux prévenus poursuivis par le ministère public ou détenus préventivement quand leur indigence est constatée, ordonner d’office l’assignation des témoins nécessaires, toute production de pièces, etc.

Enfin, l’art. 420 du Code d’instruction criminelle dispense de la consignation de l’amende ceux qui joignent à leur demande en cassation : 1° un extrait du rôle des contributions constatant qu’ils paient moins de 6 fr., ou un certificat du percepteur de leur commune portant qu’ils ne sont point imposés ; 2° un certificat d’indigence à eux délivré par le maire de la commune de leur domicile, visé par le sous-préfet et approuvé par le préfet de leur département.

CHAP. III. — DISPOSITIONS DIVERSES.

21. Communes, etc. Le bénéfice de la loi du 22 janvier 1851 peut être réclamé seulement par les personnes privées indigentes et non par les personnes morales, comme un établissement de bienfaisance, une société, une commune.

22. Étrangers. Les étrangers ne peuvent être admis à l’assistance qu’autant qu’ils ont été autorisés, par décret, à établir leur domicile en France. Mais, pour favoriser et étendre l’application du principe généreux de l’assistance, des traités de réciprocité ont été déjà conclus, dans l’intérêt des nationaux respectifs, entre la France et la Belgique, l’Italie, le Wurtemberg et le grand-duché de Luxembourg. Des conventions analogues seront évidemment passées avec d’autres pays.

23. D’après les traités existants, les étrangers jouissent réciproquement du bénéfice de l’assistance judiciaire, comme les nationaux eux-mêmes, en se conformant à la loi du pays dans lequel l’assistance est réclamée.

24. Dans tous les cas, le certificat d’indigence doit être délivré à l’étranger qui demande l’assistance par les autorités de sa résidence habituelle. — S’il ne réside pas dans le pays où la demande est formée, le certificat d’indigence est approuvé et légalisé par l’agent diplomatique du pays où ce certificat doit être produit. — Lorsque l’étranger réside dans le pays où la demande est formée, des renseignements peuvent, en outre, être pris auprès des autorités de la nation à laquelle il appartient.

25. Les étrangers assistés sont dispensés, de plein droit, de toute caution ou dépôt qui, sous quelque dénomination que ce soit, peuvent être exigés des étrangers plaidant contre les nationaux par la législation du pays où l’action sera introduite.

E. Yvernès.
bibliographie.

De Beux, Études sur l’institution des avocats des pauvres. Paris, Bey. 1847.

De la défense des indigents dans les procès civils et criminels, par M. Vivier. Rapp. à l’Académie des sciences morales et polit. Paris, Guillaumin. 1848.

De l’assistance judiciaire, par Dorigny, chef de bureau ministère de la justice. 1851.

Code de l’assistance judiciaire, par L. Brière-Valigny, avocat général près la Cour d’appel de Paris. — Librairie de Cosse et Marchal. 1866.

administration comparée.

L’assistance judiciaire existe, pour ainsi dire, dans tous les pays. Là où une loi spéciale ne la réglemente pas, l’usage y supplée. Mais les conditions nécessaires pour l’obtenir ou la procédure à suivre varient ; nous ne noterons ici, pour quelques pays, que les particularités les plus saillantes :

Angleterre. — Pour être admis à plaider in forma pauperis, il faut que le demandeur en assistance établisse qu’il n’est pas solvable pour 5 livres sterl., non compris les vêtements et l’objet du litige. Le privilége ne s’étend pas aux personnes ayant un caractère représentatif, sauf en matière de tutelle. Les étrangers ne peuvent être admis au bénéfice de l’assistance.

Bavière. — Le droit des pauvres (Armenrecht) n’est accordé que sous réserve de remboursement des sommes avancées par le Trésor si l’assisté se trouve plus tard en état de le faire. La concession de l’Armenrecht n’est valable pour l’assistance supérieure que si la cause y arrive à la suite d’un recours exercé par la partie adverse.

Belgique. — L’assistance judiciaire est réglée par l’arrêté royal du 26 mai 1824. Les hospices, bureaux de bienfaisance, administrations d’églises sont admis, de plano, à l’assistance qui leur est refusée dans le cas seulement où ils n’ont pas raison en droit. Une nouvelle autorisation est nécessaire pour l’appel.

Danemark. — Trois conditions sont nécessaires pour obtenir le fri procès : une indigence relative, un motif valable pour entreprendre le procès et l’insuccès d’une tentative de conciliation. À Copenhague, c’est l’autorité judiciaire qui est juge de la délivrance du fri procès, partout ailleurs, c’est l’autorité administrative.

Hongrie. — Il n’y a pas de loi spéciale, mais la cour ou le tribunal peut ordonner d’office la représentation gratuite de la partie indigente si l’absence de ressources est légalement constatée par un certificat émanant du porteur et de l’officier d’administration publique. (§ 90, règlement de procédure civile.)

Italie. — Près de chaque tribunal, cour d’appel et de cassation, il existe un bureau d’assistance judiciaire (D. 6 décembre 1865). L’assistance peut être admise en toute matière (criminelle, civile et commerciale). Il faut indigence et probabilité de succès. Les étrangers sont admis au bénéfice de l’assistance. Les décisions des bureaux sont susceptibles d’appel.

Norwége. — L’assistance judiciaire est concédée par le gouvernement (L. 20 juillet 1824), sous forme de beneficium processus gratuiti, pour les fonctionnaires attaqués à raison de leurs fonctions, ou sous forme de beneficium paupertatis avec ou sans avocat gratuit pour toute autre personne indigente. La partie adverse de l’assisté, lorsqu’elle perd son procès, est tenue de payer les honoraires de l’avocat de l’assisté, de même que tous les droits que celui-ci aurait dû acquitter si la concession ne lui eût été accordée.

Prusse. — D’après la loi du 10 mai 1851, § 5 (disposition qui a passé dans le titre 23 du Code de procédure), toute personne qui prouve, par un certificat de la police locale, qu’elle n’est pas en état de supporter les frais de justice, peut obtenir du tribunal remise ou modération des taxes judiciaires.

Pays-Bas. — L’assistance y est réglée par les art. 855 à 875 du C. de pr. civ. C’est l’autorité judiciaire qui prononce. L’assisté n’a besoin de faire une nouvelle demande pour aller en appel qu’autant qu’il a perdu son procès en première instance.

Suède. — La loi assure l’assistance judiciaire à toute personne dont l’indigence est dûment certifiée. Sans qu’il y ait demande d’assistance, la loi sur le timbre dispense de l’impôt toutes les pièces sur lesquelles un juge ou tout autre officier public compétent appose le mot « gratis ». Les dispositions des lois sur l’assistance judiciaire sont communes aux étrangers et aux indigènes.

Wurtemberg. — L’admission au droit des pauvres dans l’instance inférieure implique le même droit dans l’instance supérieure. Le tribunal décide en audience et à charge d’appel. L’assistance n’est accordée que sous réserve de l’avenir. La partie adverse de l’assisté peut être condamnée à acquitter tous les frais qui auraient été dus par l’assisté. Y.