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Dictionnaire de l’administration française/BAINS ET LAVOIRS PUBLICS

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Berger-Levrault et Cie (p. 206-208).

BAINS ET LAVOIRS PUBLICS. 1. Le but de ces établissements, dont nous avons emprunté l’idée aux Anglais, est d’encourager les habitudes de propreté parmi les classes ouvrières, en leur fournissant, aux plus bas prix possibles, et même dans certains cas gratuitement, la facilité de prendre des bains, de laver et de sécher leur linge.

2. Le moyen employé en Angleterre, pour réaliser cette louable pensée, consiste à annexer à chaque lavoir un établissement de bains, et à compenser les pertes qu’occasionnerait le lavoir, exploité isolément, par l’excédant de recettes que produisent les bains, donnés même à très-bas prix.

3. Les associations qui se sont formées dans la Grande-Bretagne pour la propagation des établissements de bains et lavoirs publics, ne se sont pas seulement proposé la condition d’améliorer la condition physique des classes pauvres ; elles ont eu une pensée plus élevée. En développant les habitudes de propreté parmi les masses, en mettant à la portée de tous les soins et les éléments de confort, considérés jusqu’alors comme le partage des classes aisées, elles ont voulu agir sur le moral des populations, relever pour ainsi dire l’ouvrier à ses propres yeux et lui inspirer ce respect de soi-même, qui n’implique pas toujours la vertu, mais qui exclut du moins le vice dans ce qu’il a de plus grossier.

4. Sachant combien le temps est chose précieuse, surtout pour les personnes qui vivent du travail de leurs bras, les sociétés et les administrations municipales anglaises se sont appliquées à abréger le plus possible la durée des opérations que nécessite le blanchissage du linge. Ces diverses opérations ont été soumises à une étude méthodique ; on a fait appel aux lumières de la science et de l’industrie : des appareils, des procédés nouveaux ont été imaginés, et si l’on n’est pas encore parvenu à surmonter complétement toutes les difficultés du problème, néanmoins, grâce à d’ingénieuses combinaisons, la ménagère a gagné de nombreuses heures qu’elle peut consacrer à un travail lucratif ; la famille a été privée moins longtemps de la surveillance maternelle.

5. Il existe en Angleterre des bains et lavoirs gratuits fondés par des corporations municipales (bourgs ou villes), par des paroisses (rurales) ou des sociétés particulières ; mais, en général, on peut dire que les établissements de bains et lavoirs publics, tels que les Anglais les ont conçus, participent à la fois de l’institution charitable et de l’entreprise industrielle, car si le profit n’est pas l’objet principal qui en détermine la création, les tarifs sont cependant calculés de manière à ce que non-seulement les recettes couvrent les dépenses, mais encore donnent un bénéfice modéré. On a cherché, en un mot, à mettre l’esprit d’entreprise au service de l’esprit de charité.

6. Suivant l’exposé des motifs de la loi du 3 février 1851, cette tentative a été couronnée de succès, et le même document constate que, dès 1850, l’institution des bains et lavoirs publics en Angleterre avait contribué au plus haut degré au bien-être des individus, au maintien de la santé publique et à la moralisation des masses.

7. En présence de pareils résultats, il était naturel que le Gouvernement conçût la pensée de doter notre pays d’établissements analogues à ceux qui ont si bien réussi de l’autre côté du détroit, car, en France, les établissements de bains particuliers font en général payer trop cher les bains qu’ils administrent pour que la classe ouvrière puisse en profiter, et les lavoirs, dont l’aménagement laisse souvent beaucoup à désirer, ne sont pas, pour la plupart, organisés de manière à ce que la mère de famille puisse lessiver, laver et sécher le linge du ménage avec une suffisante rapidité. L’intervention du Gouvernement semblait, d’ailleurs, indispensable pour donner la première impulsion, et cette intervention pouvait d’autant mieux se justifier qu’en Angleterre même, où l’on compte tant de grandes fortunes, où l’esprit d’association est si puissant, l’État, qui s’immisce moins fréquemment que chez nous dans les questions d’intérêt local ou du domaine de l’industrie privée, avait cru devoir faire des avances de fonds aux paroisses qui fonderaient des bains et lavoirs publics et encourager la création de ces établissements par un certain nombre de dispositions législatives.

8. Telle a été l’origine de la loi du 3 février 1851, qui a ouvert au ministre de l’agriculture et du commerce sur l’exercice 1851 un crédit extraordinaire de 600,000 fr. pour encourager, dans les communes qui en feraient la demande, la création d’établissements modèles de bains et lavoirs publics, gratuits ou à prix réduits[1].

9. On a voulu constater, par la création d’un certain nombre d’établissements modèles, qu’avec un peu de bon vouloir de la part des municipalités pour les concessions d’eau ou pour les concessions de terrains, il serait facile de constituer des bains et lavoirs qui, gérés par des commissions municipales ou par l’industrie privée sous leur surveillance, produiraient de grands bienfaits sans entraîner aucune dépense annuelle, et même en réalisant des bénéfices. (Exposé des motifs de la loi du 3 février 1851.)

10. La loi a imposé aux communes qui voudraient obtenir une subvention de l’État les conditions suivantes : 1° Prendre l’engagement de pourvoir, jusqu’à concurrence des deux tiers au moins, au montant de la dépense totale ; 2° soumettre préalablement au ministre de l’agriculture et du commerce les plans et devis des établissements qu’elles se proposent de créer, ainsi que les tarifs tant pour les bains que pour les lavoirs. Aux termes d’une circulaire ministérielle du 26 février 1851, la commune doit justifier, en outre, par la production de son budget, qu’elle est dans une situation financière qui ne lui permet pas de se charger de la totalité de la dépense.

11. Suivant la même loi du 3 février 1851, chaque commune ne pouvait recevoir de subvention que pour un seul établissement et chaque subvention ne pouvait excéder 20,000 fr. Un décret rendu le 3 janvier 1852, pendant la période dictatoriale, a fait disparaître ces deux restrictions, mais en maintenant expressément l’obligation pour les communes de faire les deux tiers de la dépense. Le même décret a reporté sur l’exercice 1852 toute la portion du crédit qui n’avait pas été employé en 1851, et ensuite d’exercice en exercice jusqu’à épuisement des 600,000 fr. (Ce crédit est épuisé depuis longtemps.)

12. La circulaire du 26 février 1851 prescrit de prendre l’avis du conseil d’hygiène publique de l’arrondissement sur les projets présentés. Une autre circulaire du 30 avril 1852 recommande en outre aux préfets de faire examiner les projets des communes par un architecte et un ingénieur du département.

13. La commune qui sollicite une subvention, doit prendre l’engagement de faire profiter des prix réduits tous les ouvriers dont la position justifierait cet allégement, et de délivrer, chaque mois, un nombre déterminé de cartes gratuites aux indigents. Dans le cas où il serait d’une impossibilité absolue d’établir, pour ces derniers, des baignoires distinctes, il y aurait à leur assigner des heures et des jours réservés. (Circ. min. 30 avril 1852.)

14. La subvention est divisée en trois portions égales qui sont ordonnancées et payées à mesure que les communes justifient, par tiers, de l’avancement des travaux, de telle sorte que le dernier tiers de la subvention ne soit acquitté qu’après l’entier achèvement de l’établissement et sa réception en bonne forme. (Id.)

15. Parmi les communes où la création d’un établissement modèle de bains et lavoirs publics présente un caractère particulier d’utilité, il peut s’en trouver qui ne soient pas en état de s’imposer les sacrifices nécessaires pour avoir droit à une subvention. La loi a prévu cette éventualité, en admettant les bureaux de bienfaisance et autres établissements reconnus comme établissements d’utilité publique à participer au bénéfice de ses dispositions, avec le consentement du conseil municipal. Cette disposition ne préjudicie en rien d’ailleurs au droit que possèdent les communes de concéder, pour un temps plus ou moins long, à une compagnie particulière formée, soit dans un but industriel, soit dans un but de pure bienfaisance, et au moyen de dons volontaires, la création de bains et lavoirs publics, comme elles pourraient le faire pour l’établissement d’une halle ou d’un abattoir. (Circ. min. 26 février 1851.)

16. La même circulaire recommandait aux préfets de faire étudier, dans les villes industrielles, quel parti l’on pourrait tirer des eaux de condensation provenant des machines à vapeur, et leur indiquait que déjà un ingénieur habile, soutenu par les seuls efforts de la charité privée, avait su mettre à profit ces eaux de condensation pour créer à Rouen un établissement qui rendait d’importants services à une partie de la classe pauvre de cette cité populeuse.

17. Nous n’avons rien dit de la commission dont le ministre devait prendre l’avis avant de statuer sur les demandes de subvention (L. 3 fév. 1851, art. 2), parce que cette commission a cessé depuis longtemps de fonctionner. Elle est suppléée par le conseil des bâtiments civils.

18. On a vu plus haut qu’en 1851 le crédit destiné à encourager la création de bains et lavoirs publics avait été ouvert au ministre de l’agriculture et du commerce. Depuis cette époque, le ministère de l’agriculture et du commerce ayant été temporairement réuni à celui de l’intérieur, et lorsqu’en juin 1853 on a reconstitué un ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, la distribution du crédit relatif aux bains et lavoirs est restée dans les attributions du département de l’intérieur.

19. Nous terminerons en faisant remarquer que l’établissement des lavoirs publics n’a pas été affranchi des règles relatives à la création des ateliers qui peuvent être une cause d’insalubrité ou d’incommodité pour le voisinage. Or, aux termes des ordonnances royales des 14 janvier 1815 et 5 novembre 1826, les buanderies des blanchisseurs de profession et les lavoirs qui en dépendent sont rangés dans la seconde classe des établissements insalubres ou incommodes, quand ils n’ont pas un écoulement constant de leurs eaux, et dans la troisième classe, quand l’écoulement des eaux est constant. Il nous semble donc que la création des lavoirs publics doit être précédée de l’accomplissement des formalités prescrites par le décret du 15 octobre 1810 et l’ordonnance du 14 janvier 1815. (Voy. Établissements insalubres.) Lorsqu’on y fait usage d’une machine à vapeur, il y a lieu de se conformer en outre aux règlements spéciaux relatifs à l’établissement et à la surveillance de ces machines. (Voy. Machines à vapeur.)

L. Foubert.
administration comparée.

La législation anglaise sur la matière est résumée dans la loi 9 et 10 Vict. c. 74, et une loi de l’année suivante 10-11 Vict. c. 61 fixe les prix ainsi : pour une personne, bain ou douche d’eau froide 1 d. (10 centimes), chaud 2 d. , pour 4 enfants au-dessous de 8 ans se baignant à la fois 2 et 4 d.

  1. Cette loi ne renferme aucune prescription relativement aux bains, elle met un crédit à la disposition du Gouvernement.